Capter la réalité à l’époque d’Abraham Bosse, c’est forcément réussir à saisir la complexité des costumes, les saveurs de l’habillement, qui plus est en mouvement. Voici une œuvre à la fois simpliste et charmante, comme une esquisse d’une réalité typique.
L’œuvre suivante est plus complexe. Citons ici le critique d’art Antony Valabrègue (1844-1900), qui a réalisé un ouvrage sur les gravures d’Abraham Bosse, publié en 1892. Il n’y a fait qu’entrevoir la dimension formidable de Bosse, mais ses remarques sont parfois très pertinentes. Ici il présente la nature particulière de cette œuvre, et l’emploi du teme antithèse est admirablement bien trouvé pour caractériser la dynamique de l’œuvre:
« Le 18 novembre 1633, Louis XIII rendit un décret par lequel il fut défendu aux sujets de Sa Majesté de porter « sur leur chemise, coulets, manchettes, coeffes et sur autre linge aucune découpure et broderie de fils d’or et d’argent, passements, dentelle, points coupés, des manufactures tant du dedans que de dehors le royaume ».
Le Parlement, pour ajouter à l’effet du décret, désigna formellement certains objets, tels que « rabats et bas, mouchoirs et cravates ». Dès que la loi eut été publiée, l’abus du luxe dut disparaître. Ce fut, comme par enchantement, une transformation subite du monde de la cour ; une sorte de changement à vue se produisait de toutes parts.
Abraham Bosse s’est inspiré de cet édit, pour en tirer une merveilleuse antithèse. Il nous fait voir le courtisan et la dame se conformant aux prescriptions royales et se dépouillant de leurs habits. Le courtisan fait emporter par son laquais les riches vêtements qu’il a quittés, et il apparaît vêtu d’un pourpoint court aux manches fendues, qui n’est rehaussé d’aucune broderie, et que ferme une garniture de boutons. Son haut-de-chausses, simplement taillé, ne porte plus le moindre nœud de rubans. »
Il est intéressant de comparer cette dernière œuvre à la suivante, montrant un simple valet de chambre. Le commentaire en-dessous, représentant le point de vue du valet de chambre, témoigne de son regard critique sur son maître: il explique que son maître est très content de l’édit, car il est avare. Et justement il va mettre les habits dans un coffre, au dépit du valet qui eut aimé les récupérer…
Voici une œuvre, d’intérêt plus secondaire, mais témoignant de l’intérêt d’Abraham Bosse à saisir la réalité dans son ensemble, d’une manière typique.
Si René Descartes se fait l’héraut du compromis entre bourgeoisie et féodalisme, avec son rejet complet des cinq sens accompagné d’un éloge de l’activité pratique, chez Abraham Bosse on trouve, heureusement, la reconnaissance matérialiste de la réalité complexe des sens. A chaque fois, ceux-ci sont présentés dans une situation typique.
Voici tout d’abord l’ouïe. L’arrière-plan des combats semble participer au tumulte musical; on notera également l’importance accordée au chant, tout à fait significatif de la reconnaissance de l’engagement individuel dans une activité complète assumée en tant que tel (dans l’esprit protestant).
Voici ici la vue, avec une admirable opposition dialectique entre le reflet égocentrique et l’étude de la vie réelle, avec la personne utilisant une longue-vue en arrière-plan.
Voici ici l’odorat, avec naturellement l’éloge des jardins. Il est intéressant ici encore une fois de voir la dimension dialectique : il y a une opposition entre le caractère absolument formel, géométrique des jardins à la française, et la personne qui sent une fleur au premier plan, faisant passer les sens au premier plan, à l’opposé du plaisir formel censé être principal dans le jardin à la française.
Voici le goût ; l’arrière-plan témoigne d’un goût pour le raffiné, avec des figures orientales présentes sur la tapisserie. On admirera d’autant plus que le repas est d’une sobriété dans la forme, dans l’esprit du raffinement, à l’opposé du gueuleton valorisé de manière irrationnelle et formelle.
Enfin, le chien n’est heureusement pas oublié, il est même au premier plan, dans une pleine reconnaissance de la dignité du réel. Lui aussi éprouve le goût, tout comme nous.
Enfin, on a le toucher, présentée ici sans vulgarité. Dans l’esprit protestant, on a à la fois d’un côté le lit qui attend le couple, et de l’autre l’église en arrière-plan, qui annonce le mariage. La sensualité se voit reconnue, et conférée une dimension spirituelle. Il y a ici quelque chose de très fort.
Dans un esprit naturel très proche, voici le cycle des saisons. Le printemps est présenté dans toute sa douceur, avec une promesse d’amour.
L’été est présenté dans un cadre agréable, à la fois aristocrate mais également voire surtout dans un esprit plaisant : on est à l’aise.
Inversement, de manière dialectique, l’automne apporte la discorde.
Quant à l’hiver, il oblige à un esprit collectif, en attendant le retour de la vie.
Voici une œuvre présentant les quatre saisons de manière générale.
Pour conclure, voici des présentations des quatre éléments fondamentaux selon de nombreux philosophes grecs de l’antiquité. L’intérêt est moindre, mais on y reconnaît systématiquement la dimension vivante du portrait. Rien n’est figé, on évite toujours le formalisme. La vie est reconnue, avec tous ses sens.
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