La réussite de l’Opération Corse – de nature clairement gaulliste – convergea avec l’Opération Résurrection, consistant en la prise du pouvoir par l’armée en métropole même. Ici encore, l’histoire bourgeoise est pratiquement muette sur ce plan de coup d’État militaire.
L’Opération Corse est même présentée comme une partie de l’Opération Résurrection, ce qui est inexact de par sa substance. Il y eut un premier plan pour une Opération Résurrection, quelques jours après le coup d’État, réalisé par l’armée en Algérie, mais que de Gaulle rejeta comme manquant de moyens.
Puis, une seconde version fut élaborée à la suite de l’Opération Corse, avec cette fois l’approbation de de Gaulle et même un soutien acharné. Il faut bien voir ici que différents réseaux s’entremêlent. Initialement, l’Opération Résurrection devait voir les « paras » tant d’Algérie que de Corse sauter sur Paris et prendre le contrôle des points névralgiques.
Le général Edmond Jouhaud, dans un document racontant l’épisode, décrit cela de la manière suivante :
« Groupement de Vismes : se porter sur la Préfecture de Police et l’Hôtel de Ville ; groupement Cousteaux : se porter sur le ministère de l’Intérieur et protéger l’Elysée.
Détacher ensuite un élément sur le central régional des P.T.T. ; groupement Château-Jobert : se porter sur la tour Eiffel, les studios de l’O.R.T.F., le centre des communications militaires avec les territoires d’outre-mer ; groupement Moulie : se porter sur la Chambre des députés, le ministère des Affaires étrangères, la présidence du Conseil, la direction générale des P.T.T. et les studios de l’O.R.T.F., occuper les locaux et neutraliser le personnel présent.
Une telle action conduisait à s’emparer des leviers de commande de l’Etat ou tout au moins a les contrôler. »
Mais, en réalité, ce à quoi on aboutit était un coup d’État militaire depuis la métropole même, plus précisément depuis Paris, avec la participation de l’état-major des armées de terre, de l’air et de la marine, unanimement.
Lorsque l’Opération commença, au tout début de la nuit du 30 mai 1958, les avions vers le Sud-Ouest partaient ainsi de Paris.
Si les choses ne sont pas claires, c’est en raison de la nature complotiste de l’opération, différents complots s’entremêlant selon les réseaux. Certains militaires pensaient même que l’opération n’était qu’une bluff pour faire tomber le gouvernement.
Comme, de fait, le gouvernement tomba dès la prise de connaissance de l’opération commencée, tout passa aux oubliettes afin de contribuer à masquer le fait que le régime de la Ve République avait comme origine un coup d’État militaire.
Il faut comprendre le tempo menant à l’Opération Résurrection, qui ne pouvait en effet avoir lieu que grâce à la réussite de la prise de contrôle de la Corse. Celle-ci permettait la constitution d’une tête de pont vers la métropole, tout en aidant à présenter pour la forme le coup d’État militaire en Algérie comme la prétendue expression d’une révolte populaire d’ampleur générale.
C’est l’Opération Corse qui déverrouilla les positions pro-coup d’État de l’armée en métropole.
Le gouvernement et le parlement l’avaient parfaitement compris, d’où leur soumission totale, très surprenante si l’on ne prend pas cet aspect en compte.
Lors du coup d’État en Corse, le député Pascal Arrighi se vit suspendre son mandat par 393 voix contre 198 et lever son immunité parlementaire par l’Assemblée par 423 voix contre 112. Le soutien au gouvernement était donc écrasant.
Le président du conseil Pierre Pfimlin affirma également à la radio le 24 mai :
« J’ai le devoir d’alerter les Français attachés aux libertés que garantissent les lois de la République. Des factieux essaient de nous entraîner sur la pente qui conduit à la guerre civile.
Pour conjurer ce péril, il n’est qu’un moyen : c’est de vous rassembler autour du gouvernement qui défendra contre tous les extrémismes, contre tous les adversaires de la liberté, quels qu’ils soient, l’ordre public, la paix civile et l’unité de la Nation et de la République. »
Mais le 26 mai, au domicile du conservateur du domaine de Saint-Cloud en banlieue parisienne, la rencontre Pierre Pfimlin – Charles de Gaulle se solda par un échec, le second refusant de désavouer le coup d’État en Algérie.
Cela n’empêcha pas de Gaulle de publier le communiqué suivant dans la foulée :
« J’ai entamé hier le processus régulier nécessaire à l’établissement d’un gouvernement républicain capable d’assumer l’unité et l’indépendance du pays. Je compte que ce processus va se poursuivre et que le pays fera voir, par son calme et sa dignité, qu’il souhaite le voir aboutir.
Dans ces conditions, toute action, de quelque côté qu’elle vienne, qui met en cause l’ordre public, risque d’avoir de graves conséquences. Tout en faisant la part des circonstances, je ne saurais l’approuver.
J’attends des forces terrestres, navales et aériennes présentes en Algérie qu’elles demeurent exemplaires sous les ordres de leurs chefs: le général Salan, l’amiral Auboynau, le général Jouhaux. A ces chefs, j’exprime ma confiance et mon intention de prendre incessamment contact avec eux. »
Avec l’Opération Résurrection le 28 mai, Pierre Pfimlin comprit alors que l’armée avait basculé et que la seule réponse éventuelle, c’était la guerre civile.
Mais le même jour, la grande manifestation « en défense de la république », avec notamment François Mitterrand, Pierre Mendès France, Jacques Duclos et Édouard Daladier, ne rassembla que 500 000 personnes à Paris.
Le soir même, le président René Coty appela de Gaulle à former un gouvernement. L’opinion publique fut passive, le mouvement ouvrier ne fit rien. Seule eut lieu une grève générale des enseignants le 30, à l’appel de la FEN, suivi à 80 %.
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