L’Adoration des mages

De manière surprenante, on a de la neige dans cette représentation des rois mages. L’Adoration des mages dans un paysage d’hiver est un petit tableau de 35 cm sur 55 cm.

On remarquera encore une fois qu’il y a beaucoup de monde, alors que la figure de Marie n’est pas valorisée. Le fait de présenter la neige est une manière de s’approprier l’événement au niveau national également.

L’œuvre a été précédée, quelques années auparavant, par deux œuvres au même thème.

On a déjà L’Adoration des mages, une peinture au format portrait ce qui est rare chez Bruegel. Là encore, il y a une appropriation nationale de l’événement ; on n’est pas du tout à Bethléem.

On a d’ailleurs étonnamment des soldats, mais leur présence, le linge placé curieusement derrière Jésus, ainsi que le marteau de Lucerne (une sorte de hallebarde) pouvant représenter une croix (tout comme l’arbalète) font certainement référence à la crucifixion.

On n’est pas ici du tout dans l’esprit catholique, par ailleurs, d’autant plus exigeant à l’époque dans son combat contre le protestantisme. On a des figures humaines au sens strict, avec des visages marqués.

Joseph se penche, alors qu’on lui parle à l’oreille ; Marie a le visage en partie masqué ; rien ne les distingue des autres personnes présentes. S’ils sont habillés de manière luxueuse, ni Gaspard ni Melchior ne semblent emplis de grâce, seul Balthazar qui offre un encensoir en forme de bateau apparaît comme à la hauteur de la figure qu’il représente.

Il faut vraiment un contexte historique particulier pour qu’une œuvre aussi décalée par rapport aux normes catholiques soit acceptée. En fait, on peut même dire que les personnages sont tous plus ou moins inquiétants et un réel mal à l’aise se dégage de la scène.

La seule explication possible, c’est l’esprit protestant qui considère que l’humanité n’est pas au niveau du message envoyé, que depuis Adam elle ne cesse de se fourvoyer.

Notons une dernière œuvre avec les rois mages, utilisant la technique du tüchlein, c’est-à-dire à la détrempe sur une fine toile de lin non préparée, qui historiquement a été remplacée par la la peinture à l’huile sur toile préparée.

Ici, le paysage est oriental, et c’est le peuple qui est le protagoniste, par le nombre.

Ces trois tableaux des rois mages ne sont, au sens strict, pas exceptionnel. Ils témoignent toutefois de la substance de Bruegel, dans la mesure où les masses, comme quantité, l’emportent à chaque fois sur les figures religieuses saintes, donc malgré leur qualité, voire contre leur qualité.

Il y a une dimension inégale trop marquée dans ces tableaux, et c’est là qu’on devine qu’on est encore dans un processus en cours. On pourrait dire, à la vue de ces tableaux, que Bruegel est d’accord avec une religion de masse, avec un peuple reconnu.

Il est ici dans la lignée d’un Érasme plus que d’un Calvin, mais dans la pratique avec ses œuvres, ce qu’on a en germe porte inévitablement le protestantisme au sens strict.

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