Aujourd’hui, il existe une interprétation romancée des sociétés « chamaniques », vivant en tribus pacifiques, en quelque sorte à l’écart du monde. Mais, en réalité, les sociétés chamaniques sont ultra-violentes. Le chamanisme peut bien avoir une image « mystique » pacifique, elle reflète une immense précarité humaine et la guerre de tous les clans contre tous les clans.
Si on prend une société « chamanique » livrée à elle-même, c’est le règne de l’ultra-violence. C’est une époque humaine où l’humanité est réduite aux clans et à ses alliances, tous les autres étant des ennemis. Parler de chamanisme, c’est parler de raids patriarcaux contre les ennemis, d’enlèvements et de viols, de tortures et de meurtres.
Les Aztèques représentent à ce titre la société de type chamanique la plus développée. Une avancée historique aurait immanquablement conduit à une unification territoriale et produit une religion unifiée, monothéiste. Mais pour cela il aurait fallu un développement des forces productives, qui n’a pas été possible dans la zone géographique (production agricole trop faible, pas d’animaux à domestiquer pour le trait ou l’alimentation, pas de fer, etc.).
Les Aztèques étaient donc condamnés à devenir le peuple dominant sur les autres, mais sans pouvoir passer un cap. Cela a produit une folie furieuse, meurtrière, qu’on peut comparer à la stabilité de l’empire inca.
Les Aztèques pratiquaient une domination guerrière-patriarcale, comme tous les peuples méso-américains dominants à tour de rôle. C’était une guerre permanente, avec des sacrifices humains permanents, afin d’asseoir la perpétuation de la domination.
L’effondrement subit de certaines civilisations en Mésoamérique, comme les Olmèques, les Toltèques, les Mayas, etc., tient à ce qu’il s’agissait de cités-Etats : une défaite de celle dominante amenait la disparition des structures de pouvoir en place, la perte des hiérarchies économiques et religieuses, et un basculement vers un nouveau pouvoir concurrent.
Les Aztèques dominaient concrètement de manière précaire : très peu nombreux, les conquistadors n’ont pas eu de mal à soulever toute une série de peuples contre eux.
L’empire inca consistait par contre en un Etat central accompagnant des communautés locales en s’appropriant tout le surplus productif pour le redistribuer. L’État était une structure ayant le rôle de maintenir un cadre à une multitude de petites structures agraires locales, ce qui a abouti à un intense questionnement sur le caractère socialiste, ou plus exactement socialiste primitif, d’un tel système.
Autrement dit, l’empire inca était aussi une sans réelle dynamique, tout en reproduisant lentement mais sûrement la vie quotidienne, avec de lentes améliorations. Ce qu’on appelle l’empire aztèque était par contre un chaos de peuples se bataillant et cherchant à se dominer par la terreur.
Cela aurait dû donner naissance à un empire unifié, mais pour des raisons historiques l’unification était impossible et on en restait à la guerre permanente.
Pour cette raison, le chamanisme de l’empire inca était tempéré, celui des Aztèques entièrement débridé. Les sacrifices humains comptaient des formes très diverses (pendaison, écorchement afin que les prêtres se revêtissent de la peau, crémation, enfouissement, etc.), dont le fameux arrachage du coeur à un sacrifié encore vivant. Cela avait une fonction chamanique : le sang versé était un don aux dieux.
Cela avait une fonction politique : la terreur. Cela avait une fonction démographique : limiter la population en général, affaiblir le nombre d’hommes des ennemis, procurer de la viande humaine aux élites.
La démarche est chamanique : le meurtre permet la liaison avec les dieux ; il fallait sacrifier pour le dieu du feu, celui de la pluie, celui des eaux, pour empêcher la fin du monde, etc.
On est dans le fétiche du sang versé. Pour cette raison, l’automutilation était également une tradition. Donner son sang, c’était se mettre en contact avec les dieux. Les automutilations visaient à faire couler le sang, dans la douleur et c’est là qu’on retrouve, comme pendant, la consommation de produits hallucinogènes.
Il faut ajouter à cela un nombre significatif de superstitions : valoriser le fait de loucher au point de faire tenir un pendentif devant les yeux des bébés, pratiquer les modifications corporelles comme les scarifications, etc.
C’est là qu’on voit que la société aztèque était un patriarcat abouti, mais sans profiter de la domestication des animaux de manière suffisante, puisqu’il n’y avait pas d’animaux de trait ni d’élevage d’animaux autre que des poules et perdrix, de manière artisanale.
La société aztèque était condamnée à halluciner, par les drogues, et par le sang versé. C’était une société condamnée historiquement.
C’est en ce sens que l’exemple aztèque doit être étudié, en ce que son effondrement immédiat par les conquistadors indique que les massacres, mutilations et automutilations forcenées de la civilisation mésoaméricaine témoigne d’une humanité qui est encore en roue libre tant qu’il n’y a pas l’agriculture et la domestication des animaux.
Et la combinaison dialectique de l’agriculture et de la domestication des animaux conduit à l’instauration du monothéisme.
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