Avec Blaise Pascal et les peintures appelées « vanités », La Princesse de Clèves de Madame de La Fayette (1634-1693) fait partie des grandes références « jansénistes » des professeurs de français au lycée.
C’est un grand « classique » qui, en fait, n’en est absolument pas un ; il est, dans ses valeurs, son expression, en contradiction formelle avec le XVIIe siècle, le grand siècle français.
Dans son approche, son contenu, son style, il exprime le parasitisme aristocrate en mode précieux, l’austérité catholique jusqu’aux absurdités psychologiques. A l’opposé de la tragédie et de sa vraisemblance notamment psychologique, La Princesse de Clèves est une œuvre pompeuse et invraisemblable.
C’est ainsi, un modèle d’existentialisme chrétien, de type janséniste, du point de vue laïc. Madame de La Fayette a connu Blaise Pascal, Antoine Arnauld et François de La Rochefoucauld ; son camp est celui du jansénisme au sens général, c’est-à-dire du fondamentalisme religieux soutenu par une aristocratie parasitaire.
L’œuvre est, en effet, publiée en 1678 : elle arrive au moment où la monarchie absolue est déjà triomphante. Or, que voit-on dans l’œuvre ? Une critique radicale de la cour, où tout est mensonge, intrigues, manigances. Madame de La Fayette a placé son roman à la fin du XVIe siècle, mais c’est en réalité de sa propre époque dont il s’agit.
En même temps, il s’agit de présenter un roi qui n’agit pas politiquement comme Louis XIV, qui se contente d’activités superficielles, typiquement aristocratiques. Voici comment commence l’œuvre :
« La magnificence et la galanterie n’ont jamais paru en France avec tant d’éclat que dans les dernières années du règne de Henri II. Ce prince était galant, bien fait, et amoureux : quoique sa passion pour Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois, eût commencé il y avait plus de vingt ans, elle n’en était pas moins violente, et il n’en donnait pas des témoignages moins éclatants.
Comme il réussissait admirablement dans tous les exercices du corps, il en faisait une de ses plus grandes occupations : c’était tous les jours des parties de chasse et de paume, des ballets, des courses de bagues, ou de semblables divertissements. »
C’est là un roi dont le portrait est à l’opposé de Louis XIV et de son État moderne. C’est une véritable provocation.
A la figure absolument candide de la princesse de Clèves font face des psychologies aberrantes, monstrueuses, vivant dans la haine, le mépris.
Voici un exemple de cette mise en valeur de la vertu candide, un peu stupide, « simple d’esprit », comme pour montrer religieusement que sa place n’est pas dans ce monde, mais aux cieux :
« Bien loin de vous accuser, reprit madame de Clèves, de redire les histoires passées, je me plains, madame, que vous ne m’ayez pas instruite des présentes, et que vous ne m’ayez point appris les divers intérêts et les diverses liaisons de la cour. Je les ignore si entièrement, que je croyais, il y a peu de jours, que M. le connétable était fort bien avec la reine.
Vous aviez une opinion bien opposée à la vérité, répondit madame de Chartres. La reine hait M. le connétable ; et, si elle a jamais quelque pouvoir, il ne s’en apercevra que trop. Elle sait qu’il a dit plusieurs fois au roi, que de tous ses enfants il n’y avait que les naturels qui lui ressemblassent.
Je n’eusse jamais soupçonné cette haine, interrompit madame de Clèves, après avoir vu le soin que la reine avait d’écrire à M. le connétable pendant sa prison, la joie qu’elle a témoignée à son retour, et comme elle l’appelle toujours mon compère, aussi bien que le roi.
Si vous jugez sur les apparences en ce lieu-ci, répondit madame de Chartres, vous serez souvent trompée : ce qui paraît n’est presque jamais la vérité. »
C’est donc une œuvre militante, une attaque en règle de la cour organisée par le Roi. Dans l’esprit janséniste, où la majorité est impure comparée à la petite minorité vertueuse, le scénario présente une jeune fille pure, élevée à l’écart du monde, qui va voir sa vertu corrompue par les mœurs de la société qu’elle intègre.
La personnalité de la personne corrompue, dans l’esprit janséniste, se montre pourtant retors à la corruption. Mademoiselle de Chartres, devenue princesse de Clèves par son mariage, tombe amoureuse de Monsieur de Nemours. Mais elle ne cède pas, et lorsque son mari meurt prétendument de chagrin, elle continue de ne pas céder.
C’est le triomphe de la « raison » sur la « passion », c’est-à-dire que c’est la destruction fanatique de ses propres sentiments au nom de la bienséance religieuse et féodale. C’est une attitude fondamentaliste, qui est pourtant présentée par la bourgeoisie décadente comme le « premier roman d’amour psychologique ».
En réalité, c’est une œuvre conforme à la morale du jansénisme, à sa négation du monde : les commentateurs bourgeois l’ont toujours senti, mais ont cherché pour vérifier cela des éléments religieux exprimés directement, ce qu’ils n’ont pas trouvé.
C’est parce qu’ils ont cru que Port-Royal n’était qu’une théologie, alors que c’est un fondamentalisme. C’est donc une manière d’appréhender les choses.
Ces choses, bien entendu, se veulent incompréhensibles, conformément à l’esprit de la Contre-Réforme. L’histoire est, à ce titre, évidemment remplie d’événements rocambolesques, typiquement baroque, comme avec une lettre anonyme se retrouve dans les mains de quelqu’un qui croit qu’elle est pour lui, mêlé à des scènes précieuses où sont mis en avant les éléments de la vie aristocratique (bijoutier, bal, portrait, rencontre avec le Roi, etc.).
C’est là le monde de l’aristocratie, qui vit de manière précieuse, avec ses valeurs idéalistes, refusant la réalité, soutenant le fondamentalisme religieux pour renforcer la féodalité.
Les dernières lignes de l’œuvre – l’aboutissement ultime, la mise en valeur d’un style de vie – sont, ainsi, parfaitement d’esprit janséniste :
« Madame de Clèves vécut d’une sorte qui ne laissa pas d’apparence qu’elle pût jamais revenir. Elle passait une partie de l’année dans cette maison religieuse, et l’autre chez elle ; mais dans une retraite et dans des occupations plus saintes que celles des couvents les plus austères ; et sa vie, qui fut assez courte, laissa des exemples de vertu inimitables. »
Le refus de la réalité, de sa complexité, fait de La princesse de Clèves l’antithèse réactionnaire des tragédies de Jean Racine, de leurs portraits psychologiques fidèles à la réalité, sa complexité, ses sauts qualitatifs.