Il est bien connu que Karl Marx a été profondément marqué intellectuellement par deux auteurs : Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831) et Ludwig Feuerbach (1804-1872). En France, la figure de G.W.F. Hegel est bien connue ; on sait qu’il a apporté le principe de la dialectique.
Cependant, le figure de Ludwig Feuerbach est absolument inconnue, alors qu’il a assumé le matérialisme. Le matérialisme dialectique profite directement de Ludwig Feuerbach et de G.W.F. Hegel, que Karl Marx a relié.
En France, Ludwig Feuerbach a été mis de côté y compris par les « marxistes », pour deux fausses raisons : tout d’abord la considération que la France avait la philosophie des Lumières et que, par conséquent, c’était bien suffisant comme matérialisme et, ensuite, il y a la fausse interprétation de René Descartes comme philosophe « scientifique », sa méthode étant censé être « matérialiste » par nature, etc.
En réalité, Ludwig Feuerbach est incontournable, car il prolonge Baruch Spinoza. Il est l’intermédiaire entre Karl Marx et Baruch Spinoza ; comme Denis Diderot, il affirme que le matérialisme trouve sa source dans la réalité naturelle, mais il va plus loin que Denis Diderot, car il assume la sensation de manière plus approfondie.
Comme l’a expliqué Karl Marx, constatant l’aspect positif et l’aspect négatif:
« Feuerbach, que ne satisfait pas la pensée abstraite, en appelle à l’intuition sensible ; mais il ne considère pas le monde sensible en tant qu’activité pratique concrète de l’homme. »
Karl Marx considère comme juste que Ludwig Feuerbach en appelle à l’intuition sensible, mais il manque l’étape du monde sensible comme étant transformable.
C’est précisément cette thèse qui était intolérable en France, de par le triomphe de René Descartes qui rejette l’intuition sensible. Or, ce faisant, le matérialisme dialectique ne pouvait réellement s’implanter en France.
En effet, le véritable athéisme ne nie pas que l’univers soit « un ». Or, le pseudo-athéisme français n’a pas compris la thèse de Ludwig Feuerbach, qui lui-même l’emprunte à G.W.F. Hegel, qui lui-même l’emprunte à Baruch Spinoza.
L’athéisme ne dit pas : il n’y a pas de Dieu et c’est le hasard qui règne, car cela c’est la vieille thèse, non scientifique, d’Épicure (même si Épicure est une figure illustre du matérialisme). L’athéisme authentique dit : il n’y a qu’une seule réalité, une réalité infinie, et c’est de ce point de vue qu’il faut partir.
C’est pour cela que Ludwig Feuerbach a construit son œuvre contre les religions : il entendait non pas simplement réfuter les systèmes religieux, mais dépasser, de la même manière que Baruch Spinoza, l’ancienne définition de « Dieu ».
C’est en posant les choses ainsi que Ludwig Feuerbach a amené une révolution idéologique, permettant l’avènement du marxisme.
Friedrich Engels souligne de la manière suivante l’importance du rôle historique de Ludwig Feuerbach :
« C’est alors que parut l’Essence du christianisme, de Feuerbach. D’un seul coup, il réduisit en poussière la contradiction, en replaçant carrément de nouveau le matérialisme sur le trône.
La nature existe indépendamment de toute philosophie ; elle est la base sur laquelle nous autres hommes, nous-mêmes produits de la nature, avons grandi ; en dehors de la nature et des hommes, il n’y a rien, et les êtres supérieurs créés par notre imagination religieuse ne sont que le reflet fantastique de notre être propre.
L’enchantement était rompu ; le « système » était brisé et jeté au rancart, la contradiction, n’existant que dans l’imagination, résolue.
Il faut avoir éprouvé soi -même l’action libératrice de ce livre pour s’en faire une idée. L’enthousiasme fut général : nous fûmes tous momentanément des « feuerbachiens ».
On peut voir, en lisant la Sainte Famille, avec quel enthousiasme Karl Marx salua la nouvelle façon de voir et à quel point — malgré toutes ses réserves critiques — il fut influencé par elle. »
Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande, 1888
Ludwig Feuerbach est à ce titre incontournable pour la compréhension de la genèse du matérialisme dialectique. C’est lui qui a posé la réflexion comme quoi il n’y a que la Nature et les êtres humains, c’est-à-dire l’histoire ; c’est en quelque sorte la base de la « division » du travail entre matérialisme dialectique et matérialisme historique.