Dans les articles de La Lutte des Jeunes, Pierre Drieu La Rochelle justifie sa démarche au nom du pragmatisme. Dans Verra-t-on un parti national et socialiste, il explique que le communisme ne peut pas gagner, en s’appuyant sur l’exemple autrichien, avec le coup d’Etat austro-fasciste du 12 février 1934.
« Un fait très important ce 12 février, souligné par le fait du même jour en Autriche. Le même jour en Europe était prouvé que le mouvement extrémiste de gauche est voué à l’écrasement isolé ou à la confusion démocratique.
Impuissance totale du socialisme en Europe – du socialisme des partis socialistes. En définitif anéantissement du communisme qui se résorbe dans le socialisme impuissant (…). Le monde de gauche est incapable de renverser le capitalisme, comme le monde de droite est incapable de renverser la démocratie – parce que les deux mondes se tiennent (…).
C’est évidemment parmi les clans où, selon une vision périmée, l’on supposerait, l’antifascisme le plus naturel, qu’on peut trouver les seuls esprits susceptibles de devenir fascistes : dans les milieux de jeunes radicaux et de jeunes socialistes ou communistes.
C’est que vivent là déjà la tradition jacobine voire césarienne et la tendance syndicaliste ou socialiste qui sont à la base de tout fascisme et qui mettent ces clans en communication inconsciente et spontanée avec le courant européen du fascisme. Le fascisme est toujours parti de la gauche.
Et si dans son développement tumultueux, il entraîne des éléments de droite, et semble même d’abord leur faire de concessions ou des emprunts, on s’aperçoit bientôt que ces éléments sont voués à perdre leurs caractères vitaux dans le mélange et qu’ils doivent y trouver leur perte (…).
Je dis la jeunesse européenne. Mais la jeunesse française ? Tout d’un coup, cette jeunesse est apparue place de la Concorde vers 11 heures du soir, le 6 février. A cette heure-là, la jeunesse dominait : les vieux, premiers blessés, se retiraient. Il y avait là des fils de bourgeois, d’employés, et d’ouvriers.
Les uns étaient de droite, les autres d’extrême-gauche, beaucoup étaient jeunes simplement. Cette jeunesse voulait se battre et se battait, elle ne savait ni comment, ni pour qui, ni pourquoi. Demain, elle le saura… »
Il va de soi qu’on est là dans une théorisation totalement abstraite, servant à former un mythe politique. Le 6 février était déjà un coup de force de forces d’extrême-droite, seulement Pierre Drieu La Rochelle, et avec lui la mouvance de La Lutte des Jeunes, entend expliquer l’échec de celui-ci par le manque de dimension « socialiste ».
La revue se positionne comme « dépassement » de l’extrême-droite ayant existé jusque-là.
Il y a ainsi une critique de Maurras dans la même article :
« Alors que le problème urgent était une construction économique et sociale, Maurras s’est absorbé et a absorbé avec lui une partie de la jeunesse française, dans l’étude savante, ingénieuse mais fort intempestive de certains problèmes de haute psychologie politique qui tournent autour d’une idée de monarchie tempérée et somme toute constitutionnelle. »
Quant au colonel de la Rocque, Pierre Drieu La Rochelle fait son assassinat dans l’article « Si j’étais La Rocque ». La Rocque devrait voir comme un précurseur, comme un Saint Jean Baptiste, comme quelqu’un devant profiter de sa « nature d’administrateur africain ».
Il en profite pour au passage donner ce conseil meurtrier :
« L’Action française a une fonction dans l’histoire qui est celle du souvenir. Si cela ne fait pas de bien, cela ne fait pas beaucoup de mal. Maurras a replacé parmi nos lares [des divinités romaines familiales] le dieu de la vieille monarchie.
Il ne faut jamais se battre contre les dieux : on leur fout un bâtonnet d’encens entre les pieds et on leur tourne le dos. »
Il fusille dans le même style Gaston Bergery, figure radicale basculant dans la perspective fasciste, mais selon Pierre Drieu La Rochelle, incapable de rompre avec le marxisme. Il y exprime alors l’espoir que Jacques Doriot fera cette rupture.
Pierre Drieu La Rochelle sera également proche de L’Homme nouveau, une revue existant de 1934 et 1937 et exprimant le point de vue des « néo-socialistes », expression fasciste dans la SFIO.
Il en ressort que Pierre Drieu La Rochelle est entièrement dans la tradition de Georges Sorel. Il explique d’ailleurs, dans Socialisme fasciste, en 1934, que :
« Mussolini a bénéficié de tout l’effort produit par le renouveau syndicaliste de Sorel et Labriola au sein du socialisme d’une part, par le groupe des intellectuels nationalistes d’autre part. »
Il dit également :
« Ma confiance dans l’avenir du socialisme vient du spectacle que donnent aujourd’hui les pays fascistes. S’il n’y avait pas ce spectacle complexe mais plein de signes, je désespérerais, car je n’aurais sous les yeux, par ailleurs, que la triste agonie du socialisme officiel dans les vieilles démocraties (…).
Oui, il y a beaucoup de socialisme en fermentation dans le monde fasciste (…).
Je veux dire ce socialisme vif, volontaire, – souple, pragmatique – qui était celui de Owen en Angleterre, de Proudhon en France, de Lassalle en Allemagne, de Bakounine en Russie, de Labriola en Italie – et qui a été longtemps tenu sous le boisseau par les succès apparents d’un marxisme qui trahissait peut-être le sens aigu montré par Marx dans ses moments les plus géniaux mais qui, dans son épaisse tonalité générale, doit pourtant être imputé à Marx, car celui-ci l’a laissé dominer l’ensemble de son œuvre théorique.
C’est le socialisme non-marxiste qui se réveille à travers le fascisme – aussi bien à Berlin qu’à Rome. »
Pierre Drieu La Rochelle, pétri de pragmatisme, vivant comme un dandy parmi la haute bourgeoisie, exprime même un grand relativisme face à la situation de la haute bourgeoisie des pays fascistes, idéalisant la capacité de l’Etat à la contrôler :
« Certes, en Italie, et en Allemagne il y a encore des messieurs qui s’épanouissent dans de beaux châteaux ou de beaux palais et qui dévorent la plus-value.
Mais voilà bien le cadet de mes soucis. D’abord, mon socialisme n’est pas celui de l’envie.
Ensuite, ce qui m’intéresse ce n’est pas ce qui se passe dans les châteaux, mais dans les bureaux. Or, là M. Thyssen, ou tel monsieur de Milan, a devant lui quelqu’un qui est plus fort que lui.
Nous ne pouvons pas en dire autant en France ou en Angleterre pour nos gros messieurs (…).
Le capitalisme épuisé a besoin de l’État pour le soutenir : il se livre à l’État fasciste. La mécanisation du capitalisme aboutit à son étatisation.
On me dira : « Vous nous la baillez belle : l’étatisation du capitalisme, c’est le capitalisme d’État. Quel rapport avec le socialisme ? C’est bien le contraire. »
Voire. Le capitalisme d’État, c’est aussi la reprise de l’État sur le capitalisme. Or, là, il y va du tout.
Cette reprise de l’État, c’est un changement complet de l’orientation de l’économie. Du jour où le capitalisme dans les cadres de l’État, il ne travaille plus pour des buts individuels, il travaille pour des buts collectifs, et pour des buts limités. »
Ces lignes sont ridicules et Pierre Drieu La Rochelle ne pouvait pas le savoir. Il a accepté sciemment que la haute bourgeoisie se maintienne au sein d’un socialisme censé être avoir une justification par le rôle prétendument central de l’Etat… Un Etat qu’il est censé dénoncer à la base pour affirmer la nécessité d’une société centralisée, dont l’Etat serait le couronnement, l’armature.