L’expérimentation animale a été définie dans sa forme moderne dans le cadre du fameux procès de Nuremberg où des criminels nazis ont été jugés de 1946 à 1949. En 1946-1947, vingt médecins et trois scientifiques sont passés en procès pour leurs activités sur des êtres humains et à cette occasion, un « code » dit de Nuremberg a été mis en place.
Cette partie du procès a relevé du seul gouvernement militaire américain.
Ce code ne concerne pas les animaux directement ; il traite de l’expérimentation sur les êtres humains. Cependant, il valide les expériences sur les humains sur la base préalable d’expériences sur les animaux.
Le piège historique fut le suivant : pour juger les médecins nazis, il faut s’appuyer sur des lois. Ces lois ne peuvent pas être mises en place au moment du procès, car cela ôterait toute validité juridique à la condamnation. On ne peut en effet pas condamner quelqu’un pour des lois non mises en place au moment des crimes. Et comme le droit bourgeois ne reconnaît pas des principes naturels universels, il a été obligé de procéder différemment.
Il fallait employer des lois préexistantes, qui plus est valables internationalement. Il a donc été pris l’idéologie dominante dans le domaine des expériences et on a protégé les humains… en condamnant au passage les animaux.
C’est un terrible paradoxe historique : la condamnation des crimes nazis a validé les crimes sur les animaux, par soumission à l’idéologie dominante, par absence d’analyse matérialiste dialectique de ce qu’est l’expérimentation animale.
Voici les dix points du code de Nuremberg, points qu’on trouve dans le jugement pénal rendu les 19-20 août 1947 au procès.
Le texte qui suit ces points s’appuie sur ceux-ci pour dénoncer les médecins nazis ayant mené des expérimentations dans les camps de concentration (« des personnes non qualifiées », des expériences « conduites au hasard » et « sans raison scientifique précise », « dans des conditions matérielles révoltantes », « avec des souffrances et des blessures inutiles », etc.).
1. Le consentement volontaire du sujet humain est absolument essentiel. Cela veut dire que la personne concernée doit avoir la capacité légale de consentir ; qu’elle doit être placée en situation d’exercer un libre pouvoir de choix, sans intervention de quelque élément de force, de fraude, de contrainte, de supercherie, de duperie ou d’autres formes sournoises de contrainte ou de coercition ; et qu’elle doit avoir une connaissance et une compréhension suffisantes de ce que cela implique, de façon à lui permettre de prendre une décision éclairée.
Ce dernier point demande que, avant d’accepter une décision positive par le sujet d’expérience, il lui soit fait connaître : la nature, la durée, et le but de l’expérience ; les méthodes et moyens par lesquels elle sera conduite ; tous les désagréments et risques qui peuvent être raisonnablement envisagés ; et les conséquences pour sa santé ou sa personne, qui pourraient possiblement advenir du fait de sa participation à l’expérience. L’obligation et la responsabilité d’apprécier la qualité du consentement incombent à chaque personne qui prend l’initiative de, dirige ou travaille à l’expérience. Il s’agit d’une obligation et d’une responsabilité personnelles qui ne peuvent pas être déléguées impunément ;
2. L’expérience doit être telle qu’elle produise des résultats avantageux pour le bien de la société, impossibles à obtenir par d’autres méthodes ou moyens d’étude, et pas aléatoires ou superflus par nature ;
3. L’expérience doit être construite et fondée de façon telle sur les résultats de l’expérimentation animale et de la connaissance de l’histoire naturelle de la maladie ou autre problème à l’étude, que les résultats attendus justifient la réalisation de l’expérience ;
4. L’expérience doit être conduite de façon telle que soient évitées toute souffrance et toute atteinte, physiques et mentales, non nécessaires ;
5 .Aucune expérience ne doit être conduite lorsqu’il y a une raison a priori de croire que la mort ou des blessures invalidantes surviendront ; sauf, peut-être, dans ces expériences où les médecins expérimentateurs servent aussi de sujets ;
6. Le niveau des risques devant être pris ne doit jamais excéder celui de l’importance humanitaire du problème que doit résoudre l’expérience ;
7 .Les dispositions doivent être prises et les moyens fournis pour protéger le sujet d’expérience contre les éventualités, même ténues, de blessure, infirmité ou décès ;
8. Les expériences ne doivent être pratiquées que par des personnes scientifiquement qualifiées. Le plus haut degré de compétence professionnelle doit être exigé tout au long de l’expérience, de tous ceux qui la dirigent ou y participent ;
9. Dans le déroulement de l’expérience, le sujet humain doit être libre de mettre un terme à l’expérience s’il a atteint l’état physique ou mental où la continuation de l’expérience lui semble impossible ;
10. Dans le déroulement de l’expérience, le scientifique qui en a la charge doit être prêt à l’interrompre à tout moment, s’il a été conduit à croire — dans l’exercice de la bonne foi, de la compétence du plus haut niveau et du jugement prudent qui sont requis de lui — qu’une continuation de l’expérience pourrait entraîner des blessures, l’invalidité ou la mort pour le sujet d’expérience.
En cherchant à protéger les humains, en cherchant à leur éviter la souffrance, celle-ci a été déportée sur les animaux. En posant que « l’expérience doit être construite et fondée de façon telle sur les résultats de l’expérimentation animale », les animaux ont dû prendre eux l’ensemble du principe de « l’expérience ».
Ce n’était pas seulement une faute morale, c’était également une erreur scientifique, car cela validait la vision empiriste du monde : il n’y aurait plus d’univers comme cadre avec des fondements, mais une quête scientifique de tendances générales au moyen de l’expérience.
C’est l’empirio-criticisme, l’expérimentalisme critique.
L’expérimentation comme vision du monde a ici profité d’un souci moral pour le dévier et se poser comme seule démarche scientifiquement correcte.
Il faut d’ailleurs noter que le texte est attribué au responsable médical du procès, Leo Alexander, un Autrichien s‘étant réfugié aux États-Unis juste avant la guerre en raison de ses origines juives. Or, Leo Alexander était un psychiatre et un neurologue, fervent partisan de deux démarches criminelles censées résoudre les problèmes psychiatriques d’une personne : l’électroconvulsivothérapie c’est-à-dire les électro-chocs pour provoquer l’équivalent d’une crise d’épilepsie, et le coma insulinique.
Dans les deux cas, l’idée est de débrancher le corps ou l’esprit pour procéder à une sorte de redémarrage, tout comme on rallumerait un ordinateur ayant vu son système planter.
L’impérialisme américain portait à ce moment-là de manière violente cette idéologie « expérimentale », la CIA mettant alors même en place les projets de « contrôle mental » MK-Ultra et MKNAOMI, avec des expérimentations clandestines sur le LSD, testant sur des gens à leur insu.
Il faut vraisemblablement attribuer à cette approche l’affaire dite du pain maudit, en août 1951 à Pont-Saint-Esprit dans le Gard, avec une crise de folie de 300 personnes, alors que l’armée américaine était particulièrement active en France.