On comprend que Constantin Meunier passa dans la sculpture, où la dimension allégorique ressort d’autant plus, avec un goût prononcé pour les figures de type massif-monumental séparées de leur environnement, conformément à la lecture idéaliste-corporatiste.
Il y a ici une attirance vers le travail ayant une valeur en soi, non pas comme transformation, comme pour le matérialisme dialectique, mais au sens d’une activité individuelle possédant une dignité et un devoir de reconnaissance en soi.
C’est là quelque chose de profondément réactionnaire. Il est significatif d’ailleurs que ses œuvres servant pour le « Monument au Travail » seront officiellement reconnues par le roi inaugurant l’œuvre en 1930, 25 ans après la mort de l’artiste.
Voici notamment le Monument au travail, et plus en détail L’industrie, La mine, Le port, ainsi que Le mineur.
Dans cet esprit corporatiste, l’emplacement du monument fut choisi comme étant à côté du bassin Vergote du port de Bruxelles servant au déchargement des péniches amenant les produits des mines et des usines, en prenant le canal de Charleroi ou bien en venant du port d’Anvers.
Il y a ici une véritable intégration du travail dans l’idéologie dominante, parallèle à celle du Parti Ouvrier Belge.
Voici des sculptures du même esprit : De puddeler (Le puddleur), Le marteleur, et un autre Le puddleur.
Camille Lemonnier, la grande figure du naturalisme littéraire, écrivit également un ouvrage sur Constantin Meunier, Constantin Meunier, sculpteur et peintre. L’artiste est présenté comme celui qui a porté son regard sur une réalité inconnue :
« Un des premiers, sinon le premier, il faut le répéter, Constantin Meunier avait personnalisés les plèbes obscures, jusque-là exprimées en leurs densités passives, en leurs masses ténébreuses et profondes où ne se mouvait nulle âme. »
Cet éloge de pratiquement 300 pages se conclut de la manière suivante.
« Chaque geste d’un homme comme celui-là a sa beauté utile et qui est une leçon pour les autres hommes.
L’État belge s’est honoré en décidant d’honorer par un hommage national une telle carrière. Une salle du prochain musée, au Mont des Arts, à Bruxelles, portera le nom glorieux du maître et transmettra aux postérités l’illusion matérielle de sa présence éternisée.
On y verra réunis fragmentairement, outre de nombreux bronzes et moulages, les grands morceaux du monument au Travail. Ce seront là comme les tables d’airain où l’avenir lira la charte des sociétés nouvelles basées sur le travail.
Et, tandis que le Semeur ouvrira la main par-dessus le sillon, l’Ancêtre, assis sur les marges du passé, regardera sortir à l’infini de la Mère féconde le trésor renouvelé des races. C’est la leçon même de l’humanité. »
Voici encore, de Constantin Meunier, Le fondeur, Le mineur avec la lanterne, Le carrier, Le faucheur, Le mineur accroupi.
Voici également ce que dit la revue L’Art moderne dit au sujet de Constantin Meunier, par ailleurs reconnu pour ses œuvres, à Bruxelles comme à Paris.
« La vie ouvrière apparaît intimement pénétrée et magistralement rendue. Ce spectacle est émouvant par lui-même.
Toute la mission de l’artiste consiste à en négliger les détails pour représenter avec énergie leurs effets caractéristiques. La plupart des hommes, quand ils regardent autour d’eux, ne voient pas les choses dans ce qu’elles ont de plus significatif, de plus triste ou de plus beau.
On doit le leur signaler, attirer leur attention sur ces côtés troublants : l’écrivain le fait par la plume, l’orateur par la parole, le peintre par ses brosses. C’est après avoir vu un ciel d’hiver peint par un grand artiste qu’on en comprend toute la grandeur lorsqu’on la revoit dans la nature.
C’est depuis Millet que les côtés dramatiques du paysan frappent ceux qui le rencontrent dans les champs. Les mendiants son vus d’une autre façon par celui qui connaît l’oeuvre de Degroux. Désormais le mineur sera autrement compris, grâce à Meunier.
Ce qui est tout à fait à son éloge, c’est que nulle part on ne rencontre la préoccupation de prêcher la question sociale et de faire par ses tableaux un programme démocratique.
C’était là un écueil qu’il était difficile d’éviter ; mais en véritable artiste il a compris que, lorsqu’on mêle des arts différents, on n’arrive la plupart du temps qu’à rapetisser l’un par l’autre.
Si la vue des misères auxquelles la vie industrielle soumet tous les âges et tous les sexes est de nature à inspirer le désir des réformes, le peintre fait assez en reproduisant les mœurs des artisans, leurs fatigues et leurs privations.
A d’autres de déduire les conséquences et à provoquer les remèdes. L’art ne sert qu’à leur donner une plus profonde sensation des choses et plus d’élan pour les lancer en avant. »
Notons enfin Le triptyque des mineurs, qui est une œuvre aboutie, mais là encore on tombe dans l’allégorie, dans la démonstration pleine de commisération, présentée comme la reconnaissance du travail. Cette commisération ressort d’autant plus dans Pays noir, Borinage, ou encore Sur le chemin de la mine.
Et montre l’opération de déviation de l’affirmation du sens du travail par la bourgeoisie alors.