Si l’on s’intéresse au monothéisme juif, il faut au préalable être en mesure d’enlever tout ce qui y a été ajouté, modifié, retranché. Le judaïsme en tant que religion ne se confond en effet pas du tout avec le monothéisme juif originel. Cela est rendu obscur par la prétention de la religion juive à la continuité historique et traditionnelle. Il n’en demeure pas moins que le judaïsme ne se confond nullement avec le monothéisme juif des origines.
Il faut toujours avoir à l’esprit en effet qu’une religion se fonde d’une part sur des textes révélés ou relevant du divin, d’autre part sur un appareil de commentaires à portée juridique et directement religieuse.
Le catholicisme romain est indissociable du catéchisme établi par le Vatican, en plus de l’ancien et du nouveau testament. L’Islam est indissociable, en plus du Coran, des propos rapportés du prophète (les « hadiths ») et de la tradition qui s’y rapporte.
Dans le judaïsme, on a ce que les chrétiens appellent ancien testament (avec de très légères modifications). La première partie est la Torah, qui est composée de :
– la Genèse,
– l’Exode,
– le Lévitique,
– les Nombres,
– le Deutéronome.
La Torah va d’Adam et Ève, les « premiers » êtres humains 3761 années avant notre ère, jusqu’à la Terre promise. La deuxième partie raconte la suite jusqu’à la déportation de l’élite juive à Babylone en 567 avant notre ère.
Cette partie est racontée par l’intermédiaire des Prophètes : Josué, les « juges », Samuel, les rois, Isaïe, Jérémie, Ezechiel, Osée, Joël, Amos, Abdias, Jonas, Michée, Nahoum, Habaquq, Sophonie, Aggée, Zacharie, Malachie.
La troisième partie contient des œuvres de différentes natures, et tient en trois sections :
– trois livres dits poétiques (les Psaumes, les Proverbes, le livre de Job),
– cinq « rouleaux » (le Cantique des Cantiques, Ruth, les Lamentions, l’Ecclésiaste, Esther),
– trois livres « historiques » : Daniel, Esdras, les Chroniques.
La Bible s’arrête en l’an 164 avant notre ère, au moment où une révolte juive a lieu et permet une réinstauration politique (temporaire).
Mais il y a surtout tout un appareil se rapportant à ces trois parties formant dans la religion juive le Tanakh.
Ce qu’on peut constater, c’est que la véritable base du judaïsme en tant que religion est issue d’une période qui a suivi l’émergence de Jésus-Christ et du monothéisme systématisé.
Cela suit la destruction du temple de Jérusalem par les Romains en l’an 70. Il avait déjà été détruit par les Babyloniens en 587 avant notre ère, ce qui a également une importance, mais plus directement pour le monothéisme juif originel justement.
La défaite romaine est la véritable origine du judaïsme comme religion. C’est tellement vrai que les dirigeants juifs ont procédé à un grand renversement juridique concernant la définition même de la judéité.
Initialement, dans la religion juive, on est Juif par son père, ou plus exactement il est considéré que la famille du père est la famille de l’enfant, pas celle de la mère. Cependant, en raison des répressions par l’empire romain au 1er siècle de notre ère, coûtant notamment la vie aux hommes, et en raison des viols, le judaïsme a adopté le modèle patrilinéaire romain.
Le judaïsme a, en fait, systématisé son approche juridique à ce moment-là. Le rôle central est joué par Yohanan ben Zakkaï, une figure que le judaïsme ne met jamais en avant, mais qui joue littéralement le rôle d’un second Moïse.
Il assiste en effet à la destruction du temple de Jérusalem et prend l’initiative, en accord avec les Romains, de rassembler dans la ville de Yavné l’ensemble de la direction religieuse des Juifs. Ce faisant, il organise ainsi le remplacement fonctionnel du Temple détruit et prend dans la foulée des mesures pour accompagner ce changement : les offrandes sont remplacées par des prières, le rôle du Temple est effacé et remplacé, etc.
Les Juifs avaient auparavant une direction politico-religieuse typique de tous les peuples de la région. Avec cette initiative, les religieux s’approprièrent une aura politique sur les Juifs dans le cadre du triomphe romain.
De là découle l’émergence de centres nationalistes utilisant la religion comme vecteur de maintien en tant que peuple face aux Romains : ce sont les écoles religieuses, les yeshivas (du terme pour dire « assis »), notamment à Lod, Bnei Bral, Tzippori, en Tibériade.
Ce processus connaît un saut qualitatif lorsque les docteurs en religion juive décident de compiler leurs traditions orales, qu’ils firent prétendument remonter jusqu’à Moïse. Les villes de Sura (dans le sud de la Mésopotamie) et de Pumbedita (au milieu de l’Euphrate) revêtent dans ce cadre une importance particulière.
Cette « tradition orale » est précisément ce qu’on appelle le judaïsme. Le judaïsme, c’est le culte des livres de la Torah à travers les prescriptions de la « tradition orale ». Celle-ci est constituée :
– de la Mishna (« répétition »), 63 traités datant du début du 3e siècle de notre ère ;
– de la Gemara (« étude »), un commentaire de la Mishna rédigé en araméen au 6e siècle de notre ère.
Ces deux ouvrages, Mishna et Gemara, forment ce qu’on appelle le Talmud. Sauf qu’il en existe deux qui sont concurrents, car deux « études » ont été faites : une en Galilée (Talmud dit de Jérusalem), l’autre à Babylone (Talmud dit de Babylone). Le Talmud de Babylone a au fur et à mesure totalement fait disparaître celui de Jérusalem.
On retrouve ici toutefois un aspect essentiel du judaïsme : sa non-centralisation, sa non-uniformité. Si la « tradition orale » est adoptée en tant que tel, les interprétations sont innombrables et les conceptions théologiques au sein du judaïsme sont extrêmement différentes, voire antagoniques.
Le judaïsme est en fait une religion de rituel répété – Yom Kippour, Hanoucca, etc. – et de commentaires sans fin. Parmi les auteurs jouant un rôle éminent de « commentateur », mentionnons le Français du 11e siècle Rachi, et Moïse Maïmonide qui vécut au siècle suivant dans l’Espagne musulmane. Ces deux auteurs ont été intégrés au judaïsme – avec une marge de manœuvre, puisqu’on peut les « commenter ».
Au 13e siècle apparaît la Kabbale, qui prétend relever d’une tradition secrète remontant à Moïse, et former la vraie clef de la « tradition orale ». Là encore, la marge de manœuvre pour son acceptation ou son rejet, à différents degrés, est totale dans le judaïsme.
Il faut également mentionner un travail de fond, appelé « massorétique », commencé au 7e siècle de notre ère et durant plusieurs siècles. Le texte de la Torah était en effet écrit en continu, avec une orthographe non réellement fixée, une prononciation non fixée, une cantillation pareillement non fixée.
Avant le travail des Massorètes, il n’y avait donc pas d’unité sur tous ces points ! Cela en dit long sur le caractère multiforme du judaïsme si jusqu’à cette époque cela n’avait pas été réalisé. Ce sont également eux qui firent en sorte que lors de la lecture de la Bible, on prononce seigneur (Adonaï) en lieu et place de YHWH, par « respect ».
C’est également cette marge de manœuvre historique au sein du judaïsme qui a donné naissance à la séparation entre Juifs séfarades et ashkénazes, formant deux grands courants à la fois proches et distincts, et qui a permis l’éclosion ininterrompue de courants « nouveaux ».
Une opposition frontale fut notamment celle entre le hassidisme et les Mitnagdim, alors qu’il y eut des figures très importantes connaissant un succès temporaire comme « messie », Sabbataï Tsevi au 17e siècle dans l’empire ottoman, Jacob Frank en Pologne au 18e siècle.
Dans le même ordre d’idée, le Talmud souligne que « La Loi du pays est la Loi » et que les Juifs doivent se plier aux lois du pays où ils vivent. Le judaïsme, en tant que religion, est le produit d’une défaite militaire d’un peuple et une tentative de maintenir des fondements pour une unité qui persiste, mais à travers une décentralisation massive.
Et tout ce processus se déroule après l’émergence de Jésus-Christ comme figure historique et ne concerne donc pas la question du monothéisme originel. Pour l’étudier, il faut se tourner vers le Tanakh, surtout la Torah, et vers l’archéologie.
La première chose à faire, c’est de voir dans quelle mesure on retrouve le polythéisme, l’animisme cosmique dans la Torah.
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