La Parabole des aveugles et les deux singes

Pour conclure, voici deux peintures de nature extrêmement complexe. Elles sont complexes, car de par leur nature, elles exigent qu’on saisisse tout le contexte historique de l’humanité alors.

On a ainsi Deux singes, une peinture de 23 cm sur 20 cm. Il existe une grande quantité d’interprétations de cette œuvre.

Mais absolument jamais il n’y a la considération que c’est une représentation réaliste de la situation absolument terrifiante de deux singes mangabeys à collier.

Il est simplement constaté que derrière eux on voit le port d’Anvers, et que là arrivaient des animaux exotiques pour les collectionneurs.

Alors que le contraste avec leur environnement africain est saisissant bien sûr ! On a ici une œuvre terrible, absolument terrible dans ce qu’elle montre.

C’est une honte historique de ne pas le souligner, surtout quand on voit par exemple que les commentateurs bourgeois en arrivent tout de même à dire que la longueur de la queue symbolise la durée de l’affrontement des Pays-Bas avec l’Espagne !

C’est toute la réalité du capitalisme qui se développe et de la contradiction entre villes et campagnes que ces commentateurs ne veulent pas voir. La peinture des deux singes est une expression historique dramatique !

Il en va de même pour La Parabole des aveugles, un tableau à l’inverse d’un très haut niveau technique, et de grande taille (86 cm sur 154 cm). Le titre fait référence à une parabole utilisé par Jésus, ici conté par Luc :

37 Ne jugez point, et vous ne serez point jugés; ne condamnez point, et vous ne serez point condamnés; absolvez, et vous serez absous. 

38 Donnez, et il vous sera donné: on versera dans votre sein une bonne mesure, serrée, secouée et qui déborde; car on vous mesurera avec la mesure dont vous vous serez servis.

39 Il leur dit aussi cette parabole: Un aveugle peut-il conduire un aveugle? Ne tomberont-ils pas tous deux dans une fosse? 

40 Le disciple n’est pas plus que le maître; mais tout disciple accompli sera comme son maître. 

41 Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil?

Les aveugles, guidés par un aveugle, tombent dans le fossé. Les critiques d’art en général considèrent que c’est une œuvre majeure, le mouvement est présenté il est vrai de manière magistrale.

Cette œuvre avait particulièrement marqué Baudelaire, qui s’en est inspiré pour un poème, intitulé Les aveugles. Comme c’est la norme, ce poème est ridicule, comme toujours chez Baudelaire ; ses remarques artistiques sont toujours plein de pertinence et de fulgurance, par contre.

Contemple-les, mon âme ; ils sont vraiment affreux !
Pareils aux mannequins ; vaguement ridicules ;
Terribles, singuliers comme les somnambules ;
Dardant on ne sait où leurs globes ténébreux.

Leurs yeux, d’où la divine étincelle est partie,
Comme s’ils regardaient au loin, restent levés
Au ciel; on ne les voit jamais vers les pavés
Pencher rêveusement leur tête appesantie.

Ils traversent ainsi le noir illimité.
Ce frère du silence éternel. Ô cité !
Pendant qu’autour de nous tu chantes, ris et beugles,

Éprise du plaisir jusqu’à l’atrocité,
Vois ! je me traîne aussi! mais, plus qu’eux hébété,
Je dis : Que cherchent-ils au Ciel, tous ces aveugles ?

Il faut remarquer que dans la peinture de Bruegel, les infirmités sont détaillées de manière précise. On ne voit pas les yeux du premier personnage tout à droite. Le second a vu ses yeux être enlevés.

Le troisième souffre d’un leucome, la quatrième d’une atrophie des globes oculaires. La lumière n’atteint pas les yeux du cinquième ou bien il souffre de photophobie ; quant au sixième, il souffre d’une pemphigoïde des muqueuses oculaires.

C’est là une démarche scientifique de haut niveau, reflétant une connaissance approfondie, et une étude réelle, comme on peut le voir à l’attitude des aveugles.

Une copie du tableau présente au Louvre ajoute des oies, une vache et un homme les surveillant à l’arrière-plan, entre eux et l’église. Cette dernière a été identifiée comme l’église Sainte-Anne de Pede-Sainte-Anne. C’est la même qui est représenté dans Paysage d’hiver avec patineurs et trappe aux oiseaux.

Certains critiques d’art l’opposent aux aveugles et pensent que cela montre l’indifférence de l’Église ; d’autres associent les deux et pensent que l’œuvre dénonce l’Église comme guidée par un aveugle.

C’est en réalité secondaire. Il en va du réalisme, voilà l’essentiel. Bruegel a peint le peuple et il a porté un regard démocratiques ; il s’est fait le portrait d’une réalité où la ville et la campagne commençait une confrontation majeure.

Cette peinture est pleine d’empathie, elle souligne que bien entendu les choses ne doivent pas en rester ainsi. C’est un tableau porteur d’une charge révolutionnaire démocratique, dans l’esprit de la peinture de Bruegel, porté par le protestantisme, le peuple des villes.

Et les paysans, par le protestantisme, sont eux-mêmes emportés dans ces villes, le capitalisme révolutionnant les campagnes, démolissant les vieux cadres pour unifier à un niveau supérieur.

Bruegel est le témoin d’un moment-clef de l’Histoire du monde.

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