Le XVIIIe siècle est pour la France le siècle du grand tournant ; c’est l’aboutissement de deux étapes plaçant la France dans une situation historique remarquable. Le XVIe siècle a en effet été marqué par une unification nationale sous l’égide de la monarchie, épaulée par la faction des « Politiques », à rebours des guerres de religion.
Les « Politiques » maintenaient que l’État devait avoir la primauté sur tout. Ainsi, selon cette perspective, la noblesse (largement représentée par le catholicisme romain) et la bourgeoisie (largement représentée par le protestantisme de type calviniste) devaient céder le pas à l’État.
Henri IV apparaît comme le représentant des « Politiques » parvenant au pouvoir ; par la suite la monarchie absolue en découlant, supprima le calvinisme (notamment avec la Révocation de l’Édit de Nantes en 1685) mais en mettant au pas le catholicisme, ainsi que la noblesse.
Cette dernière se révolta dans le cadre de la « Fronde » au milieu du XVIIe siècle. Le théâtre de Corneille représente en l’espèce historiquement sa vision du monde à ce moment.
Comme on le sait, la noblesse échoua et l’idéologie de la monarchie absolue, à travers le théâtre de Racine, se fonda sur ce qu’on doit appeler un néo-stoïcisme, marquant profondément pour cette raison l’esprit national français dans son élan de constitution. Comme dans l’Empire romain, il fallait considérer les besoins de l’État central comme incontournables, inévitables. En ce sens, cela pouvait encore apparaître comme une manière de relancer le mode de production féodal.
Mais à l’ombre de ce néo-stoïcisme, la bourgeoisie développe le commerce et l’industrie, en disposant les faveurs d’un État cherchant à se renforcer à travers une telle démarche. Le théâtre de Molière fait écho à sa manière à cette tendance.
Pour cette raison, la noblesse du XVIIIe siècle est fragmentée, avec deux pôles aux extrémités. 20 % des familles nobles le sont depuis 1690 seulement, et 20 % des familles nobles le sont depuis avant le XVIe siècle.
Schématiquement, plus les familles sont anciennes, plus elles représentent directement les intérêts de la noblesse avec ses prérogatives aristocratiques ; plus les familles sont nouvelles, plus leur anoblissement est issu de la politique étatique de formation de couches supérieures liées à la monarchie absolue.
Ainsi, la majorité des nobles ont vu leurs familles le devenir durant la période de l’instauration de la monarchie absolue et son développement, aux XVIe-XVIIe siècles, alors qu’une partie significative des nobles ne le sont que depuis très récemment, dans les cent années précédant 1789.
Concrètement, une partie importante des nobles a ainsi comme fonction d’être officiers de l’armée royale ou bien de relever de l’appareil juridique de l’État, ce qu’on appelle la « noblesse de robe ».
Il faut ajouter à cela une petite poignée de nobles jouant un rôle dans les hautes sphères de l’État ainsi que, plus nombreux, ceux jouant un rôle dans l’appareil étatique avec des charges diverses, au nombre de 4 000, tels conseillers d’État, intendants, fermiers généraux, trésoriers généraux, etc.
Un rôle important est ici joué par les bourgeois intégrant l’appareil administratif et juridique des Parlements régionaux, qui forment une nouvelle caste rejoignant la noblesse. Ces Parlements, structurés à partir des anciennes assemblées féodales, avaient permis à la monarchie d’écraser le pouvoir local de la noblesse, et avaient eux-mêmes étaient ensuite mis au pas par la monarchie absolue. Ils constituaient néanmoins un foyer d’opposition à celle-ci, partisan d’un appel formel aux « États Généraux », c’est-à-dire à un Parlement unifié comme moyen d’imposer une monarchie représentative, par l’intermédiaire des magistrats de ces Parlements.
Pour parler concrètement, des parvenus au sein de la bourgeoisie peuvent ainsi acheter des « lettres de noblesse » ou bien des fiefs dont ils finissent par usurper le titre dans leur nom, puis parvenir à des postes permettant d’accéder à une noblesse héréditaire (comme secrétaire d’État, gouverneur, secrétaires du roi, etc.).
Cette noblesse « carriériste directement intégrée à l’appareil d’État est donc bien différente de la petite poignée de nobles au centre du dispositif hiérarchique de l’Église catholique romaine.
Elle se sépare également de la haute noblesse parasitaire maintenant sa place pour des raisons historiques propre au mode de production féodale, avec au très grand maximum 950 familles en comptant le plus largement possible.
Elle se sépare également de la grande masses des nobles, qui se contentent de vivre en propriétaires terriens avec plus ou moins de richesses.
Il faut ainsi distinguer plusieurs noblesses, formant quatre groupes aux intérêts contradictoires en raison de la part différente de la part de la possession de terres dans les revenus et dans le statut :
– la noblesse ayant un rôle dans l’appareil d’État ;
– la noblesse ayant un rôle dans le dispositif catholique romain ;
– la haute noblesse parasitaire ;
– la noblesse consistant en les nobles seulement grands propriétaires terriens, qui conservent quelques prérogatives féodales (issues des « banalités » et des traditions locales établies dans des chartes remontant parfois loin au Moyen Âge) qui parfois peuvent basculer dans une réelle pauvreté, ne parvenant pas à suivre les cadences de la noblesse générée par le régime.
En raison de ces importantes nuances au sein de la noblesse, il n’a jamais été possible de parvenir à un nombre précis quant à la population qu’elle représentait.
On peut dire que, grosso modo, le noyau dur de la noblesse s’appuie sur 4 000 familles qui sont présentées au roi dans les dernières décennies avant 1789, avec ensuite un premier cercle représenté par un peu moins de 17 000 familles, soit à peu près 83 000 personnes, en considérant qu’en comptant le plus largement possible on arrive à 400 000 personnes pour l’ensemble de la noblesse.
Cela représente donc un ensemble autour de 1,5 % de la population française.