Le 1er novembre 1973, les maoïstes de la Gauche Prolétarienne procédèrent à leur auto-dissolution. L’organisation avait été fondée en 1968, comme convergence des maoïstes de l’Union de la Jeunesse Communiste (Marxiste-Léniniste) et des révolutionnaires « anti-autoritaires » issus mouvement du 22 mars, fondé à Nanterre et jouant un rôle significatif lors de Mai 1968.
La Gauche Prolétarienne appliquait deux lignes : la prolétarisation et la militarisation. Les militants devaient s’intégrer aux masses, en cherchant à vivre et travailler dans des endroits sélectionnés pour leur radicalisation possible.
La perspective était d’aller vers la guerre de partisans, comme « nouvelle résistance ». Une « nouvelle résistance populaire » fut fondée en 1970 en ce sens, afin de mettre en place des actions violentes.
La Gauche Prolétarienne fut extrêmement célèbre en France durant sa brève existence ; elle fut interdite en 1970, mais maintint son existence, en ayant notamment le soutien de nombreux intellectuels et artistes, dont le philosophe Jean-Paul Sartre et Jean-Luc Godard.
La Gauche Prolétarienne, sur la fin, tenta à la fois de générer un mouvement contestataire de masse, quitte à développer une presse de style très populiste, et de systématiser la violence. La direction finit par considérer qu’elle était en roue libre et procéda, plus qu’à une auto-dissolution, à une liquidation par en haut.
Il fut souligné deux choses par la direction.
Primo, qu’il fallait éviter la lutte armée pour la lutte armée, la direction assimilant en quelque sorte lutte armée et terrorisme. Cela conduisit l’ancienne direction de la Gauche Prolétarienne et même la quasi totalité des cadres à rejoindre la bourgeoisie, alors qu’en Allemagne (avec la RAF) et en Italie (avec les Brigades Rouges) la Gauche Prolétarienne avait servi de modèle.
Secundo, qu’il était apparu de nouvelles formes de lutte, comme l’autogestion de l’usine LIP ou l’occupation du plateau Larzac pour s’opposer à l’extension massive d’une base militaire. Cet aspect était considéré comme essentiel et servait de base à la justification de la liquidation de la Gauche Prolétarienne, pour laisser place à une généralisation de ces mouvements.
Or, tous ces « nouveaux mouvements sociaux » trouvaient une organisation qui les soutenaient et s’en revendiquaient : la centrale syndicale CFDT. Et celle-ci, alors que la Gauche Prolétarienne disparaît, en 1973, assume un discours de révolutionnarisation générale de la société qui est clairement parallèle avec les positions de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne en Chine au même moment.
Il y a ici un paradoxe historique, ou plus exactement un grand ratage. La Gauche Prolétarienne aurait dû comprendre qu’elle avait systématisé une idéologie, le maoïsme, et voyant les nouvelles formes de lutte, saisir la chance d’avoir une immense caisse de résonance avec la CFDT.
On pourrait dire pour faire plus simple que la Gauche Prolétarienne avait la guerre et la CFDT le peuple, que la guerre populaire aurait dû naître de leur rencontre.
C’était impossible néanmoins, car la Gauche Prolétarienne perdait toujours plus de vue l’idéologie, au point de s’en passer totalement sur la fin ; les derniers et rares débris militants de l’organisation passeront dans le camp de l’anarcho-syndicalisme, du spontanéisme chez les autonomes ou bien dans le vide intellectuel et culturel des pro-albanais.
Si la Gauche Prolétarienne avait mis en place une véritable base idéologique, elle aurait pu travailler la CFDT au corps, lui fournissant les fondements qui lui auraient permis de saisir la portée de sa critique du capitalisme développé et de la société de consommation.
Il est vrai que la Gauche Prolétarienne n’avait pas de réflexion concernant ce dernier point. Mais elle était issue de mai 1968, comme les activistes de la CFDT du même moment ; comme la CFDT de 1973, elle rejetait tant le modèle américain que le modèle soviétique ; le rôle de la conquête démocratique des masses – dans une optique de mobilisation révolutionnaire – se posait tant chez l’un que chez l’autre avec les mêmes bases.
La Gauche Prolétarienne a ici commis une double erreur d’évaluation historique.
D’abord, elle était totalement focalisé sur la CGT, ce qui a été une double erreur : il y a eu sous-estimation de l’affrontement idéologique avec le PCF révisionniste, et il y a eu un fétichisme sur la dimension traditionnelle syndicaliste révolutionnaire des travailleurs français.
Autrement dit, la CGT était vue plus comme un concurrent qu’autre chose et c’était une obsession. Comme la CFDT marchait en tandem avec la CGT, la Gauche Prolétarienne considérait d’autant plus que de toutes façons, la CFDT fonctionnait comme appendice de la CGT.
Ensuite, elle a justement rejeté la CFDT selon des critères erronés. Pour la Gauche Prolétarienne, la CFDT ne pouvait pas être prise au sérieux, car elle ne concevait pas le changement de société comme un préalable à tout changement.
Si abstraitement cela est juste, cela revenait à dire la même chose que la CGT sur la CFDT, la CGT affirmant qu’il fallait au préalable à tout progrès réel un gouvernement de gauche par les élections.
La Gauche Prolétarienne considérait la CFDT comme une expression petite-bourgeoise, correspondant aux intérêts des couches intermédiaires – cadres et techniciens – dans les entreprises.
Elle ne prenait pas au sérieux les prétentions de la CFDT à élargir à tous les niveaux une critique générale de la société. Pour la Gauche Prolétarienne, la CFDT était un syndicat qui s’imaginait aller dans le sens d’être plus qu’un syndicat, ce qui était absurde.
Au lieu d’une absurdité, la Gauche Prolétarienne aurait dû comprendre avec le matérialisme dialectique qu’il s’agissait là d’une contradiction. Elle aurait alors compris son rôle historique par rapport à la CFDT.
C’est même en comprenant cela qu’on comprend pourquoi la Gauche Prolétarienne s’est effondrée du jour au lendemain : son rôle historique était terminé, c’est la CFDT qui formait désormais l’aspect principal sur le plan historique.
Et c’est ce qui explique que la CFDT en faveur de la révolutionnarisation de la société n’a elle-même duré que quelques années. Sans la Gauche Prolétarienne pour apporter le maoïsme, elle ne pouvait pas s’assumer elle-même et devait s’effondrer sous la pression de la ligne noire en son sein.
La conjugaison de la Gauche Prolétarienne et de la CFDT, c’est l’absence historique fatale à la révolution en France, c’est ce qui explique la disparition du camp révolutionnaire, le triomphe du Programme commun PS-PCF avec François Mitterrand.
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