La fin du XXe congrès du PCUS

Le matin du 24 février, la veille du dernier jour, une résolution fut adoptée quant au rapport fait par Nikita Khrouchtchev dix jours plus tôt. Elle encourage le Comité Central « à ne pas faiblir dans la lutte contre les vestiges du culte de la personnalité ».

La résolution n’en dit pas plus sur la question de Staline, posée ici seulement en filigrane.

Mais un fait marquant à cette occasion fut la proposition d’une base de travail de 19 pages pour la résolution, réalisée par un groupe de 45 hauts responsables du PCUS se présentant comme la « commission de préparation pour la résolution du XXe congrès sur le rapport du Comité Central du PCUS ».

Formellement, cela n’a pas de sens, car le rapport est fait au congrès et pas avant. C’était là clairement un appui ouvert à Nikita Khrouchtchev.

Le XXe congrès votant pour le rapport de Nikita Khrouchtchev

Un autre aspect intéressant est que la résolution finale ne salue pas le rapport dans son ensemble (contrairement aux autres congrès), mais « approuve les propositions et conclusions du Comité Central contenues dans son rapport ». Cette formulation n’était pas contenue dans la base de travail ; l’ajout présente une mobilisation en faveur de Nikita Khrouchtchev.

C’est là un aspect très important, car il faut bien saisir que le fameux « rapport secret » n’a pas été lu pendant le congrès, mais après le congrès, alors qu’il était officiellement terminé. Cela signifie que le PCUS était déjà « embarqué » avec Nikita Khrouchtchev et que son « rapport secret » ne pouvait politiquement qu’être accepté par les délégués.

Le matin du vendredi 24 février 1956, Mikhail Pervukhine qui était président de séance annonça ainsi deux choses : une réunion des délégués à 17 heures, puis leur réunion à huis clos à 18 heures.

Le congrès avait donc, avant la réunion à huis-clos, déjà voté les membres du Comité Central. Et c’est seulement après, alors que tout a été verrouillé, que le rapport secret a été lu par Nikita Khrouchtchev.

Timbre annonçant
le XXe congrès du PCUS

Le nouveau Comité Central reflète justement cette prise du pouvoir par la clique de Nikita Khrouchtchev. il compte 133 titulaires contre 125 auparavant, avec 122 suppléants contre 111 auparavant.

Des 125 membres du Comité Central élu en 1952 au XIX congrès, 44 avaient été écartés.

33 % des membres du Comité Central issu du XXe congrès étaient nouveaux, avec le quart des nouveaux membres étant lié à l’activité de Nikita Khrouchtchev en Ukraine.

Sur ces 255 titulaires et suppléants du Comité Central, pratiquement la moitié – 123 – sont des secrétaires des républiques, territoires autonomes et régions. Leur nombre était de 92 sur 236 au congrès précédent. Le Parti est ici asphyxié par l’appareil de direction.

Cela est d’autant plus marquant que le nombre de membres du Comité Central relevant de l’administration étatique est le même (48 titulaires et 52 suppléants, 44 et 54 précédemment). On trouve, dans le même ordre d’idée, seulement 3 intellectuels membres titulaires du Comité Central, 8 militaires, 1 dirigeant syndical.

On ne trouve pareillement que deux responsables de l’appareil de sécurité : le ministre de l’intérieur venant d’être nommé, et le responsable de la sécurité d’État. On a trois responsables militaires : les maréchaux Georges Joukov, ministre de la Défense, Radion Malinovski, commandant de la région militaire d’Extrême-Orient, et Cyrille Moskalenko, commandant de la région de Moscou.

Radion Malinovski, très proche de Nikita Khrouchtchev, deviendra rapidement le principal responsable des forces armées et une figure majeure du social-impérialisme soviétique.

A cela s’ajoute que le Comité Central, dès sa première réunion, nomma également quatre proches de Nikita Khrouchtchev comme candidats au Présidium, sur les six possibles, et alors que le Présidium disposait de 11 membres en tout. Trois de ces candidats étaient par ailleurs membres du Secrétariat du Comité Central, qui comptait au total huit membres (dont trois déjà membres du Présidium).

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La voie pacifique au socialisme selon le XXe congrès du PCUS

Dans son long rapport, Nikita Khrouchtchev assume les thèses de la voie pacifique au socialisme. C’est là une thèse de la plus haute importance, qui va être la grande pierre d’achoppement au début des années 1960 dans le Mouvement Communiste International. Toute la jeune génération marxiste-léniniste refusant le révisionnisme va faire du rejet de cette thèse la pierre angulaire de son identité politique.

La Chine populaire dirigée par Mao Zedong va être au centre de la critique de cette thèse et le principal point de référence alors pour la lutte armée comme stratégie révolutionnaire.

Cette thèse semble tomber du ciel, mais elle découle en fait du principe de coexistence pacifique. La nouvelle bourgeoisie s’affirmant en URSS devait forcément aller dans le sens de la collusion avec les pays capitalistes pour parvenir à un accord.

D’où la démarche relativiste de Nikita Khrouchtchev dans son rapport :

« Nos ennemis aiment à nous représenter, nous, les léninistes, comme des partisans de la violence en toutes occasions.

Il est vrai que nous reconnaissons la nécessité de la transformation révolutionnaire de la société capitaliste en société socialiste. C’est ce qui distingue les marxistes révolutionnaires des réformistes et des opportunistes.

Il est, en effet, hors de doute que, pour maints pays capitalistes, le renversement par la violence de la dictature bourgeoise et l’aggravation brutale de la lutte de classe qui l’accompagne sont inévitables.

Mais les formes de la révolution sociale sont diverses. Quant on prétend que nous voyons dans la violence et la guerre civile l’unique moyen de transformer la société, on émet un postulat qui ne correspond pas à la réalité. »

En fait, le véritable moteur idéologique de cette thèse consiste en le principe d’un capitalisme désormais « organisé », comme l’affirme Eugen Varga. On a ici la base pour la transformation des Partis Communistes en outils pour la politique extérieure l’URSS, qui iront par la suite jusqu’à l’expansionnisme militaire.

C’est en ce sens qu’il faut comprendre le propos de Nikita Khrouchtchev comme quoi :

« La conquête d’une solide majorité parlementaire s’appuyant sur le mouvement révolutionnaire du prolétariat et des travailleurs créerait pour la classe ouvrière des divers pays capitalistes et anciennement coloniaux les conditions nécessaires pour des transformations sociales radicales. »

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Le rejet du caractère inéluctable de la guerre impérialiste au XXe congrès du PCUS

Le leitmotiv de Nikita Khrouchtchev quant à la question internationale, dans son très long rapport (faisant cent pages), c’est l’affirmation que la guerre n’est pas inéluctable. Nikita Khrouchtchev se fait ici le porte-parole assumé de la tendance représentée par Eugen Varga, qui avait fait vaciller le Parti dans l’immédiate après-guerre.

Cette tendance reprit la main, dans les failles du XIXe congrès, dès la mort de Staline.

Immédiatement, la presse soviétique abandonna toute dénonciation des États-Unis, y compris pour de récents incidents. La collaboration avec ce pays durant la Seconde Guerre mondiale fut mise en valeur. La presse américaine, ainsi que les radios, reçurent des visas le 25 mars 1953 pour une semaine de visite de Moscou.

Cette approche se généralisa à tous les niveaux diplomatiques, avec une véritable offensive de charme envers les diplomates et des communiqués officiels particulièrement mesurés.

À l’arrière-plan de la liquidation de l’appareil de sécurité d’État, on a toute une nouvelle mise en perspective, celle de l’URSS séparée du monde et acceptant un rapport pacifique-bourgeois avec les pays capitalistes, alors que les forces productives sont développées sans bataille idéologique.

C’est la rencontre de la faction portée par l’analyse d’Eugen Varga et des erreurs du XIXe congrès de 1952.

Les délégations étrangères au XXe congrès du PCUS

Voici la thèse fondamentale de Nikita Khrouchtchev dans son rapport, reprenant directement les arguments d’Eugen Varga et reflétant la capitulation devant l’impérialisme pour une clique bureaucratique aspirant à devenir bourgeoisie :

« Les marxistes doivent prendre en considération la possibilité de conjurer les guerres à notre époque, s’ils tiennent compte des changements de portée historique mondiale qui se sont produits au cours des dernières années (…).

A l’heure actuelle la situation a foncièrement changé. Le camp mondial du socialisme est né, et il est devenu un atout puissant. Les forces de la paix y trouvent non seulement des moyens moraux, mais également les possibilités matérielles de prévenir l’agression.

Au surplus, il existe actuellement un groupe d’États ayant une population s’élevant à des centaines de millions d’habitants qui luttent activement contre la guerre. Le mouvement ouvrier, dans les pays capitalistes, constitue de nos jours une force considérable. Le mouvement des partisans de la paix est né et est devenu un facteur puissant (…).

Les guerres ne sont pas inévitables, elles ne sont pas fatales. Pour empêcher les impérialistes de déclencher la guerre et, au cas où ils oseraient le faire, pour infliger une riposte foudroyante aux agresseurs et déjouer leurs plans, il faut que toutes les forces engagées, contre la guerre soient en alerte et qu’elles fassent front, unies, sans relâcher pourtant leurs efforts dans la lutte pour le maintien de la paix. »

On notera que, si l’on ne parvient pas à voir la thèse d’Eugen Varga au filigrane du propos de Nikita Khrouchtchev, alors cela peut très largement sonner comme les thèses du XIXe congrès, avec l’affirmation du camp de la paix (le XIX congrès considérant cependant que la guerre est inévitable car liée à la nature même du capitalisme).

Nikita Khrouchtchev présente toutefois un élément nouveau : la dimension subjectiviste dans le rapport à la guerre, conforme aux intérêts de la clique qu’il représente pour une « coexistence pacifique » avec l’impérialisme :

« D’ordinaire, souligne d’ailleurs M. Khrouchtchev, l’on n’envisage qu’un aspect de la question : l’infrastructure économique des guerres sous l’impérialisme. Mais cela est insuffisant.

La guerre n’est pas seulement un phénomène économique. Le rapport des forces de classe, des forces politiques, le degré d’organisation et la volonté consciente des hommes ont une grande importance pour déterminer si la guerre aura lieu ou non.

Bien plus, dans certaines conditions, la lutte des forces sociales et politiques d’avant-garde peut, à cet égard, jouer un rôle décisif. »

Cette thèse sera très largement développée par la suite par l’URSS et l’un de ses principaux fronts idéologiques, notamment dans les pays capitalistes.

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Le rapport du Comité Central au XXe congrès du PCUS

C’est Nikita Khrouchtchev qui lut le rapport du Comité Central du PCUS au XXe congrès, et ce dès le premier jour, soit le 14 février 1956.

Le rapport se divise en trois parties :

– la première concerne la « position internationale de l’Union Soviétique », avec une insistance sur la coexistence pacifique et le dépassement du camp capitaliste ;

– la seconde concerne la « situation interne de l’URSS », avec une présentation résolument optimiste de la situation dans l’industrie et les transports tout d’abord, de l’agriculture ensuite, ainsi que de « l’accroissement des standards matériels et culturels du peuple soviétique » et de « la consolidation et le développement prolongés du système d’État et social soviétique ;

– la troisième concerne le Parti.

Le XXe congrès du PCUS

Nikita Khrouchtchev explique dès les premières phrases que si la période depuis le XIXe congrès fut courte (trois ans et quatre mois), elle est l’une des plus importantes de l’histoire du Parti.

Le travail mené permet en effet, selon lui une avancée fondamentale dépassant ce qui était retardé, et ce dans le cadre de l’existence de deux systèmes à l’échelle mondiale.

Nikita Khrouchtchev mentionne la croissance économique en URSS, dans les démocraties populaires de l’Est européen, de la Chine, ainsi qu’en Yougoslavie ; le fait de mentionner ce dernier pays, considéré pourtant comme fasciste à la fin des années 1940, est déjà clairement l’expression d’un choix idéologique fait en amont. Il parle d’ailleurs de « la normalisation des relations avec la Yougoslavie fraternelle ».

Reprenant les thèses du XIXe congrès, il expose un camp capitaliste se ratatinant économiquement et où les forces favorables à la guerre n’ont pas le dessus. Il en conclut que la voie au socialisme peut prendre dans ce contexte des formes multiples.

S’ensuit, logiquement et dans le même esprit, un très long panorama de la situation économique de l’URSS, présentée en long et en large, tout comme ce fut le cas au XIXe congrès. L’accent est mis sur la prétendue réussite du 5e plan quinquennal, marqué par une augmentation des salaires ouvriers de 39 % et des paysans de 50 %.

Les objectifs sont en conséquence audacieux : passer à une journée de sept heures de travail (de six heures pour les mineurs).

Le XXe congrès du PCUS

On est ici clairement dans la ligne du XIXe congrès. Celui-ci avait instauré une direction collective. Nikita Khrouchtchev cherche à la renforcer à tout prix en chargeant Beria de nombreux crimes censés avoir diviser le Parti – une manière d’ôter toute dimension idéologique aux troubles ayant agité le Parti.

Nikita Khrouchtchev réhabilite ainsi la faction du Parti de Leningrad qui fut liquidé par le PCUS(b) dans l’après-guerre pour avoir tenté de faire sécession avec la ville afin de former une sorte de « royaume indépendant » au sein de l’URSS. Et il précise qu’il s’agit de revenir aux normes de Lénine concernant le Parti, qui « par le passé ont fréquemment été violées ».

Nikita Khrouchtchev mentionne également le précis d’histoire du PCUS(b), qui a servi de « base pour la propagande » pendant 17 années. Étant donné que la « glorieuse histoire du Parti » doit servir pour l’éducation, il serait nécessaire de publier un nouvel ouvrage à ce sujet – Nikita Khrouchtchev ne fait aucune critique, présentant cela comme une tâche de mise à jour.

Il profite ici encore de la ligne du XIXe congrès.

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La référence à Staline au XXe congrès du PCUS

De la même manière que le nom de Staline disparut des principaux organes de presse soviétiques juste avant le congrès, pour l’ouverture du congrès les orateurs soviétiques du congrès ne mentionnèrent pratiquement jamais celui qui avait dirigé le Parti pendant plusieurs décennies.

Il n’y eut que trois exceptions, si l’on met de côté les discours des délégués français et chinois.

Nikita Khrouchtchev demanda aux délégués de se lever en mémoire des dirigeants communistes morts depuis le dernier congrès, mentionnant Staline parmi d’autres.

Le XXe congrès du PCUS

Nikita Khrouchtchev dit ensuite plus tard simplement que la mort de Staline n’avait pas provoqué dans les rangs communistes la confusion espérée par les ennemis du socialisme. La formule est sobre :

« Peu après le XIXe congrès, la mort a enlevé de nos rangs Joseph Vissarianovitch Staline. Les ennemis du socialisme espérant que cela provoquerait de la confusion dans les rangs du Parti, de la discorde dans la direction, de l’hésitation dans l’application de sa politique intérieure et extérieure. »

Anastas Mikoyan, quant à lui critiqua l’ouvrage de Staline Les problèmes économiques du socialisme, le 16 janvier. C’était là la première remise en cause ouverte. Il demanda une « révision critique » de principes de l’ouvrage, considéré comme dogmatique. Il dit notamment à ce sujet :

« Quand on analyse la situation économique du capitalisme contemporain, il devient douteux que les théories exposées par Staline dans Les Problèmes économiques du socialisme en U. R. S. S. concernant les États-Unis, l’Angleterre et la France, et selon lesquelles, après la scission du marché mondial, le volume de la production de ces pays diminuera, puissent nous aider ou qu’elles soient correctes. »

Anastas Mikoyan reprend ici les thèses d’Eugen Varga et effectivement la théorie de celui-ci des pays capitalistes comme étant devenus « organisés », comme « capitalistes monopolistes d’État », deviendra bientôt officiel en URSS.

Il remit également en cause, de manière brutale, le Précis d’histoire du PCUS(b). Anastas Mikoyan parla également d’historiens qui avaient compris qu’il y avait une explication non marxiste de certains « événements » de la guerre civile, de « dirigeants du Parti qualifiés de manière erronée d’ennemis du peuple plusieurs années après les événements ».

Il mentionna à ce sujet, « fraternellement », Vladimir Antonov-Ovseïenko et Stanislav Kosior, purgés tous deux en 1938 ; il conclut son discours par une longue référence à Lénine et au souci de celui-ci de l’unité du Parti.

Le XXe congrès du PCUS

L’historienne Anna Pankratova, rédactrice en chef de Questions d’histoire prit également la parole et critiqua la lecture de l’histoire faite jusqu’à présent, notamment concernant les années 1930, reprenant le même argument que Mikoyan.

Pour le reste, il n’y eut pas de références à Staline, que ce soit pour un éloge ou une critique, à part par Chu Teh et Maurice Thorez, délégués internationaux au congrès respectivement chinois et français.

Maurice Thorez parla ainsi du PCUS comme « modèle de la ferme adhésion aux principes et d’une fidélité sans faille aux grandes idées de Marx, Engels, Lénine et Staline ». Ce passage fut applaudi par le congrès. Chu Teh souligna le fait que le PCUS avait été nourri du travail de Staline.

Le XXe congrès du PCUS

Le XXe congrès était en fait déjà étranger à la question idéologique de Staline. Ce qui était mis en avant, c’était la direction collective, les « normes léninistes de la vie du Parti », la démocratie dans les rangs du Parti, la « légalité socialiste », avec une critique du « culte de la personnalité » impersonnelle.

C’était là dans la droite ligne du XIXe congrès, avec la dénonciation du « culte de la personnalité » ajoutée et développée par la clique de Nikita Khrouchtchev.

Il est à noter que Lazare Kaganovitch, historiquement un proche de Staline avec Molotov, chercha à arrêter le processus en cours, en affirmant que les questions avaient été réglées :

« Après le XIXe congrès du Parti, le Comité Central a hardiment (par hardiment j’ai en vue quelque chose en rapport avec les principes, la théorie) soulevé la question de la lutte contre le culte de la personnalité.

Ce n’est pas une question facile. Mais le Comité Central lui a donné une réponse correcte, marxiste-léniniste, conforme à l’esprit de parti. »

Lazare Kaganovitch parla également de la « bande fasciste-provocatrice » de Lavrenti Beria, ayant ainsi clairement en tête d’en faire le bouc-émissaire pour sauver ce qui pouvait l’être. C’était en total décalage avec les tendances dominantes dans le PCUS.

Il faut noter également une allusion, celle de l’écrivain Mikhaïl Cholokhov. Lors de sa prise de parole, il dressa un parallèle entre l’Union des écrivains et le Parti :

« Qu’avons-nous fait après la mort de Gorki ? Nous avons mis en place une direction collective dans l’Union des écrivains, avec Fadeev à sa tête (…). Fadeev s’est montré un secrétaire général aimant le pouvoir et ne voulant pas tenir compte du principe de collégialité dans son travail ».

En fait, les propos sont un parallèle strict avec les thèses de Nikita Khrouchtchev. Voici ce que Mikhaïl Cholokhov disait déjà en 1954, au second congrès des écrivains soviétiques :

« Beaucoup de défauts et d’erreurs dans le travail de l’Union des écrivains peuvent s’expliquer par le fait que ces vingt dernières années, le principe de direction collective a été loin d’être observé en son sein (…).

Les écrivains veulent être assurés d’une direction collective réelle dans l’Union [des écrivains], ils veulent un Présidium relativement large possédant les pleins droits de décision concernant l’Union entre les sessions de la direction, et ils veulent aussi que le secrétariat de l’Union soit un organe subordonné à la direction et au Présidium. »

Ainsi, à l’arrière-plan, dans l’élan du XIXe congrès et de sa « direction collective », avec la décapitation de l’appareil de sécurité d’État, on avait déjà la base pour une remise en cause idéologique générale.

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La nature du XXe congrès du PCUS

Le XXe congrès du PCUS se tint du 14 au 25 février 1956. Il s’est tenu, comme le précédent, dans le Grand Palais du Kremlin. Étaient présents 1 355 délégués représentant chacun 5 000 membres, ainsi que 81 délégués avec uniquement une voix consultative.

Ce qui était exposé était d’une ambition démesurée. Le nouveau plan quinquennal devait connaître une augmentation des investissements de 67 % par rapport au précédent. Les objectifs pour 1960 étaient bien sûr très précisément chiffrés et exigeaient une progression vertigineuse (étaient prévues une production de 593 millions de tonnes de charbon, 53 millions de tonnes de fonte, 330 000 tonnes de fibres artificielles, 1 840 000 tonnes de huiles végétales, etc.).

La production de viande était censée pas moins que doubler. Il était prévu de fournir à l’agriculture du matériel en masse : 1 650 000 tracteurs, 560 000 moissonneuses-batteuses.

Le XXe congrès du PCUS

En rapport avec cette perspective grandiose plaçant le communisme finalement comme une affaire de génération – cela sera ouvertement dit tel quel dans les années qui suivirent – le PCUS se voyait donner une sorte de qualité suprême.

Ainsi, la modification du programme du Parti devait être déjà être menée auparavant, mais la Seconde Guerre mondiale empêcha la réalisation de ce travail. Une commission fut finalement constituée à cet effet lors du XIXe congrès, en 1952.

Elle était constituée de dix membres et présidée par Staline. Au XXe congrès, il n’en restait pratiquement rien. Staline était décédé. Viatechslav Molotov avait été blâmé, Georgi Malenkov mis de côté. Laurenti Beria avait été fusillé. Paul Youdine avait été nommé ambassadeur en Chine en décembre 1953. D.I. Tchesnikov, l’un des deux rédacteurs de l’organe théorique Kommunist, où en janvier il dénonçait « les capitulards qui insistent pour que l’on apaise les impérialistes », avait été purgé en mars 1953.

Nikita Khrouchtchev annonça alors quelque chose n’ayant rien à voir : la future mise en place d’un programme valable pour tous les Partis Communistes dans le monde. Cela correspondait à la lecture du XIXe congrès de la situation de l’URSS, îlot censé aller au communisme à court terme et de ce fait modèle technique-pratique pour le reste du monde.

Le XXe congrès du PCUS

Tout cela était rendu possible par la modification de la base du Parti. Il avait déjà été remarqué qu’au XIXe congrès, le nombre de membres du Parti avait largement grossi par rapport au congrès précédent de 1938. Une nouvelle génération avait émergé, coupée de beaucoup des expériences faites.

C’est encore plus vrai pour le XXe congrès. Le PCUS a désormais 6 795 896 membres et 419 609 candidats. C’est 330 000 membres de plus qu’au congrès précédent. Le nombre de membres du Parti a doublé depuis 1940.

À cela s’ajoute un autre aspect, fondamental. Entre le 1951 et 1956, l’enseignement supérieur soviétique a formé autour de 1 120 000 personnes, soit 72 % de plus que les cinq années précédentes. Ces chiffres donnés par Nikita Khrouchtchev correspondent certainement à la vérité, puisque l’après-guerre avait été caractérisé par une difficulté extrême de par les dégâts causés par les nazis.

Cela signifie qu’apparaît ici une nouvelle intelligentsia, issue de l’élan précédent mais coupée de celui-ci idéologiquement. Des jeunes intègrent les strates supérieures de l’URSS en étant simplement intégrés dans le discours instauré en 1952 selon laquelle les forces productives sont l’essentiel.

C’est d’autant plus vrai que l’enseignement supérieur est centralisé dans quelques villes : Moscou, Leningrad, Kiev, Tbilissi, Kharkov, Bakou, Tachkent, Minsk.

Le XXe congrès du PCUS

Le paradoxe est que du côté des délégués, il y a une baisse du niveau d’études. 758 délégués ont un niveau universitaire (contre 793 en 1952), 276 celui du bac (223 en 1952), 292 un niveau inférieur au bac (176 en 1952). Il y aurait également une prolétarisation, avec deux fois plus de délégués étant travailleurs industriels et deux fois plus de kolkhoziens, pour autant qu’il soit possible de faire confiance à ces chiffres.

Il y a ici un phénomène difficile à appréhender, mais témoignant dans tous les cas d’une modification des délégués par rapport au congrès précédent. C’est encore plus vrai sur le long terme : 30 % des délégués ont rejoint le Parti à partir de 1946. Cela souligne également la rapidité avec laquelle ils sont arrivés jusqu’au statut de délégués.

Il y a également un vieillissement. Comme au congrès précédent, les quarantenaires représentent la majorité des présents, mais les plus de cinquante ans, auparavant 15,3 % des présents, en forment désormais 24 %.

Le XXe congrès du PCUS

Cette ambition démesurée et cette nouvelle « génération » s’associent avec un phénomène frappant : la stabilité de la direction. L’ensemble du Présidium et du secrétariat du Comité Central a été réélu au XXe congrès du PCUS, sans aucune modification.

Le Présidium est composé de Nikita Khrouchtchev, Nicolas Boulganine, Lazare Kaganovitch, Kliment Vorochilov, Anastas Mikoyan, Maksim Sabourov, Pierre Pervoukhine, Georges Malenkov, Viatcheslav Molotov, Michel Souslov et Alexeï Kirichenko.

Le Secrétariat est composé de Nikita Khrouchtchev (comme premier secrétaire), Nicolas Belaev, Pierre Pospelov, Michel Souslov, Dimitri Chepilov, Leonid Brejnev et Ekaterina Fourtseva. Les trois derniers nommés sont également suppléants du Présidium. Leonid Brejnev succédera par la suite à Nikita Khrouchtchev à la tête du pays.

Cette situation était là un triomphe pour la direction, qui s’était néanmoins débarrassé de nombreux éléments.

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Le contexte du XXe congrès du PCUS

On a comme aspects essentiels du contexte du XXe congrès :

– la sécurité d’État a été décapitée ;

– le gouvernement a été mis au pas ;

– le PCUS est centralisé autour du Présidium ;

– une nouvelle génération arrive sur la scène des postes à responsabilité ;

– le XIXe congrès a ouvert un immense espace à la thèse des forces productives ;

– le PCUS a été contaminé par les thèses d’Eugen Varga lancées après 1945 et visant à une gestion bourgeoise – « neutre » de la réalité soviétique.

La liquidation de Lavrenti Beria et la décapitation de l’appareil de sécurité d’État ont permis à la clique ayant pris le contrôle du Parti et du gouvernement d’avoir les coudées franches.

La mise de côté de Georgi Malenkov marqua le triomphe de la clique contrôlant le Parti. De ce fait, le thème de la « direction collective » devint le grand mot d’ordre servant à structurer une nouvelle bourgeoisie.

Une publication tirée à 160 000 exemplaires – Les statuts du Parti Communiste d’Union Soviétique – la loi fondamentale de la vie du Parti – fut diffusée par la Société pansoviétique de diffusion de la connaissance politique et scientifique. Elle saluait les décisions prises par la direction à la suite de « l’affaire Beria », affirmant que :

« Les décrets de la session de juillet [1953] du Comité Central du Parti ont une grande signification pour le développement de la démocratie interne du Parti, la critique et l’auto-critique, et dans l’élévation du niveau de collectivité à la direction du Parti.

La session a résolument condamné la « théorie » idéaliste du culte de la personnalité qui est étranger au marxisme-léninisme et qui a connu une certaine dissémination dans notre presse et notre propagande orale.

Au moyen de cette « théorie » anti-marxiste, certains travailleurs du Parti ont cherché à justifier une pratique vicieuse dans leur activité, faisant que les principes léninistes de démocratie interne ont été remplacés par le commandement bureaucratique d’une seule personne. »

Il s’agit d’une critique très nette de l’appareil de sécurité d’État et de Staline, c’est-à-dire du fait de prendre des décisions en raison de l’idéologie – ce qui apparaît comme « unilatéral » pour la nouvelle bourgeoisie dont la clique de Nikita Khrouchtchev est à ce moment-là le seul représentant, celle représentée par Georgi Malenkov, la bureaucratie incrustée dans le gouvernement, ayant perdu la bataille factionnelle.

Il n’y eut d’ailleurs aucune réunion du Comité Central entre juillet 1955 et le XXe congrès : c’est le Présidium qui avait les clefs du Parti.

La seule tâche à l’horizon fut la parution par la Pravda, le 13 février 1956, la veille du congrès, d’un article de Bolesław Bierut, le dirigeant communiste polonais, expliquant qu’était appliqué en Pologne le principe de Lénine et de Staline de priorité à l’industrie lourde. Bolesław Bierut décédera peu après la tenue du XXe congrès, encore à Moscou ; il est à peu près clair qu’il a été empoisonné.

Les organes des Comités Centraux des partis des différentes républiques se positionnèrent également de manière très différente pour l’ouverture du XXe congrès. Staline fut mentionné positivement avec également une image dans les publications d’Ukraine, de Biélorussie, d’Ouzbékistan, de Lettonie et de Géorgie, mais il n’y eut rien sur lui dans celles d’Arménie, de Moldavie, ni de la république karélo-finlandaise. Celles du Kazakhstan, du Turkménistan, d’Estonie et de Kirghizie mentionnèrent son nom, celle du Tadjikistan publia une photographie.

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Le rapport du PCUS à Staline entre 1953 et 1956

Il n’était évidemment pas possible pour les révisionnistes de rejeter Staline d’un coup. Les masses avaient compris la valeur de Staline. Il n’était plus possible de renverser la tendance en ce sens. Il fallait donc l’étouffer.

Cet aspect est très important. Vu de l’extérieur de l’URSS, le PCUS a procédé à une « déstalinisation », à un rejet massif. Mais vu de l’intérieur, cela était présenté comme une « rectification », les points fondamentaux étant résolument masqués aux masses.

Cela a amené d’ailleurs certains à sous-estimer le rejet de Staline par la clique dirigeante de l’URSS, alors qu’il a été total. Seulement, il n’a pas été public, l’URSS devenant un pays social-impérialiste où la bourgeoisie était littéralement une caste à part.

On peut ainsi voir qu’entre le XIXe et le XXe congrès, soit entre 1952 et 1956, il n’y a pas de modification franchement apparente quant à la référence à Staline par le Parti dirigeant l’URSS.

L’immense Staline

Il y avait quelques gommages déjà fait, cependant. Les slogans du premier mai mis en avant à partir du 21 avril 1953 appelaient eux-mêmes à la « coexistence pacifique » internationale, à la légalité socialiste, le nom de Staline étant pratiquement omis.

La constitution fut désormais qualifiée de « soviétique » et non plus de relevant de Staline, la jeunesse communiste, auparavant Komsomol de Lénine et Staline, devint l’Union Communiste pansoviétique de la jeunesse.

En fait, dans les quinze jours suivant la mort de Staline, il y eut un processus d’abandon de la référence à Staline, de manière insidieuse : ses citations ne lui furent plus attribuées, il ne fut plus fait référence à ses œuvres majeures lorsqu’on parlait de lui. Les mesures suivant sa mort, telles que les vastes amnisties et la réduction de prix, furent annoncées sans faire référence à lui.

On a un bon exemple de l’approche générale avec l’article d’avril 1953 dans la Pravda, écrit par le rédacteur Slepov au sujet de la vie du Parti, qui souligne la supériorité de la direction collective sur la « domination des mesures administratives », tout en se revendiquant de Staline.

L’éditorial du 27 mai 1953 de la revue Kommunist dénonce également le culte de la personnalité, mais en s’appuyant sur des affirmations en ce sens de Lénine et de Staline. On lit à ce sujet :

« Notre parti lutte résolument contre le culte de la personnalité, contre l’attribution à l’individu de traits surnaturels, contre l’adoration du chef, contre l’ignorance du rôle des masses, des classes et du parti. Loin de stimuler l’initiative et l’activité des masses, de tels cultes les incitent à la passivité.

Les fondateurs du communisme, Marx, Engels, Lénine, Staline, étaient hostiles au culte de la personnalité. »

Le Comité Central du Parti Communiste d’Union Soviétique publia également un document le mois suivant sa mort, le 27 juillet 1953, avec comme prétexte le 50e anniversaire du second congrès du Parti. Ce document traitait de l’histoire du Parti, sous la forme de thèses, et plaçait tout sous l’égide de Lénine, Staline ne devenant plus qu’une simple référence en rapport avec le Parti.

C’était une réécriture de l’histoire en faveur de la thèse selon laquelle depuis la mort de Lénine, il y aurait eu une direction collective à l’œuvre, dont Staline n’aurait été qu’un rouage – la grande thèse du XXe congrès est d’affirmer qu’il avait finir par mal agir à ce niveau.

Le XXe congrès n’est pas une remise en cause de Staline – il est une dénonciation de Staline comme prétendu élément de la direction collective.

La période entre les XIXe et XXe congrès est celle de la mise en place de la direction collective, conformément aux exigences du XIXe congrès, mais avec en pratique la liquidation assumée de la forme précédente d’organisation du Parti et de son contenu.

Malenkov avait mis l’accent, en mai 1953, sur les biens courants ; c’est indirectement au nom de Staline que cela fut réfuté par Nikita Khrouchtchev qui rappela le juste combat contre la « déviation droitière » de la fin des années 1920, qu’avait justement combattu Staline.

Nikita Khrouchtchev nomma Boulganine premier ministre à la place de Georgi Malenkov et le présenta comme :

« l’un des frères d’arme les plus proches du continuateur de la cause de Lénine, Joseph Vissarianovitch Staline »

Dans son discours d’intronisation, Boulganine expliqua que son gouvernement

« suivrait les instruction du grand Lénine et du continuateur de sa cause, J. V. Staline »

Tant lors des mois de décembre 1954 que 1955, l’anniversaire de la naissance de Staline fut largement célébrée.

Le 7 janvier 1955, lors d’un meeting du Komsomol, Nikita Khrouchtchev expliqua qu’il avait influencé Staline au sujet d’une importante question politique, celle sur la mise en place d’un impôt sur les gens non mariés et sans enfants. Georgi Malenkov, qui allait être démis un mois après et était le seul autre membre du Présidium présent alors, monta à la tribune pour confirmer ces propos.

Et à la fin de l’année 1955, le dictionnaire encyclopédique présente Nikita Khrouchtchev comme :

« l’un des plus proches compagnons d’arme de J.V. Staline »

Un article pour le 76e anniversaire de la naissance de Staline, paru dans Kommunist, ne mentionne également que trois noms : Lénine, Staline, Nikita Khrouchtchev.

L’agence TASS annonça le 12 janvier 1956 la parution prochaine du 14e volume des œuvres de Staline, couvrant la période 1934-1941. Les treize premiers avaient été publiés de 1946 à 1951 et même s’il y a l’annonce, on voit que la période d’après 1934 a posé un réel problème après 1953. Il ne fut d’ailleurs jamais publié.

Le premier numéro de 1956 de Kommunist, en janvier, contient également un article de l’idéologue Mikhail Kammari, rédacteur en chef depuis 1954 (et jusque 1959) de la revue Questions de philosophie. Dans son article sur Le rôle des masses populaires dans le développement de la vie spirituelle de la société, il fait référence de manière positive à Staline.

L’arrivée du XXe congrès bouleversa la donne, comme le reflètent les prises de positions.

Ainsi, à partir du 23 janvier 1956, la Pravda ne mentionne plus Staline.

L’immense Staline

La biographie de Lénine publiée par l’Institut Marx – Engels – Lénine – Staline mentionne de manière moins importante Staline comme successeur de Lénine et ce dernier est pris comme argument pour justifier la « direction collective », avec une critique sous-jacente de Staline. Nikita Khrouchtchev apparaît à la fin comme le représentant du PCUS, avec un extrait de lui soulignant l’importance de l’industrie lourde et rejetant la ligne de Georgi Malenkov comme « anti-léniniste ».

Au meeting du Komsomol, le 21 janvier 1955, Nikita Khrouchtchev ne mentionna pas Staline, contrairement à l’année d’avant où il racontait en être proche.

Avant la conférence du Parti du 4 février 1956, le Comité Central du Parti et le Conseil des ministres salua le 75e anniversaire de Vorochilov, mais sans référence à Staline, seulement à Lénine.

Le numéro de Kommunist, l’organe théorique, publié le 9 février, ne contient pas une seule fois le nom de Staline. Une réunion des lecteurs de Problèmes d’histoire se réunit les 25, 27 et 28 janvier 1956, traitant notamment de la question de l’histoire du Parti et remettant en cause le Précis d’histoire du PCUS(b), sans toutfois oser s’en prendre encore à Staline qui est pourtant le maître d’oeuvre de cet ouvrage.

Pour l’ouverture du XXe congrès, la Pravda ne salua que Lénine.

Ce n’est que dans les bas échelons du Parti que Staline était encore une référence, ainsi qu’en Géorgie, et pour les formes dans les grandes réunions à la veille du XXe congrès : Ekaterina Fourtseva, lors de la préparation de celui-ci par le Présidium le 17 janvier, parle encore des grands enseignements de Marx, Engels, Lénine, Staline. Elle modifia par la suite radicalement son point de vue.

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L’affrontement entre Georgi Malenkov et Nikita Khrouchtchev

À la mort de Staline, il y a deux principales figures : Georgi Malenkov, président du conseil des ministres de l’URSS et Nikita Khrouchtchev, secrétaire du Comité Central du PCUS. La liquidation de Lavrenti Beria et la décapitation de l’appareil de sécurité d’État de l’URSS se fondent sur leur alliance, comme la résolution du Comité Central du PCUS l’expose parfaitement.

Leurs lignes différaient cependant de manière assez prononcée.

Nikita Khrouchtchev et Georgi Malenkov

Nikita Khrouchtchev fit ainsi la promotion de l’agriculture dans les « terres vierges », se situant en Asie centrale dans la région de la Volga. Le projet fut un échec, mais lui accorda du prestige, de par son accentuation sur la question de l’agriculture, un vrai problème en URSS.

Nikita Khrouchtchev fit ici office de stabilisateur, de celui qui veut continuer l’élan de la grande industrie tout en corrigeant le tir pour l’agriculture.

Georgi Malenkov, quant à lui, mit l’accent sur la consommation de biens courants. Il apparaissait ici comme un modificateur, cherchant à changer d’axe l’économie et à l’accentuer sur une perspective non pas de construction, mais de consommation élargie.

Ici, Georgi Malenkov agissait en fait conformément au XIXe congrès, qui affirmait qu’on était passé à l’étape de l’édification du communisme et qu’il fallait élever le niveau des biens de consommation.

La base idéologique du XIXe congrès était cependant erronée. Cela fait qu’il se situait en décalage historique avec l’émergence d’une vaste bureaucratie incrustée dans le Parti et œuvrant à déformer, non pas à transformer la situation. Naturellement cette transformation impliquait un saut qualitatif (en le social-impérialisme soviétique), toutefois la nouvelle bourgeoisie n’en avait pas conscience ; elle émergeait comme tendance historique accompagnée d’une considération subjective conforme à la lecture de ses propres exigences, à travers le révisionnisme.

Cela est d’autant plus vrai que Georgi Malenkov était porté par la bureaucratie incrustée dans le gouvernement, pas dans le PCUS.

Timbre vietnamien de 1954 avec Georgi Malenkov, Ho Chi Minh, Mao Zedong

Lorsqu’il annonce les mesures gouvernementales au Soviet suprême, le 8 août 1953, il les présente même comme relevant « du gouvernement et du Comité Central », ce qui était une entorse fondamentale au protocole soviétique dans l’ordre des termes employés, puisque le Parti a la primauté sur le gouvernement. L’usage voulait donc qu’on dise : « du Comité Central et du gouvernement ».

Georgi Malenkov répéta la formule même cinq fois dans son discours. En voici un extrait :

« À présent, nous disposons de toutes les données nécessaires pour accroître la production de biens de consommation. Le volume atteint jusqu’ici ne saurait nous satisfaire.

Pour assurer le relèvement constant du niveau de vie de la population, il nous faut développer davantage notre industrie légère. Le gouvernement et le parti estiment qu’il est indispensable d’augmenter également les investissements dans les industries alimentaires et dans l’agriculture afin que la production d’articles de consommation courante soit substantiellement accrue (…).

Nous devons amener l’industrie de construction de machines et autres entreprises de l’industrie lourde à produire des articles de consommation courante.

Notre tâche urgente est maintenant à augmenter considérablement, au cours des deux ou trois années à venir, l’approvisionnement de la population en produits des industries légère et alimentaire. »

Ainsi, comme la ligne de Georgi Malenkov impliquait une restructuration partielle de l’économie sous la supervision de la clique bureaucratique gouvernementale qui elle-seule allait être préservée, au profit d’une modification en profondeur de l’appareil aux dépens du Parti, il fut mis de côté par la clique dirigeante du PCUS.

Il démissionna en février 1955 à la suite d’une violente attaque de Dimitri Shepilov. Celui-ci écrit dans la Pravda (dont il était rédacteur en chef) du 24 janvier 1955 :

« Si la théorie de ceux qui préconisent un développement de l’industrie légère au détriment de celui de l’industrie lourde était appliquée, elle aboutirait à désarmer le peuple soviétique (…).

Ce n’est pas parce que l’U.R.S.S. atteint les sommets de l’industrialisation, ni sous prétexte qu’en U.R.S.S. la production a pour seul but de satisfaire aux besoins de la consommation, que l’économie soviétique doit se séparer du communisme en en déplaçant le centre de gravité sur l’industrie légère. »

Georgi Malenkov fut remplacé par un proche de Nikita Khrouchtchev, Nicolaï Boulganine.

Ce succès de Nikita Khrouchtchev poussa Vyatislav Molotov à rentrer dans la bataille : il tint alors au Soviet Suprême un discours particulièrement critique sur la politique étrangère menée. Le conflit fut inévitable, surtout alors que Nikita Khrouchtchev et Nicolaï Boulganine partirent à Belgrad en mai et en juin 1955, afin de rétablir les relations avec la Yougoslavie titiste.

Vyatislav Molotov resta sur ce point fidèle à la ligne de l’époque de Staline, suivant lequel la Yougoslavie était un État fasciste : cela lui valut un blâme de la part du Comité Central lors de sa session de juillet 1955.

Vyatislav Molotov avait également affirmé dans un discours, le 8 février 1955, que :

« À côté de l’Union Soviétique, où les fondations d’une société socialiste ont déjà été construites, il y a également les démocraties populaires, qui n’ont fait que le premier pas, même si hautement important, en direction du socialisme. »

Cela impliquait que le socialisme n’avait pas été construit en URSS, seulement ses fondations. Il dut se résoudre à écrire une lettre d’autocritique à ce sujet dans la revue Kommunist, à la fin de l’été 1955, ce qui montre l’approfondissement de sa mise à l’écart entre les deux dates.

Sa position était alors carbonisée et en juin 1956, alors que Tito allait en visite à Moscou, il fut au préalable remplacé par Dimitri Shepilov à la tête du ministère des affaires étrangères, afin de bien souligner le nouveau rapport à la Yougoslavie.

Parallèlement, Lazare Kaganovitch était également rentré dans la bataille. Il fut nommé président d’un nouveau Comité d’État sur le travail et les salaires en mai 1955, mais les discours qu’il tint, notamment celui du 7 novembre 1955, soulignaient l’importance de la théorie marxiste-léniniste.

Cela lui valut d’être éjecté de son poste en juin 1956 et nommé en septembre ministre de l’industrie des matériaux de construction. Entre-temps avait eu lieu le XXe congrès.

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L’explication officielle de «l’affaire Beria» et le développement des forces productives

La fin de la résolution du PCUS sur « l’affaire Beria » se situe dans le prolongement logique des autres points. Ceux-ci avaient souligné l’alliance de Georgi Malenkov (point 3) et de Nikita Khrouchtchev (point 4), autour du gouvernement et de la clique dirigeante du Parti respectivement, puis dénoncé Lavrenti Beria comme chef de l’appareil de sécurité d’État de l’URSS.

La dernière partie de la résolution explique donc que l’appareil de sécurité d’État de l’URSS doit se soumettre au Parti et qu’il s’agit désormais de se concentrer sur le développement des forces productives.

En filigrane, il y a une dénonciation de Staline, mais sur le plan formel cela n’est pas assumé, puisque cela passe par la dénonciation de Beria et de l’appareil de sécurité d’État.

7. La session plénière du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique décide :

a) D’approuver pleinement les mesures décisives prises en temps utile par le Présidium du Comité central du PCUS afin d’éliminer les actions criminelles anti-Parti et anti-État de Béria comme seules justes.

b) Pour les actes de trahison visant à saper l’État soviétique, expulser L. Beria en tant qu’ennemi du parti et du peuple soviétique du rang des membres du Parti Communiste de l’Union soviétique, le faire juger (…).

Notre parti doit tirer les leçons politiques de l’affaire Beria et en formuler les conclusions nécessaires pour ses activités futures.

Premièrement. Il est nécessaire de renforcer la direction du Parti à tous les niveaux du parti et de l’appareil d’État. Éliminer les anomalies graves qui se sont développées ces dernières années dans la vie de parti et les méthodes de direction du parti.

La tâche consiste à assurer la mise en œuvre exacte des principes de la direction du Parti élaborés par Lénine et des normes de vie du Parti, le strict respect des exigences de la Charte du PCUS sur le calendrier de la convocation des congrès du parti, des plénières du Comité central et du travail régulier de tous les organismes centraux et locaux du Parti.

Le principe suprême de la direction partidaire dans notre Parti est la direction collective.

Seule l’expérience politique collective, la sagesse collective du Comité central, fondée sur la base scientifique de la théorie marxiste-léniniste, garantit la justesse de la direction du Parti et du pays, l’unité et la cohésion inébranlables du Parti et la construction réussie du communisme dans notre pays. La tâche consiste à observer strictement les principes de la direction collective dans tous les organes du Parti.

Il est nécessaire de contrôler régulièrement le travail de toutes les organisations et de tous les départements afin de mettre fin au travail incontrôlé de tout employé, quel que soit son poste, sachant que la direction partidaire de toutes les organisations est la condition principale de la réussite de leur travail.

Et inversement, le retrait du contrôle du parti conduit inévitablement à un échec du travail, à sa corruption.

Deuxièmement. Il est nécessaire de remédier à la mauvaise situation qui s’est produite au fil des années, lorsque le ministère de l’Intérieur a effectivement été perdu du contrôle du Parti.

Une des raisons pour lesquelles les tentatives aventuristes, anti-parti et anti-soviétiques de Beria de placer le ministère de l’Intérieur au-dessus du Parti et du gouvernement se sont avérées possibles est que des rapports incorrects et anormaux s’étaient développés entre le Parti et les organes du ministère de l’Intérieur.

Le ministère de l’Intérieur est devenu arbitraire dans le système de l’État socialiste.

En fait, au cours des dernières années, le contrôle effectif et la direction collective du parti sur les organes du Ministère de l’intérieur ont été perdus.

Tout cela a permis à divers carriéristes et aventuriers ennemis du Parti qui se rendaient au ministère des affaires intérieures d’essayer d’utiliser son appareil pour terroriser, intimider et discréditer les cadres honnêtes du Parti et de l’État soviétique voués au communisme.

De plus, il s’est avéré que les éléments hostiles et carriéristes de l’appareil du ministère des affaires intérieures ont tenté de saper et de discréditer les cadres dirigeants du Parti, y compris ses personnalités.

Les organisations du parti sont tenues de contrôler systématiquement et en permanence toutes les activités des organes du ministère de l’Intérieur dans le centre et dans les localités (…).

Troisièmement. La vigilance révolutionnaire des communistes et de tous les travailleurs doit être renforcée de toutes les manières dans l’ensemble du travail des organisations du parti et des organisations soviétiques. Il faut se rappeler et ne jamais oublier l’environnement capitaliste, qui envoie et enverra parmi nous ses agents pour des activités subversives (…).

Quatrièmement. La force et l’invincibilité du Parti communiste résident dans son lien inextricable avec le peuple.

Les organisations du parti sont obligées de renforcer et d’élargir constamment les rapports du parti avec les masses, de prendre en compte les revendications des travailleurs et de manifester le souci quotidien d’améliorer le bien-être matériel des travailleurs, des agriculteurs, de l’intelligentsia et de tout le peuple soviétique, tout en veillant au respect de ses intérêts.

Cinquièmement. Le devoir sacré de notre parti tout entier est la consolidation de l’amitié indestructible des peuples de l’URSS, le renforcement de l’État socialiste multinational, l’éducation du peuple soviétique dans l’esprit de l’internationalisme prolétarien et la lutte décisive contre toutes les manifestations du nationalisme bourgeois. Il est nécessaire d’éliminer les conséquences des destructions de Beria dans le domaine des relations nationales.

Sixièmement. Le système socialiste offre d’énormes avantages et possibilités pour une nouvelle et encore plus puissante montée en puissance de notre économie et de notre culture et pour une nouvelle augmentation du bien-être matériel de la population. Nous disposons de ressources naturelles inépuisables, d’équipements performants de première classe dans l’industrie et l’agriculture, d’un personnel hautement qualifié composé de travailleurs et de spécialistes.

Mais il serait faux d’oublier que nous avons également des tâches économiques urgentes non résolues, en particulier pour le développement de l’agriculture (élevage, culture de légumes, etc.). Nous avons toujours des difficultés de croissance bien connues liées à la résolution de la tâche gigantesque consistant à satisfaire au mieux les besoins matériels et culturels sans cesse croissants des travailleurs.

Les organisations de partis, soviétiques, syndicales et du Komsomol doivent mobiliser et organiser les forces créatrices du peuple afin de tirer pleinement parti de nos réserves et de la possibilité de résoudre toutes ces tâches, de mener à bien et de dépasser le plan de développement quinquennal de l’URSS, telles que définies par le XIXe Congrès du parti.

Septièmement. Les intérêts vitaux du parti exigent une amélioration significative de l’ensemble de la cause de la propagande partidaire et du travail politique et éducatif parmi les masses.

Il est impératif que les communistes étudient la théorie marxiste-léniniste, non pas dogmatiquement, mais qu’ils comprennent la nature créatrice du marxisme-léninisme et n’apprennent pas des formulations et des citations individuelles, mais l’essence d’un enseignement révolutionnaire mondial de Marx – Engels – Lénine – Staline qui transforme tout.

Notre propagande doit éduquer les communistes et le peuple tout entier, dans un esprit de confiance, à l’invincibilité de la grande cause du communisme, dans l’esprit de dévouement désintéressé pour notre parti et la patrie socialiste. »

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L’explication officielle de «l’affaire Beria» et le rejet de l’appareil de sécurité de l’Etat

La résolution du PCUS sur « l’affaire Beria » expose donc tout d’abord le contexte général, dans l’esprit du XIXe congrès (points 1 et 2), avant de passer à un examen critique, le point 3 reprenant les thèses de Georgi Malenkov, le point 4 celles de Nikita Khrouchtchev.

Les points 5 et 6 présentent la rencontre des points 3 et 4, puisque Lavrenti Beria se voit accusé d’avoir voulu nuire au Parti (dont Nikita Khrouchtchev est à la tête en pratique), ainsi qu’au gouvernement (dont Georgi Malenkov est à la tête).

Et s’il a pu faire cela, c’est parce qu’il a dirigé l’appareil de Sécurité d’État. La liste des accusations affabulatrices tourne systématiquement autour de cet aspect.

« 5. Il faut tenir compte de la particularité de la position du Parti Communiste dans le système de l’État soviétique. Notre Parti est le seul parti du pays et, de plus, il joue le rôle de chef indiscutable dans les orientations de l’État socialiste. La direction du Parti est une condition déterminante pour la force et la stabilité du système soviétique.

Dans le même temps, il convient de rappeler que la position de monopole du Parti a aussi ses côtés obscurs lorsque la vigilance révolutionnaire dans nos rangs contre l’ennemi de classe est affaiblie.

Nous oublions souvent que les ennemis, se déguisant habilement en communistes, ont essayé et essaieront d’infiltrer le Parti en faveur de leurs objectifs ennemis, de leur carrière et de leurs fonctions subversives en tant qu’agents des puissances impérialistes et de leurs services de renseignements.

6. A cet égard, le Plenum du Comité central estime nécessaire d’attirer l’attention de la partie au cas de Béria, exposée par le Présidium du Comité central en tant qu’agent de l’impérialisme international.

Comme vous pouvez le voir maintenant, Beria, se déguisant intelligemment, avec diverses fraudes de carrière, a gagné la confiance de J.V. Staline.

Les activités criminelles anti-Parti et anti-État de Beria, profondément cachées et déguisées pendant la vie de J.V. Staline, commencèrent à se déployer pas à pas après sa mort, lorsque les ennemis de l’État soviétique intensifièrent leurs activités anti-soviétiques subversives. Devenu impudent et sans bornes, Beria a récemment commencé à révéler son vrai visage d’ennemi du Parti et du peuple soviétique.

Quels étaient les actes criminels et les desseins perfides de Beria?

Après la mort de J.V. Staline, le Comité central et son Présidium avaient pour principale préoccupation de veiller à l’unité de la direction du Parti et du gouvernement, sur la base des principes marxistes-léninistes, afin de mener à bien les tâches fondamentales de l’édification d’une société communiste.

Par des actions intrigantes insidieuses, Beria a essayé de diviser et de séparer le noyau dirigeant léniniste-stalinien de notre parti, de discréditer tant les dirigeants du Parti que du gouvernement, afin de renforcer son « autorité » et de réaliser ses projets criminels anti-soviétiques.

Après avoir occupé le poste de ministre de l’Intérieur de l’URSS, Beria a tenté d’utiliser l’appareil du ministère de l’Intérieur afin de déployer sa fraude pénale pour s’emparer du pouvoir. En tant que vil provocateur et ennemi du parti, il a commencé par tenter de placer le ministère de l’Intérieur au-dessus du Parti et du gouvernement, en utilisant les organes du ministère de l’Intérieur au centre et dans les localités contre le Parti et ses dirigeants, contre le gouvernement de l’URSS.

Béria a utilisé les gardes des membres du Présidium du Comité central pour espionner les dirigeants du Parti et du gouvernement. Il a établi la procédure concernant les rapports obligatoires de ses agents sur la localisation des dirigeants du Parti et du gouvernement et sur qui ils rencontrent; une écoute et l’enregistrement de leurs conversations téléphoniques, etc. ont été organisés.

Comme cela a maintenant été prouvé, Beria a réintégré le personnel du ministère de l’Intérieur contre le Parti en exigeant qu’ils se considèrent comme indépendants du parti.

Ainsi, Beria a enfreint de manière criminelle le décret du 4 décembre 1952 du Comité central du PCUS, « Sur la situation du MGB [ministère de la sécurité d’État] », adopté durant la vie de J.V. Staline et avec sa participation, qui soulignait la nécessité de « mettre fin de manière décisive aux activités incontrôlées des organes du ministère de la Sécurité de l’État et de placer leur travail au centre et dans les localités sous le contrôle systématique et constant du parti. »

De plus, Beria, en le cachant au Comité central et au gouvernement, a ordonné aux organes locaux du ministère de l’Intérieur de contrôler les organisations du Parti, de fabriquer de faux documents sur les travailleurs du Parti, ainsi que sur les organisations du Parti et soviétiques.

Les honnêtes communistes, employés du ministère de l’Intérieur, qui considéraient que ces attitudes anti-parti étaient fausses, Béria les a soumis à la répression. 

Ainsi, par exemple, le chef du département du ministère des Affaires intérieures de la région de Lviv [en Ukraine], le camarade Strokach seulement parce qu’il a informé le secrétaire du comité régional du Parti de Lviv de l’ordre qu’il avait reçu pour recueillir des données négatives sur le travail des organisations du parti et des cadres du parti, a été renvoyé par Beria en juin 1953, avec menace de l’arrêter et de l’envoyer dans dans un camp.

Biffant de manière criminelle les exigences de la Charte du parti concernant la sélection de cadres pour leurs qualités politiques et effectives, Beria a nommé des employés du ministère de l’Intérieur sur la base de sa loyauté personnelle à son égard, sélectionner des personnes suspectes étrangères au Parti, en même temps qu’il a expulsé des employés précédemment envoyés par le Comité central auprès du ministère des Affaires intérieures et des organisations locales du Parti.

Comme établi par les faits, Beria, même pendant la vie de J.V. Staline, et surtout après sa mort, sous divers faux prétextes, empêchait de toutes les manières possibles la solution des problèmes les plus urgents pour le renforcement et le développement de l’agriculture. 

Maintenant, il ne fait aucun doute que cet ennemi vil du peuple s’était fixé pour objectif de saper les fermes collectives et de créer des difficultés pour l’approvisionnement en nourriture du pays.

Beria cherchait par diverses méthodes insidieuses à saper l’amitié des peuples de l’URSS – le fondement des fondements d’un État socialiste multinational et la condition principale de tous les succès des républiques soviétiques soeurs. 

Sous le faux prétexte de lutter contre les violations de la politique nationale du parti, il a tenté de semer la discorde et l’inimitié entre les peuples de l’URSS, afin d’activer des éléments nationalistes bourgeois dans les républiques de l’Union.

La figure politique ennemie, Beria, était particulièrement évidente lors de la discussion de la question allemande à la fin du mois de mai de cette année.

Les propositions de Beria sur cette question se résumaient à l’abandon de la construction du socialisme en République démocratique allemande et à la transformation de la RDA en un État bourgeois, ce qui aurait signifié une reddition directe aux forces impérialistes.

Dans le même temps, Beria est devenu si impudent que, sous couvert de la lutte contre les imperfections et les excès dans la construction de fermes collectives dans les pays de démocratie populaire et en RDA, il a commencé à formuler des vues anti-collectives sur les fermes, jusqu’à la proposition de dissoudre les fermes collectives dans ces pays (…).

Au cours des tout derniers jours, les agents de Beria ont révélé les intentions criminelles de ses agents en vue d’établir une relation personnelle avec Tito et Rankovich en Yougoslavie.

En 1919, lors de l’occupation britannique de Bakou, Beria servit en Azerbaïdjan dans les statistiques de la Garde Blanche, Musavat, et cacha ses activités perfides au Parti.

Le Plénum du Comité central du PCUS estime qu’il est établi que Béria a perdu la nature de communiste, est devenu un bourgeois dégénéré et est devenu en réalité un agent de l’impérialisme international. une politique capitularde qui conduirait finalement à la restauration du capitalisme. »

On a ainsi, avec la remise en cause de Lavrenti Beria, la remise en cause de l’ensemble de l’appareil de sécurité d’Etat d’URSS.

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Le PCUS, les deux factions et l’explication officielle de «l’affaire Beria»

Voici les principaux extraits du début de la résolution de la session du Comité Central du PCUS intitulé « À propos des actions criminelles anti-Parti et anti-État de Beria », adoptée à l’unanimité le 7 juillet 1953.

C’est un document d’autant plus important qu’il ne parle que dans une partie de « l’affaire Beria », cherchant en même temps à donner une certaine définition de l’URSS, avec déjà un pas largement fait en direction du XXe congrès.

Le début de la résolution ne parle ainsi pas du tout de Lavrenti Beria, mais se concentre sur une « évaluation » de la situation de l’URSS.

Les points 1 et 2 relèvent du même esprit que le XIXe congrès et ne disent pas des choses différentes sur le fond. Il y a deux systèmes, l’un se renforce, l’autre s’effondre, etc.

« Après avoir entendu et discuté du rapport du camarade G.M. Malenkov sur les actions criminelles anti-Parti et anti-État de Béria, l’assemblée plénière du Comité central du parti communiste de l’Union soviétique établit :

1. A la suite de la mort de J.V. Staline, l’ensemble du monde bourgeois tablait sur l’affaiblissement de l’État soviétique, sur la division et la confusion qui régneraient dans la direction de notre Parti et de notre État, sur l’affaiblissement des liens du Parti avec le peuple. Mais ces calculs des ennemis ont été renversés.

Le Comité central du Parti au cours des quatre mois qui ont suivi la mort de J.V. Staline a assuré la direction ininterrompue et appropriée de toute la vie du pays, a très bien réuni le Parti et le peuple autour des tâches de construction du communisme, de renforcement du pouvoir économique et de défense de notre pays et d’amélioration continue des kolkhoziens, de l’intelligentsia, de tous les peuples soviétiques.

En appliquant les décisions du 19e Congrès du PCUS, le Parti assura une puissante poussée dans tous les secteurs de l’économie nationale.

La nouvelle initiative de paix lancée par le gouvernement soviétique a permis de renforcer davantage la position internationale de l’URSS, de renforcer l’autorité de notre pays et de renforcer considérablement le mouvement mondial pour la préservation et la consolidation de la paix.

2. Les succès de l’Union soviétique dans la construction du communisme, la progression constante sur la voie du socialisme dans les pays de démocratie populaire en Europe, ainsi que la puissante reprise de l’économie et de la culture de la grande République populaire de Chine, le développement du mouvement ouvrier dans un certain nombre de pays capitalistes et la lutte de libération nationale dans de nombreux pays – tout cela signifie une augmentation considérable de la force et du pouvoir du camp démocratique et du mouvement de libération mondiale.

Dans le même temps, dans le camp impérialiste, la crise générale du capitalisme et l’affaiblissement de l’ensemble du système capitaliste se sont aggravés, de même que les difficultés économiques, le chômage, les coûts élevés et l’appauvrissement des travailleurs.

En raison de l’expansion effrénée de l’impérialisme américain et de la dictature impudente de son côté vis-à-vis de ses partenaires plus faibles et de ses satellites, les contradictions au sein du camp capitaliste s’aggravent.

Ainsi, tout le cours du développement mondial témoigne de la croissance constante des forces de la démocratie et du socialisme, d’une part, de l’affaiblissement général des forces du camp impérialiste, de l’autre, qui suscite une profonde inquiétude parmi les impérialistes et provoque une vive activation des forces impérialistes réactionnaires, leur désir fébrile de saper la puissance croissante des forces internationale du camp de la paix et due socialisme, et surtout sa force dirigeante – l’Union soviétique.

Cela se traduit par la course effrénée aux armements des pays capitalistes, par des aventures militaires, par des tentatives de pression accrue sur l’URSS, par l’organisation de toutes sortes de provocations et de sabotages dans les pays du camp démocratique, pour lesquels des centaines de millions de dollars sont alloués. 

Les impérialistes cherchent un soutien dans les pays de démocratie et de socialisme sous la forme de divers renégats et d’éléments en décomposition, et intensifient les activités subversives de leurs agents.

Les points 3 et 4 sont très révélateurs de parce qu’ils expriment le point de vue de deux factions différentes.

Ils correspondent à des critiques de la situation, et ce :

– pour le point 3 dans l’esprit de Georgi Malenkov (comme quoi il faut renforcer la production de biens de consommation),

– pour le point 4 dans l’esprit de Nikita Khrouchtchev (comme quoi il faut « rétablir » la direction collective).

Le point 4 contient déjà les fondements de la dénonciation du « culte de la personnalité ».

3. Le pays soviétique, doté d’un pouvoir indestructible et de forces créatrices, avance avec succès sur la voie de la construction du communisme. Nous avons une industrie socialiste puissante, une industrie lourde complètement développée, qui est à la base des fondements d’une économie socialiste. Notre secteur de l’ingénierie est en forte progression, fournissant à tous les secteurs de l’industrie, des transports et de l’agriculture une technologie moderne (…).

Tous ces succès dans le développement de l’économie socialiste et dans la construction culturelle sont devenus possibles grâce à la forte alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie collective, à l’amitié croissante des peuples de l’URSS, à la consolidation constante de l’unité morale et politique du peuple soviétique et à la mise en œuvre cohérente des politiques élaborées par le Parti communiste.

Avec tout cela, comme avant, le Parti ne doit pas sous-estimer les difficultés et les faiblesses existantes dans notre construction économique et culturelle.

Nous ne devons pas oublier que notre pays a traversé les plus grandes épreuves causées par la guerre, qui a dévasté la plus grande partie du pays et fait de nombreuses victimes.

Au fil des ans, il a fallu déployer des efforts considérables pour guérir les blessures graves et éliminer les effets de la guerre.

Il faut admettre que nous avons de nombreuses entreprises industrielles en retard et même des industries individuelles. De nombreuses fermes collectives et des zones agricoles entières sont en mauvais état. Les rendements des cultures et la productivité du bétail sont faibles et ne correspondent pas à l’augmentation des équipements techniques de l’agriculture et aux opportunités inhérentes au système de la ferme collective. De ce fait, nous ne répondons toujours pas suffisamment aux besoins matériels croissants et aux besoins culturels de notre population.

Nous ne pouvons pas non plus ignorer le fait qu’avec l’abolition des classes exploiteuses dans notre pays, les vestiges du capitalisme dans l’esprit des gens sont loin d’avoir disparus et qu’il existe de graves lacunes en matière d’éducation communiste du peuple soviétique.

Ce serait oublier les fondements du marxisme-léninisme si nous cessions de compter sur le fait qu’il existe un environnement capitaliste qui envoie ses agents parmi nous, à la recherche de personnes prêtes à trahir les intérêts de la Patrie et à remplir les tâches incombant aux impérialistes pour saper la société soviétique.

4. Notre parti est la force organisatrice et inspirante de la société soviétique. Grâce à la bonne direction du Parti, le peuple soviétique a remporté des victoires historiques dans le monde en faveur de la construction d’une société communiste.

Cependant, les activités de notre parti présentent des lacunes importantes, à la fois dans un certain nombre de secteurs de la construction économique et dans le domaine de l’éducation communiste des travailleurs.

Il faut bien admettre que nous avons de graves lacunes dans le respect des normes établies par le grand Lénine, des principes bolcheviques de la direction du Parti.

Au fil des ans, nous avons accumulé d’importantes anomalies dans ce domaine. Il n’est pas justifié que sept ans seulement après la fin de la guerre et 13 ans après le 18ème Congrès, le 19ème Congrès du parti ait été convoqué. Pendant plusieurs années, les assemblées plénières du Comité central du parti ne se sont pas réunies.

Pendant longtemps, le Bureau Politique n’a pas fonctionné normalement. Les décisions sur les questions les plus importantes du travail d’État et de la construction économique étaient souvent prises sans une étude préalable appropriée et sans discussion collective au sein des principaux organes du parti, comme le prévoyait la Charte du parti.

En raison de telles anomalies dans l’organisation des activités du Comité central, le travail collectif n’a pas été assuré, de même que la critique et l’autocritique. La présence de telles anomalies conduisait en fait parfois à des décisions insuffisamment étayées et à une diminution du rôle du Comité central en tant qu’organe de direction collective du parti.

À cet égard, il convient également de reconnaître qu’il est anormal que la propagande de notre parti au cours des dernières années s’écarte de la conception marxiste-léniniste de la question du rôle de l’individu dans l’histoire.

Cela s’est traduit par le fait que, au lieu d’expliquer correctement le rôle du Parti communiste en tant que véritable moteur de l’édification du communisme dans notre pays, la propagande du parti s’est souvent perdue dans le culte de la personnalité, ce qui a entraîné une diminution du rôle du parti et de son centre, des activités créatrices des masses du parti et des larges masses du peuple soviétique. 

Cette orientation du travail de propagande est en contradiction avec les dispositions bien connues de Marx sur le culte de la personnalité. »

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Le PCUS et l’explication officielle de «l’affaire Beria»

Le coup de force contre la tête de l’appareil de sécurité d’État empêchait une initiative de l’État socialiste dans son rapport au Parti. Il est évident que de hauts responsables militaires ont joué un rôle, puisque des forces armées sont intervenues au Kremlin et que la clique de Nikita Khrouchtchev a été clairement appuyée par l’armée durant cette période.

De fait, l’armée qui joua un rôle toujours subordonné à l’appareil de sécurité d’État en URSS s’est vue confier un rôle prééminent par la suite, avec un immense appareil militaro-industriel engloutissant une partie faramineuse des richesses du pays. Dans les années 1980, le complexe militaro-industriel représentait 25 % du PIB et les 3/4 des recherches et développement.

Cette décapitation de l’appareil de sécurité d’État est donc à considérer comme la grande opération contre le principal verrou barrant la route à la prise du contrôle du pays par le Présidium du PCUS.

Staline, sa fille Svetlana, Lavrenti Beria

Il faudra par ailleurs plus de dix jours avant qu’une explication de l’affaire soit produite par le PCUS. Une fois cette explication faite, Lavrenti Beria servit de bouc-émissaire, avec toutefois une extrême prudence pour le procès.

On apprit ainsi seulement le 16 décembre que l’enquête à son sujet était terminée et le 24 décembre, il fut annoncé que Lavrenti Beria avait été jugé et exécuté la veille. Là encore, la presse soviétique n’aborda la question que très brièvement.

On a ainsi tous les ingrédients d’un coup d’État et cela se lit jusqu’à la résolution de la session du Comité Central du PCUS intitulé « À propos des actions criminelles anti-Parti et anti-État de Beria », adoptée à l’unanimité le 7 juillet 1953.

La résolution ne traite qu’en partie de « l’affaire Beria », posant concrètement une véritable base idéologique nouvelle. La restructuration continua par ailleurs par la suite. Le personnel dirigeant de républiques d’Arménie et d’Azerbaïdjan connut une purge dans l’année qui suivit, pour « manquement » au « caractère collégial » dans la gestion de la direction.

Serge Krouglov, nommé ministre des affaires intérieures après la liquidation de Lavrenti Beria, fut lui-même mis de côté à la veille du XXe congrès.

Pour également bien asseoir son coup, le Comité Central du PCUS produisit un document particulièrement long, réservé aux cadres, devant être étudié toujours sous supervision. Il consistait en une sorte de biographie détaillée accusant Lavrenti Beria de crimes aux différentes époques de sa vie.

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La mort de Staline et la décapitation de l’appareil de sécurité d’État de l’URSS

Le 26 juin 1953, Lavrenti Beria était intercepté chez lui et immédiatement exécuté. Officiellement, il aurait été emprisonné pour passer en procès à la fin de l’année, étant condamné à mort et exécuté seulement le 23 décembre.

C’est en réalité un coup de force contre l’appareil de sécurité d’État de l’URSS, dont Lavrenti Beria était à la tête.

On parle ici de la plus grande figure organisationnelle de l’URSS avec Joseph Staline, ces deux communistes faisant office de véritable tandem géorgien. Lavrenti Beria est à partir de la fin des années 1930 le principal responsable de la sécurité du pays, jouant un rôle de premier plan dans la guerre mondiale, notamment comme responsable des services de contre-espionnage du SMERSH (acronyme de « mort aux espions ! »).

Lavrenti Beria

Au moment de sa mort, Lavrenti Beria était membre du Présidium du Comité central du PCUS, premier vice-président du Conseil des ministres de l’URSS, ministre des affaires intérieures, héros du travail socialiste, maréchal de l’Union soviétique, responsable du programme atomique soviétique. C’est également lui qui, sur la place rouge, fut l’un des trois orateurs de l’oraison funèbre pour Joseph Staline, le 9 mars 1953.

L’accusation, fantasmagorique, veut qu’il ait été un espion à la solide de l’impérialisme ayant tenté de monter un coup d’État par l’intermédiaire des services secrets ; tout cela serait étayé par de nombreux documents du procès et même un long « aveu ».

À cela s’ajoute l’accusation d’avoir soi-disant régulièrement enlevé des femmes pour les violer et ensuite les faire fondre à l’acide sulfurique dans sa salle de bains ou bien les broyer dans un concasseur de pierres !

On a ici une véritable opération militaire accompagné d’une campagne d’intoxication psychologique, qui a commencé dès le lendemain de la mort de Staline, le 5 mars 1953, et qui vise à la destruction de l’appareil de sécurité.

Lavrenti Beria

A.A. Epyshev, vice-ministre de la Sécurité d’État de l’URSS, est démis de ses fonctions le 11 mars 1953. B.C. Ryasnoy, sous-ministre de la Sécurité d’État de l’URSS et dirigeant de la seconde direction principale chargée du contre-espionnage, responsable de la garde personnelle de Staline depuis mai 1952, est démis le même jour.

S.R. Savchenkjo, sous-ministre de la Sécurité d’État de l’URSS et dirigeant de la première direction principale chargée du renseignement, est démis le 17 mars 1953.

Cette liste est encore longue et concerne en fait les hauts cadres de la sécurité d’État. Car, en décembre 1952, le PCUS a voulu la fusion du ministère de la sécurité d’État et de celui des affaires intérieures et c’est Lavrenti Beria qui prit la tête de la nouvelle structure au moment de la mort de Staline. Or, il semble à peu près clair que Staline n’a pas eu une mort naturelle et Lavrenti Beria avait commencé une enquête, qui eut immédiatement comme réponse son exécution.

De plus, Lavrenti Beria était devenu le chef de file de l’application de la légalité socialiste dans l’esprit de la constitution de 1936. Il avait déjà souligné cette dimension lors de l’oraison funèbre de Staline et avait promulgué un ordre secret, le 4 avril 1953, appelant à l’interdiction de « l’utilisation de mesures coercitives et d’influence physique par la police dans les organes du ministère de l’Intérieur ».

L’ordre souligne le point suivant :

« Ces méthodes vicieuses d’enquêtes orientaient les efforts du personnel opérationnel sur le mauvais chemin et l’attention des organes de sécurité de l’État était détournée de la lutte contre les véritables ennemis de l’État soviétique. Je commande d’interdire strictement l’utilisation de mesures coercitives et d’influence physique par la police dans les organes du ministère de l’Intérieur ; dans le cadre de l’enquête, respectez scrupuleusement les normes du code de procédure pénale (…).

Familiariser toute la structure opérationnelle des organes du ministère de l’Intérieur avec cet ordre et avertir qu’à partir de maintenant, non seulement les auteurs directs, mais également leurs dirigeants seront tenus responsables des violations du droit soviétique. »

L’affirmation de cette légalité étatique était un obstacle fondamental pour le Présidium du PCUS. En effet, si l’on suivait les dispositions du XIX congrès de 1952, il n’y avait plus de secrétaire général, simplement une direction collective devant assurer l’édification du communisme, c’est-à-dire gérer au mieux les forces productives.

Or, si cela était faux idéologiquement, il restait une base : si le Parti basculait dans une démarche incorrecte, il restait l’appareil d’État pour contre-balancer la chose. Celui-ci continuait de fonctionner selon les principes établis.

Il fallait donc absolument le démanteler du point de vue de la clique formée principalement de Nikita Khrouchtchev, Léonid Brejnev, Mikhail Souslov… qui entendait diriger le pays par en haut et non pas simplement avoir une fonction « administrative » comme le formulait le XIXe congrès de 1952.

Lavrenti Beria

La liquidation de nombreux cadres de la Sécurité d’État dès la mort de Staline culmina donc en l’exécution de Lavrenti Beria, ainsi que celle de plusieurs très hauts responsables condamnés lors du même procès fictif :

– Leo Vlodzimirsky, alors dirigeant de l’unité d’enquête sur les affaires particulièrement importantes du ministère de l’intérieur ;

– Vsevolod Merkulov, alors ministre du Contrôle de l’État de l’URSS (1950-1953), responsable de la direction principale de la sécurité de l’État du NKVD de l’URSS de 1938 à 1941, général depuis 1945, commissaire du peuple (puis ministre) de la Sécurité de l’État de l’URSS (1941, 1943-1946);

– Vladimir Dekanozov, alors ministre des affaires intérieurs de Géorgie, membre du Comité central du PCUS (b) de 1941 à 1952, ancien responsable adjoint de la direction principale de la sécurité de l’État du NKVD de l’URSS, ancien commissaire populaire adjoint aux affaires étrangères et représentant extraordinaire et plénipotentiaire de l’URSS en Allemagne (1940-1941);

– Bogdan Kobulov, alors premier sous-ministre des Affaires intérieures de l’URSS, après avoir été une figure clef du NKVD pour plusieurs postes, notamment chef de l’unité d’enquête du NKVD de l’URSS , puis chef de la direction économique principale du NKVD de l’URSS (1938-1939) ;

– Sergey Goglidze, alors figure du ministère des affaires intérieurs de l’URSS et responsable de la 3e direction (contre-espionnage dans l’armée et la marine soviétiques), notamment ancien vice-ministre de la sécurité d’État, ancien dirigeant du troisième département (contre-espionnage militaire) du ministère de la Sécurité d’État, ancien responsable de la direction principale pour la protection des chemins de fer et du transport par voie navigable du ministère de la Sécurité de l’État de l’URSS, ancien commissaire du peuple aux affaires intérieures de l’URSS, ancien chef du bureau du NKVD de la République socialiste soviétique de Géorgie, ancien ministre de la Sécurité d’État d’Ouzbékistan ;

– Pavel Meshik, alors ministre de l’Intérieur de la République socialiste soviétique d’Ukraine et chef adjoint de la 1re Direction principale du Conseil des ministres de l’URSS (chargé de la construction de la bombe atomique), notamment ancien chef adjoint de la direction principale du SMERSH, ancien dirigeant du département des enquêtes de la direction économique principale du NKVD de l’URSS, ancien dirigeant premier département (commissariats industriel et alimentaire) de l’institution d’État du NKVD ;

Tant Lavrenti Beria que les autres responsables ont été incinérés après leur exécution.

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Les contradictions en URSS au lendemain du XIXe congrès

À partir de 1952 – et non pas à partir de la mort de Staline le 5 mars 1953 – le PCUS est régi de manière collégiale, par une direction collective s’appuyant sur le Présidium du Comité Central, lui-même sévèrement encadré par le Comité Central.

Or, il restait un appareil centralisé par définition même, celui de l’appareil de sécurité d’État.

Il y a ici une contradiction qui s’est posée historiquement, de par l’erreur du XIXe congrès, qui considérait que le socialisme avait été instauré et que l’URSS rentrait dans la période d’édification du communisme.

Il ne pouvait pas y avoir en même temps une direction collective et un appareil de sécurité centralisé existant dans l’État et à côté du Parti. Tant la centralisation des services de sécurité autour d’une figure historique, Lavrenti Beria, que le maintien des camps de travail (donnant par définition une importance aux services de sécurité), rentrait en conflit avec la démarche lancée au XIXe congrès.

Celle-ci posait d’ailleurs la liquidation des camps de travail. Dans la même logique, la peine de mort avait été supprimée en 1947, mais finalement réinstaurée en 1950 devant les affaires d’espionnage.

Il fut donc décidé que la gestion des camps de travail devait passer au ministère de la justice. Une amnistie importante fut également décidée le 27 mars 1953.

Drapeau de l’URSS du 5 décembre 1936 au 19 août 1955

Restait la question de l’appareil de sécurité au sens ouvert (telle la police) et celui au sens fermé (contre-espionnage). On en était alors à une fusion du MGB et du MVD – le ministère de la sécurité d’État et le ministère des affaires intérieures. Dans 12 républiques sur 15, ce fut le responsable du MGB qui passa responsable du MVD.

Mais il y a ici plus important encore : la République soviétique de Russie n’avait pas de MVD propre – c’était celui au niveau pansoviétique qui en assumait la fonction. C’est dire le caractère essentiel de son rôle, sa puissance.

L’une des premières décisions du MVD, désormais dirigé par Lavrenti Beria, fut une critique en règle, dans la Pravda du 4 avril 1953, du MGB pour son enquête sur le complot des médecins accusés d’avoir joué un rôle dans des accusations d’empoisonnement. Le MVD prétendit que les aveux avaient été forcés et que l’enquête n’avait pas été légale. Les médecins furent libérés, des responsables du MGB arrêtés, l’informatrice de l’affaire, Lydia Timsshuk, se vit enlever l’ordre de Lénine reçu pour l’occasion.

Cette démarche fut très inattendue ; la revue de mars du Komosomol (la jeunesse communiste), sortie elle-même le 4 avril, contient ainsi un article de dénonciation de l’espionnage et célébrant l’exemple de Lydia Timsshuk.

Le 10 avril 1953, les Izvestia prolongèrent la remise en cause en affirmant qu’il s’agissait d’une initiative antisémite prenant comme prétexte un pseudo-complot de médecins juifs. La presse soviétique accusa parallèlement le style de travail de la direction du Parti en Géorgie, ce qui se prolongea par la suite. Il s’ensuivit une remise en cause de la purge de 1951-1952 et le rétablissement de ceux mis de côté.

On a là en fait une bataille factionnelle qui se jouait dans le Parti, avec le conflit entre le Parti passé sous direction collégiale et l’appareil de sécurité d’État resté centralisé.

La tension fut à son comble à l’occasion d’un opéra. Celui-ci, intitulé Les décabristes, relatait la révolte contre le tsar d’une partie de l’aristocratie. Le 27 juin 1953, tout le Présidium du PCUS y assistait, à l’exception de Lavrenti Beria et de deux membres suppléants, l’arménien Vladimir Bagirov et le russe Léonid Melnikov.

Dans la journée, plusieurs dizaines de tanks accompagnés d’autres véhicules militaires étaient arrivées par le train à Moscou et commençaient à se déployer dans la ville. Ce dispositif militaire connut une amplification dès la tombée de la nuit et cela jusqu’au 30 juin. Il semble que certaines unités dépendaient de l’appareil de sécurité d’État, d’autres de l’armée.

Cette situation, clairement de crise, fut également accompagnée par la suite d’au moins deux articles marquants. Le premier fut publié sans signature dans la Pravda du 4 juillet 1953 ; citant notamment Staline, il souligna l’importance de la direction collective, de la soumission des communistes à la volonté de la majorité du Parti.

Le second consista en l’éditorial des Izvestia du 7 juillet et s’appuyait sur Les problèmes économiques du socialisme, écrit par Staline à l’occasion du XIXe congrès de 1952, et expliquait qu’un dirigeant négligeant la théorie ne peut pas assumer sa fonction.

On peut considérer que le premier document représente la ligne de la direction collégiale du Parti, le second vraisemblablement de la ligne idéologique maintenue, soutenue par l’appareil de sécurité d’État, mais il est difficile d’y voir clair, car la journée de crise du 27 avait été précédé, la veille, de la liquidation du dirigeant de l’appareil de sécurité d’État, Lavrenti Beria.

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