Le PCF et la chute du gouvernement de Léon Blum en 1937

La lecture des choses est également faussée, pour le Parti Communiste Français, par l’apparente stabilité gouvernementale. Ainsi, le 8 mai 1937 a lieu un vote de confiance, et le résultat est sans appel avec 389 voix contre 199 en défaveur du gouvernement.

Léon Blum apparaît comme légitime, les radicaux représentent pour les communistes le pivot de la République. Ils ont donc toute confiance en la situation.

La vigueur de la traditionnelle manifestation au mur des Fédérés, avec des centaines de milliers de manifestants le 30 mai 1937, apparaît comme une confirmation de cela, surtout que communistes et socialistes tiennent un meeting commun.

Les aléas parlementaires bouleversent cependant la donne. Lors de la séance de nuit parlementaire du 16 juin 1937, le gouvernement obtient les pleins pouvoirs en matière financière, par 346 voix contre 247.

Mais le Sénat s’y oppose, par 168 voix contre 96 ; les radicaux commencent à basculer à droite. En fait, le pays décroche, à tous les niveaux.

Socialement, économiquement, politiquement, tout l’élan du Front populaire s’assèche et le pivot de la République qu’étaient censés être les radicaux se révèlent le centre de gravité du régime lui-même.

Le Parti Communiste Français est pris par surprise ; toute sa stratégie voit son socle remis en cause. Il va alors se précipiter dans l’ultra-légitimisme et se positionner de telle manière à reprendre le positionnement des radicaux eux-mêmes.

On est là dans une espèce de construction artificielle, pour faire vivre le Front populaire coûte que coûte, quitte à simuler des forces sur le plan idéologique.

Voici la ligne initiale du Parti Communiste Français, développée dans une vaste campagne de tracts et d’affiches.

« Pour le salut du pays

La réaction ne désarme pas. Ne pouvant abuser les masses laborieuses et capter leur confiance elle multiplie les manœuvres et les intrigues contre le Front populaire du Pain, de la Liberté et de la Paix.

Elle organise l’attaque contre le cours des rentes pour dépouiller l’épargne française. Elle complote contre le franc.

Elle viole les lois sociales et sabote le redressement économique du pays.
Elle s’oppose à ce que soient réalisées les réformes attendues par les commerçants et par les paysans de France.

Le plan des forces de régression sociale et de réaction est de détruire les conquêtes sociales et humaines du Front populaire.

Battue aux élections, de 1936 par le suffrage universel dont le verdict républicain est confirmé à chaque élection partielle, la réaction veut s’opposer à la volonté légale du pays et pour parvenir à ses fins, elle vise en premier lieu à briser l’union des forces de progrès, de liberté et de paix.
Le Parti communiste attaché de toutes ses forces au Front populaire dont il s’honore d’avoir été l’initiateur se dresse contre les prétentions des oligarchies financières.

Ces forces occultes et malfaisantes voudraient imposer au pays de nouveaux sacrifices alors que les gros possédants ne veulent pas remplir leur devoir envers la Nation.

Or ce, n’est pas par l’augmentation des tarifs de transport, des tarifs postaux, du prix du tabac et des allumettes, pas plus que par l’adoption de certaines autres taxes génératrices de vie chère que peut être réalisé l’assainissement des finances publiques.

Ces mesures ne peuvent qu’imposer aux masses populaires des charges nouvelles sans apporter une solution durable au problème des ressources de l’Etat et de l’équilibre budgétaire.

Pour sauvegarder les intérêts des masses populaires et pour assainir la situation financière de là France il n’y a pas d’autre voie que celle qui a été indiquée par la Nation Souveraine

le programme du Front populaire

Ce que la France veut, c’est :

que, soit rassurée la défense du franc contre la spéculation nationale et internationale

que l’équilibre budgétaire soit atteint par une réforme démocratique du système des impôts

que les lois sociales ne puissent pas être considérées comme provisoires par un grand patronat qu’anime une volonté de réaction sociale et politique

que des réformes sociales particulièrement importantes pour la population laborieuse soient enfin réalisées.

Des lois concernant les dettes, les baux, la propriété commerciale le crédit sont attendues parles commerçants.

Des lois concernant les dettes, la propriété culturale, les calamités agricoles, le fermage, le métayage, des mesures d’extension des allocations familiales sont également attendues par les paysans.

L’ouverture de grands travaux destinés à donner du travail aux ouvriers, à ranimer l’économie nationale et à améliorer la condition humaine aussi bien dans les villages que dans les villes est attendue.

Le Parti communiste défenseur du peuple est animé de la noble ambition de faire triompher avec l’ensemble du Front populaire

les revendications de la France laborieuse

Il veut aussi que l’immense espérance qui remplit le cœur des vieux de France ne soit pas déçue.

Le 12 juin dernier, par milliers et par milliers, de vieux travailleurs ont adressé aux représentants de la Nation une émouvante supplique. La voix de ces vieux doit pas être entendue.

La retraite qu’ils attendent doit être instituée.

Tout cela est possible à la condition de frapper les grosses fortunes comme le prévoit le programme du Rassemblement populaire et comme l’ont revendiqué plusieurs générations de républicains français.

DE L’ORDRE dans les finances, par la réforme démocratique des impôts ;

DE L’ORDRE dans les usines, par la marche normale de la production, par le respect des lois et par la réglementation du débauchage et
de l’embauchage ;

DE L’ORDRE dans la rue par la mise hors d’état de nuire des ligues fascistes de guerre civile ;

DE L’ORDRE et de la tranquillité dans le pays tout entier, par des mesures extrêmement sévères contre les organisations de malfaiteurs qui multiplient les assassinats ;

DE L’ORDRE dans les esprits par l’exemple de la fidélité aux engagements pris.

Voilà comment le Front populaire peut et doit consolider les bases de son union et de sa résistance à toutes les entreprises de la réaction.

Cela est d’autant plus nécessaire, que l’attaque du fascisme international contre l’Espagne vise aussi notre pays. Elle met en danger la paix du monde dont la sauvegarde ne peut être assurée que par l’application du programme du Front populaire, par la sécurité collective que garantit le pacte franco-soviétique, et par le respect du droit international auquel est contraire le blocus de l’Espagne républicaine.

Le Parti communiste entend demander à tous les partis et organisations du Front populaire d’examiner et de résoudre en commun l’ensemble de ces questions.
Tous ensemble, nous pouvons et nous devons trouver la force de briser l’assaut des forces d’argent et d’imposer le respect de la volonté populaire.

Pour mener à bien cette tâche et pour briser l’assaut furieux de la réaction, LE PARTI COMMUNISTE EST PRET A PRENDRE TOUTES SES RESPONSABILITES DANS UN GOUVERNEMENT RENFORCÉ ET CONSTITUÉ A L’IMAGE DU FRONT POPULAIRE, POUR LE SALUT DE LA FRANCE, DE LA DÉMOCRATIE ET DE LA PAIX.

LE PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS »

Le chef du nouveau gouvernement est le radical Camille Chautemps ; lui obtient du Sénat les pleins pouvoirs jusqu’au 30 août 1937, par 167 voix contre 82, après avoir eu le soutien du parlement, par avec 393 députés contre 142.

Il procède à une nouvelle dévaluation (de 26%), les impôts sur le revenu augmentent, ainsi que les prix du tabac, des PTT et des chemins de fer.

Naturellement, la mobilisation est immédiatement importante ; dès le 24 juin, 150 000 personnes manifestent à l’appel du comité de la région parisienne du Front populaire. Cependant, les cortèges parisiens du 14 juillet 1937, où défilent plusieurs centaines de milliers de personnes (100 000 à Lyon, 100 000 à Marseille), débouchent sur une scène place de la Nation à Paris où les participants au Front populaire tiennent des discours d’unité.

Officiellement, le Front populaire existe encore et on a le paradoxe de mobilisations de luttes qui sont lancées sans être lancées, offensives sans être offensives, où le grand perdant est le Parti Communiste Français, dans la mesure où il n’apparaît ni réellement combatif, ni réellement comme partie prenante d’une solution négociée avec les radicaux comme peuvent le prétendre les radicaux.

Mais cela, le Parti Communiste Français ne le voit pas. Il est aveuglé par sa reconnaissance généralisée obtenue en 1936, et par sa base de masse.

Le Parti a environ 340 000 adhérents ; L’Humanité tire à plus de 500 000 exemplaires. Il a également un vrai impact sur la jeunesse, il apparaît comme solide et moderne, au moins relativement.

Ainsi, le 11 juillet 1937, 50 000 personnes sont présentes au Stade Buffalo, à l’occasion de l’ouverture le lendemain au Palais de la Mutualité du congrès de la Fédération des Jeunesses communistes de France, avec 3 000 délégués.

Les meetings amènent des dizaines de milliers de personnes, partout dans le pays, de manière régulière ; Maurice Thorez parle ainsi à la fin de l’année 1937 devant 20 000 personnes à Longwy, puis devant 50 000 personnes à Lille.

Il y a également des masses qui bougent, s’agitent, avec des grèves éparses mais dures, et les manifestations ne semblent pas montrer autre chose, avec encore l’esprit du Front populaire qui apparaît comme intact dans la forme.

Les cortèges parisiens du 14 juillet 1937, où défilent plusieurs centaines de milliers de personnes (100 000 à Lyon, 100 000 à Marseille), débouchent ainsi sur une scène place de la Nation à Paris où les participants au Front populaire tiennent des discours d’unité.

Le chef du gouvernement Camille Chautemps n’est pas présent, par souci de s’éloigner, mais le message qu’il fait lire salue « l’œuvre immense et généreuse du gouvernement Blum ». Les apparences sont sauves.

Le 1er août, quelques dizaines de milliers de personnes sont à Vincennes pour le Rassemblement universel pour la paix ; début septembre 1937, 300 000 personnes sont à Garches pour la fête de L’Humanité.

Le 23 septembre 1937, 40 000 personnes à Boulogne à l’appel de l’intersyndicale, contre la vie chère et fin septembre, c’est aussi le congrès du Rassemblement Universel pour la Paix, à Paris, avec 2000 délégués.

Lorsque meurt Paul Vaillant-Couturier, à 45 ans, une figure extrêmement populaire, un des principaux cadres communistes et un acteur majeur du quotidien L’Humanité, il y a un demi-million de personnes pour l’accompagner, puis 100 000 personnes le lendemain pour refaire le même parcours, symboliquement.

Le 23 octobre 1937, 200 000 personnes sont présents à un grand meeting à Vincennes, contre la vie chère et pour le soutien à l’Espagne ; l’initiative en revient à la CGT et au Comité du Front populaire et il y a de nouveau 200 000 de nouveau pour une manifestation sur le même thème, le 30 octobre 1937.

À la fin de l’année 1937, le Parti Communiste Français pense donc encore qu’il peut maintenir les choses en l’état, et d’ailleurs Maurice Thorez lance de nouveau un grand appel aux catholiques.

Le 9e congrès du Parti Communiste Français, qui se tient à Arles du 25 au 29 décembre 1937, est alors le point culminant de l’identification faite du Parti avec le Front populaire.

Le titre du rapport effectué par Maurice Thorez ne laisse aucun doute à ce sujet : « La France du Front populaire et sa mission dans le monde ».

La présentation faite souligne le haut degré d’illusion chauvine qui existe, sous l’impulsion de la ligne opportuniste de droite de Maurice Thorez. La France serait à part, elle pourrait trouver un chemin à part, pour vivre à part.

« Il appartient maintenant au IXe congrès de notre Parti communiste de dresser le bilan des deux dernières années, d’apprécier exactement les résultats obtenus, de tenir compte également, afin de les surmonter, des difficultés rencontrées par le Front populaire.

Il nous appartient, à nous, délégués des organisations communistes des villes et des campagnes, représentants authentiques des ouvriers et des paysans de France, il nous appartient d’éclairer la voie pour un nouveau pas en avant des masses populaires.

En des heures lourdes d’angoisse, alors que pèse sur notre peuple la double menace de la guerre intérieure et de la guerre extérieure, alors que déjà la guerre a commencé et fait rage sur plusieurs points du globe, le Parti communiste français doit proclamer la MISSION PROGRESSIVE ET PACIFIQUE DE LA FRANCE DU FRONT POPULAIRE.

Ce sera le but de mon rapport. »

Si le projet possède une véritable cohérence, car la France du Front populaire peut effectivement grandement jouer sur le cours des choses, il y a ouvertement l’illusion de faire en sorte que la France échappe aux vicissitudes, au moyen d’un Front populaire maintenu finalement on ne sait trop comment.

Les premières paroles de Maurice Thorez sont à ce titre un véritable scandale. Cela dégouline de chauvinisme niais, de démagogie nationaliste, d’illusions prétentieuses.

« Le rapport du Comité central au congrès de Villeurbanne [en 1936] fit, plusieurs d’entre nous s’en souviennent, une grande impression sur tous les délégués, puis sur tous les membres du Parti.

Au dehors, il subit la critique bienveillante, amère ou rageuse des amis et des adversaires. Il provoqua la colère des uns et la moquerie facile des autres.

Le rapport était comme une nouvelle rencontre de la classe ouvrière avec la France, un des plus beaux pays et des plus riches pays du monde.

Il débutait par le tableau des richesses de la France, de ses ressources immenses, agricoles et industrielles. Il détaillait les principales productions de la terre de France fécondée par la sueur et le sang de Jacques Bonhomme, l’ancêtre de nos laboureurs.

La production de ses usines géantes, fruit du labeur de nos pères, et des pères de nos pères, jusqu’aux plus lointaines générations.

Sur notre sol fertile lèvent de belles moissons. »

C’est un cauchemar, mais qui a un sens : ayant souffert de son isolement en raison de la ligne opportuniste de gauche, le Parti Communiste Français s’est précipité dans une ligne opportuniste de droite.

Maurice Thorez justifie cela en disant que les conditions de vie se sont améliorées, qu’il y a désormais le tourisme populaire et un meilleur accès à la culture ; les mentalités, en général, ont changé.

La phrase clef, c’est celle-ci :

« Le patron n’a plus en face de lui un être craintif, jusqu’à l’humiliation, n’osant pas revendiquer, se méfiant de lui-même et de son voisin, enclin à la résignation parce qu’il se croit, parce qu’il se sent plus ou moins isolé.

Le patron, dont la responsabilité et l’autorité dans son entreprise n’est [sic] nullement contestée dans les conditions du régime actuel, se trouve en présence de prolétaires unis, solidaires et forts, confiants dans leurs syndicats, dans leurs militants. »

On est là dans l’éloge d’un système qui sera celui du capitalisme développé après 1945. De plus, la situation économique est lamentable en réalité et la dévaluation réalisée par Léon Blum, contrairement à ce qu’il avait promis, a mangé tous les acquis obtenus par les revendications en mai 1936.

Maurice Thorez extrapole donc les choses lorsqu’il s’imagine qu’on en est encore, purement simplement, au combat entre fascisme et démocratie, et qu’il faut se fondre dans la démocratie, s’identifier au Front populaire qui porte celle-ci.

On retrouve d’ailleurs à l’instar de Léon Blum une véritable fascination pour la modernité américaine :

« Nous nous réjouissons sincèrement des succès de la politique démocratique et réformatrice du président Roosevelt. Nous applaudissons de tout coeur à ses discours retentissants en faveur de la démocratie, contre le fascisme.

Nous avons salué avec enthousiasme la victoire magnifique du maire de New York, l’antifasciste [Fiorello] La Guardia [un républicain populiste pro-Roosevelt, opposé à Mussolini mais ayant soutenu l’invasion italienne de l’Ethiopie], qui a dit courageusement son fait à Hitler, le bourreau sanguinaire du peuple allemand. »

On a ici le paradoxe : il y a urgence mondiale, car la guerre menace, et partant de là il y a urgence… de ne rien faire, de continuer le Front populaire en cherchant à le cimenter, et ce à tout prix.

C’est le choix fait en 1937 et il va coûter extrêmement cher en 1938, poussant le Parti Communiste Français à se prétendre le véritable représentant du centrisme, des « radicaux », pour réactiver coûte que coûte le Front populaire en perdition.

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et l’identification au Front populaire