La Chute des anges rebelles et Le Triomphe de la Mort 

Si avec Margot la folle on a de la violence, elle reste bizarre, alors que La Chute des anges rebelles et Le Triomphe de la Mort possèdent une vraie brutalité. Les deux œuvres le font toutefois avec une grande différence.

La Chute des anges rebelles se situe, en effet, dans la tradition flamande, il y a une certaine démarche médiévale de représentation des anges, même si l’ensemble est déjà dans une démarche complexe, foisonnante, surchargée.

Ce qui est surtout angoissant, et en cela c’est très différent de Margot la folle où là, il y a un décor, c’est qu’il n’y a dans la partie basse aucun endroit de libre. Tout est occupé par quelque chose.

Le ciel, lui, a beaucoup d’espace. Les anges et l’archange viennent de là. L’expression de leur venue du ciel est très bien faite, et ajoute à l’impression de mouvement massif, de lancée depuis le Ciel pour affronter les forces du Mal.

Impossible d’appréhender d’ailleurs rationnellement ces dernières, seuls les anges se présentent sous des formes réellement reconnaissables et rassurantes, notamment l’archange Michel qui s’en va frapper Satan.

Paradoxalement, ce tableau est encore trop moderne pour nous. Il présente une telle surcharge, de manière réussie, que c’est très difficile à regarder pour nos esprits passés par le capitalisme et cherchant à diviser, séparer, ordonner. Ce tableau du passé appartient à l’avenir.

On notera que ce tableau de 117 cm sur 162 cm est peint à l’huile sur un panneau de chêne. Exposé à Bruxelles, il est très fragile et ne saurait donc être transporté ailleurs pour des expositions. Cela nuit beaucoup à sa reconnaissance dans une situation capitaliste où l’héritage historique n’est pas assumé scientifiquement et culturellement.

On n’a également compris son auteur uniquement à la fin du 19e siècle, lors d’une opération de restauration. Le cadre masquait en fait la signature !

Le Triomphe de la Mort expose quant à lui la violence en soi, celle qui abouti à l’anéantissement. C’est 160 cm sur 120 cm de terreur infernale, impitoyable.

Rien n’est épargné, même pas le paysage. Ici, on n’est plus seulement dans la danse macabre, telle que l’a connue le moyen-âge. On est déjà dans une logique baroque espagnole.

La vie perd devant la mort : on n’est plus du tout dans la démarche protestante. Cela en fait une œuvre très à part, exprimant une agressivité qu’on ne trouve pas normalement. Ce qui est d’ailleurs flagrant, c’est que la ville a disparu.

On n’est simplement dans un cauchemar, qui semble sans fin.

On notera le couple, dans un coin, qui se détourne totalement des événements. Un squelette vient jouer de la musique, indiquant qu’eux aussi n’y échapperont pas.

On peut alors inverser et penser que c’est une dénonciation de la guerre. Et c’est vrai qu’une telle représentation peut être très utile pour cela.

La dimension unilatérale du tableau nuit cependant à en faire une véritable œuvre d’art qui soit réussi.

Ce qui est porté est trop entaché d’un systématisme qui est précisément celui du baroque catholique, espagnol, ultra-réactionnaire, anti-réaliste.

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