L’idéalisme considère que l’être humain pense, dispose du libre-arbitre. L’être humain serait en mesure de faire des choix. Le matérialisme considère inversement que l’être humain ne pense pas, qu’il relève du déterminisme historique : l’être humain réfléchit, sa pensée reflète la réalité.
Si l’on prend l’exemple de la sortie du jardin d’Eden, la différence de point de vue apparaît clairement. La Bible présente en effet la sortie du jardin d’Eden comme conduisant, du jour au lendemain, à ce qu’Adam se retrouve à pratiquer l’agriculture.
On avait auparavant Adam et Eve vivant dans une sorte de Paradis, puis ils se retrouvent dans la situation contraire, devenant des êtres humains formant le « début » d’une longue série d’êtres humains, pratiquant l’agriculture, la domestication des animaux, vivant en société, etc.
Or, du point de vue matérialiste, le jardin d’Eden reflète la communauté matriarcale, l’époque où les êtres humains vivaient comme des animaux au sens strict. Et ces êtres humains ne pouvaient pas passer à l’agriculture du jour au lendemain. Autrement dit, pour faire un raccourci conceptuel, on ne passe pas de l’âge des cavernes à l’agriculture aussi simplement que cela.
Il faut un long apprentissage qui prend… des années, des dizaines d’années, des centaines d’années, des milliers d’années. L’être humain que nous sommes, l’homo sapiens, apparaît il y a 300 000 ans, forme de réelles premières communautés humaines il y a un peu plus de 20 000 ans, découvre l’agriculture il y a un peu plus de 10 000 ans, alors que lui-même est l’aboutissement de sept millions d’années d’évolution de ses ancêtres directs.
Cela signifie que la Bible, avec le passage direct du jardin d’Eden à l’agriculture, escamote des centaines, des milliers d’années d’évolution. Il y a tout un espace historique qui manque et cet espace historique est vécu par des êtres humains qui ne sont plus des animaux vivant de manière immédiate, qui ne sont pas encore des agriculteurs et des pratiquants de la domestication d’animaux.
Ce sont des chasseurs cueilleurs, ce qu’ils étaient déjà auparavant, mais cette fois avec beaucoup plus d’élaboration technique, de saisie intellectuelle de leurs activités, de développement de leurs facultés. Et, à la différence d’auparavant où tout était répétitif et similaire pour tous, les êtres humains s’individualisent. Ils ne sont plus un simple aspect d’une communauté humaine primitive, ils existent de manière personnelle.
Mais cette manière personnelle d’exister est une découverte, incomprise. C’est une nouveauté qui a même un prix énorme. Car en ne vivant plus de manière immédiate, l’humanité découvre de terribles déséquilibres dans son mode de vie, puisqu’il fallait satisfaire les besoins vitaux sur une base rudimentaire.
Il a fallu tout découvrir, faire l’apprentissage de l’environnement. On parle ici de découvrir ce qui est utile ou pas, utile sur le court, le moyen, le long terme. Cela implique de comprendre le principe d’utilité, de le systématiser, ce qui donne par exemple la médecine, mais demande une expérience historique immense.
Une humanité dispersée, vivant en groupes restreints, a dû accumuler cette expérience dans de terribles difficultés, d’affreux tourments.
Lors de tout un processus historique particulièrement long, l’humanité a connu des carences physiologiques pour la dimension qualitative, un déficit calorique pour la dimension quantitative, des privations de sommeil et des blessures, l’épuisement nerveux, une fatigue extrême, etc.
En même temps, tout ce processus passe et renforce, de manière contradictoire, la nuance, la différence entre les personnes, au fur et à mesure des progrès acquis sur le plan de la vie quotidienne.
Autrement dit, lorsque l’humanité en est à ses tout débuts, elle vit de manière animale. Son horizon est restreint et il n’est pas de place pour la moindre dimension personnelle ; les êtres humains consomment ce qu’il y a dans leur environnement et cela suffit. Tout est partagé, rien ne distingue les êtres humains, si ce n’est le sexe, et la femme a un statut supérieur, car elle donne la vie.
Cependant, en modifiant son environnement, notamment au moyen de la main disposant d’un pouce opposable, en utilisant ainsi des outils, le feu, etc., l’humanité est sortie d’un cadre auto-suffisant. Il y a alors des activités différentes, toujours plus subtiles, des nuances, des différences entre les êtres humains.
Il n’y a pas eu de « création » de l’humanité, mais une production historique de l’humanité et il a fallu des centaines, des milliers d’années, des dizaines de milliers d’années, des centaines de milliers d’années pour cela.
Et l’existence des chasseurs-cueilleurs, entre la sortie de l’animalité et l’entrée dans l’agriculture et la domestication des animaux, a été tourmentée. Pendant une période particulièrement longue, l’humanité a donc cherché à combler ses besoins naturels, qui ne lui étaient plus fournis de manière naturelle de par le mouvement historique de l’humanité en-dehors de la Nature et même contre elle.
Dialectiquement, les deux pôles sont les suivants :
– D’un côté, la capacité à s’abriter, à utiliser le feu, à cuire des aliments, etc. a permis à l’être humain d’avoir moins d’énergie à puiser dans l’environnement afin de faire fonctionner son métabolisme.
– De l’autre côté, le fonctionnement du cerveau a un coût métabolique extrêmement élevé, amenant par exemple le taux métabolique des êtres humains à être bien supérieur à celui des grands singes.
Cela signifie qu’en même temps que l’être humain améliorait ses conditions de vie, où il développait ses facultés et par conséquent sa réalité personnelle nuancée, différente, il connaissait pourtant une détérioration de ses conditions de vie en raison des immenses difficultés éprouvées et incomprises.
Telle est la contradiction de la période où l’humanité vivait dans une situation de déséquilibre nutritionnel marqué, et cette période dure depuis la sortie du jardin d’Eden à Adam agriculteur – un immense intervalle que l’humanité a vécu sans aucun recul, d’où l’incapacité à la concevoir malgré son immense durée.
La qualité intellectuelle acquise par l’humanité s’oppose ici à la quantité immense d’années écoulées pour parvenir à celle-ci.
Il existe toutefois une trace historique de ce parcours du développement des facultés, avec l’émergence d’êtres humains possédant des nuances, des différences : le fétiche des hallucinations.
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