Le quatorzième point des 16 fondements de l’urbanisme en République Démocratique Allemande

« 14. La planification urbaine est le fondement de la composition architecturale. La question centrale de la planification urbaine et de la composition architecturale de la ville est la réalisation d’un visage individuel et unique de la ville. L’architecture utilise pour cela l’expérience du peuple incarné dans les traditions progressistes du passé. »

S’il est ici de multiples aspects qui jouent dans la question de la composition architecturale dans son parcours historique, propre à chaque ville, il y a deux références fondamentales concernant l’orientation architecturale pour la République Démocratique Allemande lors du début des années 1950, tout passant à la trappe avec le triomphe du révisionnisme à partir de 1953.

La référence principale, incontournable fut Karl Friedrich Schinkel (1781-1841), à quoi s’ajoute Georg Wenzeslaus von Knobelsdorff (1699-1753). Ces deux architectes furent compris comme les grands représentants du classicisme dans l’architecture nationale allemande ; c’est Kurt Liebknecht, dirigeant de l’Académie allemande du bâtiment, qui le premier avait souligné cette question de l’architecture nationale allemande dans un article de Neues Deutschland (Nouvelle Allemagne), l’organe du Parti Socialiste de l’Unité, le 13 février 1951.

Le château de Glienicke à Berlin de Karl Friedrich Schinkel (wikipédia)
Salle de concert (reconstruite) à Berlin de Karl Friedrich Schinkel (wikipédia)

Il ne s’agit en effet pas de considérer la ville en soi, comme coupée de la réalité générale. Si la ville a un visage unique, relevant d’une composition unique, sa réalité se fonde dans le mouvement historique général. Quand il est parlé dans le quatorzième point de « l’expérience du peuple incarné dans les traditions progressistes du passé », cela signifie qu’il faut se tourner vers les meilleures expressions historiques.

Et même si Karl Friedrich Schinkel a oeuvré dans le cadre de la Prusse s’affirmant à la suite de la défaite de Napoléon, la dimension nationale représentée ici à travers le processus d’unification allemande porte une substance nationale-démocratique, représentant une synthèse populaire.

Le château de Tegel de Karl Friedrich Schinkel (wikipédia)

Il est tout à fait notable que Karl Friedrich Schinkel soit totalement inconnu en France. Cela montre une incapacité intellectuelle – culturelle de la part des commentateurs bourgeois à se tourner vers les choses importantes historiquement, pour se cantonner dans les apparences ayant une fonction idéologique réactionnaire. Karl Friedrich Schinkel est pourtant clairement le plus grand architecte allemand du 19e siècle.

Musée royal, désormais Altes Museum (Ancien musée) à Berlin par Karl Friedrich Schinkel
Alters Museum, tableau de Johann Heinrich Hintze, 1832
Alters Museum, dessin de Karl Friedrich Schinkel

Karl Friedrich Schinkel n’a pas été qu’un architecte, c’était un grand artiste auteur de très nombreuses oeuvres architecturales, tout en ayant été également peintre, urbaniste, dessinateur, responsable des bâtiments, designer, et auteur de décors comme pour la Flûte enchantée de Mozart, oeuvre essentielle des Lumières, avec ici quelques exemples majeurs.

Première scène du premier acte
Le jardin de Sarastro
L’épreuve dans le temple du feu et de l’eau
La salle des étoiles du palais de la reine de la nuit
Le mausolée
Scène finale avec le temple du soleil de Sarastro

On comprend aisément que Karl Friedrich Schinkel a été considéré comme un représentant des Lumières, de la rationalité, du classicisme, contre l’obscurantisme.

Le poste de garde « Neue Wache » à Berlin de Karl Friedrich Schinkel (wikipédia)
L’Académie du bâtiment à Berlin en 1888 de Karl Friedrich Schinkel ; détruite pendant la guerre, elle fut reconstruite à l’identique par la République Démocratique Allemande mais stoppée à 90% des travaux par le révisionnisme en 1954 et détruite

Le cas de Georg Wenzeslaus von Knobelsdorff est à ce titre intéressant, mort trente ans avec la naissance de Karl Friedrich Schinkel, est considéré par les commentateurs bourgeois comme relevant du rococo au service de la royauté. Or, la République Démocratique Allemande a tout à fait compris que malgré sa mise au service de la royauté prussienne, Georg Wenzeslaus von Knobelsdorff cherchait à affirmer le classicisme tout en affirmant en même temps une dimension nationale.

C’est que le château de Sanssouci à Potsdam, s’il a été réalisé par Georg Wenzeslaus von Knobelsdorff, a répondu à des attentes très systématiques de Frédéric II de Prusse.

Georg Wenzeslaus von Knobelsdorff a été l’architecte du château Monbijou, à Berlin. Les incendies pendant la guerre l’ont transformé en ruine, mais au lieu de le rétablir, le révisionnisme l’a détruit. C’est un excellent exemple : avant le révisionnisme, Georg Wenzeslaus von Knobelsdorff est considéré comme une figure majeure, avec le révisionnisme il est nié et on passe au modernisme.

Le château en 1732
L’ajout fait par l’architecte Georg Christian Unger
Peinture de Dismar Degen, vers 1740
Le château en 1939

Le révisionnisme a également traduit le château de la ville de Potsdam, qui était pareillement en ruine à la suite de la guerre. Il avait été réalisé par Georg Wenzeslaus von Knobelsdorff, mais Frédéric II de Prusse s’était empressé de mener d’importantes modifications, dans un sens rococo. Le bâtiment a été reconstruit avec un esprit de refonte dans les années 2010, dans un environnement lamentable pour servir de parlement régional.

On peut bien saisir l’orientation classique – palladienne de Georg Wenzeslaus von Knobelsdorff avec l’aile réalisée pour le château Charlottenburg.

Georg Wenzeslaus von Knobelsdorff a également été l’architecte de l’église française de Potsdam (en fait c’est un temple protestant pour les émigrés français fuyant la répression religieuse), Karl Friedrich Schinkel terminant la coupole, en la rendant moins arrondie.

Cette église, de facture très rationaliste, se situait derrière l’opéra de Berlin construit par Georg Wenzeslaus von Knobelsdorff ; détruit pendant la seconde guerre mondiale, il a été reconstruit dans l’immédiate après-guerre par la République Démocratique Allemande, comme symbole justement de l’architecture d’esprit national.

(wikipédia)

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