Le PCF en 1936 : le rapport aux grandes grèves et occupations

On chercherait en vain dans les Cahiers du bolchevisme, destiné au cadre du Parti Communiste Français, une analyse méthodique ou même une présentation de grèves et des occupations d’usine qui ont eu lieu, de manière massive, en France à partir de juin 1936.

C’est indéniablement la chose la plus étrange. Il n’y a pas d’enquête culturelle, de rapports approfondis, de synthèse théorique. Le mouvement de grèves et d’occupation semble comme flotter au-dessus du réel.

On comprend qu’il y ait pu avoir un projet de comédie musicale en 1979, « 36 Front populaire », monté par Jean-Pierre Bourtayre (compositeur pour Michel Sardou et surtout Claude François), Jean-Claude Petit (qui a travaillé avec Serge Lama, Mireille Mathieu, Sheila, Michel Sardou, Alain Souchon, Sylvie Vartan…), Étienne Roda-Gil (qu’on retrouve avec Johnny Hallyday, Juliette Gréco, Vanessa Paradis, Barbara, Françoise Hardy…).

Les grèves et les occupations forment une réalité non analysée à l’époque, jamais définie, et toujours prétexte soit à y voir un simple soutien au gouvernement, soit une situation quasi-révolutionnaire, la réalité étant bien plus complexe.

Normalement, le Parti Communiste Français aurait dû justement voir le début de la mise en place de l’idéologie, de la culture de la démocratie populaire. Il a lui-même été une puissante source d’inspiration : la culture qui s’est répandue dans les grèves et occupations lui était largement empreinte, comme en témoigne résolument la chanson-phare du moment, Au-devant de la vie.

Son raisonnement « tacticien » et pragmatique l’amène pourtant à se contenter de voir une propre amélioration de sa situation et des possibilités futures sans doute certaines, mais encore trop flou.

Le Parti Communiste Français s’arc-boute donc sur la ligne de la « réconciliation. Dans le discours La lutte pour le pain, prononcé lors d’un meeting parisien en juin 1936, Maurice Thorez affirme, au sujet de la « réconciliation française », que :

« Voilà que se réalise la réconciliation nationale de ceux qui souffrent, luttent et espèrent sous le signe du drapeau rouge et du drapeau tricolore.

Et ce n’est pas le moindre titre de fierté de notre Parti, que la confiance des masses qui par centaines et centaines de milliers réalisent notre politique d’union de la nation française.

Regardez, camarades, jamais dans nos communes ouvrières de banlieue, au moins depuis très longtemps, on n’avait tant de drapeaux tricolores. Aujourd’hui, il y en a sur toutes les usines, il y en a sur les chantiers (…).

Il nous plaît de constater que nos militants, nos élus, nos adhérents ont su partout se placer au premier rang et nous leur adressons un salut reconnaissant.

Tous ces militants du Parti agissent comme militant des syndicats.

Ils agissent comme représentants élus de la classe ouvrière et du peuple. Ils n’ont pas la prétention de diriger. Ils se sont mis au service des grévistes. Qui dirige ? Qui doit diriger ? Les syndicats, et aussi et surtout, les grévistes eux-mêmes. »

Cette ligne se résume très bien avec la formule Tout pour le Front populaire, tout par le Front populaire, titre d’un discours de juillet 1936, et il faut bien comprendre par là qu’on parle du Front populaire comme gouvernement. Initialement il y avait bien l’idée de Comités du Front populaire ; dans la pratique, tout le monde s’est précipité sur la notion de « République » comme fin en soi, que ce soit chez les communistes, les socialistes ou les radicaux.

Voici donc ce que dit Maurice Thorez en plaçant le Front populaire comme base gouvernementale devant avoir des ramifications dans tout le pays, à travers l’idéal républicain.

« Fort heureusement, il y a dans l’administration, dans l’enseignement et dans l’armée une grande majorité d’hommes attachés à la République et dévoués à la cause du peuple (…).

En travaillant à l’union de la nation française, il est nécessaire de faire preuve de libéralisme, même à l’égard de ceux qui voteraient, demain, contre nous. (…)

On connaît les agresseurs. On a pris les numéros des voitures. On ne manquera pas de les poursuivre. (Un auditeur ; « Il faudrait les fusiller ! ») Non, il faut les mettre en prison à la place de ceux que l’amnistie devrait faire sortir de prison ! (…)

Le front français pour le respect des lois ; pour la défense de l’économie nationale ; pour la liberté et l’indépendance de la France. (…)

Nous pouvons dire que le Front populaire (et nous y sommes pour quelque chose, nous, les communistes), en ce sens, sera vraiment un Front français, un Front du peuple de France, héritier et continuateur de la grande Révolution [de 1789] contre le front des agents de l’étranger, contre le front du Coblence [ville allemande refuge d’aristocrates après 1789] moderne.

Un Front français à la tradition héroïque de lutte et de liberté, aux accents de la Marseillaise de 1792 mêlés à ceux de notre Internationale, sous les plis du drapeau de Valmy et du drapeau rouge de la Commune, un Front français contre le Front antifrançais de trahison. »

On comprend surtout que ces grèves et occupations qui se développent à la victoire électorale et qui pendant deux semaines se généralisent gênaient le Parti Communiste Français, qui ne savait pas quoi en faire. Maurice Thorez était obnubilé par la question de la légitimité, et celle-ci devait être gouvernementale.

D’où son fameux propos le 11 juin 1936 :

« Il faut savoir terminer une grève. »

Le propos fait sens, car il expose un réalisme, mais comme les grèves et occupations étaient vues par un prisme économique, on considère surtout que c’est une parenthèse à refermer. Le saut qualitatif n’a pas été vu.

La continuation de l’agitation, avec de nouvelles grèves et occupations, perturbe donc le Parti Communiste Français, qui essaiera d’en finir avec ça, comme en témoignent les propos fermes de Maurice Thorez le 17 octobre 1936 :

« Maintenant il faut cesser les grèves. »

Maurice Thorez, par son réductionnisme typiquement syndicaliste, son incompréhension totale de la nouvelle culture démocratique populaire née des grèves et occupations, est ici responsable d’avoir laissé un espace énorme à l’ultra-gauche.

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