Jean Calvin, malgré sa défense de l’entendement, n’est donc pas un matérialiste : il ne peut pas assumer le matérialisme. Il n’appartient pas à une société dont le mode de production s’est émancipé de la soumission à l’environnement. Son appel à l’entendement tout puissant correspond aux exigences de la bourgeoisie qui veut transformer, qui a commencé à le faire, mais qui n’a pas encore transformé l’ensemble de la réalité.
On se doute que, forcément, par la suite les enseignements de Jean Calvin changeront de sens pour la bourgeoisie une fois arrivée au pouvoir. En tout cas, à l’époque où il écrit, Jean Calvin a besoin du concept de Dieu. Il parle donc ouvertement des épicuriens, c’est-à-dire pour lui les matérialistes ; il aborde ouvertement les thèmes d’Aristote, qu’il reconnaît partiellement pour les contrebalancer par les thèses idéalistes de Platon.
Jean Calvin est ici fidèle au néo-platonisme du christianisme et il ne remet pas en cause la « trinité », où Dieu consiste en le « Père », le « Fils » et le « saint esprit ». Ce dernier balaie le monde et permet à l’humanité de comprendre le monde ; c’est une sorte de thèse idéaliste pour expliquer que l’esprit reflète la réalité, mais de manière parfois non claire, non directement lisible.
Jean Calvin ne considère pas en effet que « Dieu » soit l’Univers, comme Baruch Spinoza. Il est encore prisonnier des préjugés religieux, car la société est encore prisonnière d’un mode de production peu développé, prisonnier des aléas de la nature.
L’humanité ne fait pas encore face à la nature – comme dans le matérialisme dialectique, où l’humanité retrouve la nature après s’en être apparemment émancipée, pour élever son propre mode de production.
Avec Jean Calvin, on a l’humanité qui s’arrache à la nature. Par conséquent, le Dieu de Jean Calvin consiste précisément en l’humanité se parlant à elle-même et s’ordonnant des tâches. Il faut donc un Dieu exigeant, donnant des ordres.
Les positions de Jean Calvin sont ainsi celles d’un néo-platonisme devenu autoritaire sur le plan du travail. Il dit lui-même :
« Or nous sommes contraints de nous reculer un petit peu de cette façon d’enseigner : pour ce que les Philosophes, qui n’ont jamais connu le vice originel, qui est la punition de la ruine d’Adam, confondent inconsidérément deux états de l’homme, qui sont fort divers l’un de l’autre.
Il nous faut donc prendre une autre division : c’est qu’il y a deux parties en notre âme, intelligence et volonté : l’intelligence est pour discerner entre toutes choses qui nous sont proposées, et juger ce qui nous doit être approuvé ou condamné.
L’office de la volonté est d’élire et suivre ce que l’entendement aura jugé être bon, au contraire rejeter et fuir ce qu’il aura réprouvé. »
C’est là où la mise en valeur de l’entendement par Jean Calvin se révèle en partie contradictoire ; Jean Calvin ne va pas cesser de répondre à cela en bricolant des points précis, dont les déséquilibres donneront naissance à de multiples courants calvinistes, néo-calvinistes, para-calvinistes, semi-calvinistes, etc.
Tout comme chez les philosophes, on a l’entendement – mais tout comme les religieux, on a la volonté.
Mais si l’entendement vient de l’ordre de l’Univers, comme chez les philosophes, quelle place y a-t-il pour un « libre-arbitre » ?
Chez Platon, l’âme ne « choisit » pas de vouloir revenir à sa source divine : c’est dans sa nature même. De la même manière, chez Aristote chaque être a une place bien précise et ne peut être en phase avec elle-même qu’à cette place, avec la compréhension de cette place.
Jean Calvin lui reconnaît l’entendement, mais il a besoin d’une autorité permettant d’agir sur terre, amenant la volonté des êtres humains à se mettre en branle. Il y a là une tension énorme entre le déterminisme et la liberté, que Jean Calvin va tenter de combler avec les principes de la chute d’Adam et de la prédestination.