Il est bien connu qu’Adam et Eve, le premier homme et la première femme, ont été chassés par Dieu du jardin d’Eden. La raison en est que, sur le conseil du serpent, ils ont croqué la pomme, en fait le fruit de la connaissance du bien et du mal.
Cette origine de l’humanité a été présentée comme une vérité ou un mythe, mais désormais grâce au matérialisme historique, application à l’Histoire du matérialisme dialectique, on peut parfaitement l’analyser.
Le plus simple pour cela est de prendre comment la Bible présente la chose, et d’en expliquer la signification réelle. Voici ce qu’on lit :
« 1 Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs, que le SEIGNEUR Dieu avait faits. Il dit à la femme : Dieu a-t-il réellement dit : Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ?
2 La femme répondit au serpent : Nous mangeons du fruit des arbres du jardin.
3 Mais quant au fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : Vous n’en mangerez point et vous n’y toucherez point, de peur que vous ne mouriez.
4 Alors le serpent dit à la femme : Vous ne mourrez point ;
5 mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et que vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. »
La clef de ce passage, c’est lorsque le serpent dit que si on mange de ce fruit défendu, on a les yeux qui s’ouvrent, qu’on connaît le bien et le mal. Il a souvent été pris le texte au pied de la lettre pour tenter de l’expliquer, en disant que c’était une allégorie de la science, ainsi que du libre-arbitre avec la possibilité d’agir bien ou mal, selon.
Ce n’est pas du tout le cas. Le fruit dont il est parlé a en réalité une nature hallucinogène. C’est pour cela qu’il « ouvre les yeux ». Et la connaissance du bien et du mal, c’est d’un côté l’euphorie provoquée par les effets de ce fruit, de l’autre le « bad trip ».
La preuve de cela, c’est qu’Adam et Eve sont le premier homme et la première femme. C’est une chose absurde si on prend cette idée au pied de la lettre, il n’y a pas de premier homme ou de première femme.
Par contre, en tant que reflet dans la pensée d’une réalité, cela s’explique très bien. Dans la société communautaire matriarcale en effet, où les êtres humains vivent en petits groupes sans personnalité séparée, rien ne distingue les différentes personnes à part le sexe. Il y a des hommes et des femmes, c’est la seule différence dans une communauté où tout est partagé, dans une vie collective primitive où la seule différence est que la femme a plus d’importance, car elle donne la vie.
Adam n’est pas le premier homme et Eve n’est pas la première femme : en réalité, Adam représente le genre masculin et Eve représente le genre féminin. Ce sont des êtres génériques, l’homme et la femme comme catégories.
C’est d’ailleurs le sens primordial du terme hébreu אָדָם ou Adam qui signifie l’homme sur le plan de l’espèce, et Éve ou חַוָּה (Hawwah), qui signifie la vie.
S’ils sont les « premiers », c’est que lorsque l’humanité s’extrait de la communauté matriarcale, il y a le début des nuances et des différences entre les individus. On sort de l’être générique, il n’y a plus des hommes étant tous Adam et des femmes étant toutes Eve, étant seulement Adam et seulement Eve.
Et l’un des facteurs les plus marquant de cette prise de conscience de la nuance entre les êtres humains se révèle avec le fruit (ou la plante) hallucinogène, qui pousse à l’extrême le vécu de l’ego d’un être humain désormais séparé individuellement, personnellement, de la communauté.
Quant au serpent, c’est vraisemblablement car il rampe et se trouve tout simplement au niveau du fruit (ou de la plante) hallucinogène. On peut aussi prendre en compte que le serpent peut provoquer par sa morsure venimeuse un empoisonnement produisant un délire, une fièvre. Cela expliquerait pourquoi la Bible a plusieurs mots pour désigner les serpents, et que le serpent conseillant de manger le fruit est présenté au moyen du terme נָחָשׁ (nāḥāš), un mot est également utilisé pour désigner une forme de divination.
Voici la suite dans la Bible.
« 6 La femme vit que l’arbre était bon à manger et agréable à la vue, et qu’il était précieux pour ouvrir l’intelligence; elle prit de son fruit, et en mangea; elle en donna aussi à son mari, qui était auprès d’elle, et il en mangea.
7 Les yeux de l’un et de l’autre s’ouvrirent, ils connurent qu’ils étaient nus, et ayant cousu des feuilles de figuier, ils s’en firent des ceintures.
8 Alors ils entendirent la voix du SEIGNEUR Dieu, qui parcourait le jardin vers le soir, et l’homme et sa femme se cachèrent loin de la face du SEIGNEUR Dieu, au milieu des arbres du jardin. 9 Mais le SEIGNEUR Dieu appela l’homme, et lui dit : Où es-tu ?
10 Il répondit : J’ai entendu ta voix dans le jardin, et j’ai eu peur, parce que je suis nu, et je me suis caché. »
Ce passage est extrêmement simple à comprendre. Dans la communauté matriarcale, il n’y a pas de différences entre les êtres humains, qui vivent par ailleurs de manière totalement élémentaire. Ce sont au sens strict des animaux aux portes de l’Histoire.
Par conséquent, les êtres humains étaient nus. L’affirmation de nuances, de différences entre eux a produit un écart, une divergence entre eux, et l’intimité en fait partie. Il n’est donc plus possible d’étaler ses parties génitales devant les autres, ces organes reproducteurs étant au sens strict le plus personnel.
Ce processus ne tient bien entendu pas uniquement au fruit (ou à la plante) hallucinogène ; sa consommation n’est que le symbole ultime de « l’expérience » nouvelle qu’est la prise de conscience d’une nature personnelle, différente d’autrui.
Voici ce que raconte la Bible ensuite :
« 11 Et le SEIGNEUR Dieu dit : Qui t’a appris que tu es nu ? Est-ce que tu as mangé de l’arbre dont je t’avais défendu de manger ?
12 L’homme répondit : La femme que tu as mise auprès de moi m’a donné de l’arbre, et j’en ai mangé.13 Et le SEIGNEUR Dieu dit à la femme : Pourquoi as-tu fait cela ? La femme répondit : Le serpent m’a séduite, et j’en ai mangé.
14 Le SEIGNEUR Dieu dit au serpent: Puisque tu as fait cela, tu seras maudit entre tout le bétail et entre tous les animaux des champs, tu marcheras sur ton ventre, et tu mangeras de la poussière tous les jours de ta vie.
15 Je mettrai inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et sa postérité: celle-ci t’écrasera la tête, et tu lui blesseras le talon.
16 Il dit à la femme: J’augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu enfanteras avec douleur, et tes désirs se porteront vers ton mari, mais il dominera sur toi. »
On voit ici très bien que le texte est construit. Le serpent devient un serpent, alors qu’il est censé être un serpent à la base, ce qui n’a pas de sens. Dieu qui sait tout pose des questions, ce qui n’a pas de sens non plus.
Et pour justifier le propos, le texte explique certaines réalités connues de tous par cette origine mythique, ce qui est clairement une manipulation pour persuader.
Voici la suite :
« 17 Il dit à l’homme: Puisque tu as écouté la voix de ta femme, et que tu as mangé de l’arbre au sujet duquel je t’avais donné cet ordre: Tu n’en mangeras point! le sol sera maudit à cause de toi. C’est à force de peine que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie,
18 il te produira des épines et des ronces, et tu mangeras de l’herbe des champs.
19 C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu’à ce que tu retournes dans la terre, d’où tu as été pris; car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière. »
Ce passage reflète la sortie de la communauté matriarcale où les êtres humains se contentaient de ce qu’ils trouvaient, sans se poser de questions, par une vie élémentaire de chasseurs cueilleurs.
La preuve est qu’il est dit que c’est l’homme et seulement l’homme qui va pratiquer l’agriculture. Cela correspond au début du patriarcat, avec le renversement des valeurs naturelles prévalent jusque-là.
La Bible dit enfin :
« 20 Adam donna à sa femme le nom d’Eve: car elle a été la mère de tous les vivants.
21 Le SEIGNEUR Dieu fit à Adam et à sa femme des habits de peau, et il les en revêtit.
22 Le SEIGNEUR Dieu dit : Voici, l’homme est devenu comme l’un de nous, pour la connaissance du bien et du mal. Empêchons-le maintenant d’avancer sa main, de prendre de l’arbre de vie, d’en manger, et de vivre éternellement.
23 Et le SEIGNEUR Dieu le chassa du jardin d’Éden, pour qu’il cultivât la terre, d’où il avait été pris.
24 C’est ainsi qu’il chassa Adam; et il mit à l’orient du jardin d’Éden les chérubins qui agitent une épée flamboyante, pour garder le chemin de l’arbre de vie. »
Dieu qui fait des habits de peau pour Adam et Eve : voilà quelque chose d’absurde. Cela reflète en réalité la systématisation des peaux d’animaux tués portés par les êtres humains développant leurs activités.
Il reste toutefois un important problème : pourquoi Dieu met-il à l’écart le jardin d’Eden, pour en interdire l’entrée ? Pourquoi dit-il même que « l’homme est devenu comme l’un de nous, pour la connaissance du bien et du mal » ?
Il y a ici une contradiction dialectique. D’un côté, le jardin d’Eden représente la communauté matriarcale qui a été dépassée, et un retour en arrière est impossible historiquement. La porte du jardin d’Eden qui a été fermée, c’est la porte du passé qui a été historiquement fermée, marquant dialectiquement l’entrée dans l’Histoire humaine séparée de la Nature mais qui aboutira au retour à celle-ci comme point culminant – le Communisme.
De l’autre, les êtres humains ayant appris la connaissance du bien et du mal – en réalité un sentiment personnel de joie et de tristesse, des émotions particulières qui leur sont propres – deviennent « comme Dieu ».
Par « comme Dieu », il faut comprendre que lors de la consommation du fruit (ou de la plante) hallucinogène, ils peuvent « atteindre le divin » par l’hallucination, ou bien sombrer dans « le mal » lors du « bad trip ».
C’est le fétiche mystique du début de la différenciation personnelle. L’expérience la plus extrême de vécu psychologique, par les hallucinations, s’est imposée à la psychologie humaine comme un phénomène totalement prenant, emportant son existence.
Seulement, cela ne dure que la durée de l’hallucination : les êtres humains ne sont pas capables de rester dans le divin (ou dans le « bad trip »). Il faut donc théoriser un Dieu et un Diable qui restent ce qu’ils sont et qu’on peut « atteindre » par l’hallucination.
Il faut ici bien saisir une chose essentielle : l’arrière-plan que forme la vie quotidienne. L’humanité sortant de la communauté matriarcale connaît une précarité terrible.
Les chasseurs cueilleurs qui découvrent l’agriculture et la domestication des animaux connaissent pendant des millénaires la faim, la soif, le froid, les carences, le manque de sommeil, le tout produisant des angoisses, des anxiétés, des hallucinations, surtout lors de maladies fiévreuses et d’empoisonnements.
Incapables de comprendre ces ressentis « bons » et « mauvais », « divins » et « diaboliques », l’humanité a conceptualisé la religion à partir de là. Partout, avec des nuances, elle est chamanique au début, pour culminer de manière différenciée dans le monothéisme lorsque le patriarcat a systématisé la combinaison de l’agriculture et de la domestication des animaux.
C’est seulement alors qu’on s’arrache à la précarité nutritionnelle et existentielle, qu’on s’arrache aux hallucinations, à une psychologie déboussolée, à un esprit tourmenté.
A rebours de l’image d’une humanité « tranquille », l’humanité se retrouve à la sortie du communisme primitif littéralement sans points de repère, déstabilisée, et ce pour une très longue période – en fait, jusqu’au Communisme.
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