Le matérialisme dialectique et le cercle

L’existence même du cercle pose en apparence un problème. En effet, la dialectique implique les contraires. Or, le cercle ne semble pas en posséder. Qui plus est, il semble parfaitement continu, au point d’être autosuffisant : si on suit la ligne qui forme le cercle, on ne s’arrête jamais, on revient de manière cyclique au même point.

Le cercle semble donc réfuter la dialectique. Il présente la continuité parfaite, ainsi que l’infini associé à une chose en particulier.

Un nombre associé au cercle est également celui représenté par la lettre grecque π (pi).

π est égal à la circonférence (soit le tour du cercle, si on veut) divisé par son diamètre. Le rapport donne 3,141592653589793… Le nombre semblant être infini derrière la virgule.

Cela considéré, il y a deux options. On peut se tourner vers le diamètre pour l’opposer au cercle. Le souci, c’est qu’il faut alors prendre en compte le centre.

On peut également se tourner vers le centre. Le souci est alors qu’il faut prendre en compte le diamètre.

Ces deux options ne semblent donc pas être ce qu’il faut pour appréhender la dialectique du cercle.

Il ne reste alors plus que le cercle lui-même. Quelle est d’ailleurs sa définition exacte ? C’est une figure géométrique, consistant en une ligne qui est courbe, avec tous les points à la même distance d’un point central.

Mais on a vu que si on s’intéresse au point central, alors on a le diamètre, ce qui nous éloigne du cercle, et nous ramène au disque. Or, on veut en rester au cercle, on veut rester dans la géométrie pure, avec un objet abstrait, on ne veut pas aller vers la surface, vers le disque, vers quelque chose déjà plus proche du réel.

Il faut bien pourtant que le cercle soit réel, puisqu’il existe, au moins comme concept.

La solution est la suivante : il ne faut pas prendre en considération le point central. Il faut considérer le cercle non pas de manière géométrique, mais algébrique.

Qu’est-ce que cela veut dire ? Si on prend le cercle de manière géométrique, tous les points sont équivalents. Selon le matérialisme dialectique, cela n’est pas possible. Ils sont donc différents.

Ils relèvent également d’une courbe, ce qui implique qu’il y a un mouvement.

On dépasse ainsi les points équivalents, relevant de la quantité, pour avoir des points en transformation relevant de la qualité.

Que fait cette courbe ? Elle avance dans un sens… et elle recule. Mais elle ne peut pas reculer par là où elle est passée. Si elle le faisait, il y aurait identité de l’avancée et du recul.

Il faut ainsi considérer le cercle comme étant, en quelque sorte, la projection d’un mouvement, un peu comme si on lançait une pierre et qu’elle retombait.

On dira alors que la pierre ne retombe pas au même endroit. C’est là où cela devient intéressant, justement. Le mouvement de la courbe dans un sens… est le reflet en miroir du mouvement de la courbe dans l’autre sens.

C’est là où on doit se tourner vers le concept de torsion qui a été avancée ; il est notamment dit :

« Il n’y a pas un phénomène paralysé par deux pôles contradictoires, mais connaissant à un endroit en particulier une situation de tension.

[On aurait précisément cela avec un cercle « statique », avec une situation de tension en son point central.]

Raisonner ainsi serait faire un fétiche du développement inégal et l’établir comme loi universelle en lieu et place de la contradiction. Or, le développement inégal est une caractéristique de la loi de la contradiction, c’est une expression qualitative de l’existence quantitative des choses.

Par torsion, on peut considérer le principe suivant lequel une chose est travaillée par deux pôles, que la contradiction « force » à un mouvement dans une certaine direction.

Si l’on prend comme base le mouvement en spirale, on peut considérer que le mouvement spiralaire est induit par la contradiction interne, obligeant le mouvement à s’orienter dans une certaine « direction ».

Il faut dire s’orienter, et non pas se diriger, car se diriger serait unilatéral ; aucun phénomène ne peut se produire, s’établir, exister sous la forme d’une ligne droite. »

(Le matérialisme dialectique et la torsion comme évaluation dialectique)

Ce qui revient à dire que le cercle est en réalité à concevoir comme une spirale. Naturellement, cela ne se voit pas quand on regarde le cercle. Mais, en réalité, on le devrait, même s’il n’y a pas trois dimensions.

C’est un regard erroné que de voir en le cercle un mouvement unilinéaire revenant sur lui-même.

Un cercle relève d’un phénomène de torsion : il va dans une certaine direction, forcément de manière inégale, car rien ne va en ligne droite.

Cette torsion obéit à la loi de la contradiction et le reste du cercle qu’on voit est le reflet en miroir de la torsion elle-même.

Aller dans un sens implique en même temps l’autre sens, aller en haut implique un bas, il y a du bas dans le haut et inversement, il y a l’inverse d’un sens dans chaque sens, etc.

Et la torsion en contradiction avec elle-même est, concrètement, le phénomène lui-même dans son existence réelle, contradictoire, car tout est contradiction dans son existence même.

On pourrait dire qu’il s’agit là de philosophie ou d’une vue de l’esprit, car quand on dessine un cercle, on revient bien au point de départ.

C’est un argument qui ne marche pas, pourtant. En effet, quand on trace un cercle au compas, on fait en sorte que le cercle soit complet, mais en théorie on ne repasse pas sur le point de départ. Il y a donc bien un point de départ et d’arrivée et le cercle n’est plus « parfait ».

En pratique, personne n’est assez maniaque ou précis pour éviter de repasser sur le point initial dessiné au compas, seul un ordinateur est en mesure d’éviter cela. Cela signifie qu’on redessine sur le point et… ce n’est donc plus le même point.

Reste alors l’argument du cercle comme vue de l’esprit, ou bien d’un regard contemplatif porté sur un cercle existant. Quand on le regarde, on ne voit ni point de départ, ni point d’arrivée, et ce qui s’impose, c’est la continuité.

Mais sous quelle forme se présente cette continuité ? Elle va dans un sens, puis dans un autre, et à chaque fois on a le mouvement contraire.

Cela signifie qu’on retrouve le mouvement, et que même s’il y a continuité du mouvement du cercle, le mouvement est perpétuellement en contradiction avec lui-même.

Ce mouvement perpétuel, c’est l’infini, et les mouvements dans un sens puis dans l’autre qui se confrontent de manière ininterrompue correspondent à la quantité. L’infini et la quantité vont produire la qualité. Cette qualité ramène au mouvement en spirale.

Comme on le voit, le cercle est clairement dialectique, il est trompeur de s’imaginer qu’il représente une forme statique, revenant à elle-même de manière linéaire.

Pour résumer, soit on le voit en deux parties s’opposant, représentant une torsion au sein d’une spirale, même si « aplatie » en deux dimensions, soit on le voit comme une accumulation quantitative de mouvements dans un sens et dans l’autre, de manière infinie, ce qui correspond à la déchirure du quantitatif dans l’infini, ouvrant la voie au qualitatif.

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L’opposition des dissidents dans l’URSS social-impérialiste

La non fondation d’un mouvement marxiste-léniniste et l’incapacité gauchiste permit à la « dissidence » d’apparaître comme la seule réelle opposition en URSS sociale-impérialiste. De par sa dimension purement intellectuelle et ses liaisons ouvertes avec la superpuissance impérialiste américaine, il va de soi qu’aucun soutien populaire n’était possible.

Les dissidents sont des intellectuels et des scientifiques, le plus souvent des littéraires particulièrement tournés vers la littérature occidentale moderniste.

On parle, pour forcer le trait, de gens souvent favorables à un communisme « démocratique », ou du moins à un humanisme socialisant, mais n’ayant pas de scrupules à se voir soutenu par toutes les officines occidentales, que ce soit les maisons d’édition ou les services secrets.

En URSS même, le principal mode opératoire consistait en le samizdat, c’est-à-dire l’auto-édition, réalisée soit de manière manuscrite, soit en tapant à la machine, dans la mesure où tous les appareils de reproduction de documents étaient surveillés.

Le vrai début du mouvement des dissidents date de 1965, avec l’arrestation des écrivains Andreï Siniavski et Iouli Daniel, condamné à plusieurs années de prison pour agitation anti-soviétique.

Cela provoqua un grand émoi dans les milieux intellectuels soviétiques, avec notamment un rassemblement de 200 personnes sur la place Pouchkine à Moscou le 5 décembre 1965 ; les pays occidentaux en profitèrent pour commencer un soutien massif.

Une figure très connue est ici le physicien Andreï Sakharov, qui obtint le prix Nobel de la paix en 1975. Initialement, c’est un des principaux responsables de la mise en place des armes nucléaires en URSS ; il passa ensuite dans l’activisme promouvant un humanisme pro-occidental.

Andreï Sakharov

En lien avec des journalistes occidentaux, il organisa ainsi une conférence de presse à Moscou en 1974, expliquant qu’il y avait un danger mondial avec une « URSS sur-militarisée entre les mains d’une bureaucratie officielle d’État ».

L’année suivante, son ouvrage Mon pays et le monde est publié dans les pays occidentaux, ce qui lui vaut d’être arrêté finalement en 1980 et assigné à résidence dans la ville de Gorki jusqu’en 1986.

Cette même année, deux agents du KGB intervinrent en pleine nuit avec deux employés du téléphone ; le téléphone installé sonna rapidement : ce fut Mikhaïl Gorbatchev qui appelait pour dire qu’il pourrait retourner à Moscou s’il le voulait.

Un autre exemple de dissident réhabilité par Mikhaïl Gorbatchev fut Alexandre Soljenitsyne, écrivain auquel l’occident remit le prix Nobel de littérature en 1970. Il fut expulsé en 1974 ; ses romans Une journée d’Ivan Denissovitch et L’archipel du goulag sont des œuvres extrêmement militantes dans l’anticommunisme.

Alexandre Soljenitsyne

Lui-même est par contre d’extrême-droite et ne relève pas de l’humanisme à prétention socialiste qu’on a chez la plupart des dissidents ; le poète Joseph Brodsky, de facture moderniste, obtint également le prix Nobel de littérature en 1987.

Les dissidents mirent en place en mai 1976 un « Groupe de Moscou pour l’assistance à la mise en œuvre des accords d’Helsinki » ; sa fondation officielle devant la presse internationale eut lieu dans l’appartement moscovite de l’académicien Andrei Sakharov.

Les accords d’Helsinki, signés en 1975, avaient été signés par les pays ouest-européens et les États-Unis (ainsi que le Canada) d’un côté, les pays est-européens et l’URSS de l’autre ; ils soulignaient la nécessité de bons rapports entre le pays, de l’intégrité territoriale, et contenaient un volet sur les droits humains.

Le Groupe de Moscou n’existait de fait que dans le cadre d’un soutien purement occidental, et nombre de dissidents furent expulsés ou forcés à l’immigration. La mise de force en hôpital psychiatrique était une méthode généralisée pour les forcer au silence ou au départ, avec donc de pseudos bilans médicaux permettant de « justifier » un internement et un traitement forcé, visant de fait à rendre réellement fou.

L’écrivain Vladimir Boukovski fut le premier à passer à l’ouest des documents sur l’enfermement psychiatrique des dissidents ; on notera qu’il fut échangé en 1976 contre le prisonnier politique chilien Luis Corvalán (à la tête du Parti Communiste pro-soviétique), qu’il sera l’une des principales figures du Brexit et qu’il eut des soucis avec la justice britannique pour possession d’une immense quantité de films et photographies à caractères pédophiles et zoophiles.

Cette méthode d’enfermement psychiatrique concerna des centaines de personnes, pas seulement les dissidents ; furent ciblés des candidats à l’émigration, des nationalistes des républiques non-russes, des religieux.

C’était également une méthode pour éviter les procès. Un exemple significatif fut Victor Fainberg, qui avait participé à un rassemblement de quelques personnes sur la Place Rouge pour protester en août 1968 contre l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie. Il eut toutes les dents de devant cassés par la police et pour éviter qu’il ne témoigne au procès des manifestants, il fut envoyé quatre ans en psychiatrie.

Un autre milieu où l’opposition de ce type se recruta beaucoup fut la communauté juive, travaillée au corps par le sionisme très largement appuyé par la superpuissance impérialiste américaine.

Le climat délétère de l’URSS social-impérialiste et un retour significatif de l’antisémitisme poussaient les Juifs à essayer de quitter le pays, les réponses souvent négatives des autorités aboutit à ce qu’ils furent surnommés les « refuzniks ».

Deux affaires sont ici emblématiques de la question. Il y eut ainsi la publication en 1963 d’un ouvrage intitulé Le judaïsme sans embellissement, écrit par Trofim Kichko, un nationaliste ukrainien.

Officiellement philosophe, celui-ci a commencé une activité d’intellectuel antisémite, en étant utilisé ensuite sous le masque d’antisionisme à partir de 1967 et de la rupture nette entre l’URSS et l’État israélien (que l’URSS est historiquement le premier à avoir reconnu).

Le judaïsme sans embellissement, publié officiellement dans le cadre de l’Académie ukrainienne des sciences est une caricature de délire complotiste et provoqua un scandale international, obligeant l’URSS à supprimer l’ouvrage. D’autres ouvrages du même esprit furent néanmoins publiés.

Couverture de la première édition, en ukrainien, du pamphlet antisémite « Le judaïsme sans embellissement »

La seconde affaire concerne les études de mathématiques, où il est apparu que l’accès était largement bloqué aux étudiants Juifs. Cela perdura tout au long de la période 1960-1980.

C’est le contexte de la tendance au départ. 259 500 Juifs ont cependant quitté l’URSS entre 1967 et 1982, dont par contre seulement autour de 161 000 pour Israël. Parmi les autres émigrants, il y a les Allemands de la Volga, avec 82 600 quittant le pays entre 1971 et 1985.

Le mouvement se tarit massivement par la suite ; en comptant les protestants, les Allemands de la Volga, les Juifs, etc., 51 333 personnes reçurent des visas de sortie en 1979, 2 688 ont été délivrés en 1982, 1 315 en 1983 et seulement 896 en 1984.

Du côté des Juifs, le mouvement fut très marqué avec l’effondrement de l’URSS : 330 000 départs en 1990-1991, 490 000 pour la période 1992-1999, 104 000 pour la période 2000-2002.

Enfin, le troisième milieu d’opposition dissidente, mais sans recherche de confrontation fut les milieux touchés par l’irrationnel et le nationalisme.

Il y avait toute une fascination en URSS social-impérialiste pour les pouvoirs paranormaux, pour les interprétations mystiques et complotistes, les délires nationalistes raciaux, etc.

Cela va s’exprimer de manière massive sur le plan populaire dans les années 1990, une fois que l’encadrement soviétique aura définitivement disparu, avec le pullulement des groupes nationalistes et des structures néo-païennes, dans un contexte où la moitié du pays vit sous le seuil de pauvreté et que le PIB a chuté de moitié.

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L’opposition de gauche « néo-marxiste » dans l’URSS social-impérialiste

Incapable de se tourner vers le marxisme-léninisme en tant que matérialisme dialectique, l’opposition interne à l’URSS social-impérialiste a eu une tendance substantielle à se tourner vers le gauchisme.

C’était la solution « idéale » pour contourner la question de Staline, de l’URSS des années 1930, 1940, 1950. Il suffisait de dire que la révolution russe était une bonne chose, mais qu’elle s’était enlisée et qu’une bureaucratie avait pris le dessus.

La question de savoir si cette bureaucratie agissait dans un cadre resté socialiste ou bien si le capitalisme avait pris le dessus n’était pas vraiment répondu, ou bien avec des nuances plus qu’autre chose.

Le strict équivalent de cette approche sur le plan des idées, ce sont les partis communistes occidentaux liés à l’URSS, les courants marxistes-léninistes tournés vers Che Guevara.

Il y a également, par contre, une certaine influence de l’esprit de la « nouvelle gauche » liée aux événements de l’année 1968, avec notamment Herbert Marcuse et la dénonciation d’une société moderne tournée vers l’administration et la consommation.

Dans tous les cas, on est dans une approche de recomposition du marxisme, de relecture, de néo-marxisme.

Il faut dire ici que cette opposition « gauchiste » se fonde systématiquement sur la base de jeunes liés aux universités, et ayant des connaissances à propos de ce qui se passe comme révoltes dans les pays occidentaux.

De par les difficultés d’accès à ces connaissances, de par la répression impitoyable, il faut par contre bien considérer que ces gauchistes sont restés très faibles quantitativement, en restant totalement à la marge de la société soviétique, à part très relativement dans quelques milieux artistiques et littéraires dans les grandes villes.

On a ainsi la Fédération des forces démocratiques d’orientation socialiste, basée à Moscou, consistant un cercle touchant grosso modo 300 personnes entre 1977 et 1982. Ces jeunes étaient alignés sur la social-démocratie occidentale et les partis communistes occidentaux.

On a le Groupe du communisme révolutionnaire, touchant des centaines d’étudiants à Saratov, Riazan et Petrozavodsk, mêlant marxisme-léninisme, réformisme, humanisme occidental.

Ce fut également l’approche du Parti révolutionnaire des intellectuels de l’Union soviétique, de Sverdlovsk, démantelé en novembre 1971, qui insista par ailleurs sur le néo-marxisme occidental (notamment Herbert Marcuse).

Tel était le cas d’une Opposition de gauche à Leningrad, en 1976-1978, et dans la même ville de l’Union des communards révolutionnaires (1975-1979) qui avait comme modèle le mai 1968 français.

Une autre organisation très similaire était la Jeunesse pour le communisme, présente à Moscou, Toula et Iaroslavl, et active 1979 à 1981 ; elle se revendiquait du marxisme révolutionnaire et de Che Guevara. Il y eut également une « Brigade Internationale Che Guevara » fondée à Moscou par des étudiants latino-américains.

Il y eut également, de manière bien plus marquante, le Parti néo-communiste de l’Union soviétique, qui exista de 1974 à 1985 avec une grande pratique clandestine (encre sympathique « boîte aux lettres » pour les messages codés…).

C’était le fruit d’une rencontre entre deux structures déjà clandestines, le Parti des Nouveaux Communistes et l’École de gauche, dont des membres se rencontrèrent. Comme la ligne était conspiratrice, il fallut des mois d’approche avant que chaque structure ne révèle son existence à l’autre.

La première organisation était très marquée par le gauchisme européen, Herbert Marcuse, Che Guevara, la seconde était très influencée par l’existentialisme (Jean-Paul Sartre, mais également Albert Camus).

La fusion des deux structures, davantage une unité complète initialement en réalité, produisit une vraie tentative d’analyser l’URSS et de proposer une relance du processus révolutionnaire.

Car toutes deux considéraient que l’URSS des années 1930 avaient bien mis en place le socialisme, mais que la situation était perverse de par la formation d’une bureaucratie prenant le dessus. On est ici dans un mélange de gauchisme, de trotskisme, d’eurocommunisme propre aux partis communistes des pays occidentaux liés à l’URSS.

Comme on était par contre en URSS même, trouver la réponse pour avancer était impérative. Et si les deux organisations s’entendirent si bien, c’est que toutes deux appuyaient la dimension subjective, l’esprit de rupture.

Elles considéraient que les étudiants seraient en première ligne pour réactiver la cause révolutionnaire, lorsque la bureaucratie témoignerait de son incapacité à être autre chose que parasitaire dans une société se développant malgré tout économiquement.

Eux n’auraient rien à perdre, se retrouvant bloqués dans leur vie, alors que dans le cadre de l’URSS, les ouvriers pouvaient grimper les échelons dans la bureaucratie.

La répression s’abattit toutefois immédiatement, avec de multiples arrestations, en 1975. L’auteur des thèses de ce mouvement, à la tête du premier groupe, Parti des Nouveaux Communistes Alexandre Tarassov, parvient à échapper initialement à la répression et parvient à détruire les documents.

Il n’y aura alors pas de procès, le KGB ne parvenant pas à trouver l’existence du Parti néo-communiste de l’Union soviétique.

Alexandre Tarassov, âgé de 17 ans alors, n’échappe par contre pas à une année dans un hôpital psychiatrique. Il y a reçu des coups, des prises forcées de neuroleptiques, des électro-chocs, des comas hypoglycémiques artificiels, des injections de médicaments particulièrement douloureux, etc.

Le résultat fut l’hypertension, les rhumatismes, une inflammation chronique des articulations, des maladies du foie et du pancréas, l’incapacité de bouger sans douleur sans analgésiques.

Cela ne l’a pas empêché, à sa sortie (obtenue en simulant d’avoir été brisé), de reprendre son travail militant, le mouvement ayant été sauvé grâce à la dirigeante Natalya Magnat, décédée à 42 ans en 1997,en raison de la maladie de Crohn, incapable alors de trouver de l’argent pour une troisième opération.

Elle écrivit alors :

« Nous avions peur d’un tel développement de les événements, nous l’avions prévu, que c’est ainsi que tout se terminera. Je pense que s’il y avait eu beaucoup de gens comme nous, bien plus, l’histoire aurait pu se dérouler différemment, sans l’effondrement de l’Union soviétique, sans massacres interethniques, sans pauvreté, sans amertume générale et sans ossification. »

Natalya Magnat

Car le mouvement, qui a réussi à tenir jusqu’en 1985, a fini par s’autodissoudre, considérant qu’il n’était pas en mesure d’avoir une influence sur les choses.

Le plus étonnant, c’est que lorsqu’il procède à cette capitulation, il est considéré que l’URSS allait d’effondrer d’ici la fin du 20e siècle !

Cependant, la désillusion a triomphé dans les rangs de cette organisation, réduite à une vingtaine de personnes, mais avec un bon réseau et de nombreux cadres éprouvés.

Toutes ses activités l’amenaient à se confronter à des gens vivant leur vie, happés par la vie quotidienne, se désintéressant totalement d’une perspective révolutionnaire.

L’auto-dissolution de 1985 correspond à cet esprit qu’un petit parti clandestin qui ne pourrait pas avoir d’effet lors de l’effondrement du régime, en raison de l’imprégnation fondamentalement petite-bourgeoise des masses.

Le paradoxe d’une prévision correcte de l’effondrement mais de la capitulation qui triomphe s’explique par le fait que le Parti néo-communiste de l’Union soviétique considérait toujours l’URSS comme socialiste.

Il finit par rejeter cette conception, mais considéra alors que la marche était trop haute pour lui, puisqu’il fallait non seulement une révolution politique pour se débarrasser d’une couche petite-bourgeoise – bureaucratique, mais en fait une révolution générale.

Alexandre Tarassov est resté sur cette position gauchiste, en tant que « post-marxiste » hyper-actif dans la publication d’articles et l’édition d’ouvrages (notamment Cornelius Castoriadis, Alain Badiou), ainsi que sur l’antifascisme (il fut régulièrement menacé par l’extrême-droite activiste et même agressé).

On notera qu’il dénonça violemment le coup de force du Maïdan en Ukraine (« eux qui se disent « gauchistes », mais ne soutiennent pas la guerre du peuple du Donbass contre le régime de Kiev sont soit des imbéciles, soit des agents directs de l’impérialisme occidental »).

Parmi les autres structures notables, il faut mentionner le « Parti de la Dictature du Prolétariat », actif à Kouïbychev (aujourd’hui Samara) de 1976 à 1981, qui s’était par contre tourné vers les ouvriers, sur une base gauchiste cependant.

C’était également le cas de l’« Union des communistes », fondé en 1986 sur la base d’un groupe fondé en 1983, et écrasé en 1988, mais continuant ensuite de manière non clandestine.

Cette tendance au gauchisme produisit, finalement, le retour de l’anarchisme et de l’anarcho-syndicalisme.

Il y eut ainsi un cercle léniniste clandestin fondé en 1980 à Moscou, qui donna naissance à une « Organisation – Comité du parti marxiste révolutionnaire de toute l’Union », qui cependant stoppa tout de suite son activité, pour donner naissance à une structure légale se transformant au fur et à mesure pour former une « Union des socialistes indépendants », et ensuite la Confédération des anarcho-syndicalistes en 1988, qui fut relativement connue en Russie les années suivantes.

Cette confédération a également été rejointe par le Détachement de Che Guevara formé en 1978 à Moscou dans la clandestinité, qui a réussi à se maintenir en ne faisant pas de propagande ouverte et en agissant clandestinement à l’Institut pédagogique d’État de Moscou.

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L’opposition marxiste-léniniste dans l’URSS social-impérialiste

La tentative de coup d’État d’août 1991 représente le seul moment où l’URSS a connu un véritable moment de basculement.

Lors du triomphe du révisionnisme dans les années 1950, il n’y eut que deux réactions très fortes. La première fut celle des membres du Parti Communiste de Grèce, avec à leur tête Níkos Zachariádis.

Réfugiés dans les pays de l’Est européen et en URSS, notamment à Tachkent, à la suite de la défaite provoquée par la trahison de la Yougoslavie, ils ont levé une vraie opposition frontale, qui a été écrasé.

Si on a ici une expression de cadres isolés, la seconde eut un caractère de masse, en Géorgie, avec des émeutes dans la capitale Tbilissi, en mars 1956, qui furent réprimés dans le sang.

Pour le reste, on a quasiment aucune information, de par la répression terrible et sa dimension secrète. Deux faits marquants sont cependant à noter. Le premier, c’est l’apparition d’un « appel des communistes révolutionnaires soviétiques (bolcheviks) », en 1966. Il fut diffusé par l’intermédiaire de l’Albanie et est censé avoir circulé en URSS.

L’appel est relativement optimiste quant à la classe ouvrière et à l’armée en URSS. On y lit notamment :

« Aujourd’hui, un moment décisif est survenu dans le développement du mouvement communiste.

Dans une situation où chaque parti communiste doit décider lui-même quelle voie suivre – la voie du marxisme révolutionnaire ou la voie de l’opportunisme, il est important que les communistes du monde entier entendent la voix de leurs camarades soviétiques.

Aujourd’hui, l’opinion de ces derniers est présentée comme telle qu’elle est exprimée dans les décisions et les déclarations publiées par les dirigeants actuels du PCUS.

Mais quiconque connaît au moins un peu la situation intérieure de notre pays, qui au moins parfois communique avec les masses et les membres ordinaires du parti, ne peut s’empêcher de savoir que toutes ces décisions et déclarations non seulement ne reflètent pas les véritables aspirations et les objectifs de l’écrasante majorité du peuple soviétique, comme de l’écrasante majorité des membres du PCUS, mais sont en contradiction flagrante avec ces aspirations et ces objectifs.

Les communistes chinois et albanais ont fait preuve d’une loyauté inébranlable envers les principes et d’un dévouement révolutionnaire en dénonçant l’opportunisme moderne.

Les documents du Parti communiste chinois et du Parti du travail albanais ont complètement révélé la voie de trahison des intérêts de la révolution socialiste, suivie par les dirigeants du PCUS après la mort de Staline.

C’est pourquoi nous répéterons souvent les thèses des camarades chinois et albanais.

Mais même dans ces cas-là, en règle générale, nous exprimerons notre propre point de vue, afin que chacun sache : c’est le point de vue d’un communiste soviétique, c’est le point de vue de millions de communistes soviétiques.

Cependant, nous considérons que notre objectif le plus important est de révéler les raisons qui ont donné naissance à l’antagonisme entre la direction du PCUS, d’une part, et l’écrasante majorité des communistes soviétiques, d’autre part.

Il faut arracher les masques des dirigeants opportunistes du PCUS en révélant leur position sociale au sein de l’URSS, où ils ne peuvent cacher leurs entrailles pourries sous aucun masque, où ils ont réellement usurpé tout le pouvoir et se sont opposés au peuple (…).

Immédiatement après le XXe Congrès, lors des assemblées générales des organisations primaires du PCUS, les membres ordinaires du parti ont demandé massivement que le Comité central donne une évaluation véritablement marxiste des activités de Staline.

Cette revendication était si persistante que la direction du PCUS fut contrainte de recourir à la persécution de certains membres du parti et à la dissolution d’un certain nombre d’organisations du parti agissant de concert. Plus tard, en 1957, lors des réunions du parti, tous ceux qui critiquaient les décisions du XXe Congrès furent contraints de renoncer à leurs opinions (…).

Y avait-il une différence dans la nature des activités de Lénine et de Staline ?

Oui, c’était le cas. En comparant ces deux dirigeants révolutionnaires, les opportunistes (en plein accord avec leur vision bourgeoise du monde) réduisent tout aux qualités personnelles de ces personnes.

Cependant, il est tout à fait clair que les activités de Lénine et celles de Staline en tant que dirigeants du parti et de l’État appartiennent à deux étapes différentes du développement de la révolution, étapes fondamentalement différentes l’une de l’autre.

La mort de Lénine a presque coïncidé avec la fin du début de la révolution européenne, de sorte que la tâche de gouverner le premier État prolétarien incombait à Staline à une époque d’encerclement total sur la scène mondiale, face à une base faible pour la construction du socialisme.

La percée d’un maillon faible de la chaîne capitaliste impliquait la faiblesse de la révolution elle-même (…).

Créant et unifiant l’appareil d’État et accomplissant simultanément la tâche d’une grande importance historique d’assurer le succès économique de notre pays pendant toute la période de construction des fondations du socialisme, Staline s’est appuyé sur l’appareil bureaucratique dans ses actions, il a lutté contre l’appareil bureaucratique avec son aide.

Et c’était précisément pour cette raison qu’il ne pouvait pas l’écraser complètement. Il a vu comment l’hydre bureaucratique grandissait, et malgré le fait qu’il lui coupait impitoyablement les têtes, elle les relevait encore et encore.

Dans sa lutte pour préserver la pureté révolutionnaire, il ne faisait confiance (et on peut difficilement dire qu’il n’avait aucune raison de le faire) à aucun de ceux qui l’entouraient (seul Molotov se montrait son digne compagnon d’armes).

La personnalité de Staline est véritablement une personnalité héroïque et sacrée. Staline apparaît dans l’histoire comme un exemple pour les révolutionnaires, comme un avertissement pour ceux qui hésitent et comme une terreur pour les ennemis.

La mort de Staline a libéré les mains de la bureaucratie (…).

Pour briser le système bureaucratique en URSS, il faut une organisation de révolutionnaires, il faut canaliser la colère du peuple vers la lutte des classes. Mais il n’est nul besoin de faire de découvertes pour cela.

Devant nous se trouve une voie bien tracée : celle de la restauration du parti prolétarien.

Après tout, le PCUS est aujourd’hui devenu une organisation tout à fait formelle, un magnifique canevas qui crée une apparence démocratique à travers laquelle la bureaucratie exerce réellement son pouvoir. Il est tout à fait clair que le nouveau parti véritablement prolétarien ne sera rien d’autre que le Parti communiste de toute l’Union (bolcheviks) restauré.

Quiconque est prêt à lutter contre la bureaucratie, quiconque apprécie de manière désintéressée les grandes victoires révolutionnaires de notre peuple doit s’engager avec audace et irrévocablement dans cette voie.

Notre heure a sonné.

De la création de cellules locales du PCUS(b) à leur fusion en une puissante avalanche invincible qui balayera la bureaucratie, telle est la voie que les communistes doivent suivre. Les activités des cellules du PCUS (b), la distribution de ses slogans et tracts devraient aboutir à une véritable lutte partisane.

La terre doit brûler sous les pieds des bureaucrates. Inutile de dire que cette lutte fera naître ses héros !

Les opportunistes, avec leur cynisme petit-bourgeois et leur méfiance à l’égard des gens, ne voient rien d’autre dans ce monde que leur propre intérêt matériel.

Cependant, l’héroïsme communiste et l’honnêteté de notre peuple sont sans limites. Suffoquant dans l’atmosphère suffocante de la pourriture bureaucratique, certains Soviétiques ont perdu leurs repères dans la vie.

Mais montrez-leur le bon chemin et ils commenceront à faire des miracles.

Aussi petites et impuissantes que puissent paraître les cellules du PCUS(b) au début de leurs activités, les organisateurs doivent clairement comprendre l’importance de leur propre initiative.

Leur persécution scandalisera sans aucun doute le peuple tout entier et opposera les masses aux bureaucrates ; et la bureaucratie ne sera pas en mesure d’y faire face. »

Il n’y eut pas d’autres informations sur cette organisation, qui sans doute fut écrasé dès le départ.

On voit cependant facilement que si la position est anti-révisionniste, il n’y a pas de compréhension de la dimension culturelle, du rapport villes-campagnes, du matérialisme dialectique, etc.

On en reste à une position de refus d’une tendance qui a déjà triomphé, ce qui ne permet pas d’avancer une perspective en propre.

Plus symptomatique sans doute, il y eut la mutinerie de la frégate lance-missile Storojevoï (Le Vigilant), en novembre 1975, conduite par le commissaire politique Valery Sabline. L’objectif de celui-ci était d’arriver à Leningrad au niveau du croiseur Aurora, d’où partit le tir à blanc d’un coup de canon indiquant la prise du palais d’Hiver en Octobre 1917.

Valery Sabline

Il entendait alors s’adresser à la presse et à la télévision pour dénoncer la corruption des dirigeants du pays et affirmer les valeurs léninistes. Le contenu de la déclaration est à peu près celui-ci :

« La direction du parti et le gouvernement soviétique ont trahi les principes de la révolution. Il n’y a ni liberté ni justice. La seule issue est une nouvelle révolution communiste.

Une révolution est un puissant mouvement de pensée sociale, c’est une poussée colossale de fluctuations ionosphériques, qui provoquera inévitablement l’activité des masses et s’incarnera dans un changement matériel dans l’ensemble de la formation socio-économique.

Quelle classe sera l’hégémonie de la révolution communiste ? Ce sera la classe de l’intelligentsia ouvrière et paysanne. La question centrale de la révolution est la question du pouvoir.

On suppose que l’appareil d’État actuel sera nettoyé et, à certains moments, démantelé et jeté dans les poubelles de l’histoire. Ces problèmes seront-ils résolus par la dictature de la classe dirigeante ? Nécessairement! Ce n’est que par la plus grande vigilance nationale que l’on pourra accéder à une société du bonheur ! »

Les mutins demandèrent à ce que le navire soit considéré comme indépendant de l’État et du Parti pour une année, qu’un des membres de l’équipage puisse prendre la parole à la télévision et à la radio chaque jour de 21h30 à 22h, que le navire puisse diffuser en permanence sur une chaîne de radio, que des provisions soient régulièrement apportées et que s’ils débarquent, les membres de l’équipage ne soient pas inquiétés.

Le navire a été bombardé et le capitaine du navire a pu reprendre le contrôle ; Valery Sabline a ensuite été rapidement fusillé et l’affaire bien entendu passé sous silence.

Cette affaire reflète indéniablement plus le sens de l’opposition qu’il y eut en URSS social-impérialiste.

On est dans l’incompréhension de ce qui se passe, on est dans la ligne de Nikita Khrouchtchev mais sans Nikita Khrouchtchev ; on ne veut pas de Staline qui semble déjà lointain, mais on voit bien que depuis sa mort les choses ont profondément changé.

C’est là qu’on voit que le révisionnisme, lorsqu’il a triomphé, a immédiatement obscurci toute possibilité d’une réaffirmation scientifique du marxisme-léninisme.

Le Parti était en effet porté par les cadres et la corruption de ceux-ci a abouti au sentiment d’installation ; lorsque Nikita Khrouchtchev dénonce Staline en 1956 au 20e congrès, l’affaire est pliée.

C’est en 1952, au 19e congrès, que la lutte des deux lignes était possible, lorsque le Parti a été réduit à une fonction « mécanique » dans la société, avec l’idée d’une paix mondiale générale. Mais là il n’y avait déjà plus que la droite et le centre, la gauche étant finalement épuisée, enlisée dans les activités de maintien en fonction du Parti et de l’État.

Sans une compréhension correcte de ce processus, on se focalise sur le 20e congrès et le développement d’une couche parasitaire, dont on ne sait pas trop s’il faut la dénoncer comme capitaliste ou comme bureaucratique.

C’est la raison pour laquelle le seul espace politique restant était une lecture gauchiste, à moins de se tourner ouvertement vers les pays occidentaux.

=> Retour au dossier sur le social-impérialisme soviétique

La fin juridique de l’URSS

L’élection de Boris Eltsine à la présidence de la Russie en juin 1991 suivait un référendum en mars de la même année. La question posée demandait de répondre s’il fallait maintenir l’URSS ou non.

Paradoxalement, le succès du oui fut immense. Sur les 185 647 355 de citoyens ayant le droit de vote, 148 574 606 personnes (80,03 %) ont voté, 113 512 812 ont répondu « Oui » (soit (76,4 %), et seulement 32 303 977 personnes ont répondu « Non » (21,74 %). Il y a eu 2 757 817 bulletins de vote nuls soit 1,86 %.

Le vote en faveur du maintien fut de 97,9 % au Turkménistan, 96,2 % au Tadjikistan, 93,3 % en Azerbaïdjan, 94,1 % au Kazakhstan, 93,7 % en Ouzbékistan, 82,7 % en Biélorussie, 70,2 % en Ukraine.

Plusieurs républiques n’ont par contre pas organisé le référendum, car elles avaient déclaré leur indépendance quelques mois auparavant déjà : l’Arménie, la Moldavie, la Lettonie, la Lituanie, l’Estonie, la Géorgie ; on y trouve par contre une part significative de personnes qui auraient voté oui.

Et ces chiffres sont d’autant plus importants pour les pays d’Asie centrale que de nombreuses émeutes avaient eu lieu en 1989 dans le cadre d’affrontements inter-ethniques. Pour l’Azerbaïdjan, c’est de grande signification également puisque l’armée soviétique était intervenue pour réprimer de manière sanglante des pogroms anti-arméniens à Bakou en janvier 1990.

On a ici une situation contradictoire où il y a une volonté populaire de maintenir l’URSS, alors que dans la pratique, les forces centrifuges l’emportaient de plus en plus, dans une atmosphère de fin d’empire.

Cette situation fit que les forces conservatrices se dirent qu’il fallait tenter le tout pour le tout. Ce fut la tentative de coup d’État du « Comité d’État pour l’état d’urgence » en août 1991.

Ce coup d’État visait à empêcher la signature d’un nouveau traité entre les républiques, qui mettait de facto fin à l’existence de l’URSS. Le référendum indiquait bien qu’il y avait une base populaire favorable à l’URSS et les putschistes espéraient au moins un soutien passif.

On trouvait qui plus est dans les rangs putschistes les plus hautes figures de l’appareil en place. On avait le chef du KGB Vladimir Kryouchkov, le ministre de l’Intérieur de l’URSS Boris Pugo, le ministre de la Défense de l’URSS Dmitry Yazov, le président du Soviet Suprême Anatoly Loukianov, le premier vice-président du Conseil de défense de l’URSS Dmitrievitch Baklanov, le premier ministre de l’URSS Valentin Pavlov, etc.

Voici la déclaration du Comité.

« DÉCLARATION

daté du 18 août 1991

En raison de l’impossibilité pour des raisons de santé de Mikhaïl Sergueïevitch Gorbatchev d’exercer les fonctions de président de l’URSS et du transfert, conformément à l’article 127 7 de la Constitution de l’URSS, des pouvoirs du président de l’URSS au vice-président de l’URSS Gennady Ivanovitch Yanaev ;

afin de surmonter la crise profonde et globale, la confrontation politique, interethnique et civile, le chaos et l’anarchie qui menacent la vie et la sécurité des citoyens de l’Union soviétique, la souveraineté, l’intégrité territoriale, la liberté et l’indépendance de notre patrie ;

sur la base des résultats du référendum national sur la préservation de l’Union des Républiques socialistes soviétiques ;

guidé par les intérêts vitaux des peuples de notre patrie, de tout le peuple soviétique,

Nous déclarons :

1. Conformément à l’article 127-3 de la Constitution de l’URSS et à l’article 2 de la loi de l’URSS « sur le régime juridique de l’état d’urgence », et répondant aux exigences de larges couches de la population quant à la nécessité de tirer le meilleur parti possible de l’état d’urgence. des mesures décisives pour empêcher la société de sombrer dans une catastrophe nationale, pour garantir l’ordre public, instaurer l’état d’urgence dans certaines régions de l’URSS pour une durée de 6 mois à partir de 4 heures, heure de Moscou, le 19 août 1991.

2. Établir que sur tout le territoire de l’URSS, la Constitution et les lois de l’URSS ont une suprématie inconditionnelle.

3. Pour gouverner le pays et mettre en œuvre efficacement l’état d’urgence, former le Comité d’État pour l’état d’urgence en URSS (GKChP URSS) dans la composition suivante : Baklanov O. D. – Premier vice-président du Conseil de défense de l’URSS, Kryuchkov V. A. – Président du KGB de l’URSS, Pavlov V.S. – Premier ministre de l’URSS, Pugo B.K. – Ministre de l’Intérieur de l’URSS, Starodoubtsev V.A. – Président de l’Union paysanne de l’URSS, Tizyakov A.I. Président de l’Association des entreprises d’État et de l’industrie, de la construction, des transports et des communications de l’URSS, D. T. Yazov – Ministre de la Défense de l’URSS, G. I. Yanaev – Par intérim Président de l’URSS.

4. Établir que les décisions du Comité d’État d’urgence de l’URSS doivent être strictement exécutées par tous les organes gouvernementaux et administratifs, les fonctionnaires et les citoyens sur tout le territoire de l’URSS.

Membres du Comité d’urgence de l’État
G. Yanaev,
V. Pavlov,
O. Baklanov »

Voici « l’appel au peuple soviétique » du même jour.

« Compatriotes ! Citoyens de l’Union soviétique !

Dans une heure difficile et critique pour le sort de la Patrie et de nos peuples, nous nous tournons vers vous ! Un danger mortel menace notre grande Patrie ! La politique de réformes lancée à l’initiative de M. S. Gorbatchev, conçue comme un moyen d’assurer le développement dynamique du pays et la démocratisation de la vie publique, est dans une impasse pour plusieurs raisons.

L’enthousiasme et les espoirs initiaux ont été remplacés par l’incrédulité, l’apathie et le désespoir. Les autorités à tous les niveaux ont perdu la confiance de la population. La politique a écarté de la vie publique la préoccupation pour le sort de la Patrie et du citoyen. On se moque de toutes les institutions de l’État. Le pays est devenu fondamentalement ingouvernable.

Profitant des libertés accordées, piétinant les nouveaux germes de la démocratie, des forces extrémistes ont émergé, ouvrant la voie à la liquidation de l’Union soviétique, à l’effondrement de l’État et à la prise du pouvoir à tout prix.

Les résultats du référendum national sur l’unité de la Patrie ont été piétinés. Les spéculations cyniques sur les sentiments nationaux ne sont qu’un écran pour satisfaire les ambitions.

Ni les troubles présents de leurs peuples ni leurs lendemains ne dérangent les aventuriers politiques. En créant un climat de terreur morale et politique et en essayant de se cacher derrière le bouclier de la confiance populaire, ils oublient que les liens qu’ils ont condamnés et rompus ont été établis sur la base d’un soutien populaire beaucoup plus large, qui a également passé l’épreuve de siècles d’histoire.

Aujourd’hui, ceux qui mènent essentiellement la cause du renversement de l’ordre constitutionnel doivent répondre devant leurs mères et pères de la mort de plusieurs centaines de victimes des conflits interethniques. Ils sont responsables du sort mutilé de plus d’un demi-million de réfugiés. À cause d’eux, des dizaines de millions de Soviétiques, qui hier encore vivaient dans une seule famille, ont perdu la paix et la joie de vivre et se retrouvent aujourd’hui exclus de leur propre foyer.

Ce que devrait être le système social devrait être décidé par le peuple, et ils tentent de le priver de ce droit.

Au lieu de se soucier de la sécurité et du bien-être de chaque citoyen et de la société dans son ensemble, les personnes aux mains desquelles se trouve le pouvoir l’utilisent souvent dans des intérêts étrangers au peuple, comme moyen d’affirmation de soi sans principes. Des flots de paroles, des montagnes de déclarations et de promesses ne font que souligner la pauvreté et la misère des affaires pratiques. L’inflation du pouvoir, plus terrible que toute autre, détruit notre État et notre société. Chaque citoyen ressent une incertitude croissante quant à l’avenir et une profonde anxiété quant à l’avenir de ses enfants.

La crise de l’électricité a eu un impact catastrophique sur l’économie. Le glissement chaotique et spontané vers le marché a provoqué une explosion d’égoïsmes – régionaux, départementaux, collectifs et personnels.

La guerre des lois et l’encouragement des tendances centrifuges ont abouti à la destruction d’un mécanisme économique national unique qui se développait depuis des décennies. Le résultat fut une forte baisse du niveau de vie de la grande majorité de la population soviétique, ainsi que l’essor de la spéculation et de l’économie souterraine.

Il est grand temps de dire la vérité aux gens : si vous ne prenez pas de mesures urgentes et décisives pour stabiliser l’économie, alors dans un avenir très proche, la famine et un nouveau cycle d’appauvrissement sont inévitables, dont un pas conduit à des manifestations massives de pauvreté spontanée. mécontentement aux conséquences dévastatrices.

Seules les personnes irresponsables peuvent espérer une aide de l’étranger. Aucune aumône ne résoudra nos problèmes ; le salut est entre nos mains. Le moment est venu de mesurer l’autorité de chaque personne ou organisation à l’aune de sa contribution réelle à la restauration et au développement de l’économie nationale.

Depuis de nombreuses années, de toutes parts, nous entendons des incantations sur l’engagement en faveur des intérêts de l’individu, le souci de ses droits et de la sécurité sociale. En réalité, la personne s’est retrouvée humiliée, privée de droits et d’opportunités réels et plongée dans le désespoir.

Sous nos yeux, toutes les institutions démocratiques créées par la volonté populaire perdent de leur poids et de leur efficacité. C’est le résultat des actions délibérées de ceux qui, en bafouant grossièrement la Loi fondamentale de l’URSS, mènent en réalité un coup d’État anticonstitutionnel et aspirent à une dictature personnelle effrénée. Les préfectures, les mairies et autres structures illégales remplacent de plus en plus les soviets élus par le peuple.

Il y a une attaque contre les droits des travailleurs. Les droits au travail, à l’éducation, aux soins de santé, au logement et aux loisirs sont remis en question.

Même la sécurité personnelle fondamentale des personnes est de plus en plus menacée. La criminalité croît rapidement, est organisée et politisée. Le pays plonge dans l’abîme de la violence et de l’anarchie. Jamais dans l’histoire du pays la propagande sexuelle et violente n’a été d’une telle ampleur, menaçant la santé et la vie des générations futures. Des millions de personnes réclament des mesures contre le poulpe du crime et de l’immoralité flagrante.

La déstabilisation croissante de la situation politique et économique en Union soviétique mine notre position dans le monde. Dans certains endroits, des notes de revanchisme ont été entendues et des demandes ont été faites pour réviser nos frontières. Des voix s’élèvent même sur le démembrement de l’Union soviétique et la possibilité d’établir une tutelle internationale sur des objets et des régions individuels du pays. C’est la triste réalité. Hier encore, un Soviétique qui se trouvait à l’étranger se sentait comme un digne citoyen d’un État influent et respecté. Il est aujourd’hui souvent un étranger de seconde zone, dont le traitement porte le sceau du dédain ou de la sympathie.

La fierté et l’honneur du peuple soviétique doivent être pleinement restaurés.

Le Comité d’État pour l’état d’urgence et l’URSS est pleinement conscient de la profondeur de la crise qui frappe notre pays, il assume la responsabilité du sort de la Patrie et est déterminé à prendre les mesures les plus sérieuses pour amener l’État et la société sortir de la crise le plus rapidement possible.

Nous promettons d’organiser un large débat national sur le projet de nouveau traité sur l’Union. Chacun aura le droit et l’opportunité, dans une atmosphère sereine, de comprendre cet acte très important et de prendre une décision à ce sujet, car de ce que deviendra l’Union dépendra le sort de nombreux peuples de notre grande Patrie.

Nous avons l’intention de rétablir immédiatement l’ordre public, de mettre fin à l’effusion de sang, de déclarer une guerre sans merci au monde criminel et d’éradiquer les phénomènes honteux qui discréditent notre société et humilient les citoyens soviétiques. Nous débarrasserons les rues de nos villes des éléments criminels et mettrons fin à la tyrannie des pilleurs de biens populaires.

Nous défendons des processus véritablement démocratiques, une politique cohérente de réformes conduisant au renouveau de notre patrie, à sa prospérité économique et sociale, qui lui permettront de prendre la place qui lui revient dans la communauté mondiale des nations.

Le développement du pays ne doit pas reposer sur une baisse du niveau de vie de la population. Dans une société saine, l’amélioration continue du bien-être de tous les citoyens deviendra la norme.

Tout en restant déterminés à renforcer et à protéger les droits individuels, nous nous concentrerons sur la protection des intérêts des segments les plus larges de la population, ceux qui sont les plus durement touchés par l’inflation, les perturbations industrielles, la corruption et la criminalité. En développant la nature multistructurelle de l’économie nationale, nous soutiendrons également l’entreprise privée, en lui offrant les opportunités nécessaires au développement de la production et du secteur des services.

Notre première priorité sera de résoudre les problèmes de nourriture et de logement. Toutes les forces disponibles seront mobilisées pour répondre à ces besoins les plus pressants de la population.

Nous appelons les ouvriers, les paysans, l’intelligentsia ouvrière et l’ensemble du peuple soviétique à rétablir au plus vite la discipline et l’ordre du travail, à élever le niveau de production, puis à avancer de manière décisive. De cela dépendent notre vie et l’avenir de nos enfants et petits-enfants, le sort de la Patrie.

Nous sommes un pays épris de paix et nous respecterons strictement toutes nos obligations. Nous n’avons aucune réclamation contre qui que ce soit. Nous voulons vivre avec tous dans la paix et l’amitié, mais nous déclarons fermement que personne ne sera jamais autorisé à empiéter sur notre souveraineté, notre indépendance et notre intégrité territoriale. Toute tentative de parler avec notre pays dans le langage de la dictature, d’où qu’elle vienne, sera résolument réprimée.

Notre peuple multinational a vécu pendant des siècles dans la fierté de sa patrie ; nous n’avons pas honte de nos sentiments patriotiques et considérons qu’il est naturel et légitime d’élever dans cet esprit les générations actuelles et futures de citoyens de notre grande puissance.

Ne pas agir à cette heure critique pour le sort de la Patrie signifie assumer la lourde responsabilité de conséquences tragiques et véritablement imprévisibles.

Tous ceux qui chérissent notre Patrie, qui veulent vivre et travailler dans une atmosphère de calme et de confiance, qui n’acceptent pas la poursuite de conflits interethniques sanglants, qui voient leur Patrie à l’avenir comme indépendante et prospère, doivent faire le seul bon choix.

Nous appelons tous les vrais patriotes et toutes les personnes de bonne volonté à mettre un terme à la période de troubles actuelle.

Nous appelons tous les citoyens de l’Union soviétique à prendre conscience de leur devoir envers la patrie et à apporter leur plein soutien au Comité d’État pour l’état d’urgence en URSS et aux efforts visant à sortir le pays de la crise.

Les propositions constructives des organisations sociopolitiques, des collectifs de travail et des citoyens seront acceptées avec gratitude comme manifestation de leur volonté patriotique de participer activement à la restauration de l’amitié séculaire au sein d’une seule famille de peuples frères et à la renaissance de la Patrie. »

Ce fut toutefois un échec lamentable, en trois jours, avec notamment Boris Eltsine qui prit la tête de l’opposition populaire, massive à Moscou.

C’est que les forces conservatrices avaient perdu toute assise réelle, d’une part, dans le cadre de l’effondrement économique du pays. Et leur seul programme réel était le maintien de l’URSS, sans perspective concrète, d’autre part.

Les forces armées n’ont donc pas résisté à la pression dans les rues de Moscou, alors qu’ils faisaient face à des dizaines de milliers de personnes. Les dirigeants du coup d’État ont également tergiversé et ainsi contribué à la désintégration du mouvement, sans compter qu’ils n’ont jamais osé décider de lancer l’assaut armé pour capturer Boris Eltsine.

Mikhaïl Gorbatchev, lui, était au courant de la tentative de coup d’État et avait sans doute été du parti d’attendre sa victoire, afin de pouvoir apparaître comme une force centriste et modérée si le coup d’État avait réussi.

Dans la pratique, il s’était en fait surtout effacé politiquement, ce que le « Comité d’État pour l’état d’urgence » comprit trop tard.

La nostalgie, tout ce qui restait finalement, ne suffisait pas. On a ici un exemple parlant de soutien au coup d’État fut celui de Sergueï Akhromeïev. Il fut un héros pendant la seconde guerre mondiale impérialiste, il fut ensuite une figure dirigeante de premier plan, notamment le chef d’état-major général des forces armées de l’URSS, de 1984 à 1988, date où il démissionna.

Sergueï Akhromeïev ne fut pas mis au courant de la mise en place du Comité et il était en vacances à Sotchi au moment du coup d’État. Il rejoignit Moscou de sa propre initiative pour le soutenir, sans croire aux possibilités de victoire pour autant, et se suicida à la suite de l’échec.

Ce fut alors la fin du Parti Communiste d’Union Soviétique. Il s’ensuivit, en effet, la dissolution de son Comité Central et la suspension de toutes ses activités. L’État russe dirigé par Boris Eltsine prenait en même temps le commande sur tous les organes de sécurité.

Boris Eltsine obtint alors en novembre 1991, pour un an et un mois, des pouvoirs d’urgence, qu’il utilisa pour mettre en place une série de décrets. Et en décembre 1991, il signa ainsi l’Accord sur la création de la Communauté des États indépendants, prévu pour août initialement mais bloqué par la tentative de coup d’État.

Cela mettait un terme à l’existence de l’URSS.

=> Retour au dossier sur le social-impérialisme soviétique

L’effondrement économique de l’URSS à la fin des années 1980

Lors de sa crise finale, à la toute fin des années 1980, l’URSS social-impérialiste dut en catastrophe généraliser le système des bons alimentaires jusqu’ici employés seulement dans certaines villes et régions du pays.

Le succès était très relatif : les pénuries se sont généralisées dans le pays, à l’exception de Moscou et de Leningrad, et encore car on y vient parfois de loin pour essayer de s’approvisionner.

Tout manquait : le papier toilette, les fruits importés, des fruits non importés tels les raisins et les poires, le lait concentré, le beurre, la viande et notamment les saucisses, le café instantané, le cacao et le chocolat, le papier peint, le carrelage, la plomberie, les meubles, les tapis, les vases en cristal (un « classique » soviétique), le papier toilette, les journaux et les magazines, les préservatifs et les pilules contraceptives, les chaussures, les montures de lunettes, les télévisions et les magnétoscopes, les cassettes audios et vidéos, les aspirateurs, les machines à laver, les réfrigérateurs, les pièces de rechange pour voiture et les principales voitures, le savon et le dentifrice, les médicaments…

À la fin des années 1980, on en est à vendre individuellement ou dans des pots d’un litre des mégots de cigarettes récupérés par terre.

Timbre célébrant en 1988 la coopération spatiale franco-soviétique

Mikhaïl Gorbatchev avait tenté de redresser la barre, en accentuant la décentralisation pour essayer de régénérer le capitalisme existant depuis 1953 mais étouffé par le cadre général monopoliste d’État.

Une loi Sur l’activité de travail individuelle fut ainsi adoptée le 19 novembre 1986, qui admettait pour la première fois l’activité d’auto-entrepreneur. Celle-ci était jusque-là violemment réprimée lorsqu’elle se faisait remarquer.

On peut désormais travailler comme auto-entrepreneur pour les produits artisanaux, tout ce qui est service aux consommateurs, les formations, les arts et métiers populaires.

Il y eut ensuite un décret du Présidium du Soviet suprême de l’URSS Sur les questions liées à la création sur le territoire de l’URSS et aux activités de coentreprises, d’associations et d’organisations internationales avec la participation des Soviétiques et organisations, entreprises et organes directeurs étrangers, le 13 janvier 1987.

Cela permettait la mise en place, à condition que la participation soviétique soit d’au moins 50 %, d’entreprises « mixtes » avec des fonds d’autres pays : d’occident, du tiers-monde ou du bloc de l’Est.

Mikhaïl Gorbatchev

La loi Sur les entreprises d’État du 30 juin 1987 fit en sorte que les entreprises n’aient plus à suivre les exigences de la planification, et qu’en accord avec l’État elles puissent mener des activités économiques en toute indépendance.

Finalement, la loi Sur la propriété fut mise en place en mars 1990, légalisant la propriété privée à tous les niveaux, et le 13 juin 1990 le Conseil suprême de l’URSS adopta une résolution Sur le concept de transition vers une économie de marché réglementée.

S’ensuivit le 8 août 1990 une résolution du Conseil des ministres de l’URSS Sur les mesures visant à créer et à développer les petites entreprises, légalisant toutes les petites entreprises avec toutes les formes de propriété dans tous les secteurs économiques.

Il y eut alors la tentation de forcer le passage au capitalisme. Une figure importante ici est Boris Eltsine. Il a le même profil que Mikhaïl Gorbatchev, il est d’ailleurs né la même année.

Boris Eltsine

Boris Eltsine est rentré au Comité Central du Parti Communiste d’Union Soviétique en 1981, et lorsque Mikhaïl Gorbatchev a été nommé à la tête du PCUS en 1985, lui-même est devenu responsable du Comité municipal du Parti à Moscou.

En octobre 1987, il a tenu un discours de cinq minutes dénonçant la lenteur de la « perestroïka » et demandant à ce qu’on le démette de son poste à Moscou, ainsi que d’une candidature pour le Bureau Politique.

Boris Eltsine se présenta ainsi comme le chef de file de l’aile la plus réformatrice ; il fut effectivement mis de côté. S’il resta un cadre éminent, il eut des « mésaventures » comme un accident d’avion ou le fait d’être jeté dans un fleuve depuis un pont ; à cela s’ajoute des épisodes d’alcoolisme.

Le résultat fut qu’en mai 1990, il fut élu président du Conseil suprême de la République soviétique de Russie. En juin 1990, cette dernière se déclare indépendante des décisions de l’URSS, et en juillet Boris Eltsine démissionne du PCUS.

Mikhaïl Gorbatchev n’était pas fondamentalement opposé à Boris Eltsine, qu’il aurait aimé avoir à ses côtés comme représentant de l’aile la plus radicale dans les réformes. Néanmoins, Boris Eltsine ne cessait de dénoncer Mikhaïl Gorbatchev, y voyant une opportunité et considérant que les carottes étaient cuites.

Une tentative d’accord fut effectué en 1990 entre les deux, avec la nomination de Grigori Yavlinski , président de la Commission d’État pour la réforme économique, pour mettre en place un programme de 500 jours.

Cela prévoyait un passage brutal au capitalisme, tout en maintenant une URSS se résumant à une monnaie unique, un droit commun, une défense commune.

Mikhaïl Gorbatchev, qui tentait de concilier l’aile conservatrice, refusa le projet et Boris Eltsine précipita les choses. Une élection présidentielle eut lieu en Russie le 12 juin 1991, emporté par 58,56 % des voix contre le candidat du PCUS Nikolaï Ryjkov, qui n’obtint que 17,22 % des voix.

=> Retour au dossier sur le social-impérialisme soviétique

Mikhaïl Gorbatchev, l’alcool et la catastrophe de Tchernobyl

Quelques jours après que Mikhaïl Gorbatchev devient secrétaire général du Parti Communiste d’Union Soviétique le 11 mai 1985, commence une campagne de grande envergure. C’est la campagne anti-alcool qui s’ouvre le 17 mai 1985.

Quelques jours auparavant, le 7 mai 1985 avaient été adoptées la résolution du Comité Central du PCUS Sur les mesures visant à vaincre l’ivresse et l’alcoolisme et celle du Conseil des ministres de l’URSS Sur les mesures visant à vaincre l’ivresse et l’alcoolisme, l’éradication de l’alcool de contrebande.

On a affaire ici à un phénomène très particulier, ayant un double caractère très prononcé. En effet, si on regarde les chiffres, l’URSS n’affronte pas un réel problème avec l’alcool puisque sa consommation par habitant en litre pur n’est pas pire que celle d’autres pays. La France consomme bien plus d’alcool par exemple.

Pays19751980
URSS9,9 litres10,5 litres
Autriche11,1 litres11,0 litres
Italie14,9 litres13,9 litres
France17,3 litres15,8 litres

Mais il faut avoir un regard idéologique et culturel. Et là on voit que l’alcool est consommé massivement depuis le triomphe du révisionnisme. En 1952, on en était à la consommation de deux litres purs par habitant, soit cinq fois moins.

L’explosion de la consommation d’alcool correspond donc à une mentalité décadente, liée à l’absentéisme, au dédain dans le travail, voire au crime.

Entre 1973 et 1983, les crimes violents ont bondi de 58 %, les vols de 100 %, les cambriolages et la corruption de 200 %, et on parle ici de statistiques officielles.

C’est une véritable mentalité qui se développe en URSS social-impérialiste alors. Tout le monde en avait conscience et l’existence d’une production clandestine d’alcool était alors tout à fait connue. On est donc plus à 14 litres que 10,5 de litre pur par habitant.

Affiche dénonçant la « honteuse association entre la fainéantise et la vodka »

Ce n’est pas tout. L’alcool consommé en URSS social-impérialiste, c’était la vodka. Si on prend la fin des années 1970, en France on consommait 6 litres de boissons fortes, 90 litres de vin, 44 litres de bière, et en URSS au même moment 11 litres de boissons fortes, 19 litres de vin, et 23 litres de bière.

Ce que cela sous-tend, si on prend l’opposition entre quantité et qualité, c’est que l’alcool fort était en URSS l’apanage d’une minorité en pleine déroute sociale, par opposition à un alcool de masse diffus en France.

Néanmoins, dans la période 1980-1984, l’alcool fort recule un peu, alors que la consommation de vin et de bière augmente.

Cela étant, les mesures de mai 1985 eurent un effet énorme. Déjà, la production d’alcool a grandement reculé, de moitié entre 1985 et 1988.

Si c’est une bonne chose, de par la hausse nette de l’espérance de vie qui est notable, il y a un problème pour l’État : les recettes fiscales sur l’alcool ont naturellement connu un effondrement. Or, cela constituait autour de 12 % des revenus de l’État !

Et parallèlement, la production illégale d’alcool et sa contrebande se sont renforcées. On parle ici d’une activité clandestine formant autour de 2,2 % du PIB. Preuve de son développement, entre 1985 et 1987, la consommation de sucre passe 7, 85 millions de tonnes à 9,28 millions de tonnes (le sucre renforce la teneur en alcool lors de la fermentation – le fait d’en ajouter dans l’alcool déjà produit en pensant le renforcer en est le fétichisme ).

« Et personne ne sait raisonner un tel expert »

Il faut ajouter à cela une grande croissance de la consommation de colle de la marque BF (sous le surnom de « Boris Federovitch »), de produits pour nettoyer les vitres, d’eau de Cologne, de dentifrice (qui est séchée sur le pain qui absorbe l’alcool), d’insecticide de la marque Dichlorvos.

La conséquence du maintien grandissant du trafic clandestin fit que, à partir de 1987, la campagne anti-alcool est obligé de reculer et de céder de nouveau à la consommation de masse.

Cette question de l’alcool posait bien sûr un problème de fond, affaiblissant le tissu social ; la catastrophe de Tchernobyl vint véritablement poser un clou dans le cercueil des ambitions du social-impérialisme soviétique.

Le 26 avril 1986, un accident majeur se produisit en effet dans le réacteur numéro 4 de la centrale nucléaire V.I. Lénine de Tchernobyl, à quelques kilomètres de la ville de Pripyat, en Ukraine. Une zone d’exclusion a été mise en place, le réacteur ayant été détruit et des substances radioactives rejetées dans l’environnement.

115 000 personnes ont été déplacées, 500 000 ont participé à différents degrés aux opérations pour stopper la catastrophe, qui s’est déroulé lors d’un test majeur, alors qu’il y avait un défaut de conception majeur dans le processus de refroidissement.

Cela a eu comme conséquence de provoquer une réaction incontrôlée du réacteur, avec une explosion défonçant les 2 000 tonnes de la dalle de béton le recouvrant, le cœur du réacteur se fracturant ensuite avec les débris.

Plus de quinze jours plus tard, Mikhaïl Gorbatchev prononça une allocution télévisée de 45 minutes racontant l’ampleur du drame. Entre mai et novembre 1986, un abri recouvrant le quatrième réacteur est construit, au moyen de 400 000 mètres cubes de mélange de béton et de 7 000 tonnes de structures métalliques.

De manière délirante, les trois autres réacteurs ont continué d’être utilisés jusqu’en décembre 2000. Commencé en 2010 et fini en 2019, financé par la Commission européenne et réalisé conjointement par Vinci et Bouygues, un nouveau sarcophage a été mis en place. Coûtant 1,5 milliard d’euros, il pèse 31 000 tonnes.

La catastrophe a porté un coup fatal à l’URSS social-impérialiste. Outre les centaines de milliers de cas de cancers sur plusieurs décennies dans une zone contaminée allant par ailleurs jusqu’à la France, s’occuper de la centrale pour l’isoler a coûté une fortune et fourni une exigence se présentant pour une longue période.

Il faut ajouter à cela que cinq millions d’hectares de terres ont été retirés de l’agriculture, alors qu’ont été suspendues la construction et la conception de dix nouvelles centrales nucléaires.

L’URSS social-impérialiste vivait déjà à crédit, la catastrophe de 1986 scellait son destin.

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Mikhaïl Gorbatchev et la visite à Londres en 1984

Mikhaïl Gorbatchev a reçu le prix Nobel de la paix en 1990, une preuve de son excellente image dans les pays occidentaux. Il est par contre du point de vue de l’URSS l’accompagnateur de l’effondrement.

Cependant, il ne faut pas considérer que Mikhaïl Gorbatchev est arrivé au pouvoir en 1985 et a constaté une situation qui l’a dépassé, notamment avec la catastrophe de Tchernobyl. Sa nomination même est le fruit de la fin de la génération de Léonid Brejnev.

La preuve de cela, c’est que sa démarche a été présentée dès 1984, lors d’un voyage à Londres. Mikhaïl Gorbatchev y est allé en tant que président de la Commission des Affaires étrangères, à la tête d’une délégation, mais c’était Margaret Thatcher, à la tête du gouvernement britannique, qui avait tout fait pour le faire venir spécifiquement.

Margaret Thatcher cherchait un jeune responsable soviétique, et Mikhaïl Gorbatchev, né en 1931, était présenté du côté de certains « soviétologues » comme le principal chef de file de la nouvelle génération.

Mikhaïl Gorbatchev fut accueilli comme un vrai chef d’État, et la rencontre entre Margaret Thatcher fut à la fois pleine de confrontation et de recherche de convergence. Cela se déroula à Chequers, la résidence de villégiature du Premier ministre du Royaume-Uni non loin de Londres.

Du côté britannique, outre Margaret Thatcher, il y avait notamment le ministre de l’Intérieur William Whitelaw, le ministre des Affaires étrangères Geoffrey Howe, le secrétaire à la Défense Michael Heseltine.

Du côté soviétique, Mikhaïl Gorbatchev était venu avec toute une série de hauts responsables divers, mais surtout le théoricien militaire membre de l’état-major Nikolaï Chervov, tourné vers la réduction des armements, et de Léonid Zamyatin, secrétaire de la Commission des affaires étrangères du Conseil des nationalités, chef du département du Comité central du PCUS, futur ambassadeur à Londres.

Mikhaïl Gorbatchev eut un succès extraordinaire auprès de Margaret Thatcher, qui s’empressa de le mettre en avant auprès de Ronald Reagan. Trois mois plus tard, ce dernier prenait la tête du Parti Communiste d’Union Soviétique, et il est évident que le jeu d’ouverture à l’occident qui avait ici réussi avait grandement contribué à sa nomination.

De manière très notable, cet épisode est totalement passé sous silence du côté occidental. Il montre pourtant, historiquement, que le social-impérialisme soviétique a capitulé en décembre 1984, ce qui a été avalisé par la nomination de Mikhaïl Gorbatchev.

Celui-ci, dès la visite à Londres, mit en avant une « nouvelle pensée politique », dont les idées principales sont les suivantes.

Il faut rendre transparent les niveaux de décisions et cesser les interventions intempestives dans la société, les sciences, les arts, l’enseignement, etc. Il faut aller plus loin dans l’autonomisation des entreprises en leur accordant de suivre une « comptabilité analytique » consistant à s’aligner sur la loi du marché.

C’est la glasnost (transparence) et la restructuration (perestroïka).

Il faut s’ouvrir résolument aux pays occidentaux, cesser totalement toute ligne d’opposition idéologique, promouvoir une ligne d’accord mondial pour les différents problèmes.

C’est parce qu’il représentait cette ligne que Mikhaïl Gorbatchev a été nommé à la tête du Parti Communiste d’Union Soviétique.

C’était une expression de capitulation : l’URSS social-impérialiste cessait toute ambition à l’hégémonie mondiale, mais demandait le maintien de son existence.

Mikhaïl Gorbatchev formula ces principes dans un ouvrage publié en 1987, La perestroïka et la nouvelle pensée politique, et tint un discours à l’ONU en 1988 pour les réaffirmer.

Lors de ce discours, il annonça également le retrait pratiquement global des forces armées soviétiques des pays de l’Est européen. On est clairement dans une perspective d’accord avec les pays occidentaux : l’URSS recule, mais en échange elle demande une place.

« Aujourd’hui, je peux vous dire ceci : l’Union soviétique a décidé de réduire ses forces armées. Au cours des deux prochaines années, leur nombre diminuera de 500 000 personnes et le volume des armes classiques sera également considérablement réduit.

Ces réductions seront effectuées unilatéralement, sans lien avec les négociations au titre du mandat de la réunion de Vienne.

En accord avec nos alliés du Pacte de Varsovie, nous avons décidé de retirer d’ici 1991 six divisions blindées de RDA, de Tchécoslovaquie et de Hongrie et de les dissoudre.

Des groupes de troupes soviétiques situés dans ces pays, des unités d’assaut aérien et un certain nombre d’autres formations et unités, y compris des unités de transport aéroporté, dotées d’armes et d’équipements militaires seront également retirées.

Les troupes soviétiques dans ces pays seront réduites de 50 000 personnes et les armes de 5 000 chars.

Toutes les divisions soviétiques restant sur le territoire de nos alliés seront réorganisées. Ils reçoivent une structure différente de celle d’aujourd’hui qui, après un retrait important de chars, devient sans ambiguïté défensive.

Dans le même temps, nous réduirons le nombre de soldats et le nombre d’armes dans la partie européenne de l’URSS.

Au total, dans cette partie de notre pays et sur le territoire de nos alliés européens, les forces armées soviétiques seront réduites de 10 000 chars, 8 500 systèmes d’artillerie et 800 avions de combat.

Au cours de ces deux années, nous réduirons également considérablement la taille des forces armées dans la partie asiatique du pays. En accord avec le gouvernement de la République populaire mongole, une partie importante des troupes soviétiques temporairement stationnées là-bas retourneront dans leur pays d’origine. »

Cette capitulation du social-impérialisme soviétique était assumée et il n’y a pas eu d’opposition. La figure principale aux côtés de Mikhaïl Gorbatchev fut Alexandre Iakovlev, qui comptait aller le plus rapidement possible dans les réformes.

C’est que le régime est alors à bout de souffle, et pour les gens comme Alexandre Iakovlev, le réformer est pratiquement impossible : il faut s’en sortir d’une manière ou d’une autre.

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La tentative d’expansion militaire de l’URSS social-impérialiste

Les pénuries étaient déjà une difficulté, la crise fondamentale de l’agriculture présentait par contre un défi. Il fallait donc élargir le champ opératoire du capitalisme monopoliste d’État pour le maintenir.

Le social-impérialisme soviétique a en ce sens été très actif à l’extérieur du pays. Il y a deux raisons à cela.

La première, c’est que l’URSS profite de tous les rapports qui ont existé auparavant dans le cadre socialiste.

L’URSS socialiste était au cœur du Mouvement Communiste International, et celui-ci s’aligne d’ailleurs sur le révisionnisme. Il y a donc une implication directe dans des affaires internationales et l’URSS social-impérialiste va profiter de tous les réseaux existants pour influencer en sa faveur.

La seconde, c’est que l’URSS développe des ambitions toujours plus grandes. Il va y avoir au fur et à mesure un étalage toujours plus massif des activités soviétiques.

Le défi se pose de toutes façons dès le départ. L’insurrection de 1956 à Budapest était clairement portée par les forces anticommunistes en Hongrie, même s’il y avait le soutien du traître Imre Nagy et d’autres au sein du Parti là-bas.

Il fallait ainsi soit accepter de se faire éjecter du pays, avec un régime anti-URSS se formant, soit écraser militairement avec célérité. Et cela posait tout de suite le paradoxe : Nikita Khrouchtchev avait supprimé la ligne socialiste, instauré le libéralisme, et cela produisait tout de suite des troubles massifs.

Il y eut exactement le même cas de figure en 1968 en Tchécoslovaquie, sauf que cette fois les forces antisoviétiques relevaient du Parti Communiste de ce pays, se tournant vers un libéralisme prononcé.

Cela donna naissance à ce qui fut appelé la « doctrine Brejnev », qui consiste à poser une souveraineté limitée aux pays du bloc de l’Est. Et l’URSS ne parvint jamais à établir d’autres types de relations que difficiles ou conflictuelles avec l’ensemble de ces pays.

La Roumanie, avec Nicolae Ceaușescu, condamna par exemple ouvertement l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie. Mais plus généralement, il y avait une grande méfiance générale, surtout pour savoir si des pays comme la Pologne ou la Tchécoslovaquie agiraient comme on pourrait s’y attendre en cas de conflit avec l’Otan.

Un fait marquant fut la loi martiale en Pologne, de 1981 à 1983, instauré par Conseil militaire de salut national avec à sa tête le général Jaruzelski. Si l’URSS s’était abstenue d’intervenir directement, le régime militaire en place était clairement son émanation.

Il y avait ici une dimension très problématique dans les rapports avec les autres pays du bloc de l’Est, qui tient clairement à ce que le KGB en soit le principal agent. C’est d’ailleurs lui qui supervise tant l’intervention à Budapest en 1956 que celle à Prague en 1968.

Seule la Bulgarie, dont l’armée fut massivement armée pour faire face éventuellement à la Grèce et à la Turquie, ainsi que la République Démocratique Allemande, furent réellement considérées comme relativement fiables. Cela ne pouvait suffire.

À la question militaire se joignait la question économique. Il y avait le Pacte de Varsovie (en fait le Traité d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle), mais également le Comecon, le Conseil d’assistance économique mutuelle ou Conseil d’aide économique mutuelle.

Le symbole du Comecon

Ce réseau économique des pays liés à l’URSS, le bloc de l’Est plus Cuba à partir de 1972 puis le Vietnam à partir de 1978, devait initialement permettre une meilleure coordination de la planification. En pratique, cela devint progressivement un outil de dépendance forcée par rapport aux productions soviétiques.

Cela ne profita toutefois pas réellement à l’URSS social-impérialiste, pour deux raisons. Tout d’abord, même si elle était gagnante, elle n’avait rien à acheter dans ces pays. De 1975 à 1985, elle amassa 15 milliards de roubles transférables, sans pouvoir rien en faire.

Ensuite, elle leur fournissait du pétrole à un prix moindre que le marché mondial, ce qui ne l’arrangeait pas alors que cela devenait une source majeure de revenus.

Qui plus est, les faiblesses du Comecon appuyèrent d’autant plus la dépendance avec les pays occidentaux. En 1975, ceux-ci représentaient 25 % des exportations totales et plus de 35 % des importations du Comecon. En 1979, 800 multinationales étaient présentes dans les pays du Comecon.

En URSS même, la même année, 600 centres économiques (gaz, pétrole, chimie, charbon, papier, métallurgie…) étaient liés pour entre 30 et 60 % à la vente de biens aux pays occidentaux. L’URSS devait 19 milliards de dollars aux pays occidentaux, les pays du Comecon 56 milliards.

Avec l’effondrement général, le Comecon représentait seulement 9 % de la production mondiale, contre 57 % pour les pays occidentaux.

Le dirigeant palestinien Yasser Arafat et Léonid Brejnev

L’URSS social-impérialiste se tournait, de toutes façons, davantage vers le tiers-monde. Le grand espoir de Léonid Brejnev, c’était le basculement de plusieurs pays du côté de l’URSS.

L’idée était que l’URSS social-impérialiste, profitant de son aura « révolutionnaire », reçoive l’appui de nouveaux « États nationaux » en quête d’indépendance et passant, dans les faits, dans l’orbite soviétique.

De là vient le soutien généralisé en Afrique, en Asie et en Amérique latine à différents mouvements de guérilla, en plus du soutien aux Partis Communistes agissant par contre légalement dans les situations « calmes ».

L’URSS misa notamment beaucoup sur deux zones particulières : l’Amérique centrale, avec le FSLN au Nicaragua et le FMLN au Salvador, et le Sud de l’Afrique, avec l’ANC en Afrique du Sud, le MPLA en Angola et la SWAPO en Namibie.

Dans les deux cas, on retrouve Cuba, une caricature de pays semi-colonial soumis au social-impérialisme soviétique, avec son Parti Communiste fondé par Fidel Castro après seulement que le gouvernement pro-américain ait été chassé.

Cuba servit en effet d’interface, soit avec des conseillers et des armes, soit avec des troupes puisque 300 000 soldats cubains allèrent en Angola pour soutenir le régime du MPLA contre l’intervention militaire sud-africaine.

Soldats cubains et soviétiques en Angola

Cela ne produisit cependant jamais les résultats escomptés. Si les guérillas à travers le monde s’alignaient toujours sur l’une ou l’autre des superpuissances – sauf si elles suivaient la ligne d’indépendance et d’autosuffisance, en adoptant le maoïsme – la superpuissance impérialiste américaine avait suffisamment de moyens pour geler les situations ou provoquer des contre-guérillas.

C’est le cas par exemple au Mozambique, où le FRELIMO pro-soviétique l’emporta en 1977, mais dut affronter pendant 15 ans le RENAMO pro-américain. Un autre exemple fut le Cambodge, qui fut envahi par le Vietnam et passa sous orbite soviétique, mais connut alors la guérilla des khmers rouges soutenue par la superpuissance impérialiste américaine et la Chine révisionniste.

Même lorsque l’URSS social-impérialiste décida en 1979 directement d’envahir l’Afghanistan, afin de s’en assurer totalement le contrôle par sa propre armée, la superpuissance impérialiste américaine fut en mesure d’alimenter une guérilla, celle des Moudjahidines, qui fut suffisamment puissante pour empêcher un réel contrôle du pays.

Si l’URSS ne perdit que 15 000 soldats en Afghanistan, avec plus de 50 000 blessés, son prestige militaire fut particulièrement touché, et le bourbier s’étala de 1979 à 1989, provoquant d’effroyables pertes civiles (entre 600 000 et 2 millions de morts).

L’armée soviétique en Afghanistan

S’ajoute à cela que sa nature social-impérialiste fut désormais flagrante, ce qui avait déjà été net pour beaucoup avec les accusations chinoises, menant par ailleurs à une situation à deux doigts de la guerre généralisée lors d’accrochages à la frontière sino-soviétique en 1969.

La visite du président américain Richard Nixon à Pékin en 1972 enfonçait d’ailleurs le clou à ce niveau, la Chine populaire de Mao Zedong parvenant à échapper à son isolement et à éviter que les deux superpuissances ne se tournent contre elle.

Du point de vue soviétique, la problématique sur sa façade orientale commençait donc à être sérieuse, alors qu’il y avait l’espoir d’avoir les mains totalement libres pour agir du côté occidental.

On a ici la question des moyens employés et le poids américain en termes militaires, économiques, diplomatiques, idéologiques, financiers… était tout simplement trop grand. Un autre exemple était l’Égypte. L’URSS l’avait massivement soutenue lors d’une prise de contrôle semi-féodale, mais en 1976 la superpuissance impérialiste américaine reprit le dessus et en chassa les Soviétiques.

On est là dans les révolutions de palais, les batailles de factions au sein de la bourgeoisie bureaucratique, pour une allégeance à telle ou telle superpuissance. Les moyens américains étaient incommensurablement plus grands.

Si un mouvement avait besoin de matériels pour commencer des troubles du type armé ou un parti déjà au pouvoir avait besoin d’un appui militaire, il pouvait compter sur l’URSS social-impérialiste.

Il y a par exemple, pour les fournitures soviétiques, la Libye dont le nombre de tanks et de véhicules blindés passa de 175 en 1971 à 4 400 en 1983, et le Yémen du Sud ont le même matériel passe de 50 en 1975 à 750 en 1982.

Fidel Castro avec Léonid Brejnev dans une image de propagande

Encore que cela ne suffit pas forcément en soi en raison des rapports terribles entre les pays du tiers-monde. La Somalie était soumise à l’URSS social-impérialiste, mais fit la guerre à l’Éthiopie, également passée sous la coupe soviétique. L’URSS social-impérialiste sauva alors l’Éthiopie de l’offensive somalienne, mais la Somalie quitta l’orbite soviétique pour s’inféoder à la superpuissance impérialiste américaine.

On reste, finalement, aux marges du tiers-monde. La vague des « libérations nationales » amenant les pays dans l’orbite soviétique n’eut pas lieu.

Cela rejoint l’aspect de la dynamique mondiale. Les pays occidentaux maintenaient leur avance économique, idéologique et technologique, ils l’accentuaient même.

Dès qu’on passait un certain cap, qu’il fallait des investissements, que le pays avait une certaine taille, que la bourgeoisie bureaucratique comptait s’insérer dans l’économie mondiale de manière un peu prononcée… Alors la soumission semi-coloniale à la superpuissance impérialiste américaine apparaissait comme plus rentable.

Aller faire ses courses à New York, Londres et Paris apparaissaient comme davantage prestigieux pour les couches capitalistes bureaucratiques des pays du tiers-monde, prompt à parasiter la vente de leur propre pays.

Or, jamais les investissements soviétiques ne purent se comparer à ceux américains. Le tiers-monde devait 120 milliards de dollars à l’URSS social-impérialiste en 1988, et dix fois plus aux pays occidentaux.

Et encore les dettes soviétiques ne concernaient-elles pratiquement que Cuba, la Syrie, le Vietnam, l’Inde, la Mongolie, l’Irak, l’Éthiopie, l’Angola, l’Algérie et l’Égypte, avec la moitié pour des achats d’armement.

Affiche pour la paix, avec une citation de Léonid Brejnev : « L’exigence de l’époque est l’unification de toutes les forces de l’humanité aimant la paix »

L’exemple indien est significatif, car c’est un pays qui était passé en partie sous la coupe soviétique, tout en restant en partie soumis à la superpuissance américaine.

En 1971, l’URSS contrôlait par exemple en Inde 30 % de la production d’acier, 20 % de celle de l’électricité, 35 % du raffinage de pétrole, 60 % de la production d’équipements électriques, 75 % de la production de moteurs électriques, 25 % de la production d’aluminium. Le remboursement de la dette indienne à l’URSS formait pas moins que 28 % des revenus indiens à l’exportation.

Mais tout cela restait bien trop faible par rapport aux pays occidentaux enserrant toujours plus les pays du tiers-monde sous dépendance semi-coloniale. L’Afrique, l’Asie et l’Amérique latine restaient encadrés par la superpuissance américaine et les autres puissances impérialistes lui étant liées.

La perspective de passer en force, en profitant de sa masse, apparaissait donc comme vaine. Pour la génération de Léonid Brejnev, le rêve pouvait encore tenir, mais plus pour celle d’après, représenté par Mikhaïl Gorbatchev.

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Le terrible retard dans l’agriculture de l’URSS social-impérialiste

De tous les secteurs problématiques, c’est l’agriculture qui a été le véritable tourment de l’URSS social-impérialiste.

L’agriculture soviétique avait posé à la base même un véritable problème. D’un côté, la collectivisation avait permis de sceller l’alliance ouvrière-paysanne et de permettre le socialisme, de l’autre le caractère arriéré des forces productives n’a cessé de poser des soucis.

Avec une révolution culturelle sur le plan de l’alimentation, il eut pu en être autrement, mais ce ne fut pas à l’ordre du jour pour des raisons historiques. Il n’y a pas eu d’agriculture socialiste, mais une agriculture visant à la même production que l’agriculture capitaliste, dans un cadre socialiste.

C’est une dimension du mode de vie qui, à l’instar des cigarettes, n’avait pas été révolutionné, contrairement au sport et aux arts.

Le socialisme avait, en pratique, de vrais problèmes à systématiser une dimension quantitative suffisante, et l’initiative privée maintenait des fondations solides. En 1953, un tiers de la production agricole relève du secteur privé.

Le cheptel est moins important qu’en 1928, sauf en ce qui concerne les cochons, alors qu’en plus appartient d’ailleurs au secteur privé 29 % du cheptel des cochons, 39 % de celui des bœufs, 59,6 % de celui des vaches, ainsi qu’une importante part de la production de légumes et de pommes de terre.

Ce maintien d’une agriculture dont les fondements restent, au fond, capitaliste, a contribué à miner les bases du socialisme.

Lorsqu’il parvient à la direction du Parti Communiste d’Union Soviétique, Nikita Khrouchtchev tente tout de suite de relancer la production agricole, un domaine qu’il connaît bien. Il procède à l’augmentation directe du prix fourni par l’État aux producteurs, de 25 à 40 % pour les légumes, de 100 % pour le lait et le beurre, de 150 % pour les pommes de terre, de 1500 % pour la viande.

L’impôt agricole baisse également de 45 % en 1953 puis encore de 150 % en 1954. Les arriérés se voient accordés d’importantes remises, alors que des crédits sont facilités pour l’acquisition de vaches.

Le succès semble alors venir, puisque de 1953 à 1954, la collecte de viande de l’État passe de 2,4 millions de tonnes à 4,1 millions de tonnes. L’État intervient alors d’autant plus pour épauler la production agricole, et le montant total de ses versements annuels aux kolkhozes et au secteur agricole privé est de 31,3 milliards de roubles en 1952, puis de 41,4 en 1953, 64 en 1955, 88,5 en 1956, 97,1 en 1957, 144,9 en 1959.

Et, pour renforcer le capitalisme, les Stations de Machines et de Tracteurs sont liquidés obligeant les kolkhozes à acheter le matériel agricole (dont les tracteurs), instaurant le commerce là où auparavant l’État gérait l’approvisionnement, le plan de production des tracteurs devenant une centrale de commandes obéissant aux demandes d’achats des kolkhozes.

Naturellement, cette affirmation du commerce sur la planification est présentée de manière « anti-bureaucratique », comme ici dans le propos de Nikita Khrouchtchev dans un discours du 22 janvier 1958 :

« On mettra fin à la répartition bureaucratique centralisée du matériel agricole qui provoque de nombreux désordres et cause des pertes énormes à l’État.

Les Stations de Machines et de Tracteurs prennent n’importe quelle machine, même si elles n’en ont pas besoin : celles qui ne sèment pas de lin reçoivent quand même des machines pour récolter le lin; celles qui ne cultivent pas les choux reçoivent quand même des machines pour planter les choux. »

Les kolkhozes n’ont plus également de plan détaillé de production, simplement un certain volume de production annuelle à obtenir et Nikita Khrouchtchev, dans son rêve révisionniste, envisageait de :

« Rattraper dans les prochaines années les États-Unis pour la production de viande, de lait et de beurre par tête d’habitant. »

En 1964, les kolkhoziens pouvaient posséder une vache, un veau plus les veaux nés dans l’année, une truie avec ses petits ou un porc « gras », trois moutons ou chèvres avec leurs petits (cinq au cas où il n’y aurait pas de vache ou de porc), des poulets et des ruches en nombre illimité.

L’acquisition d’une vache était aidée par un crédit d’État, les particuliers pouvaient directement acheter du fourrage d’État, ainsi que faire paître les vaches sur les terres publiques. Les impôts sur le bétail possédé par les citadins disparurent ; les prix de vente sur le marché privé étaient libérés.

La possession de lopins de terre à cultiver était de plus en plus autorisé pour tous, et devenait même une obligation pour les instituteurs, les médecins et les techniciens vivant et travaillant dans les campagnes.

Cette politique capitaliste fit qu’en 1966, 3 % seulement des terres cultivées – dépendant de la petite production capitaliste – produisaient 60 % des pommes de terre, 40 % de la viande et des légumes, 39 % du lait, 68 % des œufs.

C’était un triomphe pour le secteur capitaliste, si on pense en plus qu’une importante part du reste dépend des kolkhozes placés en situation d’autogestion.

Ce jeu d’équilibriste, toutefois, ne pouvait pas fonctionner à grande échelle. Le cadre monopoliste bureaucratique provoquait une catastrophe générale, que le petit capitalisme ne pouvait compenser.

Les récoltes de céréales passèrent ainsi de 147 à 107 millions de tonnes entre 1962 et 1963, obligeant à importer 10 millions de tonnes du Canada. Le scénario se réédita au début des années 1970, où l’URSS social-impérialiste se vit obligée d’importer 4 millions de tonnes de céréales en 1971, puis 12,9 en 1972, 24,4 en 1973.

Les chiffres sont pour le blé de 2,3 millions de tonnes, puis 6,3 et 15,2. Pour le maïs, on 0,9 million de tonne, puis 4,1 et 5,4. La situation est alors tellement grave qu’à partir de ce moment-là, l’URSS généralise le principe des importations massives, avec 27,8 millions de tonnes de céréales en 1979, 35 millions de tonnes en 1980, le point culminant étant le milieu des années 1980, où sont importées 55 millions de tonnes de céréales.

Non seulement 42 % de ces importations proviennent des États-Unis (et pour 12 % de France, le reste venant de l’Argentine, du Canada, de l’Australie), mais en plus elles forment 27% du commerce céréalier mondial.

D’ailleurs, à partir de 1975, les États-Unis ont obligé l’URSS, sous menace d’embargo comme en 1974, à annoncer ses achats sur plusieurs années, avec des contrats où l’URSS s’engage à acheter chaque année pendant cinq ans cinq millions de tonnes de céréales américaines, et possibilité de deux de plus si les récoltes sont bonnes aux États-Unis.

Cela signifie que sur le plan alimentaire, la dépendance de l’URSS est complète : le pays est imbriqué dans le système capitaliste mondial et sa tentative de mettre en place une agriculture développée est un échec complet.

L’URSS tentera d’échapper à cela, notamment en faisant passer la part de l’agriculture dans les investissements de 22 % à 27 % entre 1965 et 1975, en doublant les subventions entre 1965 et 1980, mais rien n’y fera, en raison de la base viciée de l’économie capitaliste d’État.

Le chaos de la production de céréales révèle la précarité de la base : les chiffres sont de 181,2 millions de tonnes en 1971, 168,2 en 1972, 222,5 en 1973, 195,7 en 1974, 140,1 en 1975, et ainsi de suite jusqu’à l’année 1981, où le chiffre fut de 150 millions.

En comparaison, cette même année 1981, avec 3,9 millions d’agriculteurs contre environ 30 millions en URSS social-impérialiste, les États-Unis produisirent pas moins de 310 millions de tonnes.

C’est un constat terrible d’échec. Acheter des céréales aux États-Unis revient pour l’URSS à moitié moins cher que les produire elle-même, en admettant que ce soit possible ; pour le maïs, le soja, les œufs, la viande, les prix américains sont même quatre fois moins chers.

Il est évident que ce n’est pas tenable et cette crise agricole va travailler le régime de manière marquée, jouant profondément sur la reconnaissance de son échec dans la seconde partie des années 1980.

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Les dirigeants et la cassure de 1964 en URSS social-impérialiste

Qui sont les dirigeants de l’URSS social-impérialiste ? De qui parle-t-on précisément ?

Il s’agit de gens de la même génération que Nikita Khrouchtchev, ayant eu le même parcours que lui, s’alignant sur les mêmes valeurs.

On parle de gens qui ont eu leur jeunesse dans les années 1920-1930, avec un parcours de scolarité ou de début dans le monde du travail accompagnant les grandes transformations du pays alors. Ils ont eu de lourdes responsabilités administratives dans les années 1930-1940, et encore plus pendant la guerre.

Ils ont été tenaces et combatifs, ils n’ont cédé en rien face aux coups de boutoir du nazisme. Les meilleurs dans leurs activités, ils ont grimpé les échelons et ils sont devenus incontournables de par leur capacité.

Leningrad au début des années 1960

Ce sont eux qui sont les plus efficaces, les plus vifs, les plus travailleurs ; ils ont pris le dessus dans le cadre de leur action pratique. Ils se sont cependant installés dans l’appareil, et ici il va y avoir une certaine ambivalence. Il y en effet deux camps qui se forment.

Le premier, c’est celui de certains qui décident de se laisser aller, ou du moins espèrent pouvoir le faire. Ils sont représentés par Nikita Khrouchtchev dans les années 1950.

Ils pensent que l’économie va se développer toute seule, ils veulent de la franchise et sont optimistes quant à l’avenir. Ils pensent que l’URSS va rapidement dépasser les États-Unis, dans un contexte de paix mondiale.

Ils sont à ce titre assez les enfants du 19e congrès du Parti de 1952, où il y a l’illusion que la force de l’URSS impose les choses d’elles-mêmes tant dans le pays qu’au niveau mondial. La paix sera quasiment forcée au niveau mondial, le Parti ne joue plus le rôle que de courroie de transmission et de force vigilante, etc.

La porte était ouverte à une URSS « participant » au monde et cessant toute bataille idéologique, au nom d’un confort croissant « inéluctable ». On a d’ailleurs ici affaire à des gens suivant attentivement ce qui se passe dans le monde, et prenant parti : avec Nikita Khrouchtchev, l’URSS donne un avis sur absolument tout et tout le monde.

Les intellectuels qui accompagnent ces dirigeants sont dans la même veine : ils penchent vers le libéralisme, ils veulent de l’honnêteté, ils changent assez rapidement de style, mais ils ont confiance en le cours des choses.

On l’a compris, le but était de profiter du développement économique propre à la planification, tout en supprimant l’État socialiste façonné par Staline, afin de rester dirigeant et de profiter des choses telles qu’elles existent et existeront.

Or, il est apparu que l’un ne va pas sans l’autre et l’éviction de Nikita Khrouchtchev en 1964 relève de cette terrible prise de conscience de la part de la direction soviétique. Il y a alors une tentative de reprise en main générale et c’est le second camp qui l’emporte.

Iouri Andropov

Ce second camp est beaucoup plus circonspect, il est plus dur, il est beaucoup plus profondément marqué par la seconde guerre mondiale impérialiste. Il pense que les choses peuvent mal tourner, et en ce sens ils ne suivent pas ce qu’ils voient comme l’optimisme béat de Nikita Khrouchtchev.

S’ils sont révisionnistes aussi, ils sont pétris dans le monopolisme d’État, alors que Nikita Khrouchtchev était plus marqué par le Parti, par les milieux économiques, littéraires et scientifiques.

Par conséquent, Nikita Khrouchtchev se fait débarquer de son poste de dirigeant du Parti Communiste d’Union Soviétique en 1964, et il est remplacé par Léonid Brejnev qui le conservera jusqu’à sa mort en 1982.

Léonid Brejnev, qui a participé à la guerre mondiale, doit pourtant tout à Nikita Khrouchtchev, qu’il a justement rencontré durant le conflit. C’est lui qui l’amène à avoir de grandes responsabilités étatiques (notamment dans le domaine industriel et spatial), c’est sous son égide qu’il devient en 1959 le secrétaire du Comité central et le président du praesidium du Soviet suprême.

Mais ce n’était pas le premier choix de Nikita Khrouchtchev, qui entendait avoir comme successeur Frol Kozlov, qui eut cependant de très importants problèmes de santé en 1963 et décéda dès 1965.

Et Léonid Brejnev représente justement ceux qui se sont soumis au second camp, formé de ceux pour qui les formes du capitalisme monopoliste d’État ne doivent en aucun cas être ébranlées. Pour eux, Nikita Khrouchtchev a été trop confiant, il a trop ouvert les vannes, il faut redresser la barre.

Qui retrouve-t-on ici ? Des gens qui ont eu de très lourdes responsabilités structurelles.

C’est le cas du responsable de l’armement Dmitri Oustinov, dont le rôle fut absolument essentiel tout au long des années 1960-1970. C’est le cas pour celui de l’intérieur Nikolaï Chtchelokov, à la tête de l’Intérieur de 1966 à 1982.

C’est vrai pour les autres : Iouri Andropov, Konstantin Tchernenko, Sergueï Gorchkov, Mikhaïl Souslov.

Dmitri Oustinov

Iouri Andropov était un grand organisateur ; il a notamment encadré la guerre de partisans sur le front finlandais. Montant les échelons, il fut à la tête du KGB de 1967 à 1982. Il prit ensuite la succession de Léonid Brejnev en 1982, jusqu’en 1984.

Konstantin Tchernenko avait de grandes qualités d’organisateur, mais est purement un homme de Léonid Brejnev ; il dirigea le pays de 1984 à 1985.

Sergueï Gorchkov fut l’amiral de la flotte soviétique ; organisateur pair, c’est lui qui la fit se développer sans commune mesure, l’amenant à être capable de concurrencer la flotte américaine. Sa logique monopoliste d’État le poussa par contre à multiplier de manière aberrante les types d’équipement, de navires, etc.

Sergueï Gorchkov

On a enfin et surtout Mikhaïl Souslov. S’il est largement inconnu du public voire des « chercheurs », on peut résumer les choses en disant que l’URSS social-impérialiste, c’est Mikhaïl Souslov, et que Mikhaïl Souslov, c’est l’URSS social-impérialiste.

Cadre éminent du Parti, il fut remarqué initialement par Staline. Celui-ci avait demandé une information technique à quelqu’un et celui-ci aboutit à l’étudiant Mikhaïl Souslov, qui disposait de très nombreuses fiches avec les citations de Marx, Engels, Lénine et Staline.

Mikhaïl Souslov fut ensuite notamment organisateur de partisans dans la partie du pays occupé par l’Allemagne nazie, et il devint secrétaire du Comité Central du Parti en 1947, ainsi que le rédacteur en chef de la Pravda.

Il accompagna la remise en cause de Staline, comme il accompagna celle de Nikita Khrouchtchev. C’est lui qui jouait le rôle d’idéologue lors de tout le processus de mise en place de l’URSS social-impérialiste.

Mikhaïl Souslov

Pour ses soixante ans, il reçoit le titre de Héros du travail socialiste avec l’Ordre de Lénine et la médaille du Marteau et de la Faucille, de même pour ses soixante-dix ans. Lors de son décès en 1982, il obtient une tombe personnelle dans la nécropole du Kremlin, avec la cérémonie funéraire retransmise en direct.

Mikhaïl Souslov n’a jamais profité matériellement de son rôle-clef en URSS ; il a toujours vécu humblement, possédé une attitude en retrait empreint de cordialité et de politesse.

Il est littéralement le nexus de la contradiction que représente l’URSS social-impérialiste, car il croyait vraiment être communiste et agir conformément aux exigences du communisme, tout en étant historiquement au cœur du dispositif social-impérialiste soviétique.

Sa mort scelle cette prétention, c’est la fin d’une époque et de leurs protagonistes : Mikhaïl Souslov meurt en 1982, Léonid Brejnev également, Iouri Andropov en 1984, Nikolaï Chtchelokov en 1984, Dmitri Oustinov également, Konstantin Tchernenko en 1985, Sergueï Gorchkov en 1988.

Léonid Brejnev

Les autres figures importantes meurent durant la même période : Alexis Kossyguine qui a été président du Conseil des ministres en 1980. Le Biélorusse Piotr Macherov, qui avait même été pressenti pour prendre la direction de l’URSS, meurt dans un mystérieux accident de voiture en 1980.

Sharof Rashidov, le responsable du Parti en Ouzbékistan, pratiquant un népotisme complet là-bas et une corruption massive autour de la production de coton, meurt en 1983. Le Biélorusse Tikhon Kiseliov meurt en 1983, tout comme le Letton Arvīds Pelše.

Grigori Romanov, qui a participé à la seconde guerre mondiale impérialiste puis a dirigé le Parti Communiste d’Union Soviétique à Leningrad, est mort en 2008, mais il avait été mis de côté en 1985.

Au milieu des années 1980, alors que le social-impérialisme soviétique a atteint son apogée, qu’il est devant sur le plan militaire dans sa compétition avec la superpuissance impérialiste américaine, il voit son personnel dirigeant disparaître.

Et la génération qui prend les commandes n’a pas vécu la guerre ni les années de formation de l’époque de Staline. Ils sont opportunistes et modernistes ; bien souvent, leur idéal est devenu extrêmement vague, voire inexistant.

Que voient-ils ? Que l’URSS social-impérialiste a cherché à forcer les choses, par son poids. Mais qu’elle n’y est pas arrivée, et qu’elle fait face à un problème immédiat qui l’étouffe : l’agriculture.

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La planification auto-comptable et l’exportation de pétrole en URSS social-impérialiste

Comment le régime a-t-il pu tenir sur le plan économique avec un tel complexe militaro-industriel ? La réforme Liberman de 1965 reflétait le poids acquis par les chefs des entreprises, les responsables des centres « planifiés » de la production.

L’URSS social-impérialiste n’avait plus de planification réelle, c’était un capitalisme monopoliste d’État où un nombre immense de « royaumes indépendants » agissaient chapeautés par l’État comme unité du Parti, de l’armée et des services secrets.

La question était de parvenir à un équilibre dans cette situation, ce qui ressemble à une logique impériale dans un contexte féodal, avec une tête toute puissante mais dépendante des puissances locales qui seules permettent d’agir finalement.

Les années 1964-1965 sont donc marquées par tout ce débat ouvert par Evseï Liberman, et où participent plusieurs autres figures : l’économiste Lev Léontiev, le président du Comité d’État du Commerce de l’URSS Alexandre Strouév, le concepteur d’avions Oleg Antonov.

On a également l’économiste Vasily Nemchinov, qui entend affirmer l’importance des mathématiques dans la planification et avait présenté en 1960 un rapport sur « Les questions théoriques de l’équilibre intersectoriel et interrégional de la production et de la répartition des ressources nationales des produits économiques ». Il va mettre en place en 1963 l’Institut central d’économie et de mathématiques de l’Académie des sciences de l’URSS.

L’idée est d’utiliser les mathématiques comme moyen « neutre » d’équilibrer les différentes unités productives qui, dans la pratique, sont obligées de travailler entre elles, tout en disposant d’une autonomie énorme à leur propre échelle.

Cela va provoquer une avalanche de modifications : Sur l’amélioration de la gestion industrielle, l’amélioration de la planification et le renforcement des incitations économiques pour la production industrielle (résolution du plénum de septembre 1965 du Comité central du PCUS), Sur l’amélioration de la planification et le renforcement de la stimulation économique de la production industrielle (résolution du Comité central du PCUS et du Conseil des ministres de l’URSS du 4 octobre 1965), Règlement sur l’entreprise de production d’État socialiste approuvé par le Conseil des ministres de l’URSS le 4 octobre 1965, Sur les mesures visant à améliorer encore les prêts et les paiements dans l’économie nationale et à accroître le rôle du crédit dans la stimulation de la production (résolution du Conseil des ministres de l’URSS du 3 avril 1967), Sur le transfert des fermes d’État et autres entreprises agricoles d’État à une comptabilité économique complète (13 avril 1967), Sur le transfert des entreprises du ministère de l’Aviation civile vers un nouveau système de planification et d’incitations économiques (daté du 7 juin 1967), Sur le transfert des chemins de fer du ministère des Chemins de fer vers un nouveau système de planification et d’incitations économiques (23 juin 1967), Sur le transfert des entreprises du ministère de la Marine vers un nouveau système de planification et d’incitations économiques (daté du 7 juillet 1967), Sur le transfert des entreprises de transport fluvial des républiques fédérées vers un nouveau système de planification et d’incitations économiques (7 juillet 1967), Sur le transfert des entreprises opérationnelles et des départements de production et de communications techniques du système du ministère des Communications de l’URSS vers un nouveau système de planification et d’incitations économiques (8 juillet 1968), Sur l’amélioration de la planification et de la construction d’équipements et le renforcement des incitations économiques pour la production de construction (28 mai 1969).

Le moyen le plus simple, c’est de résumer tout cela en disant que désormais il existe une « planification auto-comptable ». Les entreprises sont autonomes, elles se débrouillent, elles voient elles-mêmes avec les fournisseurs, elles gèrent les employés, elles disposent à partir de leurs bénéfices de fonds d’investissement (et même pour construire des logements, les utiliser « socialement » ou « culturellement »), etc.

Par contre, la planification conçue par l’État exige deux choses : que ce soit rentable pour l’entreprise, d’une part, que la production soit assurée, d’autre part. Le ministère n’est là que pour aider ou superviser les avancées technologiques et scientifiques.

Comme dit, le noyau philosophique de cette autonomie généralisée consistait en la réforme Liberman, qui ne faisait que reconnaître une situation existante de fait. Toutes ces réformes ne font qu’admettre juridiquement que, sur le terrain, les chefs d’entreprise faisaient ce qu’ils voulaient autant qu’ils le pouvaient.

L’idée est maintenant, du point de vue de l’État, de le reconnaître afin de pouvoir éventuellement demander des comptes, et d’assurer au régime une stabilité juridico-politique. C’est pourquoi dès l’automne 1967, il y a déjà 5 500 entreprises « autonomes » – elles représentent le tiers de la production industrielle, 45 % des bénéfices.

Un peu plus de deux ans après, ce sont 32 000 entreprises qui sont « autonomes », soit 77 % de la production.

Il faut bien comprendre qu’outre la reconnaissance d’une situation de fait, il y a également en même temps la véritable ossification du régime qui passe par cette reconnaissance. Si le processus ne change rien à part la forme, le fait de changer la forme permet au régime de profiter d’une nouvelle assise.

La suite est ainsi facile à comprendre : cela réimpulse momentanément l’économie… mais le cadre monopoliste assèche la productivité.


1961-19651966-19701971-19751976-1979
Taux de croissance annuel moyen du revenu national+6,5 %+7,7 %+5,7 %+4,4 %
Taux de croissance annuel moyen de la productivité sociale du travail+5,6 %+6,8 %+4,6 %+3,3 %

Le problème également est que le processus d’autonomisation des entreprises fait poser un risque à l’État central, dans la mesure où cela éparpille d’autant plus les forces. C’est la contradiction inhérente au capitalisme monopoliste d’État, ou d’ailleurs à un empire féodal, de devoir centraliser pour se maintenir et d’être forcé à décentraliser pour maintenir en vie chaque secteur.

Il y aura ainsi des ajustements, principalement Sur certaines mesures visant à améliorer la planification et la stimulation économique de la production industrielle (21 juin 1971) et Sur l’amélioration continue du mécanisme économique et des tâches des organes du parti et de l’État (12 juillet 1979).

Mais la tension sera ininterrompue entre centralisation et décentralisation, jusqu’à ne plus tenir du tout et aboutir à la nomination de Mikhaïl Gorbatchev à la tête du Parti Communiste d’Union Soviétique en 1985, qui essaiera de mener une restructuration (perestroïka) sur le plan économique et une politique de transparence (glasnost) sur le plan politique.

En attendant, pour tenir, le régime utilise à fond une nouvelle ressource, le pétrole.


197019801984
Total des exportations2,8 milliards de dollars27,8 milliards de dollars31,7 milliards de dollars
Part du pétrole15 %44 %47 %
Part du gaz/10 %12 %
Part des machines, équipements6 %5 %5 %
Part de l’armement8 %18 %24 %
Part du coton, bois, diamants, produits chimiques, pièces de rechange, etc.71 %23 %12 %

Ce qui s’est passé est très simple : un gisement formidable a été trouvé en Sibérie, au niveau du lac de Samotlor, en 1967. Après des travaux réalisés dans des conditions extrêmement difficiles en raison des marécages et du froid, avec notamment une route longue de 66 km établie au moyen de 3,5 millions m³ de terre et quatre mille dalles de béton, le gisement produisait déjà son premier million de tonnes de pétrole en 1971.

En 1978, une tonne de pétrole sur trois venait de Samotlor ; un milliard de tonnes y avait été extrait en 1981, deux milliards en 1986. Cela a contribué à la ligne de l’exportation à outrance pour permettre au régime de profiter de devises occidentales.

Cependant, en 1986 la production intensive a grandement détérioré le site et rendu les choses bien plus difficiles, amenant un effondrement. Et cela se produit au moment de la grande crise du personnel dirigeant.

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La prépondérance du complexe militaro-industriel

En 1964, Nikita Khrouchtchev est débarqué de son poste de dirigeant du Parti Communiste d’Union Soviétique, alors que le pays fait face à un arrêt du développement généralisé qu’il a connu jusqu’en 1953.

Et le régime ne va jamais se sortir des pénuries, de l’élargissement du fossé entre la nomenklatura et la population. Ce que cela implique, dans le cadre du capitalisme monopoliste d’État, est facile à comprendre : un État terroriste, arc-bouté sur son armée et ses services secrets.

L’URSS social-impérialiste, c’est le KGB et l’armée qui sont toutes-puissantes, le premier dans la société, le second dans l’économie.

Il faut bien saisir que le régime s’est arc-bouté sur ces deux structures ; ce n’est pas son orientation initiale.

Sur le papier, en effet, Nikita Khrouchtchev s’oppose à l’armée. Il le fait pour deux raisons.

La première, c’est qu’il veut insuffler un état d’esprit libéral, conforme aux mentalités petites-bourgeoises qui ont triomphé dans le Parti. C’est le début de l’idéologie au cœur de la vie quotidienne en URSS : le triptyque appartement – voiture – datcha (la maison de campagne).

Avec Nikita Khrouchtchev parvenant au pouvoir, la ligne est d’accorder une priorité à la stabilité économique et au développement interne, en supprimant à tout prix l’intensité politique de l’époque de Staline.

Il n’est donc pas question d’accorder une place démesurée à l’armée ou aux services secrets, d’instaurer un régime fort – les révisionnistes craignant en effet un retour de bâton, ils naviguent à vue et ne sont pas sûrs de leurs positions sur le terrain.

La seconde raison est que Nikita Khrouchtchev considère qu’une guerre serait forcément atomique et courte. C’est pourquoi il met en avant ce type d’armes pour forcer à une « coexistence pacifique », conforme à la mentalité des « installés » à la tête de l’URSS qui veulent profiter tranquillement d’une rente de situation et d’un confort toujours plus grand.

Dans cette logique, il entend réduire la voilure de l’armée conventionnelle. C’est ce qu’il explique dans un discours marquant au Soviet Suprême en janvier 1960, et ensuite il procède à une réorganisation de l’armée en ce sens, avec un abaissement du nombre de soldats de 3,6 millions à 2,4 millions.

La découverte d’un avion espion U2 au-dessus de l’URSS en 1960 et l’échec de la tentative de placer des missiles nucléaires soviétiques à Cuba en 1962 firent toutefois que la ligne de Nikita Khrouchtchev fut considérée par l’armée comme problématique, car proposant insuffisamment de garanties.

Cela provoqua un retournement massif contre lui et en faveur du renforcement généralisé du complexe militaro-industriel, représenté par Léonid Brejnev.

Un autre événement très important fut l’arrestation de Oleg Penkovsky, un colonel des services de renseignement de l’armée (le GRU), qui avait fourni de très nombreux documents secrets aux services secrets britanniques.

Il fut arrêté en 1962 puis exécuté, après un procès retentissant. Cela provoqua la chute du responsable du GRU, Ivan Serov, qui fut même exclu du Parti Communiste d’Union Soviétique en 1965.

Ivan Serov, qui avait joué un rôle énorme durant la seconde guerre mondiale impérialiste, était particulièrement lié à Nikita Khrouchtchev. Sa mise de côté joua naturellement dans les rapports de force.

Dans le processus révisionniste, Nikita Khrouchtchev ne représente donc, au sens strict, pas l’armée ; tout comme pour l’économie, il représente sur le plan militaire une transition dans l’affirmation d’une nouvelle situation.

Nikita Khrouchtchev a, concrètement, accompagné deux choses : d’une part, la réorganisation d’une armée encore posée sur les bases de la seconde guerre mondiale, même si numériquement elle avait très largement reculé.

D’autre part, il s’agissait d’adapter l’armée à la nouvelle situation technologique, avec les débuts de l’informatique, le développement de la cryptographie, l’apparition des radars, la découverte de l’arme nucléaire, la généralisation des avions à turboréacteurs, etc.

Nikita Khrouchtchev, pour cette raison, organisa des démonstrations des armes nouvelles auprès des hauts généraux et des hauts responsables politiques, à Kapoustine Iar, Sébastopol, Severomorsk, Arkhangelsk, Baïkonour, Koubinka.

Par contre, et justement, lorsqu’il refusa de se tourner vers les bombes nucléaires tactiques en 1963, il signa sa mort politique aux yeux de l’armée, qui justement procéda à leur systématisation ensuite.

Ici, on trouve la figure absolument centrale de Dmitri Oustinov (1908-1984). Celui-ci avait joué un rôle essentiel en 1941, supervisant le déplacement de Leningrad vers l’Oural de 80 usines d’armement employant 600 000 personnes.

Ensuite, il s’occupa de la production d’armement à partir de 1965, avant de devenir ministre de la Défense en 1976, et ce jusqu’à son décès.

Et, justement, sa ligne était bien pro-nucléaire comme Nikita Khrouchtchev, mais à l’opposé complet de celui-ci qui n’appréciait que les bombes stratégiques pour « geler » la situation dans un équilibre de la terreur, lui se tournait résolument vers les bombes nucléaires tactiques.

Il est en ce sens le théoricien de la doctrine militaire soviétique, caractérisé par le « renforcement de l’orientation stratégique européenne » : la possibilité d’un conflit ouvert, frontal, en Europe, était considérée comme le cœur de la question d’une guerre avec la superpuissance impérialiste américaine.

Des bombes nucléaires tactiques ont à ce titre été placées en République Démocratique Allemande et en Tchécoslovaquie, le principe d’une offensive soviétique était d’effectuer une percée de 50-100 km en Allemagne de l’Ouest et en Autriche, puis de pousser jusqu’à la France, en une trentaine de jours maximum.

L’Otan avait pareillement préparé l’emploi d’armes nucléaires tactiques pour stopper une éventuelle offensive soviétique, les deux zones principales préparées étant en Allemagne le corridor de basse altitude vers Fulda et la grande plaine d’Allemagne du Nord, alors que des missiles étaient prévus pour la vallée du Danube.

En pratique, les bombes nucléaires tactiques, parfois pas plus grandes qu’une valise, et utilisées avec des torpilles, des obus d’artillerie, des ogives de missiles (pour avions et navires)… auraient été la principale arme du champ de bataille sur le théâtre européen dans les années 1980.

C’est également Dmitri Oustinov qui a organisé l’invasion de l’Afghanistan en 1979 et lorsqu’il est décédé en 1984, ses funérailles ont été retransmises à la télévision, chose particulièrement notable puisqu’il n’a officiellement jamais été un dirigeant de premier plan.

Dmitri Oustinov fut par ailleurs nommé maréchal de l’URSS, le plus haut titre militaire, alors qu’il n’a jamais fait partie de l’armée ; on est ici dans l’époque où les hauts responsables soviétiques paradent avec des tenues bardées de médailles, de manière caricaturale.

Il faut ici mentionner Nikolaï Chtchelokov (1910-1984), autre caricature médaillée. Il a été l’équivalent du ministre de l’Intérieur de 1966 à 1982, avant d’être chassé du PCUS en raison d’une affaire massive de corruption.

C’est le reflet d’une URSS totalement carbonisée dans la corruption, le népotisme, la bureaucratie, et qui tient dans la fuite en avant militaro-industrielle. Seule la militarisation permet d’asseoir le régime, avec les services secrets opérant à tous les niveaux pour maintenir par la force le capitalisme monopoliste d’État.

On est là dans la période où le social-impérialisme soviétique est à son apogée et où son échec apparaît comme inéluctable aux yeux de ceux qui ont compris les enseignements de Mao Zedong.

Le régime profite, en effet, des monopoles et de grandes ressources, ainsi que de l’élan de la période socialiste. Mais comme il est improductif en soi, la logique impérialiste est la seule qu’il puisse assumer, afin de chercher à se maintenir en élargissant sa base.

On a ainsi le paradoxe d’une URSS social-impérialiste qui dispose dans le cours des années 1980 d’une supériorité militaire relative sur son concurrent américain, dans pratiquement tous les domaines, mais qui est en même temps un colosse aux pieds d’argile.

Arsenal nucléaireÉtats-UnisURSS
19553 057200
196020 4341 605
196531 6426 129
197026 11911 643
197527 05219 055
198023 76430 062
198523 13539 197

(Il n’existe pas de chiffres pour les bombes tactiques soviétiques, mais on peut considérer qu’un tiers des armes nucléaires sont tactiques, en prenant comme référence l’armement des États-Unis.)

L’URSS s’était lancée dans une généralisation de son arsenal et de ses capacités ; on parle d’un gouffre financier, technique et industriel : toutes les ressources les plus vitales sont tournées vers l’armement.

Il y a l’obsession d’être en mesure de rivaliser et de surpasser la superpuissance impérialiste américaine.

1984OtanPacte de Varsovie
Personnel militaire4,5 millions6 millions
Tanks17 73046 230
Artillerie / mortiers14 70038 800
Transports blindés39 58094 800
Hélicoptères d’attaque9001 175
Aviation militaire2 990 (en Europe)7 430 (en Europe)
Missiles et bombardiers pour les bombes nucléaires1 9972 743

L’URSS devenue social-impérialiste, c’est avant tout un immense appareil militaro-industriel, avec une croissance ininterrompue des dépenses militaires : de 9 % pour 1961-1965 de 11,1 % pour 1966-1970, de 11,9 % pour 1971-1974.

Et la part du PIB allant à l’armée était immense : officiellement de 13,1 % en 1960, de 17,1 % en 1970, de 19,6 % en 1974, puis dans les années 1980 au moins 25 % (si ce n’est jusqu’à 40 % en comptant le plus largement).

Avant son effondrement, un adulte sur cinq travaillait en URSS pour le complexe militaro-industriel, alors que l’armée s’appuyait sur 5,3 millions de soldats.

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Le KGB en URSS social-impérialiste

Dès la mort de Staline, les révisionnistes procèdent à une réorganisation fondamentale des services secrets. Il meurt le 5 mars 1953 et le jour même on a la fusion du ministère de la Sécurité de l’État avec le ministère des Affaires internes, puis la mise en place le 13 mars 1954 du fameux KGB (Komitet gossoudarstvennoï bezopasnosti, Comité pour la sécurité de l’État).

C’est une structure militaire, dont les tâches concernent tous les aspects de sécurité : renseignement extérieur, contre-espionnage, activités de renseignement opérationnel, protection des frontières, protection des dirigeants, organisation et garantie des communications gouvernementales, ainsi que répression des criminels, des nationalistes, des dissidents et des activités antisoviétiques en général.

Le KGB devait également fournir aux dirigeants un panorama général de la situation intérieure et extérieure, dans tous les domaines : politiques, économiques, militaires, culturels, etc.

Dans ce cadre, le KGB était présent partout. S’appuyant sur 14 comités dans les Républiques soviétiques, il était actif dans les villes et les régions, les districts civils et militaires, les unités de l’armée, les transports, les institutions universitaires et de recherche, les entreprises, etc.

En pratique, cela signifie que le KGB assume des fonctions qui relèvent normalement du ministère de l’Intérieur. C’est un superorganisme relevant d’une perspective de capitalisme monopoliste d’État.

Il n’a pas de comptes à rendre, à part la direction du Parti ; il agit en dehors de la juridiction, à qui il remet éventuellement ensuite les accusés.

Le règlement de 1959 établit bien ce panorama :

« 9. Pour accomplir les tâches qui leur sont assignées, le Comité de sécurité de l’État et ses organes locaux ont le droit de :

a) mener des travaux de renseignement et opérationnels afin d’identifier et de réprimer les activités hostiles dirigées contre l’Union soviétique, pour lesquels disposer des agents nécessaires, créer des refuges et des refuges pour travailler avec des agents ;

b) procéder à des perquisitions, détentions et arrestations de personnes exposées ou soupçonnées d’activités criminelles conformément à la procédure établie par la loi ;

c) mener des enquêtes sur les cas de crimes d’État avec le transfert ultérieur des affaires à la juridiction ;

d) prendre des mesures spéciales visant à identifier et à réprimer les activités criminelles des agents de renseignement étrangers et des éléments antisoviétiques ;

e) en cas de besoin, en accord avec les chefs de police, impliquer des agents de police pour assurer l’accomplissement des tâches des organes de sécurité de l’État ;

f) tenir des registres opérationnels des criminels d’État et des personnes faisant l’objet d’une enquête parce qu’elles sont soupçonnées d’appartenir à des agences de renseignement étrangères, de participer à des organisations antisoviétiques et d’autres activités hostiles ;

g) vérifier l’état du travail des services de cryptage et des bureaux secrets dans les ministères et départements, ainsi que dans les entreprises et institutions qui leur sont subordonnées ;

h) effectuer des contrôles spéciaux sur les personnes dont le service est lié à la préservation des secrets d’État et militaires, ainsi que sur celles voyageant à l’étranger et celles entrant en URSS à l’étranger ;

i) mener, sous la supervision du parquet, des enquêtes sur les cas de délits commis par des officiers, sous-officiers, employés et ouvriers du KGB, si les délits commis sont liés aux activités opérationnelles des agences de sécurité, avec les suites transfert des affaires à la juridiction ;

j) publier de la littérature, des supports pédagogiques et visuels sur des questions relevant de la compétence du Comité »

On a ici une grande différence avec le cadre socialiste précédent, qui insistait particulièrement sur la notion de droit. Le social-impérialisme soviétique fait sauter le droit et le KGB est là pour aménager les choses, avec cynisme et malfaisance.

Dans le cadre socialiste, la répression était liée aux contradictions dans le cadre de la lutte des classes, elle obéissait à la ligne décidée à tel ou tel moment par le Parti.

Le KGB agit lui dans un cadre où l’opposition ne peut pas exister, car la société est censée être socialiste et le Parti celui du peuple tout entier, comme l’affirme la constitution soviétique de 1977. Cela fait que le KGB agit de manière non officielle par principe, pour masquer des oppositions qui ne sont pas censées exister.

On est ici en plein terrorisme d’État, avec une dimension immense dans toute la société.

Le paradoxe est que, initialement, Nikita Khrouchtchev procède à un double affaiblissement de la structure. D’abord, il y a une réduction de moitié de son personnel. Cela ne va pas durer : le KGB va rapidement gonfler massivement ses effectifs, qui seront autour de 500 000 personnes.

Ensuite, le KGB n’est pas un organe central, mais un « département », relevant du Conseil des ministres.

Cela va toutefois être modifié en juillet 1978, le KGB ayant désormais le niveau d’un « comité d’État », en tant que « Comité de sécurité de l’État de l’URSS ».

On a ici l’apogée du KGB : son président depuis 1967, Iouri Andropov, a été élu membre du Bureau Politique en 1973 et il va devenir secrétaire général du Parti Communiste d’Union Soviétique en 1982, ainsi que président du Præsidium du Soviet suprême de l’URSS en 1983.

Qu’est-ce qui a changé ? C’est qu’il a fallu, dans le contexte de systématisation de la nomenklatura comme classe dirigeante, mettre en place une forme toujours plus terroriste.

Le KGB procède dans le pays par menaces, pressions psychologiques, tabassages, arrestations hors cadre juridique. Il infiltre, il sabote, il manipule, il utilise la rumeur, la désinformation, la provocation.

Il met à mal dans le domaine professionnel et personnel ; il déporte hors des grandes agglomérations.

Il agit de manière préventive, comme le souligne en octobre 1983 ce message de Victor Chebrikov , dirigeant du KGB de 1983 à 1988 :

« Dans le contexte d’une forte augmentation des tensions internationales et des activités clandestines et subversives de l’ennemi, le travail préventif des services de sécurité de l’État revêt une importance encore plus grande, car il constitue l’une des méthodes efficaces pour protéger notre État et notre société contre les empiétements des forces hostiles au socialisme.

À cet égard, le Collège du Comité de sécurité de l’État de l’URSS a jugé bon de s’adresser à la direction et aux agents du KGB dans une lettre intitulée ‘‘Mesures visant à améliorer le travail de prévention effectué par le service de sécurité de l’État’’. »

Le KGB n’attend pas que des initiatives se prennent, il agit le plus en amont possible, et il cherche à briser totalement, dès le départ.

Il enferme s’il le faut dans des prisons psychiatriques, où le prisonnier se voit placé dans des conditions d’enfermement sordides, pour être brutalisé, tabassé, recevoir des électro-chocs et des neuroleptiques, des comas hypoglycémiques artificiels, etc.

Il utilise également tous les leviers de l’opinion publique, notamment les médias. Cela fonctionnait naturellement de manière indirecte surtout, mais également directe : il y avait à ce titre un prix du KGB dans le domaine de la littérature et de l’art pour des écrivains, des réalisateurs, des acteurs.

Il y eut d’ailleurs des tentatives de faire comme le fait la superpuissance impérialiste américaine et de soutenir des films allant dans le sens d’une valorisation des services spéciaux (Opération Trust en 1965, Le Glaive et le Bouclier en 1968, Dix-sept Moments de printemps en 1973, L’option Omega en 1975, TASS est autorisé à déclarer… en 1984, ou encore la série Frontière d’État en 1980-1988).

Le dispositif est donc complet et la pression maximale. Ne pas s’aligner sur le Parti Communiste d’Union Soviétique et les exigences générales de la nomenklatura, c’était forcément se confronter au KGB, agissant comme force de frappe.

Le KGB organise une surveillance systématique quand il est lancé, depuis les écoutes téléphoniques jusqu’aux filatures, les lectures du courrier, etc. Il ne s’arrêtera pas tant qu’il n’aura pas mis au pas la personne ciblée, d’une manière ou d’une autre.

C’est une politique de l’écrasement, qui s’est systématisé de plus en plus. Il y a ainsi eu la mise en place de départements régionaux, avec une supervision de pratiquement toutes les entreprises et toutes les organisations du pays.

Aucun domaine n’échappe au KGB alors… à part, naturellement, les bastions de la classe dirigeante : le KGB ne pouvait pas toucher ni au Parti, ni à la nomenklatura, ni aux syndicats.

Comme il avait en plus la responsabilité de la sécurité des dirigeants, le KGB était ainsi fondamentalement le bras armé de la dictature du capitalisme monopoliste d’État.

Cela avait son prix, bien sûr. Ses membres étaient en général des privilégiés sur le plan social, avec un grand décalage par rapport au ministère de l’Intérieur et de l’armée.

Ses responsables pouvaient rejoindre de « bonnes places » dans le Parti et la nomenklatura, et inversement.

Et si le KGB était hyper discipliné, avec une grande surveillance quant à d’éventuels pots-de-vin et autres moyens de corruption, la position des membres du KGB était tel dans la société que même pour les pour les positions inférieures, il était facile de profiter des différentes situations sur le plan personnel.

C’était un jeu d’équilibriste entre la nomenklatura et le KGB pour le maintien du régime, alors que le complexe militaro-industriel était le vecteur d’une expansion générale. On est en pleine démesure du capitalisme monopoliste d’État.

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Les pénuries permanentes, la mafia et la débrouille en URSS social-impérialiste

Lorsqu’on est dans une situation de monopole, le seul facteur qui permet d’aller de l’avant est subjectif. C’est la détermination politique qui a fait que la planification socialiste avec Staline ne s’est jamais enlisée, mais au contraire a toujours ouvert de nouveaux champs au possible.

Le triomphe du révisionnisme en 1953 change naturellement la donne. La situation monopolistique ne consiste plus qu’en une machine à rentes pour une couche parasitaire. Si au départ, il y avait encore peut-être une forme de mauvaise conscience ou l’envie de bien faire, plus on avance dans le temps, et plus l’URSS social-impérialiste devient un monument de cynisme et de pénuries.

Le contraste avec la croissance formidable de l’URSS dirigée par Staline est immense. L’URSS connaît une stagnation générale – d’où la fuite en avant belliciste justement dans le complexe militaro-industriel tout puissant.

Le seul moyen pour des monopolistes d’État de maintenir leur existence sans s’effondrer est en effet la conquête. C’est la raison pour laquelle Mao Zedong considérait l’URSS social-impérialiste comme la principale menace pour la paix mondiale dans les années 1970, et ce d’autant plus que l’URSS était le challenger de la superpuissance impérialiste américaine.

Dans les années 1960-1980, la population soviétique manque de tout : vêtements, chaussures, appareils électroménagers, meubles, voitures, etc., alors qu’inversement la société de consommation se développe dans les pays capitalistes.

Grosso modo, au début des années 1970, 77 % des gens n’ont pas de douche ou de baignoire, 67 % n’ont même pas l’eau courante.

75 % n’ont pas de chauffage central, 73 % n’ont pas accès aux égouts depuis leur logement, et de toutes façons 30 % des villes et 60 % des petites localités n’ont pas de système d’égouts, 5 % des villes et 15 % des petites localités de l’URSS ne disposent même pas d’un système centralisé d’approvisionnement en eau !

64 % des gens disposent de moins de 10 mètres carrés d’espace de vie par personne, 40 % n’ont pas de télévision, 90 % pas de magnétophone, 90 % pas de téléphone.

Reflet de l’existence d’une grande bourgeoisie parasitaire dans le cadre du capitalisme monopoliste d’État : 11 % des gens ont une moto, 2,3 % une voiture, 1 % une datcha personnelle, 1 % un appartement en coopérative.

L’exemple de la voiture est bien connu. L’URSS produisait en 1970 moins de 400 000 voitures, la France au même moment 2,7 millions ! Même dix ans plus tard, l’URSS n’en produisait que 1 300 000, et ce sera le pic en ce domaine.

Et sur ce faible nombre, 10 % étaient réservées aux organismes d’État (soit la quasi-totalité des plus prestigieuses, notamment les Volga), plusieurs centaines de milliers étaient exportées (notamment les fameuses Lada), les membres de la nomenklatura étaient prioritaires.

Dans certains domaines, l’URSS social-impérialiste s’était bien placée : elle était au premier rang dans plusieurs domaines.

On parle ici du pétrole et de l’acier, de la fonte et du coke. Mais également des locomotives diesels et électriques, des tracteurs (5 fois plus qu’aux États-Unis) et des moissonneuses-batteuses (15 fois plus qu’aux États-Unis).

Des réfrigérateurs et des chaussures en cuir, du lait et de l’huile animale, des tissus en laine et de deux en coton, des préfabriqués en béton et du caoutchouc synthétique, des tubes en acier et du gaz naturel, du bois de construction et des briques.

La moitié des réacteurs à l’uranium et des engins spatiaux étaient alors soviétiques.

Mais en termes d’appareils électroménagers, l’URSS produisait des dizaines de fois moins que la superpuissance impérialiste américaine, et pareillement sept fois moins de papier et de carton, cinq fois moins de plastique.

Sur le plan de l’électronique, c’était un désastre : l’URSS avait 10, 15 ans de retard, et cela va toujours plus la marginaliser dans tous les domaines.

Ce contexte amena la systématisation de la mafia. Dans certaines zones, tout s’achetait, même le poste de secrétaire du comité régional du Parti, ou bien le poste d’agent de police s’occupant de la circulation.

L’accaparement était une norme et la mafia servait d’intermédiaire. Tout le monde se servait au passage lorsqu’il le pouvait et cela donnait naissance à différents systèmes pour placer, masquer l’argent.

Toute activité systématique était ciblée, que ce soit la production de coton en Ouzbékistan ou l’importation de blé depuis les pays occidentaux, ou bien à petite échelle, avec les gens s’occupant de transporter et de découper la viande.

Il était impossible de sortir de chez soi sans disposer d’un petit sac en tissu muni d’une ficelle pour le fermer, au cas où on trouverait quelque chose à vendre. Même les files d’attente devant les magasins étaient prétextes à la vente de bonnes places (donnant naissance au dicton « Si vous faites bien la queue, vous n’êtes pas obligés de travailler »).

Les scandales éclatent ainsi malgré la tentative de cacher les faits, comme l’affaire des changeurs de devises étrangères en 1961, devenue retentissante au point qu’il y eut trois procès différents aboutissant finalement à des condamnations à mort.

Il y eut la mafia des fourrures, en 1974, où les protagonistes furent arrêtés avec des millions de roubles, des centaines de kilos de pierres précieuses et de métaux précieux, avec plusieurs condamnations à mort à la clef.

Il eut l’affaire des poissonneries « okean », où on s’est perçu que les produits de la pêche étaient massivement volés et revendus au marché noir, avec un trafic de caviar avec l’occident.

À cette occasion, dans la région de Krasnodar, 5 000 fonctionnaires furent démis de leurs fonctions, 15 00 personnes condamnées, dont Berta Borodkina la cheffe d’un service de restauration qui fut exécutée en 1985, alors que le maire de Guelendjik, Nicolaï Pogodine, a « disparu » (sans doute en s’enfuyant en Turquie).

15 000 autres personnes furent poursuivies lors de l’affaire des épiceries Eliseyevsky, son responsable Iouri Sokolov étant exécuté en 1984. L’affaire du coton ouzbek, avec des sommes phénoménales détournées par la direction du Parti en Ouzbékistan, fut retentissante dans les années 1980, avec l’appareil d’État local pratiquement purgé.

Lorsque Ekaterina Fourtseva, ministre de la Culture de 1960 à 1974, se fit accuser par le Bureau politique du Parti d’avoir pris des matériaux pour la rénovation du Bolchoï pour sa propre datcha, elle leur répondit : « Il n’y a pas lieu de m’en vouloir ! Regardez-vous ! ».

Dans tous les cas, les Soviétiques fonctionnaient sur le principe du « blat », c’est-à-dire des services rendus les uns aux autres, afin d’avoir accès à telle marchandise, d’être plus haut sur une liste d’attente pour un médecin, etc.

Tous ceux qui ont des contacts avec les étrangers – les guides touristiques, les traducteurs, les chauffeurs de taxi, les prostituées – en profitaient pour acheter des marchandises occidentales, afin de les revendre.

La tendance se généralise et il est considéré qu’autour de 10 % des travailleurs soviétiques relèvent d’activités illégales.

On est dans une logique de troc à l’ombre du capitalisme monopoliste d’État : ce dernier assèche tous les rapports sociaux et provoque la renaissance des formes primitives d’échange.

Pour maintenir de l’ordre dans une telle situation, il faut une dictature terroriste. Son vecteur, c’est le KGB.

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