Tout comme il y a la réunification de la CGT, socialistes et communistes sont censés fusionner, du moins c’est le discours qui a été accepté de part et d’autre, formellement du moins. Car si les masses insistaient sur cette unification ou réunification, pour la direction socialiste il en était hors de question et tout était fait pour gagner du temps.
Le Parti Communiste Français s’est vu ici trop beau trop fort, s’aveuglant lui-même avec son identification avec le Front populaire, et le Parti socialiste-SFIO a pu le mettre en échec, sans réellement trop d’efforts.
Voici comment les communistes formulent leurs illusions, fin juillet 1937, dans le document « Le Parti unique se fera ».
« La délégation du Parti communiste au Comité d’Entente est heureuse de constater le rapprochement des points de vue exprimés par le Parti socialiste et le Parti communiste en ce qui concerne la réalisation du Parti unique de la classe ouvrière.
En proclamant, au congrès de Marseille que le Parti unique devrait avoir pour base « la démocratie à tous les degrés de l’organisation, la souveraineté des congrès nationaux et internationaux, l’indépendance du Parti vis-à-vis de tout gouvernement », le Parti socialiste a émis une opinion identique à celle qui se dégage du projet de conciliation et de synthèse soumis par le Parti communiste à la commission d’unification.
Il n’y a donc aucune divergence de nature à empêcher la réalisation de l’unité politique.
C’est pourquoi selon les décisions prises par notre Comité central lors de sa Session des 22 et 23 juillet 1937, nous soumettons au Comité d’Entente les propositions concrètes suivantes :
1) A dater de ce jour, la C.A.P. du Parti socialiste et le Comité central du Parti communiste se réuniront régulièrement deux fois par mois et en commun, afin de procéder à l’examen de la situation, de prendre toutes les décisions que commande cette situation et d’en assurer l’application.
Les bureaux des fédérations socialistes et des régions communistes agiront de la même façon. Les sections socialistes et communistes se réuniront également en commun.
2) Les élus de nos deux partis agiront de concert. Pour cela, les deux groupes parlementaires à la Chambre et au Sénat, les élus cantonaux et municipaux d’un même département et d’une même localité tiendront des réunions communes, afin d’examiner ensemble les questions soumises aux assemblées dont ils dépendent et de déterminer une attitude commune.
3) La propagande sera désormais organisée en commun à travers tout le pays en rassemblant les hommes et les moyens de propagande dont disposent nos deux partis.
4) Un accord interviendra, qui établira la collaboration des camarades socialistes a « l’Humanité » et à la presse de province actuellement sous le contrôle du Parti communiste et la collaboration des camarades communistes au « Populaire » sous le contrôle du Parti socialiste.
Dans des conditions identiques sera instituée la collaboration réciproque aux organes théoriques des deux partis.
5) Jusqu’à la fusion totale des deux partis, les adhérents continueront à payer leurs cotisations à leur parti respectif.
Toutefois, il pourra être créé à chaque échelon, de la base au sommet, des commissions de contrôle communes, de manière à faciliter la préparation du congrès de fusion.
6) La mise en pratique de ces propositions entraîne les deux partis à examiner et à résoudre ensemble les questions soulevées par les élections cantonales d’octobre et aussi par chaque élection partielle (programme, campagne à mener, candidats à présenter, etc.).
En formulant ces propositions, la délégation communiste est convaincue de bien servir la cause de l’unité ouvrière et de répondre au désir profond des travailleurs socialistes et communistes qui veulent le Parti unique, arme au service du Front populaire et de l’émancipation humaine. »
Voici la réponse socialiste, qui arriva un mois plus tard, fin août 1937. Elle est simple : impossible de se réunir à tous les niveaux, malgré le choix de l’unité, car celle-ci doit passer par tout en haut d’abord…
« Au comité central du parti communiste, 120, rue Lafayette, Paris (10e).
Chers camarades,
Je vous informe qu’il ne nous est pas possible, de donner suite aux propositions que vous nous avez faites relativement aux méthodes d’unification de nos deux partis, car ces propositions sont en contradiction absolue avec les décisions de notre congrès de Marseille qui stipulent très clairement, et sans équivoque possible, que seuls nos organismes centraux doivent travailler à la recherche de l’unité.
Nous pensons, en effet, que la meilleure méthode est celle même qui a été suivie en 1905 pour aboutir à l’unification des forces socialistes en France.Nous proposons donc que la commission d’unification, composée des représentants de votre parti et des représentants dit nôtre soit chargée d’élaborer successivement deux projets
a) Un projet de charte du futur parti unifié
b) Un projet de statut pour ce parti assurant la démocratie à tous les degrés de l’organisation et la souveraineté des congrès nationaux et internationaux.
Lorsque nos organismes, centraux auront approuvé ces’ projets, ils seront soumis, l’un puis l’autre, aux délibérations de chaque parti séparément.
En ce qui nous concerne nous appellerons alors nos sections, nos fédérations et un congrès national extraordinaire à se prononcer sur ces projets et à décider de la suite à leur donner.Telle est la méthode à laquelle nous sommes fermement attachés, car elle a donné des résultats féconds dans le passé et, forts de cette expérience, nous I pensons que c’est la seule qui puisse encore, aujourd’hui, offrir le maximum de garanties à nos deux partis et leur permettre d’aboutir à des résultats pratiques.
Veuillez agréer, chers camarades, nos bien cordiales salutations socialistes.
Pour la commission administrative, permanente, le secrétaire général
signé, Paul Faure. »
Les communistes répondent immédiatement, prenant au pied de la lettre la position socialiste, qui ne visait bien entendu qu’à gagner du temps.
« Paris, le 2 septembre 1937
A la C.A.P. du Parti Socialiste
Chers camarades,
Le Bureau politique du Comité central de notre Parti communiste a pris connaissance de la réponse que vous avez faite en date du 27 août à notre proposition relative à l’unité dont le Comité d’Entente de nos deux partis fut saisi le 29 juillet dernier.Nous regrettons beaucoup que notre proposition n’ait pas été acceptée par vous et nous persistons à penser qu’en organisant sans plus tarder des réunions communes des organisations de nos deux partis, du sommet à la base, en mettant en commun nos moyens de propagande et en établissant une collaboration réciproque à la presse socialiste et communiste, on rendrait un immense service à la cause de l’unité.
Ces propositions correspondent trop aux nécessités du moment pour que nous ne les maintenions pas et nous pensons que les travaux de la Commission d’unification seraient grandement facilités si elles étaient adoptées..
Mais puisque vous déclarez vouloir vous en tenir, pour l’instant tout au moins, aux travaux de la Commission d’unification, nous, pensons qu’elle devra se réunir très prochainement.En ce qui nous concerne, nous entendons ne négliger aucun effort pour aboutir rapidement à l’élaboration du projet de charte du futur Parti unique.
Nous pouvons d’autant plus facilement aboutir que nos deux partis sont d’accord puisqu’aussi bien notre proposition souligne que la résolution du Congrès socialiste de Marseille correspond exactement, en ce qui concerne l’unité, à l’opinion du Parti communiste.
Nous sommes, comme vous, partisans d’élaborer pour le Parti unique un projet de statut assurant en fait et non seulement en paroles, la démocratie à tous les degrés de l’organisation et la souveraineté des Congrès nationaux et internationaux.
C’est pourquoi, considérant que nos deux Partis étant d’accord, peuvent très vite faire de l’unité une réalité vivante, nous proposons que la Commission d’unification se réunisse le mardi 7 septembre.
Nous avons confiance dans la réalisation de l’unité qui est indispensable pour que nous puissions résister aux assauts des ennemis du peuple, pour que nous puissions défendre le pain, la liberté et la paix, et pour que nous puissions tous ensemble appliquer intégralement le programme du Front populaire.
Dans l’espoir d’une réponse favorable à notre proposition.
Recevez, chers camarades, nos fraternelles salutations.Pour le Secrétariat du Parti Communiste Français
Jacques Duclos »
Il n’y aura naturellement aucune suite à cela. Et la base socialiste ne pressa pas les choses non plus, à part en région parisienne, où il eut notamment en septembre 1937 un appel commun des organisations du Parti socialiste et du Parti Communiste Français à la défense de l’Espagne républicaine et à la mise en place de comités pour la réunification.
On parle là d’une dynamique très particulière, propre à la région parisienne où les ouvriers étaient bien plus à gauche que le reste du pays et surtout dans un activisme réel pratiquement au quotidien.
Le Parti Communiste Français se félicita donc d’une telle avancée, et de quelques autres initiatives locales du même type, mais il ne sut pas agir correctement avec la base socialiste qui, bientôt, va finir par lui tourner le dos sous l’effet de la propagande acharnée de la direction, Léon Blum en tête.
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et l’identification au Front populaire