L’État français, sous la forme de la monarchie absolue, cherche à maintenir sa mainmise sur le pays en prolongeant la combinaison d’une certaine alliance entre lui et la bourgeoisie, avec la noblesse. C’est là tout un parcours historique.
La France commence ainsi à exister en tant que telle avec Louis XI, roi de France de 1461 à 1483, pour prendre tout son sens avec François Ier, roi de France de 1515 à 1547, et se réaliser dans les faits avec Henri IV, roi de France de de 1589 à 1610.
Cependant, la bourgeoisie du XVIIIe siècle est bien plus développée que celle du XVIIe siècle et a fortiori celle du XVIe siècle. Le capitalisme fait ici son œuvre.
La monarchie absolue multiplie ainsi les initiatives et s’appuie d’ailleurs sur une réelle continuité.
C’est ainsi Louis XI qui impulse l’industrie de la soie à Lyon puis à Tours ; c’est François Ier qui met en place le port du Havre et qui, par l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, interdit « toutes confréries de gens de métier et artisans ».
C’est Charles IX qui en 1572 interdit l’exportation de la laine, du lin, du chanvre… ainsi que les importations de draps, de toiles, de velours, de taffetas, de tapisseries ; c’est Henri III qui publia un édit en décembre 1581 réglementant les métiers et les techniques de fabrication (renouvelé en 1597).
C’est Louis XIV qui met en place la Compagnie française des Indes orientales ; tout au long du XVIIIe siècle les industries sont réglementés dans leurs activités productives, comme la verrerie en 1735, la papeterie en 1739, etc.
Sous l’impulsion de l’Écossais John Law (1671-1729) devenu surintendant général des Finances en 1720, les billets de banque et une sorte de système boursier, mais cela fut un échec retentissant avec une large faillite.
L’abbé Joseph Marie Terray, contrôleur général des finances, est d’ailleurs obligé d’organiser de lui-même une banqueroute pour chercher à équilibrer les comptes d’un État aux comptes en permanence déséquilibrées et toujours proche de la faillite.
Cette question financière est essentielle et d’ailleurs c’est pour cette raison que se met en place en 1776 la Caisse d’escompte, une institution de crédit ; il faut ici souligner le rôle d’Anne Robert Jacques Turgot, contrôleur général des finances du roi Louis XVI, auteur de Réflexions sur la formation et la distribution des richesses (1766), qui chercha à équilibrer les comptes de l’État, de manière bien plus stricte.
On notera ce constat justement dans son ouvrage :
« § LXII. — Subdivision de la classe stipendiée industrieuse, en entrepreneurs capitalistes et simples ouvriers.
Toute la classe occupée à fournir aux différents besoins de la société l’immense variété des ouvrages de l’industrie se trouve donc, pour ainsi dire, subdivisée en deux ordres : le premier, celui des entrepreneurs manufacturiers, maîtres fabricants, tous possesseurs de gros capitaux, qu’ils font valoir en faisant travailler par le moyen de leurs avances ; et le second qui est composé de simples artisans, lesquels n’ont d’autre bien que leurs bras, qui n’avancent que leur travail journalier et n’ont de profit que leurs salaires. »
La monarchie absolue a justement autorisé en 1763 le transport libre des grains d’une province à l’autre, puis même, l’année suivante, à l’étranger ; cela répond à une exigence du libéralisme dont la grande figure fut le marquis Vincent de Gournay, intendant du commerce de 1750 à 1758, à qui est attribuée la formule « Laisser-faire, laisser passer ».
La libéralisation totale du commerce des grains suivra en 1774, provoquant une immense spéculation aboutissant à des famines.
Il faut ici mentionner dans cette même perspective l’économiste libéral François Véron Duverger de Forbonnais, auteur en 1754 des Éléments du commerce, et bien entendu le mouvement des physiocrates, déjà évoqué, dans la seconde partie du XVIIIe siècle.
Toute la période voit ainsi s’élancer de vastes entreprises commerciales avec l’appui de l’État : un traité de commerce est mis en place avec les États-Unis et avec la Grande-Bretagne juste avant 1789, la Traite des esclaves se développe, avec notamment les ports de Nantes et Bordeaux.
La monarchie absolue tente aussi des grands projets d’aménagements, à l’image du canal du Midi (initialement « canal royal de Languedoc ») ouvert en 1685, mais sans forcément de succès. Le projet de réaliser un canal entre la Loire et la Seine échoue ainsi, tout comme celui du Rhône au Rhin alors que, de toutes façons, les fleuves sont bloqués par des moulins, des pêcheries, un nombre incalculable de péages (rien qu’une centaine sur la Loire en 1567, 49 entre Lyon et la mer, 45 entre Lyon et Arles, etc.).
Il faut par exemple un peu moins d’une vingtaine de jours pour faire Paris-Rouen par la Seine !
La situation des transports est d’ailleurs lamentable en général : il y a au XVIe siècle 25 000 kilomètres de routes, mais elles sont au 3/4 juste des vastes chemins déblayés. Il faut ainsi deux jours à pied pour aller de Paris à Orléans, mais quatre jours en charrette.
En 1738, l’État décide bien de construire des milliers de kilomètres de route mais, incapables d’organiser une main d’œuvre, oblige les paysans locaux à les réaliser au nom de la corvée, ne payant que l’encadrement et le matériel.
Qui plus est, les principaux axes sont Paris-Strasbourg, Paris-Lyon-Marseille, Paris-Brest, Paris-Toulouse, Paris-Lille : la centralisation implique un tracé qui la reflète, même s’il y a donc amélioration : le trajet Paris-Lyon par route passe de 10 à 5 jours du XVIIe au XVIIIe siècle.
Et il n’y a donc pas de moyen d’échapper à ces axes principaux, de traverser le pays : une lettre envoyée de Lyon pour Bordeaux passe nécessairement par Paris et met huit jours à arriver.
Il faut comprendre dans toute cette perspective du capitalisme bureaucratique la mise en place de l’école des ingénieurs des ponts et chaussées dès 1747, pour paver la voie à un développement par en haut.
Et, poursuivant la démarche étatique de type administratif-bureaucratique propre à la vision féodale du monde, il y a dans cette même perspective la mise en place au XVIIe et au XVIIIe siècles de manufactures royales, disposant de monopoles ou de libéralités dans les réglementations.
On a la manufacture royale des cires, la compagnie royale des mines et fonderies du Languedoc, la manufacture d’armes de Charleville, la manufacture des Armes Blanches d’Alsace, la manufacture des tabacs du Havre, la manufacture royale du Château du Parc, la manufacture des Gobelins, la manufacture de la Savonnerie, la manufacture de toile de Jouy, la manufacture de draps des Saptes, la manufacture de bas de soie, la manufacture royale des glaces de miroirs, les manufactures de glaces et verres de Saint-Quirin, Cirey et Monthermé, la manufacture royale d’armes de Saint-Étienne, la manufacture de Sèvres, etc.
Dans cette même perspective « volontariste » et centralisée, il est décidé en 1744 que c’est l’État qui accorderait le droit d’exploiter les mines, ouvrant la voie à de grandes compagnies.
Au XVIIIe siècle, on a ainsi un capitalisme authentique en France, qui accompagne un capitalisme bureaucratique, construit par en haut, avec qui plus est un système bureaucratique de maîtres et de compagnons qui à la fois parasite le travail et bloque son évolution en maintenant un esprit d’atelier avec très peu de personnel, juste quelques personnes.
Les Lumières sont l’émergence de l’appel à un déblocage historique.