[Document du Comité central du Mouvement communiste français (M.-L.) – 25 juin 1967, rédigé par Gilbert Mury.]
Arborer le drapeau rouge pour lutter contre le drapeau rouge
Qu’est-ce que l’Union des jeunesses Communistes ?
Dans les dernières semaines de 1966 est apparue une nouvelle formation qui se réclame du marxisme-léninisme : l’Union des Jeunesses Communistes.
Cette organisation, née d’une scission à l’intérieur de l’Union des Etudiants Communistes (révisionnistes), se présente comme ayant mené la lutte interne dans le cadre du Parti de Waldeck-Rochet avant de paraître au grand jour.
Bien que ses adhérents les plus connus aient constamment voté en faveur de l’exclusion de nos propres militants étudiants, chaque fois que ceux-ci étaient attaqués pour leur action courageuse à l’intérieur de l’U.E.C., nous avons considéré comme de notre devoir de nouer avec l’U.J.C. des contacts fraternels. Ceux-ci se sont traduits par des discussions répétées entre certains dirigeants de l’U.J.C. et une délégation de notre Bureau politique.
Alors que ces discussions se poursuivaient, et sans même nous aviser de leurs intentions, les dirigeants de l’U.J.C. ont choisi de lancer une violente attaque publique contre le Mouvement communiste français, coupable de prétendre reconstruire le Parti révolutionnaire, l’avant-garde de la classe ouvrière.
Dans ces conditions, et en regrettant d’avoir à étaler au grand jour nos divergences sous le feu de l’ennemi, il n’est plus possible au Comité central du M:C.F. (ml) de transmettre confidentiellement ce document à la direction de l’U.J.C. en vue d’aider celle-ci à reconnaître ses erreurs. Le moment est venu de répondre à l’attaque publique par une critique politique et théorique de la plate-forme d’une telle organisation.
Une agression significative
De quoi s’agit-il donc ? Dans son numéro 6, le journal Garde rouge s’en prend avec violence à l’idée même de créer actuellement un Parti marxiste-léniniste.
Déclarer que notre volonté avouée de constituer ce parti marxiste-léniniste » rend un service considérable au révisionnisme dans ses campagnes de calomnies contre les marxistes-léninistes « , c’est là, bien évidemment, utiliser des méthodes qui ne relèvent pas des contradictions au sein du peuple. Affirmer que nous nous apprêtons à nous » abaisser à jouer sur les mots pour tenter de leurrer les autres et éventuellement nous-mêmes sur l’état réel des forces que nous sommes parvenus à accumuler « .
Ce n’est pas là non plus s’exprimer dans un style de discussion qui convient entre communistes. Parler de » duper la classe ouvrière par des mots « .
Nous accuser de freiner, en définitive, gravement le développement du mouvement et l’édification d’une véritable direction centralisée. Evoquer à ce propos les » groupuscules trotskystes, gauchistes et droitiers « , qui ont inculqué à la classe ouvrière » une méfiance profonde à l’égard des groupements qui prétendent lui imposer du dehors un programme général, une ligne d’action, des mots d’ordre « .
En venir à s’écrier : » nous devons nous garder de jouer les fanfarons, quitte à baptiser cette fanfaronnade audace, d’annoncer à grands cris des triomphes fictifs, de feindre de rassembler sous notre bannière de larges masses de travailleurs alors que nous n’en sommes qu’au début de l’implantation du mouvement marxiste-léniniste, de lancer à tort et à travers de grands appels creux à la classe ouvrière, d’appeler du dehors à des actions que nous ne sommes pas encore en état de mettre en œuvre et de diriger « , c’est là une série d’agressions difficilement concevables entre des organisations qui poursuivent des discussions fraternelles.
Bien entendu, le Mouvement Communiste Français (marxiste-léniniste) n’est pas nommé. Mais, lors de nos discussions, c’est la délégation de l’U.J.C. qui a insisté à plusieurs reprises sur le caractère particulièrement spécieux de critiques où il manque seulement le nom de celui à qui s’adresse la critique. Il nous a été dit que c’est là une méthode particulièrement hypocrite et à laquelle ne doivent pas s’abaisser des marxistes-léninistes.
Ou encore que de telles objections sont finalement plus venimeuses et plus intolérables que celles où l’adversaire est clairement désigné.
Dans cette perspective, nous devons. très sérieusement demander aux dirigeants de l’U.J.C. ce qu’ils pensent de leur attaque publique contre nous, indépendamment même des erreurs théoriques dont elle est émaillée, et poser clairement la question : jusqu’où va l’assimilation, tentée par 1’U.J.C., entre les groupuscules trotskystes et le Mouvement Communiste Français (marxiste-léniniste) aujourd’hui, demain le Parti communiste de France (marxiste-léniniste) ?
Les dirigeants de l’U.J.C. gagneraient certainement beaucoup à réfléchir à la critique dirigée par le camarade Mao Tsé-toung contre le culte du livre.
Qu’ils relisent en particulier une note de l’étude capitale qui porte pour titre » A propos de la pratique » : » il a existé dans notre Parti un groupe de camarades, tenants du dogmatisme, qui, pendant longtemps, ont rejeté l’expérience de la révolution chinoise, nié l’action et n’ont fait qu’effrayer les gens à l’aide de mots et de phrases isolés, extraits au petit bonheur des textes marxistes… Les dogmatiques, parés de la toge marxiste, ont induit en erreur nombre de nos camarades « .
Le meilleur exemple de cette attitude dogmatique est offert par l’éditorial publié en première page de Garde rouge n° 6 lorsqu’il se réfère, pour trancher la question du moment convenable pour créer un Parti, à la critique du plus haut responsable chinois qui s’oriente vers la restauration du capitalisme, et notamment lorsqu’il rappelle ce texte excellent paru dans Pekin Information : » la ligne organisationnelle du Parti doit être subordonnée à la ligne politique, elle doit être la garantie et l’instrument d’application de la réalisation de la ligne politique du Parti « .
Ni ce texte, ni aucun des autres qui se trouvent cités dans le document Garde Rouge n’a effectivement trait à la création d’un Parti.
Il est certes quelquefois question des tâches du Parti Communiste Chinois, mais quinze, vingt, trente ans après la date de sa naissance.
Des lambeaux de phrases sont ainsi arrachés de leur contexte, manipulés, déformés de façon à justifier une position qui se présente comme doctrinale, alors qu’elle reflète tout simplement les états d’âme, les impulsions, les comportements irraisonnés d’un certain nombre de militants de l’U.J.C.
En fait, il s’agit là d’une utilisation déformante des textes dans une activité défensive et justificatrice, c’est-à-dire du détournement idéologique du marxisme au profit de l’attitude petite-bourgeoise selon laquelle un détachement organisé d’une couche sociale particulière, étrangère à la classe ouvrière, veut préserver son autonomie et refuse de se situer à sa place dans l’ensemble des forces placées sous la direction du prolétariat.
Une erreur fondamentale
Il est impossible de faire comme si une telle agression n’avait pas eu lieu : mais il n’est pas non plus souhaitable de s’enfermer dans une réflexion sur cette contradiction, et sur elle seule. Pour essayer de répondre à cette double nécessité, nous aurons donc à nous placer sur deux plans dont l’un renvoie à l’autre.
D’une part, nous examinerons l’erreur fondamentale qui vicie l’ensemble des thèses théoriques et bon nombre de thèses politiques de l’U.J.C., c’est-à-dire la méconnaissance du lien entre la théorie et la pratique, méconnaissance inséparable d’une interprétation très particulière et selon nous totalement erronée de la lutte des classes et de la nature de l’idéologie.
D’autre part, nous verrons que cette déviation correspond, dans la pratique, à un comportement politique qui rappelle par trop de côtés celui des révisionnistes eux-mêmes.
En effet, l’absence d’une théorie vraiment capable de pénétrer dans l’action et de la transformer conduit l’U.J.C. – tant dans les organisations de masse que dans ses propres rangs – à refléter la spontanéité des groupes auxquels elle s’adresse mais ne lui permet pas de déterminer avec précision le mouvement en avant nécessaire à partir de cette spontanéité. Comme toujours, le dogmatisme théorique est étroitement associé à l’empirisme politique.
Ainsi, cette discussion portera sur un problème unique car, dans la mesure où la théorie est détachée de la pratique au point d’apparaître comme un procès autonome se développant selon sa propre logique interne, elle s’affranchit des contraintes de l’action politique, mais elle perd aussi tout moyen de l’organiser et de lui donner un contenu plus riche.
Bref, il est purement artificiel d’imaginer que, sur de telles bases, puisse se réaliser la rencontre de la théorie marxiste et du mouvement socialiste, rencontre qui a marqué aussi bien les premiers pas du Parti Communiste (bolchévik) que ceux du Parti Communiste Chinois.
Rien n’est plus étranger au marxisme que la volonté d’élaborer une théorie caractérisée par un » statut théorique » pur. Qu’est-ce, en effet, qu’un tel statut théorique pour le marxisme dont le caractère scientifique se situe dans l’action, pour qui la vérité est » vérité pratique » c’est-à-dire force réelle ?
Il n’y a pas de statut théorique des concepts, mais un moment théorique dans l’élaboration de la connaissance à partir et en direction de la pratique. Rien n’est plus étranger au marxisme que de prétendre limiter le contrôle de la théorie par la pratique à la mise en œuvre de la » pratique théorique « , c’est-à-dire, en clair, à la pratique des théoriciens, indépendamment de l’expérience effective des masses : c’est par là même faire tomber la vie quotidienne du peuple tout entier, et particulièrement de la classe ouvrière, en dehors du domaine de la théorie.
C’est par conséquent renoncer, en fait, à l’explorer autrement que par des enquêtes sur la Lorraine publiée dans le n° 6 de Garde Rouge et les textes fondamentaux : Rapport sur l’enquête menée dans la province du Hounan à propos du mouvement paysan, Préface et postface aux matériaux d’enquête à la campagne, Réorganisons notre enseignement.
La question des enquêtes
Que nous dit Mao Tsé-toung ?
» Au cours de mon récent voyage dans la province de Hounan (le Hounan était à cette époque le foyer principal du mouvement paysan en Chine), j’ai enquêté sur la situation locale dans cinq districts : Siangtsan, Siangsiang, Hongdhan, Lling et Tchangcha. Pendant 32 jours – du 4 janvier au 5 février inclus – dans les villages et les chefs-lieux de districts, j’ai convié à des entretiens les paysans qui avaient acquis une grande expérience tout au long de leur vie, ainsi que les militants du mouvement paysan, et j’ai écouté attentivement leurs récits : cela m’a permis de recueillir un ample matériel « .
Bien des années plus tard, le camarade Mao Tsé-toung est revenu sur ce point : » La méthode des entretiens est la plus simple et la plus aisément réalisable, et donne, de plus, les informations les plus vraies et les plus sûres. Elle m’a été extrêmement profitable. C’est une école avec laquelle aucune université ne saurait rivaliser. II est bon de convier à ces entretiens des militants expérimentés des organisations d’échelon moyen et inférieur, et de simples gens appartenant à la population locale « .
Nulle part dans l’enquête sur la Lorraine n’apparaît cette dimension indispensable : la réunion, jour après jour, de vieux mineurs ayant une expérience vécue du monde du travail et de son évolution, et, aussi, de militants éprouvés.
Il serait bien étrange qu’une rencontre occasionnelle entre étudiants et grévistes rencontre discrètement évoquée dans Garde Rouge comme un contact rapide, puisse jouer le même rôle qu’un entretien de longue durée, avec une réflexion collective sérieuse sur les problèmes de la pratique sociale et politique.
En réalité, la méthode de Garde Rouge ressemble bien d’avantage à celle de sociologues venus de l’Université bourgeoise. Avec conscience et intelligence, les documents patronaux et les articles de la presse nationale – en particulier » l’Humanité Nouvelle » – ou locale sont exploités pour composer une étude intéressante.
Quelques notations rapides sur les modalités de la reprise du travail dans deux entreprises apportent un élément supplémentaire de liaison avec les masses. Mais ce ne sont pas des faits aussi étroitement localises dans l’espace et dans le temps qui constituent l’objectif essentiel d’une enquête comme celle que le camarade Mao Tsé-toung consacrait à la province de Hounan.
Ici, l’absence de larges perspectives traduit l’absence de militants expérimentés. Ainsi apparaissent deux réalités incontestables ; d’une part, le parti révisionniste a corrompu la pratique ouvrière, et il faut un Parti Marxiste-Léniniste pour retrouver cette pratique.
L’enquête implique que le Parti existe déjà. Et ce n’est pas par hasard que le camarade Mao Tsé-toung a enquêté dans le Hounan plusieurs années après la création du Parti Communiste Chinois, choisissant en outre le foyer principal de l’action paysanne en Chine.
D’autre part, les dirigeants de l’U.J.C. et de Garde Rouge confondent une enquête révolutionnaire menée pour porter une action préexistante à un niveau plus élevé de conscience, et l’étude descriptive dont les mérites sont réels mais dont l’orientation demeure purement empirique et dont ne se dégage aucun impératif de tactique et de stratégie ouvrières.
En outre, il est pour le moins fâcheux de substituer un coup d’œil rétrospectif jeté sur une lutte terminée à une analyse vivante, fondée sur une information donnée au jour le jour par des travailleurs en lutte. La dénonciation de la capitulation révisionniste est plus convaincante après l’événement lorsque celui-ci a été prévu et annoncé publiquement.
Les rédacteurs de l’enquête U.J.C. nous l’offrent en exemple. Ils exigent que des études comparables à celles de Mao Tsé-toung dans le Hounan couvrent le champ offert par toutes les classes, couches, strates, milieux de la société française. Alors seulement, nous serions dignes de créer le Parti.
Il convient d’être plus modeste et de ne pas oublier que le grand Parti Communiste Chinois n’a pas lui-même dressé, avant de longues années, le tableau de la société de son pays.
Devons-nous attendre, pour créer le Parti en France, d’avoir réalisé ce que nos camarades chinois n’avaient pas encore fait vingt ans après la naissance du P.C.C. ? En mai 1941 – 20 ans après la création du Parti – le camarade Mao Tsé-toung écrivait en effet :
» D’une manière générale, en 20 ans, nous n’avons effectué aucun travail vraiment systématique et minutieux pour rassembler les matériaux relatifs à tous les domaines énumérés et pour les étudier ; le goût général de la recherche, de l’étude de la réalité objective, nous a manqué.
Chez nombre de camarades du Parti, on retrouve encore cette manière insensée – qui contredit radicalement l’esprit même du marxisme-léninisme – de, comme on dit, pourchasser un moineau les yeux fermés ou de pécher à l’aveuglette, c’est-à-dire d’aborder les problèmes d’une manière superficielle et sans entrer dans les détails, de se livrer à des bavardages prétentieux, de se contenter de fragments de connaissances mal assimilées.
Marx, Engels, Lénine et Staline nous convient à étudier consciencieusement la situation à partir de la réalité objective et non de nos vœux subjectifs ? Et pourtant, nombre de nos camarades prennent le contre-pied de ce principe « .
En fin de compte, il est fâcheux de » se livrer à des bavardages prétentieux « , alors que des liens réels établis avec un groupe social étranger à la classe ouvrière, même s’il peut utilement constituer une force d’appoint, ne saurait, à eux seuls, justifier a prétention de substituer au Parti prolétarien une avant-garde petite-bourgeoise.
Comme il n’est pas de pratique révolutionnaire sans lien militant avec les masses ouvrières, ce n’est pas un hasard si les publications de l’U.J.C. de Garde Rouge aux Cahiers Marxistes-Léninistes, laissent soigneusement de côté une œuvre fondamentale de Mao Tsé-toung : A propos de la pratique. C’est qu’en effet, ce texte précise : » La connaissance commence par la pratique tout en acquérant par la pratique des connaissances théoriques il faut retourner à la pratique « .
Ou encore : » Par la pratique, découvrir les vérités, et également par la pratique confirmer les vérités et les développer « ,. Cette thèse matérialiste fondamentale ne convient pas à l’U.J.C.
Nous pensons que l’attitude de l’U.J.C. à l’égard de la question de la création du Parti comme à propos de bien d’autres problèmes, procède d’un empirisme politique qui n’est que l’envers d’un idéalisme philosophique. Et il est bien vrai qu’est idéaliste toute théorie dont les liens avec la pratique ne sont pas des liens effectifs.
Une lutte interne sur des points secondaires
L’Union des Jeunesses Communistes nous apparaît donc comme une orientation non pas déjà marxiste-léniniste, mais, subjectivement orientée vers l’acquisition de la théorie marxiste-léniniste, sans pouvoir, faute de liens sérieux avec le prolétariat, se libérer réellement du révisionnisme.
Pour justifier cette appréciation, reportons-nous tout simplement au premier numéro des Cahiers Marxistes-Léninistes – numéro publié par le Cerclé d’ULM, c’est-à-dire par le noyau dirigeant de l’U.J.C. – au temps tout proche où il menait la lutte interne dans l’organisation étudiante révisionniste.
Nous apprenons que, voyant certains militants évoquer » l’incidence du conflit idéologique Moscou-Pékin » sur les débats de l’U.E.C., le cercle d’ULM s’est appliqué à démontrer l’inanité de ces questions. Les problèmes essentiels pour les étudiants communistes concernent le domaine spécifique de leur action du point de vue étudiant « .
Le cercle d’ULM a, bien sûr, des revendications à présenter au Parti de Waldeck-Rochet. Elles restent, cependant, mineures. Ce cercle se contente de réclamer une meilleure analyse du milieu étudiant, une lutte contre les idéologies d’origine universitaire, et un progrès dans la formation théorique.
C’est-à-dire que l’incapacité de prendre parti avec résolution dans le conflit entre le révisionnisme soviétique et le véritable marxisme-léninisme, défendu par nos camarades chinois, apparaît déjà comme un élément inquiétant.
La troisième voie
Cette même attitude, nous la retrouvons encore dans le cinquième numéro des Cahiers Marxistes-Léninistes qui présente une longue analyse de la lutte entre l’impérialisme et les forces populaires d’Amérique Latine.
Dès la page 3, le noyau dirigeant de l’U.J.C. n’hésite pas à condamner ce qu’il appelle » les mêmes erreurs sectaires et la polémique stérile entre les deux ailes « , c’est-à-dire l’aile favorable aux thèses de Moscou et l’aile favorable aux thèses de Pékin, mettant ainsi sur le même plan, comme deux erreurs symétriques, la ligne révisionniste et la ligne marxiste-léniniste. Ce texte effarant invite aussi bien les marxistes-léninistes que les révisionnistes à » surmonter de toute urgence » ce conflit qui » rend une stratégie révolutionnaire impossible « .
C’est là évidemment chercher à définir une » Troisième voie « , comme si une route intermédiaire existait entre les deux théories antagonistes. C’est là aussi chercher la conciliation entre révisionnisme et marxisme-léninisme, entre l’eau et le feu. Un peu plus loin d’ailleurs, nous retrouvons l’approbation sans nuance de l' » indépendance de Cuba dans la scission sino-soviétique « . De même encore le modèle chinois du développement est rejeté exactement comme le modèle soviétique.
Le légitime souci de l’originalité des particularités nationales en Amérique Latine justifie-t-il cette façon de mettre sur le même plan une économie socialiste et une économie engagée sur la voie du retour au capitalisme ?
L’existence des véritables révolutionnaires en Amérique Latine n’est enregistrée qu’à propos d’un seul fait, il est fait mention du » P.C. do Brasil » comme » pro-chinois « . Nous apprendrons d’ailleurs seulement qu’il a enlevé au P.C. brésilien pro-soviétique » quelques cadres « , » ayant une certaine valeur, notamment dans le Sud « . C’est finalement une façon assez particulière de prendre une position nette ! Peut-être trouvera-t-on l’explication de pareilles défaillances dans une note qui manifeste de curieuses sympathies pour la pensée bourgeoise.
A propos de Monbeig, Bastide, Friedman, Caillois, on nous dit que » leurs travaux sont indispensables, souvent passionnants, mais a replacer dans une situation historique déterminée, et dans l’ensemble des contradictions continentales, faute de quoi ces travaux restent abstraits « .
La conciliation idéologique
Cette attitude conciliatrice montre combien – malgré certaines déclarations de principe – le groupe dirigeant de l’U.J.C. hésite à s’engager à fond dans la lutte des classes sur le plan des idées. Et ces hésitations ont-elles disparu ? Il faut bien avouer que nous n’en sommes pas sûrs.
C’est ainsi que, dans le n° 12-13 (juillet-octobre 1966) des Cahiers Marxistes-Léninistes, Etienne Balibar impute, à tort d’ailleurs, à STALINE une conception tout à fait erronée sur la différence entre la science et l’idéologie.
Voici le texte de Balibar : » L’idéologie en dernière instance est au service d’une classe déterminée. En elle la fonction sociale l’emporte sur la fonction de connaissance. Dans la science au contraire, et c’est ce qui constitue l’autonomie relative de sa pratique, la fonction de connaissance l’emporte sur la fonction sociale « .
Comme s’il était possible d’opposer, l’une à l’autre, la fonction sociale et la fonction de connaissance du socialisme scientifique, à la fois savoir rigoureux, accumulation d’expériences pratiques et bien précieux du prolétariat. La pensée de MAO Tsé-toung est-elle moins une science parce qu’elle anime les révolutionnaires du monde entier ?
De même nos camarades de Tours ont eu l’occasion de montrer, dans d’âpres discussions, que l’un des idéologues les plus en vue de l’U.J.C. – Establet – se faisait de l’art une représentation aristocratique qui le menait, en fait, à nier l’existence d’un art populaire. Selon lui, en effet, un artiste doit assimiler toutes les formes artistiques antérieures.
Non qu’il soit faux de souhaiter une assimilation critique du passé, ni de faire intervenir un critère artistique dans l’appréciation des œuvres littéraires, plastiques, etc., mais, d’une part, le critère politique du contenu de classe – contenu inséparable de la contradiction principale telle qu’elle s’établit au sein d’une société déterminée, celle de l’artiste – doit être placé au premier plan.
D’autre part, les chants spontanément jaillis des masses profondes du peuple chinois à l’occasion des victoires de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne ne sauraient être méprisés sous le prétexte que leurs auteurs n’ont pas suffisamment étudié l’histoire littéraire. Ici encore se retrouve le culte du livre.
Cette volonté de placer l’art et la science en dehors de la lutte des classes telle qu’elle se définit à une époque déterminée, est très exactement à l’opposé des thèses établies par le camarade MAO Tsé-toung dans ses » Interventions aux causeries de Yenan sur la littérature et l’art. »
Le camarade MAO Tsé-toung rappelle que nous sommes des » utilitaristes prolétariens » et que nous nous refusons à envisager les problèmes de l’art (on pourrait dire aussi bien de la science) en dehors des services qu’il rend, de l’utilité qu’il représente pour la classe ouvrière et pour le combat de cette classe.
Le recul bourgeois devant la violence révolutionnaire
Un certain nombre d’orientations des Cahiers Marxistes-Léninistes montrent d’ailleurs que l’U.J.C. hésite devant le combat classe contre classe. Prenons, par exemple, le n° 14 (de novembre-décembre 1966) consacré à la Révolution culturelle.
Un article intitulé » La pensée de MAO Tsé-toung » met l’accent, d’une manière unilatérale et avec une insistance tout à fait troublante sur la nécessité de parcourir la révolution en plusieurs étapes dans les conditions spécifiques de l’expérience chinoise.
C’est là ne retenir qu’un aspect trop particulier de l’œuvre de MAO Tsé-toung. Non pas que cette analyse de l’œuvre de MAO soit totalement erronée mais il n’est jamais prévenu qu’il s’agit là d’une dimension parmi d’autres, d’un moment de l’histoire chinoise parmi tous ceux qu’analyse MAO Tsé-toung.
Il est donc permis de se demander s’il ne s’agit pas là, tout simplement, d’un moyen de suggérer au lecteur que c’est 1’ensemble de la pensée de MAO Tsé-toung qui a pour fonction d’atténuer ce qu’il peut y avoir de trop aigu ou de trop rigoureux dans la lutte des classes.
C’est là un risque qui n’apparaît bien sûr, en aucun cas lorsqu’on laisse les textes de MAO à leur place et sans leur faire subir de déformations arbitraires. Mais le découpage qui en est proposé par les Cahiers Marxistes-Léninistes ne répond en rien à l’épigraphe : » Comment unir la théorie marxiste-léniniste et la pratique de la Révolution chinoise ? «
Car on ne répondra pas à cette question en mettant uniquement l’accent sur la nature de la bourgeoisie nationale ou sur les phases au cours desquelles l’alliance avec elle a été possible. Ici, l’opportunisme réside dans le silence prudent observé à propos de textes qui projettent un éclairage différent sur la politique maoïste.
Nous réprouvons, en outre, une attitude singulièrement ambiguë à l’égard de STALINE ; c’est ainsi que, page 54, il lui est reproché d’avoir annoncé l’offensive contre le koulak, d’avoir dit qu’il s’agissait de » se préparer à l’action pour frapper le koulak, mais le frapper de façon qu’il ne puisse plus se remettre sur ses pieds.
» Au prix de véritables contorsions idéologiques, les dirigeants de l’U.J.C. s’efforcent alors de montrer que la distinction justement établie par le camarade MAO Tsé-toung entre le mépris stratégique et la prise en considération tactique de la force de l’ennemi exclut l’offensive directe ou destinée à triompher à court terme d’un adversaire donné.
La volonté opportuniste de prendre ses distances par rapport à la violence révolutionnaire stalinienne se traduit, par exemple, dans cette, phrase : » la ligne soviétique apparaît sensiblement aventureuse, sa réalisation ne pouvait impliquer que des moyens violents aboutissant souvent à la suppression, non seulement de l’être de classe, mais de l’existence physique des paysans riches. «
….. Et c’est là évidemment une accusation très voisine de celles que les révisionnistes dirigent contre STALINE.
Or il n’existe aucune divergence sur ce point entre STALINE et MAO Tsé-toung. Que l’on relise, en effet, ce texte célèbre de MAO : » La Révolution n’est ni un dîner de gala, ni une œuvre littéraire, ni un dessin, ni une broderie : elle ne peut s’accomplir avec autant d’élégance, de tranquillité et de délicatesse, de cérémonie et de minutie. La Révolution, c’est un acte de violence impitoyable d’une classe qui renverse le pouvoir d’une autre classe… Seule une puissante poussée révolutionnaire à la campagne sera susceptible de mettre en mouvement les millions de paysans et de susciter de leur part les plus grands efforts. «
Aux critiques qui s’en prennent aux » excès » paysans, comme l’U.J.C. aux » excès » du Parti bolchévik à la campagne, MAO Tsé-toung répond : ces excès » dont on vient de parler ont été engendrés justement par ces efforts des paysans, provoqués par la puissante poussée révolutionnaire qui s’est développée à la campagne.
Dans la seconde période du mouvement paysan (celle des actions révolutionnaires), ils sont tout à fait indispensables. Dans cette période, il faut asseoir l’autorité absolue des paysans, empêcher toute attaque perfide contre les unions paysannes, renverser complètement le pouvoir des Chen-chi, jeter ces derniers au sol et les écraser du pied. Au cours de cette seconde période tous les excès revêtent une importance révolutionnaire. En bref, il est nécessaire que s’établisse à la campagne une brève période de terreur.
Sinon, il sera absolument impossible d’étouffer l’activité des éléments contre-révolutionnaires à la campagne, de renverser le pouvoir des Chen-chi. Pour redresser, il faut d’abord savoir plier à l’extrême. Si l’on ne plie pas à l’extrême, on ne pourra ensuite redresser.
» Bien que l’opinion de ceux qui critiquent les » excès » se distingue apparemment de celle du premier groupe, elle procède au fond du même point de vue : c’est la théorie même des propriétaires fonciers, au service des seuls intérêts des classes privilégiées.
Aussi nous devons livrer un combat résolu à cette théorie qui fait obstacle à l’effort du mouvement paysan et qui, en dernière analyse, porte préjudice à la Révolution « . (Tome 1, pages 30 et 31).
D’autre part, les dirigeants de l’U.J.C. reprennent avec juste raison l’analyse chinoise des conceptions développées par STALINE à partir de 1936, sur l’harmonie des classes en régime socialiste. Ils en montrent clairement l’insuffisance.
Mais, à partir d’une orientation juste, il est bien tentant pour des opportunistes d’introduire des concessions à la propagande anti-stalinienne. Aussi l’organe de l’U.J.C. précise-t-il : » c’est pourquoi, au procès des opposants de Moscou, seront démesurément gonflés les contacts des accusés avec les ambassades étrangères.
Si dans son Rapport au 18e Congrès du Parti en 1939, STALINE présente le groupe des trotskystes-boukhariniens comme une poignée d’espions et de saboteurs rampant devant l’étranger, servilement aplatis devant le moindre fonctionnaire étranger et prêts à lui servir d’espions, c’est qu’il vient précisément de réaffirmer : ce qu’il y a de particulier dans la société soviétique de notre époque, à la différence des autres sociétés capitalistes, c’est qu’elle n’a plus dans son sein de classes antagonistes » (page 59).
Voilà qui revient à accuser STALINE d’avoir, pour la plus grande part, imaginé les contacts entre les trotskystes-boukhariniens et les ambassades étrangères, c’est-à-dire à l’accuser d’avoir monté de toutes pièces ces fameux procès par lesquels il a écrasé les ennemis de la classe ouvrière.
Ici encore, nous trouvons la reprise des accusations révisionnistes contre STALINE et, malgré de rares éloges, assez creux, adressés à ce grand bolchévik par les publications de l’U.J.C., nous ne pouvons admettre cette polémique antistalienne, destinée à flatter les penchants propres aux » intellectuels de gauche « .
Camarades, il faut choisir !
Enfin, nous relevons (page 82) une référence extrêmement élogieuse à Louis Althusser. Althusser est un philosophe dont les mérites intellectuels sont incontestables, mais dont l’œuvre reflète malheureusement la recherche d’un compromis entre le marxisme et le structuralisme, dont on sait les attaches avec l’impérialisme. Les intentions subjectives de Louis Althusser, que certains d’entre nous connaissent et estiment personnellement, ne sont pas ici en cause.
Mais enfin, il faut bien reconnaître que depuis la publication de ce numéro des Cahiers Marxistes-Léninistes, Althusser a appelé, notamment lors des dernières élections, à se ranger sur les positions du Parti révisionniste.
Et il faut le dire franchement : l’U.J.C., après s’être allègrement réclamée de ses positions, en particulier au temps ou elle formulait ses thèses à l’abri du cercle d’ULM, n’a pas pris aujourd’hui les distances nécessaires.
Or il n’est pas possible de maintenir l’unité d’action avec les membres du Parti révisionniste sous peine de glisser progressivement vers des positions conciliatrices, et d’appeler finalement à » l’unité de toutes les forces anti-impérialistes « , comme le Parti communiste (révisionniste) japonais.
Nous voudrions savoir quelle définition l’U.J.C. entend donner de ses rapports avec une école philosophique à l’intérieur de laquelle se trouvent aussi bien des membres disciplinés du parti révisionniste que des membres d’une organisation qui se réclame du marxisme-léninisme.
Cette difficulté de quitter la troisième voie – malgré des aspirations subjectives à l’engagement dans la lutte marxiste-léniniste – s’est traduite avec éclat dans les récentes campagnes électorales.
Au moment des élections présidentielles, les militants de la tendance U.J.C. ont accepté, de faire campagne pour le candidat de Guy Mollet et de Waldeck-Rochet, le politicien bourgeois Mitterrand.
Au moment des élections législatives, alors que la scission avec l’U.E.C. révisionniste était déjà officielle, Garde Rouge s’est soigneusement abstenu de prendre position et n’a pas donné la moindre consigne.
Le fait est, par lui-même, inacceptable. Mais il est aggravé par l’explication assez étrange que nous en a proposé l’U.J.C. lors de nos entretiens : » Nous n’avions pas à prendre position parce que nous sommes une organisation étudiante. » Comme si les étudiants n’avaient ni à voter, ni surtout à mener une action politique en vue de dénoncer l’électoralisme révisionniste, l’alliance avec Guy Mollet, etc. !
Disons d’ailleurs que, en divers points de province, et en particulier à Strasbourg, des groupes U.J.C. se sont manifestés à nos camarades et ont affirmé avoir reçu de leur direction la consigne verbale de déposer dans l’urne un bulletin révisionniste.
Certes, les actions décisives ne se développent pas sur le front électoral. Mais le recul devant la dénonciation du révisionnisme sur ce terrain est révélateur.
II en va de même de la lutte menée par l’U.J.C. contre le juste mot d’ordre : » Pas de nouveau Munich au Vietnam ! » Comme si la clique révisionniste, qui s’est emparée de la direction du P.C.U.S., ne s’efforçait pas d’amener l’héroïque peuple vietnamien à une négociation de style et de contenu anti-chinois.
Théorie et pratique
Il y a là autre chose qu’une déviation occasionnelle ou fortuite. La préoccupation majeure des dirigeants de ce qui fut le groupe d’ULM et qui s’est élargi en Union des Jeunesses Communistes, a toujours été de faire prévaloir la théorie, c’est-à-dire le théoricien, sur la pratique, c’est-à-dire sur les militants ouvriers.
Cette préoccupation a été avouée dés les premiers moments de cette organisation. Les textes que je vais citer sont empruntés aux cours de l’Ecole Parisienne de Formation Théorique qui datent de la période durant laquelle l’U.J.C. n’était pas encore publiquement constituée en organisation extérieure au parti révisionniste.
Cependant, ses dirigeants nous ont expliqué à plusieurs reprises qu’ils ne désavouaient aucun moment de cette lutte interne, qu’ils reprenaient à leur compte toutes les thèses alors formulées, que toute réserve faite par des étudiants du M.C.F. (ml) à l’égard de ce comportement, de cette analyse théorique, de cette orientation pratique devait faire de notre part l’objet d’une autocritique. II est par conséquent tout à fait logique que nous considérions de tels textes comme encore valables aujourd’hui.
Disons le d’ailleurs, si c’était nécessaire, nous ferions la preuve que les mêmes conceptions, les mêmes erreurs se retrouvent aujourd’hui encore dans les études et les articles publiés par les organes de presse de l’U.J.C. Que trouvons-nous, dés les premières pages de ce document de l’Ecole Parisienne (1er fascicule) ? Deux thèses sur lesquelles nous aurons à revenir constamment.
» On voit que déterminer la spécificité de la formation théorique, c’est aussitôt faire apparaître la nécessité.
Il apparaît qu’elle n’est pas théorie pour la théorie, mais que, si nous sommes fondés à dire que cette tâche est principale, c’est qu’elle détermine la justesse et l’efficacité tout à la fois des deux premières, action politique et lutte idéologique. Elle est ce sans quoi l’action se dégrade en activisme, et ce par quoi le militant communiste affirme sa maîtrise, sa position prédominante par rapport à tout autre militant politique. «
Dès ce moment, il apparaît que le mouvement qui mène de la théorie marxiste-léniniste pratique, de la conception marxiste-léniniste du monde à l’action et à l’organisation de l’action est posé avec beaucoup de force. En revanche, on ne voit nullement apparaître, ni le mouvement par lequel la théorie se constitue à partir de la pratique, ni le mouvement par lequel la théorie se vérifie au niveau de la pratique.
Dira-t-on que 1a formation théorique prend la théorie comme achevée ? Ce serait déjà un argument insuffisant dans la mesure où l’enseignement d’une discipline, lorsqu’il se coupe de son histoire, manque aux exigences les plus fondamentales du marxisme.
Eliminer de la formation théorique l’explication du mode de formation de la théorie, ce n’est pas sérieux. Présenter la théorie comme le fondement de l’organisation et l’organisation comme le fondement de la pratique, c’est faire passer le mouvement créateur des masses à l’arrière plan de la bataille politique.
Mais en outre, le lien entre la théorie et l’action est posé à sens unique ; la théorie est le guide de l’action. Il n’est dit nulle part et à aucun montent, que l’action, la pratique permet à son tour de vérifier, c’est-à-dire de remettre en question, de fonder, dans une nouvelle vérité, la théorie elle-même.
L’affirmation de la priorité absolue, métaphysique de la théorie se retrouve d’ailleurs deux fois. D’une part, les auteurs de cette brochure condamnent les camarades » qui, faisant preuve d’une attitude de démission, se prétendent rebutés par la difficulté des textes, tout impatients qu’ils sont de s’adonner à des tâches concrètes et tout inconscients que cette action mal éclairée dans ses principes ne saurait être qu’idéologiquement et Politiquement confuse. «
C’est dire que le rôle actif de l’expérience pratique, à la fois dans la constitution mais aussi dans la compréhension de la théorie est totalement négligée. Sans doute peut-il se faire que des camarades rebutés par l’étude des textes, s’orientent davantage vers des actions effectives au seul niveau de la spontanéité des masses. Mais il faudrait tout au moins reconnaître que ces actions effectives les aideront ultérieurement à pénétrer le sens des textes.
C’est vraiment célébrer le culte du livre avec frénésie que d’établir ainsi une coupure totale entre l’apprentissage par la pratique et l’apprentissage par la théorie. Tournons d’ailleurs la page, nous allons rencontrer une bibliographie.
Et, dans cette bibliographie, nous verrons bien paraître le texte de MAO » à propos de la contradiction » mais absolument pas » A propos de la pratique « , tel est le deuxième signe auquel il est possible de reconnaître que le problème des rapports entre la théorie, et la pratique n’est pas posé correctement.
Disons-le en passant, il n’y a pas là un hasard. Lorsque tel d’entre nous a eu l’occasion de rencontrer Louis Althusser et de discuter avec lui, Althusser n’a jamais caché que son accord avec A propos de la contradiction s’accompagnait d’un désaccord avec A propos de la pratique.
Et, lorsque nous retrouvons à chaque pas dans les publications théoriques de l’U.J.C. des références à l’œuvre, d’ailleurs intellectuellement importante, mais contaminée par le structuralisme, d’Althusser, que nous ne trouvons jamais non plus les citations et les enseignements indispensables qu’il faudrait tirer d’un texte comme De la pratique.
Il n’est pas soufflé mot non plus sur Matérialisme et empiriocriticisme de LÉNINE, ni sur matérialisme historique et matérialisme dialectique de STALINE. C’est que de tels textes classiques mettent l’accent sur la détermination de la théorie par la pratique. I1 faut donc les éliminer, non par hasard, mais par principe.
Quel en est le résultat ? C’est qu’après avoir affirmé la maîtrise des militants communistes, grâce à la formation théorique, par rapport à tout autre militant politique, le cours de l’Ecole parisienne précise : » pour aride qu’il puisse paraître, ce travail, parce qu’il est travail intellectuel, , est d’accès plus aisé à l’étudiant qu’à un autre militant « . Ou encore, pour » guider son action, suivant les termes d’ENGELS, la connaissance des principes et des résultats acquis par une science » est indispensable.
Par conséquent la thèse de la future U.J.C. est extrêmement claire : de même que la théorie doit guider la pratique, de même qu’il incombe aux étudiants d’acquérir cette formation théorique de manière privilégiée par rapport aux autres militants, il résulte nécessairement que le rôle dirigeant dans la formation du nouveau Parti revient à un détachement organisé d’étudiants marxistes-léninistes.
Ce n’est pas tout. Dès le premier numéro des Cahiers Marxistes-Léninistes nous trouvons cette phrase surprenante : » pensée et réel deviennent ainsi deux champs spécifiques (page 9) « , et, un peu plus loin, dans la conclusion, il nous est redit que MARX a posé » 1° la distinction de deux processus spécifiques, le processus réel et le processus de pensée ; 2° l’ordre qui règne en chacun d’eux est inverse : dans le processus réel, le point de départ est le concret, dans le processus de pensée le point de départ est l’abstrait (page 11) « .
En réalité, si on se reporte au texte auquel les Cahiers Marxistes-Léninistes font ici allusion, c’est-à-dire à la Contribution à la critique de l’Economie politique, on s’aperçoit que ce n’est pas de cette façon que MARX a posé le problème. D’une part il n’a rien dit qui permette de présenter le champ de la pensée comme un champ autonome : après avoir, en effet, parlé d’une totalité pensée, ou d’un concret de pensée, il a précisé : » aussi longtemps que l’esprit a une activité purement spéculative, purement théorique » (page 169).
C’est-à-dire qu’il existe bien un moment où 1’esprit se meut parmi les concepts et les combine entre eux, mais cette totalité de pensée ne peut être posée comme un champ spécifique, c’est-à-dire située à part en dehors de son point d’origine et de son point d’arrivée.
Déjà le texte de l’U.J.C. ignore soigneusement une remarque de Marx : c’est seulement à partir d’un certain moment de son développement que l’économie politique arrive à dégager des notions simples et abstraites. Dans un premier temps elle est partie d’une représentation immédiate du réel, d’une perception naïve des choses.
Et il a fallu un travail préalable pour dégager des notions simples. C’est seulement lorsque cette première démarche a été menée à bien que la seconde, au cours de laquelle la notion simple devient point de départ, a pu commencer. Autrement dit, il existe un moment de 1a connaissance où les notions sont élaborées à partir de la représentation immédiate, puis un moment où la totalité de pensée doit avoir à faire la preuve qu’elle a comme le dit :MARX dans La Contribution à l’étude de l’économie politique » une vérité pratique « .
C’est-à-dire que nous trouvons exactement chez MARX la même description du mouvement de connaissance que reprendra et développera, par la suite, MAO Tsé-toung dans son texte De la pratique. Mais l’interprétation abusive des extraits de MARX constitue exactement l’équivalent de la démarche par laquelle le texte du camarade MAO Tsé-toung est exclu des citations, pourtant innombrables que prodiguent les théoriciens de l’U.J.C.
Le mépris de l’idéologie ouvrière
L’importance de la coupure établie par ceux-ci lorsqu’ils mettent uniquement l’accent sur la reconstruction de la totalité pensée à partir de l’abstrait de pensée, niant le caractère pratique de la vérité, s’explique par la volonté de porter à l’absolu, de rendre métaphysique, la discontinuité entre la perception spontanée du réel et la connaissance scientifique.
Le même premier numéro des Cahiers Marxistes-Léninistes explique très clairement que la façon dont chacun d’entre nous vit son existence sociale est l’objet d’une perception illusoire et d’un discours qui en est le reflet. En réalité, il faudrait donc un véritable » renversement » pour passer de l’idéologie à la science.
Une première question se pose : toutes les idéologies, toutes les classes, tous les sujets actifs de connaissance sont mis sur le même plan. Et rien n’est dit du rôle historique particulier de la classe ouvrière qui a bien, sans doute, une conscience idéologique mais qui, en même temps présente les caractères objectifs qui la disposent déjà à être le sujet, le porteur du socialisme scientifique.
D’autre part, là on les théoriciens de l’U.J.C. parlent de » renversement « , MAO Tsé-toung, dans De la Pratique parle d’un » bond « .
Et il marque bien qu’il y a discontinuité mais aussi continuité dans l’éclaircissement par lequel les fragments épars de la connaissance sensible deviennent 1a totalité organique de la pensée du concret. Si, en effet, aucun élément de vérité ne peut se trouver dans la spontanéité, fut-elle ouvrière, on comprend alors pourquoi les théoriciens doivent se présenter devant le monde des exploités pour lui apporter une vérité, révélée complètement du dehors et avec laquelle elle n’a aucune affinité particulière.
Si, au contraire, il s’agit d’un » bond « , il faut construire la théorie sur la base de la spontanéité créatrice des masses – spontanéité que dépassera un bond qualitatif, mais sans jamais renoncer à elle comme fondement du mouvement théorique. Quand nous trouvons dans Garde rouge cette maxime hautaine (numéro 1, page 3, colonne 3) : » l’idéologie du prolétariat a pour fondement théorique la théorie marxiste-léniniste « , il apparaît que la classe ouvrière n’est pas le sujet de l’histoire, mais un groupe social voué, comme un autre, à l’illusion.
Donc son rôle dirigeant s’efface puisqu’il faut, non plus lui apporter la théorie la plus capable d’exprimer sa situation réelle, donc de se greffer sur sa pratique pour l’organiser, mais encore lui révéler à chaque pas le fondement théorique de la vérité dont elle n’aura – à tout jamais – qu’une connaissance illusoire.
Et on comprend aussi pourquoi les étudiants sont présentés à tant de reprises comme étant les mieux placés pour accomplir un travail théorique recevable. pour l’U.J.C., comme le dit encore ce premier numéro, page 12, » ce n’est pas la science qui reflète le réel, c’est l’idéologie qui reflète les apparences « .
C’est là une thèse incompatible avec la conception léniniste du reflet, formulée dans Matérialisme et empiriocriticisme, reprise et approfondie par : MAO Tsé-toung dans De la pratique.
C’est ainsi, qu’à propos de l’édification en France d’un Parti communiste » de l’époque de la Révolution culturelle » les rédacteurs de Garde range ont pu écrire :
» Nous devons enfin toujours garder à l’esprit – mais c’est déjà une tradition de notre organisation – le rôle essentiel de cette étape d’implantation du mouvement marxiste-léniniste dans les masses, du travail de formation théorique et idéologique, de propagande par le communisme scientifique, de diffusion la plus large possible des principes fondamentaux du matérialisme historique et du matérialisme dialectique.
Nous possédons en ce domaine une certaine expérience, mais elle reste encore insuffisante, principalement pour ce qui est des formes populaires de la formation marxiste-léniniste.
Il importe que nous puissions perfectionner considérablement nos instruments idéologiques afin de pouvoir, à l’instar de nos glorieux frères de combat, les gardes rouges, porter, en différents points du peuple, les principes d’une pensée correcte, le marxisme-léninisme, la pensée de MAO Tsé-toung » (cf. Garde rouge n » 5, page 12, dernière colonne – les phrases soulignées le sont par nous).
C’est là reprendre la thèse d’Althusser selon laquelle la théorie est réservée aux hommes de science et l’idéologie est réservée aux masses. Notons, en effet, qu’il est seulement question des formes populaires de la formation marxiste-léniniste lorsque nous passons des considérations sur » la formation théorique » à la nécessité de perfectionner considérablement nos » instruments idéologiques « .
A propos des revues et de la presse, à propos du rôle assigné par LÉNINE au travail théorique, réapparaît constamment, sans pourtant qu’il soit affirmé explicitement, le principe d’une distinction entre la théorie réservée aux intellectuels et l’idéologie assez bonne pour les masses. Au demeurant. il en résulte sur le plan de la théorie de la connaissance des erreurs singulières. C’est ainsi, rappelons-le, que dès le premier numéro des Cahiers Marxistes-léninistes nous trouvons, page 12, cette formule redoutable :
» Ce n’est pas la science qui reflète le réel, c’est l’idéologie qui reflète les apparences « . Ce qui est faire bon marché des textes de LÉNINE et de MAO Tsé-toung, ce qui est aussi significatif dans la mesure où l’idéologie seule est admise à refléter, à traduire une pratique sociale, dans un langage d’images on de faux concepts, alors que la science elle-même, en vertu d’une » coupure épistémologique » avec l’histoire, est dispensée de remplir une fonction sociale.
Dès lors, il n’est plus possible de montrer que le marxisme-léninisme se distingue des autres idéologies parce qu’il est celle de la classe ouvrière, parce que, en vertu de sa position spécifique dans la lutte des classes, le prolétariat est précisément le porteur de la science. Dès lors, il n’est plus possible de renoncer à la thèse perpétuellement sous-jacente selon laquelle il appartient aux intellectuels de diriger les masses.
Le refus du Parti marxiste-léniniste
Ce mépris du peuple ainsi enfermé dans le ghetto de l’idéologie et séparé de la science se retrouve de bien d’autres manières.
C’est ainsi qu’expliquant l’importance et la force de l’organisation révisionniste en France à l’heure actuelle, Garde rouge n°6, pages 10-11, colonne 4, met l’accent sur une masse importante de membres de l’aristocratie ouvrière, de cadres et de techniciens supérieurs, de contremaîtres, de bourgeois intellectuels.
Mais nulle part il ne rappelle clairement le nombre, le rôle et les tâches de ce noyau dur du prolétariat que constituent les ouvriers spécialisés et les manœuvres.
Par conséquent il surestime stratégiquement la base de classe du révisionnisme et oublie tout simplement la force croissante, les réactions de plus en plus énergiques de ces strates prolétariennes contre la direction révisionniste. Ainsi se trouve artificiellement fondé le refus de créer un nouveau parti marxiste-léniniste.
On comprend bien pourquoi : il faut absolument qu’il soit trop tôt pour créer le Parti, il faut absolument que dans sa phase actuelle la décentralisation soit nécessaire au niveau du mouvement global et l’emporte sur la nécessité de la centralisation. Sans la décentralisation écrit Garde rouge, » le parti sera incapable de se mettre à la tête de la lutte de l’ensemble du peuple et de souder toutes les classes et couches progressistes en un front uni puissant dirigé par la classe ouvrière.
Il sera incapable de saisir l’état des luttes de classes sous tous leurs aspects, il comprendrait les ouvriers, mais non les paysans, les ouvriers de telle branche, mais non les ouvriers de telle autre, les travailleurs manuels, mais non d’autres catégories de la petite bourgeoisie, etc. Il serait incapable de déterminer quelle forme de la lutte des classes est dans le moment actuel décisive…
Il sera incapable d’organiser en son sein une juste division du travail » et notamment les » besoins théoriques urgents dans un domaine déterminé du matérialisme historique ou du matérialisme dialectique « . (Garde rouge, n°6, page 10, col. 1).
On voit ainsi défendre la thèse selon laquelle il est impossible de comprendre le mouvement global de la société à partir d’une analyse théorique des classes fondamentales définies par Marx dans Le Capital (les ouvriers qui vivent de leur salaire, les propriétaires fonciers qui vivent de rente foncière, les capitalistes qui vivent du profit), ni à partir d’une ligne politique et d’une pratique politique juste, refusant ainsi de situer la compréhension marxiste du mouvement social sur des bases saines, les membres de l’U.J.C. prétendent renvoyer le processus de centralisation à un moment où l’ensemble des couches susceptibles d’une alliance avec la classe ouvrière seront effectivement représentées en nombre suffisant à l’intérieur des divers détachements marxistes-léninistes.
C’est-à-dire qu’en pratique, ils renvoient la création du Parti à une date qu’il est absolument impossible de fixer et dont on peut seulement dire qu’elle est sensiblement éloignée.
En attendant, dans quelle situation nous trouvons-nous ? » Au montent où les militants marxistes-léninistes, écrit Garde rouge, ont pour tâche principale d’implanter la théorie marxiste-léniniste sous sa forme la plus générale dans les masses, ce qui est le cas quand une longue période de dégénérescence opportuniste a obscurci leurs connaissances et les a sevrées d’un mode de pensée correcte.
Au moment où les militants marxistes-léninistes ont pour tâche principale de pénétrer les différentes couches du peuple et d’acquérir l’expérience du travail militant dans ces différentes couches et classes, au moment où les marxistes-léninistes doivent inventer les formes nouvelles de travail d’élaboration et d’organisation dans lesquelles se développera la lutte des classes, à ce moment là, qui correspond à l’étape de la naissance et de la première implantation du mouvement marxiste-léniniste, étape préalable à la naissance du Parti proprement dit, l’exigence de décentralisation et d’hétérogénéité l’emporte de loin sur l’exigence de centralisation » (Garde rouge n° 6, page 10, colonne 1).
Ici encore, nous trouvons la thèse selon laquelle il s’agit d’apporter, du dehors, la vérité théorique et simultanément d’acquérir l’expérience du travail militant sans qu’une corrélation, une interdépendance, un enrichissement réciproque de la théorie par la pratique et de la pratique par la théorie ne soient jamais posés nulle part.
En outre, l’idée simple qu’un enrichissement de la théorie par la pratique au niveau d’une couche sociale, voire d’un groupe particulier de la classe ouvrière, peut trouver son champ d’application dans d’autres groupes ou dans d’autres strates environnantes échappe totalement aux auteurs de ce texte. Enfin, ils ne voient pas que plus l’action d’implantation des marxistes-léninistes doit conduire ceux-ci à diversifier leurs efforts concrets, à se multiplier dans les directions les plus diverses, et plus l’unité de pensée et d’action mérite d’être préservée par la centralisation.
Ils établissent une contradiction métaphysique entre la centralisation et la décentralisation au lieu de voir qu’il s’agit d’un seul et même processus à l’intérieur duquel se développe un Parti marxiste-léniniste. Ici encore on comprend bien où le bât blesse : la théorie telle qu’ils la conçoivent est parfaitement incapable d’unifier, sans la mutiler, l’expérience riche et diverse de l’existence populaire.
Il ne leur est pas donné de procéder à des analyses scientifiques suffisamment enracinées dans le réel pour que, au fur et à mesure de la progression, de la pénétration marxiste-léniniste dans un groupe social donné, cette pénétration se traduise, sur le plan de l’approche scientifique, par l’élaboration d’un savoir cohérent.
Il existe d’ailleurs une singulière contradiction dans ce texte : s’il est vrai que ce sont les détenteurs de la théorie qui ont actuellement pour tâche » d’inventer les formes nouvelles de travail, d’élaboration et d’organisation dans lesquelles se développera la lutte des classes « , on ne voit nullement pour quelle raison, l’organisation centralisée de ces théoriciens ne deviendrait pas du même coup l’organisation centralisée de la classe ouvrière et du mouvement révolutionnaire tout entier.
A dire vrai, lorsque LENINE s’inscrivit en Russie dans le mouvement créé par le groupe Libération par le travail, telle était son ambition avouée. Effectivement la rencontre entre les intellectuels, d’abord groupés autour de PLEKHANOV, et le mouvement socialiste naissant à l’intérieur des entreprises, permettait d’assurer une telle centralisation.
Mais c’est que LENINE, et aujourd’hui MAO Tsé-toung, voit clairement qu’il s’agit là d’une rencontre créatrice et non d’une application mécanique de la théorie posée comme un commencement absolu et une fin suprême, avec l’alibi d’articles d’information baptisés, à tort, » enquêtes sur le modèle de MAO « . Dés lors, la volonté centralisatrice de LENINE pouvait s’affirmer d’emblée dans un même faisceau d’investigation et d’action. En revanche, on conçoit que des théoriciens prisonniers de la théorie ne puissent à aucun moment s’engager dans une telle direction.
L’U.J.C. et le centralisme
La conséquence inéluctable d’un pareil comportement politique, c’est que l’U.J.C. réclame pour chaque détachement particulier, c’est-à-dire pratiquement pour elle-même, le droit à la centralisation la plus rigoureuse et se déclare satisfaite d’aller au peuple pour lui transmettre la vérité.
Quiconque pourrait penser qu’il y a là de notre part une exagération ou une déformation se reportera utilement au 6e numéro de Garde rouge déjà plusieurs fois cité : » En premier lieu, le renforcement de l’U.J.C. (ml) et de son organisation propre constitue pour nous dés maintenant une contribution importante à l’édification du Parti, dont notre Union sera nécessairement un élément constitutif.
Nous avons, au cours de notre lutte interne, conquis la majorité réelle des étudiants communistes de l’U.E.C, pourrissante, nous avons, dans la suite de notre travail, et en particulier dans l’action de masse contre l’impérialisme américain , démontré que nous dirigions effectivement les luttes des étudiants progressistes.
Mais nous ne pouvons ignorer qu’il nous reste encore beaucoup à faire pour entraîner la masse des étudiants dans notre combat, renforcer notre organisation et nos formes d’action à l’Université, consolider le mouvement anti-impérialiste en développant son contenu populaire, enfin et surtout lier effectivement la lutte des étudiants à celle des travailleurs, entraîner de plus en plus d’étudiants dans le soutien aux grèves et aux mouvements revendicatifs… renforcer l’U.J.C.M.L., c’est également assurer son implantation parmi les jeunes travailleurs et jeter les bases de l’unité organique de la Jeunesse Communiste « …
Il est ainsi supposé que la jeunesse constitue le fondement même d’une organisation indépendante et autonome, capable de trouver sa voie en tant que détachement isolé à l’intérieur du monde capitaliste.
Et, par conséquent, priorité est ici donnée à la jeunesse en tant que classe d’âge sur le prolétariat en tant classe sociale porteuse de l’avenir du monde. Ajoutons que, dans la jeunesse elle-même ce sont les étudiants qui apparaissent, non seulement comme des initiateurs, mais aussi comme les maîtres à penser comme les dirigeants désignés.
Nous en arrivons toujours à la même conclusion : il faut laisser les étudiants, les intellectuels se constituer en détachement théorique autonome. Lorsqu’ils détiendront la vérité – acquise hors de la pratique ouvrière et vérifiée par la seule » pratique théorique » – ils se présenteront devant les masses qui, elles, n’ont pas accès aux fondements théoriques mais à une traduction déformée de la théorie marxiste : l’idéologie ouvrière.
Une conception fausse des classes sociales
Cette prétention étudiante de l’U.J.C. à prendre la direction du mouvement, sans égard pour les responsabilités historiques du prolétariat, explique sa fausse conception des classes sociales en général et de la classe ouvrière en particulier.
Ce n’est donc pas un hasard s’ils en viennent à baptiser » prolétariat » n’importe quelle fraction du peuple lorsqu’ils veulent lui conférer le rôle dirigeant. Comme si la tâche historique de la paysannerie chinoise ou albanaise avait jamais altéré la fermeté avec laquelle nos camarades chinois et albanais affirment une conception léniniste des classes sociales !
Pour mieux comprendre ces lacunes retenons ici un numéro des Cahiers Marxistes-Léninistes consacré à la Révolution culturelle (numéro 14, novembre-décembre 1966). Nous y trouvons page 12 un texte qui, bien évidemment, n’a pas d’effets trop négatifs à l’intérieur de ce numéro parce que l’utilisation des documents chinois constitue un véritable garde-fou. Mais les erreurs qui en découlent peuvent être décelées dans d’autres études de l’U.J.C.
» Une classe sociale n’est pas définie uniquement par la position de ses membres dans les rapports de production, donc par les rapports de production, elle est définie aussi et en même temps par leurs positions dans les rapports politiques et les rapports idéologiques qui demeurent des rapports de classe longtemps après la transformation socialiste des rapports de production. «
Ce texte ambigu est complété par une remarque infiniment plus juste : » Sans doute c’est l’économie, les rapports de production qui définit en dernière instance une classe sociale, mais la lutte des classes constitue un système, elle s’exerce à différents niveaux, économique, politique, idéologique. Et la transformation d’un niveau ne fait pas disparaître les formes de la lutte des classes des autres niveaux, c’est ainsi que la lutte des classes peut se poursuivre avec virulence au niveau politique et surtout au niveau idéologique longtemps après la suppression, pour l’essentiel, des bases économiques des classes possédantes dans un pays socialiste « .
Mais s’il est absolument vrai que la lutte des classes se déroule à tous les niveaux de la réalité sociale, il n’en résulte pas qu’il faut rejeter par dessus bord la définition léniniste de la classe sociale par la place occupée clans les rapports de production : les autres luttes traduisent, reflètent, exaltent, renforcent ou préparent les luttes menées au niveau économique.
En réalité, ,il y a dans le texte des Cahiers Marxistes-Léninistes de multiples confusions :
– les classes sociales se définissent au niveau de l’économie et des rapports de production. Les textes de LENINE dans La grande initiative ne laissent aucun doute sur ce sujet. Et il est trop facile de se référer également à l’étude de :MAO Tsé-toung sur les classes sociales en Chine.
Et il n’est pas moins vrai qu’il existe une lutte de classes au niveau idéologique ou politique et que des procès se situant à ces différents niveaux peuvent en effet conduire en régime socialiste, comme en U.R.S.S., à la constitution d’une nouvelle classe exploiteuse dans le cadre d’un retour à la voie capitaliste. Mais la constitution d’une véritable classe exploiteuse n’est un fait accompli qu’à partir du moment où, prenant naissance au niveau des procès politiques, idéologiques, etc., ce procès débouche sur l’appropriation de la plus-value par la nouvelle bourgeoisie bureaucratique.
Car c’est bien d’appropriation de la plus-value qu’il s’agit, et non pas, comme l’indique ce même numéro des Cahiers Marxistes-Léninistes (n° 14, page 12), de simples » différences notables de revenus « .
Bref, ce qui apparaît dans ce texte, c’est la confusion entre une position juste – les classes s’affirment dans leurs luttes à tous les niveaux – et l’évasion subjective en dehors de toute définition rigoureuse des classes sociales et très particulièrement du prolétariat. Et nous retrouvons bien là la difficulté des théoriciens de l’U.J.C. à se saisir des mouvements proprement historiques – qui sont les créateurs de structures – par opposition avec le fonctionnement d’une structure déjà constituée.
Les conséquences de pareils flottements, nous les rencontrons dans le Cahier Marxiste-Léniniste n°2, Impérialisme et lutte des classes, où se trouve une stupéfiante étude sur la lutte des classes en Algérie. Déjà d’entrée de Jeu, page 2, une question est récusée – et pourtant elle est d’importance – : l’Algérie est-elle socialiste ?
Cette interrogation est déclarée absurde ! En effet, » poser cette question et y répondre négativement, deux ans après l’indépendance, c’est faire preuve d’une ignorance totale du processus révolutionnaire : il n’y a pas un modèle de socialisme homologué qu’on applique après avoir pris le pouvoir, c’est pendant des années de lutte de classes, après la révolution, que les travailleurs acquièrent les moyens de contrôler collectivement la production et que se forge un nouvel appareil d’Etat qui sera, dans cette lutte, leur appareil et non celui des exploiteurs « .
Si nous comprenons bien, poser la question de savoir si l’U.R.S.S. était socialiste en 1919 ou si la Chine l’était en 1950 serait absolument privé de sens. Nous pensons au contraire, quant à nous, qu’il existe des critères extrêmement précis qui permettent de déterminer si un pays est socialiste. Il s’agit de répondre à la question : qui détient 1e pouvoir politique ?
L’U.J.C. néglige le critère décisif du pouvoir. C’est une autre question de savoir à quel moment la première révolution, c’est-à-dire la prise du pouvoir politique, se traduit par la deuxième, c’est-à-dire l’implantation de secteurs socialistes prépondérants dans l’économie.
Or, quelle que soit la grandeur historique de la révolution algérienne, il n’est pas possible d’affirmer scientifiquement que le F.L.N., c’est le Parti de la classe ouvrière qui a pris le pouvoir.
Il ne suffit pas évidemment pour éliminer les problèmes que pose une telle situation, d’écrire tranquillement » le fait que la fonction de prolétariat conscient, assumée en Russie par les quelques trois millions d’ouvriers de l’industrie lourde, semble devoir être remplie en Algérie, dans un premier temps, par la fraction moderne de la paysannerie, les travailleurs de l’auto-gestion en nombre très variable « .
Il est tout de même extraordinaire de se contenter de baptiser » prolétariat » une fraction de la paysannerie, fut-elle » moderne « , et de se déclarer satisfait par ce tour de passe-passe. Ce subterfuge est d’autant plus caractéristique qu’on nous explique avec beaucoup de précision que ces travailleurs du secteur moderne doivent expulser systématiquement de l’exploitation agricole coopérative les chômeurs et bon nombre de paysans pauvres (page 26). La représentation d’un prolétariat de ce type est plus technocratique que marxiste.
On admirera encore cette remarque (page 38) : » nos camarades algériens se sont engagés d’une façon irréversible dans la voie de l’édification socialiste. En révolutionnaires conséquents, ils ne tentent pas de masquer les difficultés de leur tâche, mais s’efforcent au contraire de les évaluer correctement de façon à mettre en œuvre la stratégie la plus adéquate « .
Cette volonté systématique de vouloir transformer l’Algérie en Russie de 1917 et, par voie de conséquence, Ben Bella en LENINE, a évidemment des conséquences très négatives. Elle est la conséquence directe des facilités qu’on se donne à partir du moment où, brouillant tout, mêlant tout, passant des classes à la lutte des classes, des reflets de survivances anciennes aux procès constitutifs de phénomènes nouveaux, on s’abandonne au vertige théorique sans s’attacher suffisamment à l’investigation des réalités.
En tout cas, pour la situation française, les conséquences en sont lourdes, et par exemple lorsque se trouve posée la question de la constitution d’un nouveau Parti bolchévik en France, la méthode proposée est :
d’agir » par la poursuite de la lutte interne au sein d’une organisation révisionniste produisant des formes inégalement développées, pendant un temps, d’une organisation nouvelle « . (Cahiers Marxistes-Léninistes n°14, page 28 sur la pensé de MAO Tsé-toung).
En d’autres termes, » pour la conquête des forces intermédiaires, – il faut une politique de front uni. Ceci doit rendre compatible l’action de diverses forces qu’il faut unir par la limitation et l’ajustement des tâches révolutionnaires.
Ce développement combiné des forces composant le front ne va pas non plus sans luttes, mais la lutte est idéologique forme de traitement des contradictions au sein du peuple » (Cahiers Marxistes-Léninistes, n° 14, page 29).
Derrière l’obscurité de ce passage, faut-il conclure qu’en novembre-décembre 1966, l’U.J.C. estimait toujours que la lutte interne était la seule forme réelle de lutte ayant un avenir ?
Faut-il en conclure qu’elle n’a été amenée que par hasard à sortir des rangs de l’Union des Etudiants Communistes révisionnistes ?
Faut-il en conclure que son opposition à la création d’un Parti Communiste de France (marxiste-léniniste) tient à ce qu’elle n’est pas disposée à passer à cette phase supérieure de la lutte externe, qui consiste à effacer systématiquement tout ce qui pourrait subsister de ressemblances aux yeux des masses entre nous et les révisionnistes ?
C’est parce que la théorie est coupée de la pratique qu’elle est impuissante à montrer le rôle dirigeant du prolétariat donc à justifier la centralisation de l’action. C’est parce que la pratique est coupée de la théorie qu’elle est présentée comme la simple juxtaposition de spontanéités, différentes selon les classes, les milieux ou les strates, et que toute généralisation devient impossible, à défaut d’un contrôle réel exercé par l’organisation de la totalité des couches et des classes sociales progressistes.
Mais, comme ces conditions préalables ne seront pas remplies dans un avenir prévisible, l’U.J.C. rejette en fait définitivement l’idée même d’un Parti communiste marxiste-léniniste en. France, et s’interdit par là même la rupture totale avec le révisionnisme.
Plutôt que de citer des textes sans rapport avec les problèmes posés, les rédacteurs de Garde rouge auraient gagné à se reporter à la façon dont MAO Tsé-toung procède à l’analyse des classes de la société chinoise dans son article de mars 1936. I1 pose essentiellement la question : » Quel sont nos ennemis, quels sont nos amis ? » Et il ne dit pas que l’existence du Parti suppose au contraire que » pour distinguer nos vrais amis de nos vrais ennemis, nous devrons analyser dans ses traits généraux la situation économique des classes qui constituent la société chinoise et leurs positions par rapport à la révolution. «
Son analyse procède d’un sens si aigu de la réalité, mais aussi d’une puissance théorique telle, qu’en fin de compte l’analyse qui nous est présentée est très largement utilisable à l’intérieur même de la société française, en dépit de toutes les différences qui peuvent exister entre la Chine de 1926 et la France de 1967.
Lorsque par exemple MAO Tsé-toung propose de créer la catégorie du semi-prolétariat, et d’y inclure avec les paysans pauvres les petits artisans et les employés, il est clair que tout en se référant à des situations concrètes fort diverses, il n’en désigne pas moins par là une série de situations à l’intérieur desquelles la réceptivité à la propagande révolutionnaire existe, tout en marquant bien qu’il ne s’agit pas là pour autant du prolétariat proprement dit. Encore faut-il observer que l’analyse des classes et des luttes de classes pour les théoriciens de l’U.J.C. n’est pas satisfaisante. Sur ce point non plus, ils n’ont pas respecté les enseignements de MARX, ENGELS, LENINE, STALINE et MAO Tsé-toung.
Rappelons en effet dans les Cahiers Marxistes-Léninistes consacrés à la révolution culturelle, le texte de la page 12 du n° 13-14. A vrai dire, la situation des dirigeants de l’U.J.C. n’est pas favorable dans la mesure où ils nous reprochent de créer le Parti Communiste de France (marxiste-léniniste) avec des forces infiniment plus considérables numériquement, que celles dont disposaient nos camarades chinois lorsqu’ils ont entrepris de créer leur propre Parti.
Rappelons que 72 militants ont pris cette initiative historique et, si nous n’avons nullement la prétention de comparer la qualité de nos cadres à celle des hommes qui ont fondé le Parti communiste chinois, il n’en reste pas moins que notre implantation dans les masses, surtout compte tenu de l’immensité de la population chinoise, est infiniment plus étendue. Peut-être même pourrait-on légitimement nous accuser d’avoir trop tardé à prendre cette décision.
Quoi qu’il en soit, les incertitudes des dirigeants de l’U.J.C. se reflètent de manière tout à fait intéressante dans le paragraphe où ils essaient de définir ce qu’ils appellent les lois générales de l’édification du Parti communiste ; lois auxquelles ils attribuent » une valeur universelle dans leur contenu » et, d’autre part, les exceptions qu’ils sont bien obligés de reconnaître à ces lois prétendument universelles.
C’est là que se trouve cette appréciation extrêmement subjective : » On trouve des cas importants dans lesquels la création du parti a précédé sa naissance effective : par exemple, la création du P.O.S.D.R. en 1898 « . C’est-à-dire à la différence de LENINE et de STALINE, que les membres de l’U.J.C. considèrent que le Parti ouvrier russe est né après la date officielle de sa proclamation ! Il serait d’ailleurs trop facile de transposer cette appréciation dans le cas du Parti Communiste chinois.
Il est vrai que la seule différence derrière laquelle se retranchent les rédacteurs de Garde rouge, c’est que la classe ouvrière en France a l’expérience d’une organisation politique infiniment plus ancienne, qu’elle est en quelque sorte infiniment plus exigeante que les masses chinoises en la matière. A vrai dire, c’est là un de ces arguments de circonstance, dont on ne sait trop dans quel sens il faut les retourner.
Il est certain que, dans le monde ouvrier, l’attraction d’un Parti Communiste est grande ; et que le mot fait partie intégrante de la subculture prolétarienne. Il est d’ailleurs amusant de prétendre à la fois définir les lois générales de l’édification d’un Parti d’un point de vue de principe, et, cependant, d’avouer aussitôt qu’il s’agit uniquement de la France. Faisant fi de toute l’expérience antérieure du mouvement international, à l’intérieur duquel les événements n’ont pas suivi les brillantes » lois générales » qu’ils dégagent, les dirigeants de l’U.J.C. écrivent :
» La naissance du parti ne peut s’entendre rigoureusement que d’une seule façon : des organisations hétérogènes, locales ou spécifiques à des milieux donnés, des militants isolés, des cadres issus de détachements divers de la classe ouvrière et du peuple, ont accumulé des forces suffisantes en organisation, en expérience théorique pour organiser l’agitation et prendre la direction effective des luttes de classes dans les détachements respectifs de la classe ouvrière et du peuple auxquels ils sont liés.
D’autre part, et c’est la seconde condition complémentaire de la première, ces différents détachements marxistes-léninistes sont parvenus par l’expérience pratique, le travail théorique, les enquêtes et la lutte idéologique, lutte contre les réactionnaires et persuasion réciproque dans les rapports avec nos amis, à une unité de pensée, de style, d’analyse et de méthode de travail telle qu’elle leur permette d’élaborer un programme unique du mouvement, de déterminer un plan de propagande et d’action unique pour le mouvement dans tout le pays, de produire enfin une presse diversifiée dans son style et sa ligne de travail. «
C’est-à-dire qu’il faut attendre pour créer le Parti Communiste de France marxiste-léniniste d’avoir reconstitué une organisation comparable quantitativement à celle du parti révisionniste. C’est là tout simplement marquer un manque de confiance envers les masses, un esprit de recul au moment du combat décisif, et c’est là bien sûr prendre une position elle-même semi-révisionniste.
En réalité il y a là une conception fataliste de l’histoire qui est liée à une deuxième erreur théorique, sur laquelle il va falloir maintenant se pencher, erreur dont la portée et les conséquences méritent d’être soulignées au niveau de l’organisation même de la lutte.
C’est l’effacement systématique de l’homme agissant, du militant ouvrier, de l’initiative créatrice des masses, réduites au rôle de simples illustrations d’un procès social soumis à une implacable nécessité.
Si nous voulons comprendre la racine de nos divergences dans les analyses, il suffit de se reporter aux fascicules de l’Ecole parisienne de Formation théorique, dont nous avons parlé, lorsqu’elle consacre une fiche entière à la notion de procès.
Le débat théorique fondamental est ici très clair : ou bien la racine de l’existence sociale est l’acte de travail – acte dissimulé derrière le fétichisme de la marchandise, derrière les procès de mystification qui obscurcissent la conscience des prolétaires et plus encore des semi-prolétaires ; ou bien les rapports sociaux sont des procès, des structures qui se répètent indéfiniment, toujours identiques à eux-mêmes.
Et la Révolution devient soit impossible, soif irrationnelle. Ici, nous devons suivre de très prés 1’enchainentent des idées. Tout d’abord, le texte des dirigeants de l’U.J.C. part d’une note qui se trouve dans Le Capital :
» Le mot procès qui exprime un développement considéré dans l’ensemble de ses conditions réelles appartient depuis longtemps à la langue scientifique de toute l’Europe… il finira par obtenir ses lettres de grande naturalisation. » (Tonte I, page 181).
On est tout d’abord frappé par une omission qui peut sembler singulière. L’auteur de cette analyse ne nous dit pas que le procès dont il est ici question se décompose, selon MARX, en trois éléments :
1° l’activité personnelle de l’homme, ou travail proprement dit,
2° objet sur lequel le travail agit
3° moyens par lesquels il agit.
Et plus complètement ce procès, c’est le procès du travail, c’est-à-dire :
» le travail est de prime abord un acte qui se passe entre l’homme et la nature. L’homme joue lui-même vis-à-vis de la nature le rôle d’une puissance naturelle ; les forces de son corps, bras et jambes, tête et mains, il les met en mouvement afin de s’assimiler les matières en leur donnant une forme utile à sa vie. En même temps qu’il agit par ce mouvement sur le nature extérieure et la modifie, il modifie sa propre nature et développe des facultés qui y sommeillent.
Nous ne nous arrêterons pas à cet état primordial du travail où il n’a pas encore dépouillé son mode purement instinctif. Notre point de départ, c’est le travail sous une forme qui appartient exclusivement à l’homme. Une araignée fait une opération qui ressemble à celle du tisserand et l’abeille confond par la structure de ses cellules de cire l’habileté de l’architecte.
Mais ce qui distingue le labeur du plus mauvais architecte de l’abeille la plus experte, c’est qu’il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. Le résultat auquel le travail aboutit préexiste idéalement dans l’imagination du travailleur.
Ce n’est pas qu’il opère seulement un changement de forme dans les matières naturelles, il réalise du même coup son propre but, dont il a conscience, qui détermine son mode d’action auquel il va subordonner sa volonté.
Mais cette subordination n’est pas momentanée : l’œuvre exige pendant toute sa durée, outre l’effort des organes. qui agissent, une attention soutenue qui ne peut elle-même résulter que d’une tension constante de la volonté. Elle l’exige d’autant plus que, par son objet et son mode d’exécution, le travail entraîne moins le travailleur, se fait moins sentir comme le libre jeu de ses forces corporelles ou intellectuelles, en un mot qu’il est moins attrayant. Voici les éléments simples dans lesquels le procès de travail se décompose… «
Il est tout à fait clair que, pour MARX, le concept de procès est un concept subordonné : il est subordonné à celui d’acte.
Ou, plus exactement, il l’inclut comme une notion simple que nous ne devrons jamais perdre de vue. Chaque fois; par conséquent, que nous retrouverons le thème d’un » procès de travail « , nous ne pourrons pas, contrairement à certaines tentations, admettre d’éliminer le concept d’acte de travail. A dire vrai, nous devrons toujours nous rappeler qu’il est l’un des trois éléments qui sont inclus dans le concept de procès de travail. Pourquoi est-ce si important ? Parce que la même fiche continue en ces termes :
» Ce développement considéré dans l’ensemble de ses conditions réelles représente le concret réel que la science doit s’approprier dans le concret de la pensée « . (Cahiers Marxistes-Léninistes n° 1, » Processus réel et processus pensé « ).
C’est là une identification extrêmement rapide, si l’on songe que l’ensemble des conditions réelles ne ressemble guère à ce passage de l’abstrait au concret, du simple au complexe qui était évoqué dans le texte de l’Introduction. Mais passons sur cette première réserve. Quels sont les caractères du procès d’après l’Ecole parisienne de formation ?
» 1° dans un procès les éléments ne sont pas déterminés par leur nature, mais par leur place, par la fonction qui est attachée à cette place. «
Il faut ici faire extrêmement attention parce que c’est à la fois vrai et faux. Le fait que le travail soit un acte qui se passe entre l’homme et la nature fait qu’un élément comme l’homme ne peut être remplacé par aucun autre. Sans doute se caractérise-t-il par sa place et par sa fonction dans la production, mais à la condition d’ajouter qu’il est d’une nature telle (celle qui le constitue précisément comme force de travail créatrice de valeur), qu’aucun autre élément ne pourrait remplir la même fonction ou le même rôle.
Il en résulte par conséquent que, au niveau même de la conception du procès, va venir s’insérer un sujet agissant, un support des rapports de production, qui sera l’homme lui-même.
Plus exactement, le fait que l’homme soit homme avec ses caractéristiques organiques, avec ses propriétés d’individu sera, comme le souligne MARX lui-même à plusieurs reprises, un élément capital dans l’étude de toute société. Voilà qui ne signifie nullement qu’il existe une soi-disant nature humaine immuable, et que l’homme lui-même ne se structure pas à l’intérieur du procès social de production mais voilà malgré tout qui nous invite à ne pas nous représenter le monde des structures comme trop éloigné de la sphère où l’activité pratique de l’individu peut introduire dans l’histoire des changements importants.
Il faudrait affirmer face à certaines tentations structuralistes qu’il n’est pas de rapport sans support, et que ce rapport est 1’individu physique, naturel, doté par sa naissance biologique d’un certain nombre de possibilités. Le deuxième caractère du procès ne prête pas moins à discussion. Le texte incriminé est le suivant :
» deuxièmement, le mouvement du procès tend à la reproduction constante de ses éléments. Indépendamment de sa forme sociale, tout procès de production produit les conditions de cette production, etc. Aussi, tout procès de production sociale est en même temps procès de reproduction » (Le Capital, tome III, page 9).
De plus, compte tenu de sa forme sociale, un procès de production – capitaliste par exemple – reproduit outre les éléments du procès de production , les rapports de production qui caractérisent le mode de production capitaliste. En se répétant, le procès rie production se perpétue comme procès de production et comme capitaliste.
» Le procès de production capitaliste considéré dans sa continuité ou comme reproduction ne produit donc pas seulement marchandises, ni seulement plus-value ; il produit et éternise les rapports sociaux entre capitaliste et salarié. » (Le Capital, tome III, page 20).
Il est clair que c’est là une indication extrêmement utile contre tous ceux qui seraient portés à oublier qu’il existe un élément permanent, à travers l’ensemble du capitalisme – et c’est précisément cette forme sociale, qui se reproduit de cycle productif en cycle productif. Mais c’est là que certaines réserves vont apparaître. Nous retrouvons dans les Cahiers Marxistes-Léninistes cette représentation du processus comme reproduction pure et simple de ce qui avait été produit (Cahiers Marxistes-Léninistes, n° 5, page 10 et suiv.).
Et c’est là bien évidemment, que les difficultés du structuralisme à saisir le mouvement même de l’histoire se feront les plus manifestes. Sans se demander si ce n’est pas le mode de pensée en question qui est en cause, l’auteur va jusqu’à écrire : » Ces analyses du Capital (sur l’origine et la forme du mode de production capitaliste) prises à la lettre sont insuffisantes à résoudre notre problème.
Ce qui ne signifie pas que l’analyse de MARX concernant son objet propre, la structure économique du mode de production capitaliste, soit lacunaire, mais précisément qu’elles lui sont strictement subordonnées.
Mais, comme le problème du passage » origine-dépassement » ne peut éviter d’être posé au moins à l’horizon de toute analyse, et directement dans son application révolutionnaire, cette insuffisance entraîne une indétermination : les analyses que j’indique ne suffisent pas à éliminer une idéologie évolutionniste de la succession des modes de production, dont j’indiquerai la figure faute d’une alternative positive complémentaire. » (Cahiers Marxistes-Léninistes n° 5, page 14).
En réalité ces textes que l’auteur juge insuffisants sont ceux qui montrent l’histoire de la séparation du travailleur et de son lieu de travail originel, la terre, et l’histoire de la formation des trésors prêts à fonctionner comme capital argent entre les mains de quelques propriétaires. Mais évidemment ils ne les présentent pas connue la mise en œuvre d’une structure , bien davantage, comme la mise en œuvre d’une histoire, d’un schème dynamique s’organisant dans le devenir.
Et c’est pourquoi la tentation de tout représenter dans le simultané, dans l’actuel, est immédiatement tenue en échec par cette conception marxiste. Cette histoire n’est pas à dire vrai limité aux seuls rapports, elle n’est pas le développement rigoureux et ininterrompu d’une série de phénomènes se reproduisant identiquement les uns après les autres.
Elle est liée à toute une série d’initiatives historiques de caractère politique, voire idéologique, qui ont lancé les hommes à la recherche de nouveaux mondes, ou qui ont permis à d’autres de se préparer à constituer, non pas des trésors au sens traditionnel du mot, mais un capital actif et agissant sur un marché.
Bref, ce qui frappe, c’est que les pages mêmes de MARX sur l’accumulation, résistant au mode d’approche des théoriciens de l’U.J.C., se trouvent tout simplement mises en accusation et déclarées insuffisantes.
De même en ce qui concerne la fin du système capitaliste, il est tout à fait clair que, avec beaucoup d’intelligence, on met l’accent sur le rôle, à mon sens capital, de la modification de la composition organique du Capital et sur sa tendance à l’augmentation. Seulement, là où les choses ne vont plus, c’est que, pour se justifier de ne pas trouver chez MARX l’explication du passage au socialisme, ou de la naissance des conditions qui rendent ce passage possible, on nous expose la contradiction croissante entre forces productives et rapports de production, sans dire un mot de la lutte des Masses.
Or il est tout à fait clair que le passage de la simple possibilité à la réalité effective du passage au socialisme tient à l’élévation de la lutte des classes. La lutte des classes est l’élément actif qui transforme le possible en réel.
Mais la lutte des classes est en fin de compte la mise en mouvement de masses profondes d’hommes, qui participent à un combat collectif. En s’abstenant de mettre l’accent à la fois sur l’homme comme auteur d’actes, sur l’acte comme élément du procès, sur la constitution des structures par le biais de procès qui sont spécifiquement historiques, dynamiques, en opposant le synchronique au diachronique, l’actuel à l’historique, les théoriciens de l’Union des Jeunesses Communistes renoncent à saisir le marxisme dans son ensemble.
Nous pensons, quant à nous, que, sous sa forme la plus moderne qui est celle manifestée dans la pensée de MAO Tsé-toung, il a suffisamment de vérité pratique effective pour s’imposer à l’ensemble de ceux qui cherchent honnêtement la voie révolutionnaire. Mais dans l’état actuel des choses, nous ne pouvons considérer que tous les éléments qui se réclament du marxisme-léninisme soient par rapport à cette démarche théorique et politique sur un pied d’égalité.
Et la raison en est claire ; à insister uniquement sur les procès circulaires, les cycles qui se répètent, les structures stables, les théoriciens de l’U.J.C., négligent ou nient le rôle fondamental de l’histoire des masses révolutionnaires. Ils se condamnent à l’esprit de recul, à l’absence de hardiesse, au mépris des masses et – en fin de compte – à l’oubli de la thèse de MARX :
» Ce sont les hommes qui font leur histoire «
ou, comme le dit le camarade MAO Tsé-toung :
» Il faut se révolter ! «
Le camarade MAO Tsé-toung a dit : » Avant que les intellectuels se jettent corps et âme dans la lutte révolutionnaire des masses, qu’ils se décident à les servir et à faire corps avec elles, il arrive souvent qu’ils sont enclins au subjectivisme, et à l’individualisme, que leurs idées sont stériles et qu’ils se montrent hésitants dans l’action. Ainsi, bien que les nombreux intellectuels révolutionnaires chinois jouent un rôle d’avant-garde et servent de pont, tous ne sont pas révolutionnaires jusqu’au bout.
Dans les moments critiques, une partie d’entre eux abandonne les rangs de la révolution et tombe dans la passivité ; certains deviennent même des ennemis de la révolution. Les intellectuels ne viendront à bout de ces défauts que dans la lutte prolongée menée par les masses » (La Révolution chinoise et le Parti Communiste chinois – Œuvres choisies, tome II).
=>Retour au dossier PCMLF, PCR(ml), VLR, UCF-ML,
Nouvelle Cause du Peuple, NAPAP, Action Directe