L’Italie des années 1970 et du début des années 1980 est une très grande référence pour les communistes, en raison du très haut niveau de « conflictualité » qui s’est développé, pour reprendre justement un concept italien.
Les luttes de classes ont été particulièrement fortes, et une multitude de groupes armés est apparue ; l’organisation la plus connue consistait naturellement en les Brigades Rouges.
La question du pouvoir était ouvertement posée, à la différence d’avec les extrêmes-gauches légalistes, syndicalistes, associatives, populistes, etc. existant alors dans toute l’Europe de l’Ouest, et particulièrement en France.
Initialement, le processus ayant donné naissance aux Brigades Rouges ressemble fortement à celui ayant amené en France l’existence de l’UJCML puis de la Gauche Prolétarienne.
On a une même démarche « thorézienne » de gauche, un refus de l’abandon de la ligne « dure ».
Seulement, en Italie la ligne du Parti Communiste devenu révisionniste suivait celle de Palmiro Togliatti et était ouvertement droitière. Il y avait donc un espace formidable pour qu’une ligne thorézienne de gauche puisse s’imposer au sein même de la classe ouvrière.
Les Brigades Rouges apparaissent donc comme une organisation réformiste armée, prolongeant la Résistance et dépassant la « trahison » du Parti Communiste en Italie, mais s’imaginant découvrir un terrain totalement nouveau (la lutte armée) et former une « rupture » avec les erreurs du passé.
Aux luttes revendicatives succédèrent une montée en puissance face à qui s’oppose à ces luttes : l’État, l’OTAN, le tout étant considéré comme formant un « système » s’opposant aux luttes pour le communisme.
Les Brigades Rouges étaient ainsi à la fois une organisation se revendiquant de Marx, Engels, Lénine, Staline et Mao Zedong, et de l’autre une structure totalement nouvelle, par l’union immédiate et systématique du politique et du militaire.
Le point culminant fut bien sûr en 1978 l’enlèvement et l’exécution d’Aldo Moro, chef de file de la démocratie chrétienne devant réaliser un « compromis historique » avec le Parti Communiste italien.
Les Brigades Rouges auraient pourtant dû profiter du fait que le Parti Communiste italien se démasque, pour se poser comme véritable ligne rouge.
Au lieu de cela, les Brigades Rouges ont voulu l’empêcher d’aller jusqu’au bout de sa démarche d’ouverture et de liquidation.
Cela rappelle bien sûr l’UJCML et sa position en mai 1968, avec la peur de son dirigeant que le PCF soit pris au piège d’une répression étatique par l’intermédiaire de la social-démocratie organisant une fausse révolte.
En France, comme en Italie, , les « thoréziens » de gauche voulaient « sauver » le Parti, en posant la question du pouvoir. Ni l’UJCML ni les Brigades Rouge n’ont refondé le Parti, justement, à la différence d’en Inde, d’au Bangladesh, d’au Chili, d’au Pérou, d’en Turquie, etc.
Ainsi, malgré les analyses de la situation dans leur propre pays, les Brigades Rouges ont contourné la question du dépassement du révisionnisme du Parti Communiste italien en plaçant la bataille sur le plan européen, sur le plan mondial, en raisonnant en termes d’affrontement, etc. ; il était ainsi parlé de « l’État impérialiste des multinationales ».
Cela a amené un subjectivisme en mode guérilla, provoquant l’apparition de courants ouvertement réformistes armés (comme la colonne Walter Alasia), ouvertement subjectiviste (la tendance fondant le Parti Guérilla du Prolétariat Métropolitain), ou encore liquidateur en mode « marxiste-léniniste » (la tendance fondant l’Union des Communistes Combattants).
A cela s’ajoute une vague très importante de liquidation, de dissociation et de repentir, démolissant rapidement et pratiquement intégralement l’organisation, dans un processus allant de 1977 au tout début des années 1980.
Pour cette raison, et paradoxalement, la plus haute avancée idéologique et pratique consiste en les Brigades Rouges au lendemain de la défaite de 1978 avec l’enlèvement d’Aldo Moro, lorsqu’elles se sont libérées de tous les courants réformistes d’un côté, subjectivistes de l’autre.
Le problème est que ces restes des Brigades Rouges, se définissant comme étant « pour la construction du Parti Communiste Combattant », ne l’ont pas compris ; elles n’ont pas saisi qu’elles portaient directement le « politique », s’imaginant avoir trouvé le « politico-militaire ».
Les « Brigades Rouges pour la construction du Parti Communiste Combattant » ont en fait redécouvert la politique révolutionnaire – ce qui n’est guère étonnant puisque c’est en Italie qu’est née la science politique moderne, avec Machiavel comme expression de l’averroïsme politique, comme analyse matérialiste de la réalité, même si soumis aux princes afin de contrer l’Église.
La politique révolutionnaire, ce n’est pas le syndicalisme et le suivisme des luttes économiques, mais le positionnement politique dans la société, la prise d’initiative dans la guerre de positions face à la bourgeoisie.
C’était la prise de conscience de l’importance des choix politiques, reposant sur l’idéologie.
Toutefois, les BR-PCC se trouvaient dans une situation où elles devaient synthétiser, en pratique, la pensée-guide, sans avoir les moyens de le faire, de par la désagrégation de l’organisation et de par une compréhension insuffisante du matérialisme dialectique (la dialectique de la nature n’a ainsi jamais été saisie en Italie, pareillement qu’en France donc).
Aussi, les BR-PCC ont-elles théorisé la « retraite stratégique ».
Cette « retraite stratégique » signifiait concrètement la construction de la matrice de la révolution, avec toute une série de considérations tactiques et stratégiques, comme on en a un exemple dans la déclaration de 1990 de Simonetta Giorgeri.
Cependant, le concept de pensée-guide n’a pas été compris et cette matrice n’a pas été constituée de manière suffisante ; les BR-PCC ont alors tenté de combler ce manque en multipliant les attaques au cœur de l’État.
Le principe était de désarticuler l’État bourgeois dans ses modes d’existence, à des moments précis selon les situations politiques, afin de laisser l’espace libre aux révolutionnaires pour se développer.
Seulement, en pratique ce qui relevait de la politique révolutionnaire synthétisée s’est transformé en méthode pragmatique-machiavélique portée par une démarche subjectiviste, et les BR-PCC se sont transformées en leur contraire, basculant dans un idéalisme guérillera du même type que celui que cette organisation avait rejeté au début des années 1980.
Au lieu de situations politiques auxquelles les révolutionnaires répondaient politiquement face à l’État, tout cela a été finalement interprété comme démarche « politico-militaire » sabotant un « plan » de la bourgeoisie.
Au lieu de la pensée-guide, des initiatives comprises comme étant dans le cadre d’une guerre des positions face à un État réactionnaire et décadent, les BR-PCC se sont transformées en forces guévaristes imaginant que la bourgeoisie « pense », que l’unique aspect est qu’elles sont en affrontement direct avec l’État, dans une sorte de tourbillon politique où la balance peut pencher immédiatement soit d’un côté, soit de l’autre.
Au lieu d’établir la pensée du côté révolutionnaire, comme compréhension synthétique et reflet de la réalité, les BR-PCC ont, tout comme la Fraction Armée Rouge en Allemagne, inversé la démarche et imaginé que l’ennemi pensait et que saboter ses plans amènerait son effondrement.
C’était une soumission au subjectivisme, au social-impérialisme soviétique (considéré comme utile de manière passive, à l’opposé de la ligne historique des Brigades Rouges), aux conceptions « anti-impérialistes » stratégiques (le « Front Combattant Anti-impérialiste » comme processus unitaire dans la « zone géopolitique Méditerranée Moyen-Orient »).
Cela amena la décadence des BR-PCC, puis leur effondrement au fur et à mesure.