Michel-Ange et la Chapelle Sixtine

La Chapelle Sixtine est un palais du pape au Vatican ; de taille importante – 40 mètres de long sur 13 mètres de large avec 21 mètres de hauteur – elle est depuis le XIVe siècle le lieu d’élection du pape après le décès de celui.

Un conclave, c’est-à-dire l’assemblée des cardinaux pour l’élection du prochain pape

Cette chapelle est la Magna Capella Sacri Palatii ou Grande Chapelle du Sacré Palais ; seul le pape peut y célébrer une messe. Et ce lieu, un des principaux lieux idéologiques du catholicisme romain, fut principalement décoré par Michel-Ange, qui y passa de très nombreuses années de sa vie.

C’était là un détournement catholique romain de l’activité de Michel-Ange. De sculpteur, il passa à peintre et de ce fait toute sa substance artistique se voyait tronquée. Au lieu de réaliser des figures monumentales sous la forme de statue, il se mit à mettre en place des figures théâtrales dans le cadre de mises en scène au service de la fiction religieuse.

La dimension corporelle, le jeu dialectique des éléments sculpturaux… tout cela disparaissait au profit d’un travail d’agencement à grande échelle, illusion de complexité et réelle grossièreté dans l’assemblage à la fonction directement idéologique.

Il suffit de voir Judith et Holopherne pour cerner ce qui est perdu par rapport à la sculpture. Le rapport à la réalité a disparu, seule reste la dimension massive utile pour occuper le vaste espace, ce qui est entièrement formel.

On retrouve dans la punition de Haman des éléments sculpturaux, au point qu’on devine que cela aurait été une statue très intéressante, mais on a là simplement une occupation d’espace, avec des personnages d’arrière-plan aux traits simplistes.

La Chapelle Sixtine combine occupation spatiale et simplicité, afin d’impressionner dans la présentation de la doctrine catholique romaine. C’est un détournement de la sculpture de Michel-Ange, dont la substance pour ainsi dire massive est déviée vers une mobilisation pour mettre en place des formes spatialement grandes, occupant assez d’espace et assez nombreuses pour surcharger l’esprit, faire impression.

La Chapelle Sixtine est le lieu même d’une surcharge générale, avec tous ses murs et son plafond emplis de scènes, de couleurs ; c’est l’exact contraire de l’appel à la raison que font, au même moment, l’humanisme et le protestantisme.

Ce qui était la liaison entre le naturel et le matériau brut dans la sculpture devient, même dans le meilleur des cas, une illustration isolée, dans une posture forcée, dans un environnement littéralement kitsch, comme ici pour la Sibylle libyque qui aurait pu être prétexte à une sculpture de la plus haute valeur.

Et pour la grande majorité des cas, on a droit à des représentations tout à fait traditionnellement catholiques, associés à un côté massif provenant de la sculpture, aboutissant à des êtres physiquement grossiers, disproportionnés, dont seul intérêt plastique est d’occuper l’espace, comme ici pour le premier jour de la Création.

Le caractère colossal et lascif des nus masculins qu’on trouve autour des figures religieuses est tout à fait représentatif d’un état d’esprit décadent propre à la papauté de l’époque
Un nu plus en détail, très réussi mais entièrement tourné vers la dimension lascive et colossale agrémentant une représentation religieuse

L’affrontement entre David et Goliath n’a aucune majesté : il suffit de le comparer à la statue de David ! Quant à la représentation du Déluge, on a un assemblage de choses massives : les corps, les muscles, les tissus, le bois, tout est boursouflé, dans une esthétisation de l’occupation de l’espace qui n’a aucune finesse, aucun rapport à la réalité.

On est dans une combinaison de la fantasmagorie religieuse et du fantasme de l’occupation spatiale massive.

La Création d’Adam est tout à fait en phase avec cette lecture esthétique boursouflée. Dieu est présenté de manière théologiquement absurde sous une forme humaine, accompagné d’êtres aux formes arrondies, pour ne pas dire qu’ils sont grotesques, dans un monument de kitscherie.

Adam, à l’image d’un Dieu désormais humain, est très réussi de par sa dimension sculpturale, mais il aurait dû justement être une sculpture et non pas se retrouver amalgamé à une accumulation de formes et de couleurs.

Cette autre représentation de Dieu sur le plafond de la Chapelle Sixtine témoigne de ce côté massif et on voit bien comment Michel-Ange a pu s’attacher à ce projet : il a fait un fétiche de la dimension massive.

Les formes sont tout aussi grossières pour la fresque Le Jugement dernier, au fond de la Chapelle Sixtine. Le Christ est d’un caractère lourd, massif : il est l’exact opposé du Christ humain, fragile, symbole d’une humanité en quête d’un progrès intérieur, que met alors en avant le protestantisme avec sobriété et raison.

Le Christ du Jugement dernier est à l’image d’un assemblage de personnages physiquement grotesques, tous plus massifs les uns que les autres et de ce qui relève littéralement d’une sorte de fantasme corporel homosexuel par ailleurs : tout est lourd, musclé, viril, massif dans les gestes.

Michel-Ange a trahi la cause du réalisme avec ses travaux pour la Chapelle Sixtine : il a accepté le détournement de son art pour une orientation vers le massif au service d’une occupation spatiale servant une opération de propagande catholique romaine passant par la noyade des esprits.

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