Si Mao Zedong se doutait que des éléments petits-bourgeois et bourgeois pourraient abuser des cent fleurs, il découvrit toutefois rapidement que ce n’était pas la seule menace. En effet, les tenants d’un copiage passif du modèle soviétique suivaient le même chemin que dans les pays de l’Est, adoptant un style révisionniste, une idéologie révisionniste.
L’idéologie était passée à la trappe, au profit d’une simple gestion des choses courantes, ce qu’on appela historiquement la croyance en le développement passif des forces productives comme suffisant pour le socialisme.
Une expression essentielle de cela fut la suppression de la constitution du Parti, en 1956, de la « pensée Mao Zedong », lors de la première session du huitième congrès, le premier du Parti Communiste de Chine depuis la victoire de 1949.
Le Parti avait adopté la « pensée Mao Zedong » comme adaptation du marxisme-léninisme aux conditions chinoises lors de son septième congrès, du 23 avril au 11 juin 1945, où 754 délégués représentant 1,2 millions de membres du parti avaient soutenu le rapport de Mao Zedong intitulé « Du gouvernement de coalition ».
La suppression de la « pensée Mao Zedong » indiquait un changement d’orientation ou du moins la fin d’une étape, et Liu Shaoqi, le numéro deux du Parti Communiste de Chine, mentionna Mao Zedong quatre fois seulement dans son rapport en 1956, contre 104 fois en 1954.
Cependant, Mao Zedong avait compris que ce qui se jouait, à l’arrière-plan, c’était le modèle d’organisation de la Chine.
Il impulsa ainsi ce qui fut dénommé le Grand Bond en Avant, décrété en août 1958 sur la base d’une mobilisation populaire en fait déjà commencée, comme prolongement de la « ligne générale pour la construction socialiste » établie lors du second plenum de la direction du Parti, en mai 1958.
Il s’agissait, à travers le second plan quinquennal concernant la période 1958-1962, d’établir un modèle autonome de développement, sans avoir à passer sous la coupe soviétique, ce que visaient en fait les révisionnistes chinois ne croyant pas possible un développement chinois qui lui soit propre.
C’est toute l’organisation étatique qui est ainsi bouleversée avec l’établissement de communes populaires. La première commune populaire s’était formée en avril 1958 à Weixing, dans la province du Henan.
Le 18 août 1958, le Quotidien du peuple expliqua le principe des communes populaires et le 29 le Comité Central du Parti Communiste de Chine publia une résolution, dite résolution de Beidahe du nom du lieu de la réunion, annonçant la mise en place des communes populaires.
La résolution explique qu’il y a un saut qualitatif historiquement nécessaire, une nouvelle combinaison des forces sociales qui doit opérer pour faire avancer les forces productives.
« Des communes populaires de grande envergure et à des fins multiples ont fait leur apparition et, en certains endroits, elles se sont déjà généralement développées. Ce développement a été très rapide dans certaines régions.
Il est extrêmement probable que, dans un proche avenir, un grand essor pour l’établissement des communes populaires va se produire dans le pays entier, et qui plus est, animé d’une force irrésistible.
La base du développement des communes populaires est principalement le grand bond en avant, généralisé et continu, de notre production agricole et l’élévation constante de la conscience politique de nos 500 millions de paysans.
On a développé dans l’agriculture une construction de base d’une ampleur sans précédent une fois que les défenseurs de la voie du capitalisme ont été fondamentalement battus sur le plan économique, politique et idéologique.
Ceci a créé une base nouvelle pour arriver pratiquement à éliminer l’inondation et la sécheresse et assurer un développement relativement stable de la production agricole.
La production agricole a progressé par sauts et par bonds depuis que le conservatisme de droite a été surmonté et que les anciennes normes techniques dans l’agriculture ont été renversées (…).
Dans les circonstances actuelles, l’établissement des communes populaires qui comportent un complet développement dans les domaines de l’agriculture, la sylviculture, l’élevage, les occupations secondaires et la pêche, et qui combinent en un tout l’industrie (les ouvriers), l’agriculture (les paysans), l’échange (le commerce), la culture et l’éducation (les étudiants) et les affaires militaires (les soldats), est la ligne politique fondamentale indispensable pour conduire les paysans à accélérer la construction socialiste, à accomplir avant le terme fixé l’édification du socialisme et à réaliser la transition graduelle vers le communisme. »
Le 4 septembre, le règlement provisoire de la commune populaire de Weixing fut publié par le Quotidien du peuple, afin de servir d’exemple ; plus tard, le 10 décembre 1958, le Comité Central du Parti Communiste de Chine publia une nouvelle résolution, dite de Wuhan, pour améliorer la mise en place des communes populaires.
Le mouvement des coopératives avait en fait abouti à l’établissement de 750 000 de celles-ci à la fin de l’année 1958, avec pratiquement tous les paysans du pays : elles sont désormais unifiées par bloc de 5 000 (mais pouvant monter jusqu’à 20 000), formant un peu plus de 23 000 communes populaires.
Cette dernière combine toutes les activités à son échelle, que ce soit l’agriculture ou la petite industrie, l’éducation comme l’administration, les initiatives communautaires (crèches, jardin d’enfants, écoles, cantines…), comme la sécurité.
Le principe des cantines populaires est d’ailleurs la règle pour 80 % des communes populaires, avec deux services (un pour les personnes âgées et les enfants, un autre pour les travailleurs) et un service à domicile pour les personnes ne pouvant pas se déplacer.
Mais, outre de renforcer les valeurs collectives et de faire progresser le niveau d’organisation économique et l’hygiène, les communes populaires ont également été caractérisées par l’émergence de petites entités industrielles, apparaissant « comme des pousses de bambous après la pluie ».
Conformément en effet au principe de la résolution du 29 août 1958, l’objectif est l’autonomie des communes populaires, d’où la tentative pour chaque commune de fabriquer son engrais, de mettre en place des petits hauts fourneaux, de quatre-cinq mètres de haut en utilisant des briques et du mortier, afin pour produire de la fonte brute, de mettre en place et de gérer des réservoirs et des bassins, des puits et des canaux d’irrigation, etc.
D’où une organisation du travail extrêmement poussée (avec seize brigades, regroupant chacune sept équipes d’environ 200 personnes chacune) et une mobilisation laborieuse sans pareille : pour la seule année 1958, 580 millions de mètres cubes de terre ont été déplacés.
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