Du Bellay n’a rien contre les autres nations, mais il cherche à élever le niveau de la France où il vit, étant donné que c’est sa réalité matérielle. D’où cet appel qu’on trouve à la fin de sa Défense et illustration de la langue française.
« Je suis content que ces félicités nous soient communes avec autres nations, principalement l’Italie : mais quant à la piété, religion, intégrité de mœurs, magnanimité de courages, et toutes ces vertus rares et antiques (qui est la vraie et solide louange), la France a toujours obtenu, sans controverse, le premier lieu.
Pourquoi donc sommes-nous si grands admirateurs d’autrui ? pourquoi sommes-nous tant iniques à nous-mêmes ? pourquoi mandions-nous les langues étrangères comme si nous avions honte d’user de la nôtre ? »
Il était le héraut d’un besoin historique et fut salué pour cela à sa mort par Pierre de Ronsard, Guillaume Aubert, Jacques Grévin, Robert de La Haye, Camille de Morel, Antoinette de Loynes, Adrien Turnèbe, Claude d’Espence, Hélie André, Léger du Chesne, Claude Roillet… sous des formes très variées (poèmes en latin ou en français, hendécasyllabes, distiques, ode, élégie, etc.).
C’est le jeune roi François II qui demanda à ce que ses œuvres soient rassemblées de manière complète, ce qui se réalisa en 1569 en étant dédié à son frère devenu roi, Charles IX, après une petite période de réédition partielle. Six autres éditions complètes virent le jour avant la fin du XVIe siècle.
Du Bellay était alors considéré comme le pendant de Ronsard : ce dernier est vu comme admirable, savant, alors que du Bellay est apprécié pour son ton doux, aimable, mêlé d’ingéniosité dans le cadre d’une réelle fluidité.
De fait, à leur époque, du Bellay et Ronsard apparaissait comme les deux faces de la même médaille, avec le français s’instaurant par l’intermédiaire de la monarchie en voie d’absolutisation.
Et il est notable que dans la Défense et illustration de la langue française on trouve une mise en valeur de la comédie et de la tragédie, qui furent si centrales au XVIIe siècle :
« Quant aux comédies et tragédies, si les rois et les républiques les voulaient restituer en leur ancienne dignité, qu’ont usurpée les farces et moralités, je serais bien d’opinion que tu t’y employasses, et si tu le veux faire pour l’ornement de ta langue, tu sais où tu en dois trouver les archétypes. »
Mais le succès de du Bellay impliquait, par nature, son dépassement de par la systématisation du français.
La généralisation de la langue française au niveau national, par toute une élite se systématisant et s’élargissant numériquement, dans un contexte productif et culturel bien plus avancé… devait rendre littéralement antique le français de du Bellay.
Il est vrai que, comparé à la poésie de Ronsard, la poésie de du Bellay, par la suite, n’en apparut que d’autant plus limpide claire, d’autant plus française, surtout que François de Malherbe (1555 – 1628), le grand organisateur de la langue française moderne, brisa la démarche élitiste, maniériste de Ronsard. Ce dernier vit ses œuvres tout simplement non publiées de de 1630 à 1828 !
Mais les œuvres de du Bellay connurent le même sort, malgré la progression de sa valorisation comparée à celle de Ronsard. Avec sa poésie claire et accessible, et finalement mesurée en comparaison aux ornementations de Ronsard, il fut considéré comme un heureux précurseur, mais les choses s’arrêtaient là.
Par la suite, lorsqu’au 19e siècle on fit un retour historique pour avoir une mise en perspective, la charge très violente de du Bellay contre le Vatican passa d’ailleurs inaperçue, de par la lecture idéalisée du 16e siècle dont les guerres de religion étaient effacées.
De fait, si on ne voit pas que du Bellay est une figure historique relevant de la compensation de l’échec du calvinisme en France, on ne peut rien saisir d’authentique de lui.
Du Bellay, tout comme la psychologie des œuvres de Racine, relève d’une compensation littéraire d’une incapacité à assumer le protestantisme et son affirmation de la vie intérieure.
Si la France y a gagné en termes d’affirmation nationale avec une démarche de du Bellay jouant un rôle essentiel, cela révèle une faiblesse de fond se caractérisant par la prépondérance de la monarchie absolue et de l’État dans l’affirmation nationale, aux dépens de la culture populaire.
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