Le Parti Communiste Français se reconstruit après l’interdiction de 1940

L’interdiction du Parti Communiste Français en 1940 est réalisée sans coup férir. Si l’on omet le petit appareil clandestin, tout était parfaitement légal, les membres étaient fichés par les services secrets et les activités publiques, parfaitement répertoriées.

La mobilisation nationale, en raison de la guerre désormais déclarée, ajoute au désarroi, avec les multiples départs au front. De ce fait, en septembre 1940, le Parti Communiste Français a disparu de la scène politique.

Dans ce climat de sauve-qui-peut, il y a une vraie loyauté qui reste : seule une infime minorité de cadres capitule, autour de 3 %. Cependant, tout est paralysé ou organisé dans la précipitation, et pas pour le meilleur.

On a ainsi des cadres de L’Humanité qui tentent de négocier la reparution du quotidien auprès de l’occupant nazi, une fois la défaite de 1940 passée.

Ce qui va alors se passer, c’est que toute une nouvelle génération va se retrouver en première ligne, l’ensemble de la restructuration étant directement supervisée par l’Internationale Communiste.

Maurice Thorez ayant été exfiltré à Moscou, c’est Jacques Duclos qui assume désormais la direction du Parti dans les faits. À ses côtés, on a Benoît Frachon et Charles Tillon, ce dernier allant s’occuper des questions militaires. Auguste Havez, Auguste Lecœur, Eugène Hénaff… vont jouer un rôle toujours plus important.

Des cadres sont dispatchés dans le pays, comme Charles Tillon à Bordeaux, Gaston Monmousseau en Provence, Benoît Frachon en région parisienne : leur mission est de restructurer le Parti et ici, les femmes ont le premier rôle.

Le roman à feuilleton Les Communistes de Louis Aragon qui raconte cette période devait ainsi initialement s’intituler Les femmes communistes.

C’est l’Union des Jeunes Filles de France qui mène ici une activité intense ; sa dirigeante formée à Moscou, Danielle Casanova, mourra à Auschwitz en 1943 après avoir été un cadre exemplaire toute sa vie.

Avec tout ce travail de fond, le Parti est rapidement reconstitué, sur la base de cellules de quelques membres. Voici ce qu’on lit dans La Vie du Parti, en octobre 1940, un petit bulletin clandestin.

« L’importance du travail d’organisation du Parti dans les circonstances actuelles ne peut échapper à personne. L’expérience de notre propre travail et l’expérience du glorieux Parti Bolchevik nous apprennent que toute notre activité doit être orientée dans le sens de l’organisation des larges masses de notre pays (…).

En lisant « L’Histoire du Parti Bolchevik », en étudiant le sens profond de cette citation on comprend ce que doit être notre travail de masse. Il est évident que si nous enracinons notre organisation dans les masses, nous serons invincibles et pour cela, toutes les organisations du Parti, sans exception, doivent être résolument orientées dans le sens d’un large travail de masse (…).

Durant la période de notre activité légale nous avions des cellules de 15 – 20 – 30 membres, mais une telle forme d’organisation est actuellement impossible et compromettrait la sécurité de notre Parti.

Après avoir, pendant toute une période, basé l’organisation du Parti sur les cellules de 3 adhérents, on est arrivé à les grossir jusqu’à 8 et même 12 membres. C’est trop, beaucoup trop. Il faut absolument décentraliser les cellules, au plus vite.

Nous devons décentraliser parce que nous travaillons dans des circonstances difficiles, les forces ennemies nous guettent, essayent de pénétrer notre organisation pour lui porter des coups ; c’est pourquoi, dans cette période, les cellules ne doivent pas compter plus de 5 membres, ce qui nous permettra de parer plus aisément aux coups de l’ennemi de classe, de rendre moins vulnérable nos organisations de base et d’éviter plus facilement les provocations des agents de l’ennemi dans nos rangs (…).

En règle générale, il ne faut pas réunir plus de 3 camarades à la fois, afin d’obtenir le maximum de sécurité (…).

Le Parti Communiste Français (S.F.I.C.), sous la direction de ses chefs éprouvés : THOREZ, DUCLOS, MARTY, CACHIN, FRACHON a la confiance des larges masses de la population française qui voit en lui le Parti de l’avenir (…).

Nous, communistes qui, depuis le début, avons lutté contre la guerre impérialiste, nous luttons et nous lutterons contre toute tentative d’entraîner à nouveau notre malheureux pays dans le conflit. »

Il y a là un grand paradoxe. Le Parti adopte dans la clandestinité une ligne dans la continuité d’avant son interdiction : il est contre la guerre. Pourtant, avec la nouvelle situation d’une France marquée d’occupation par l’Allemagne nazie ou le régime de Vichy, il apparaît comme le principal levier de la confrontation, de la Résistance.

Lui seul est prêt à un activisme et est en mesure de fournir des structures pour le mener.

Le second paradoxe, c’est que le Parti suivait Maurice Thorez dans une Ligne Opportuniste de Droite, prônant le patriotisme et l’union nationale. Ce fut un échec complet, avec un Parti finalement marginalisé et interdit.

Mais avec la défaite militaire française, le Parti se voit propulsé comme la grande force de libération nationale. Tout le discours sur la « République », expression hier d’un réel opportunisme, devient subitement un outil utile et déjà maîtrisé.

Autrement dit, fin 1939 le Parti est interdit et battu politiquement ; après la défaite de 1940, il profite du fait d’être le seul à fournir des structures clandestines et un discours patriotique.

Le troisième paradoxe se produira ensuite, lorsque le Parti Communiste Français, qui ne voulait pas de lutte armée de masse initialement, servira de vecteur, de sas populaire après juin 1941, en se lançant dans la bataille militaire en soutien à l’URSS faisant désormais face à l’invasion nazie.

Ce qui suit en attendant l’interdiction, c’est donc un désarroi ; il sera suivi d’une longue séquence où le Parti ne va pas cesser de se renforcer, de s’agrandir, de s’aguerrir.

L’interdiction est surmontée, les organisations reconstruites, patiemment et avec un grand sens du sacrifice. La tentative de mener un large travail de masse se produit également rapidement, au-delà des problématiques d’organisation.

Une Lettre à un travailleur socialiste est éditée à 100 000 exemplaires à l’automne 1940, puis fin 1940 c’est la Lettre à un travailleur radical, on trouve de manière similaire le tract Paysan de France au moment de l’occupation, où l’on peut lire à l’automne 1941 :

« Amis paysans, cachez vos récoltes et cachez-les bien. Vous êtes assez malins pour « rouler » tous les contrôleurs de Vichy et les brutes de la Gestapo. Abattez vos bêtes si l’on veut vous les faire livrer à l’occupant. Ne vendez qu’aux Français et pour les Français. Faites preuve de ruse, d’habileté pour échapper à toutes les perquisitions. »

Sont rapidement publiés clandestinement La Vie du Parti et les Cahiers du bolchévisme, ces derniers devenant en 1944 les Cahiers du communisme (édités chaque trimestre à 35 000 exemplaires).

Il y a l’Avant-Garde comme organe de la Jeunesse Communiste, ainsi que des journaux régionaux, bulletins d’entreprises ou locaux, ou encore des organes comme L’École libératrice par les instituteurs, Le Médecin français, Le Palais libre ou La Relève (fondée en 1938) par l’Union des Étudiants et Lycéens Communistes de France.

Georges Politzer fit reparaître, avec Jacques Solomon et Jacques Decour la Pensée devenue la Pensée libre et mettent en place l’Université libre.

Georges Politzer, immigré hongrois et pratiquement la principale figure intellectuelle du Parti Communiste, fondateur de l’Université ouvrière, est connu surtout comme auteur du manuel Principes élémentaires de philosophie.

Il est également l’auteur en février 1941 de Sang et or, qui est une longue analyse de la démagogie fasciste et d’une critique du discours sur « l’Europe unie » prononcé par le théoricien nazi Rosenberg devant les hauts fonctionnaires nazis rassemblés à Paris. Dans le même esprit, Gabriel Péri rédige en avril 1941 Non, le nazisme n’est pas le socialisme.

De juin 1940 à juin 1941, 2 696 000 tracts ou bulletins sont diffusés ; à partir du printemps 1941 est relancée la publication d’ouvrages classiques comme le Manifeste communiste, Socialisme utopique et socialisme scientifique, Travail salarié et capital, La maladie infantile du communisme (le « gauchisme »), L’État et la révolution.

Il y aura eu en tout 317 numéros clandestins de L’Humanité, diffusés à 50 millions d’exemplaires.

Dès août 1940 l’organe de la CGT, la Vie ouvrière, est publiée clandestinement. À l’automne 1940 il existe déjà plus de cent comités d’union syndicale et d’action dans les usines métallurgiques de la région parisienne. En décembre, Renault est obligé de jeter à la ferraille plusieurs centaines de motos sabotées.

Il y a même en région parisienne la première manifestation de masse, de la porte Saint-Denis à Richelieu-Drouot, qui rassemble 10 000 personnes, le 14 juillet 1941.

Il faut pourtant des cadres éprouvés pour porter tout cela : d’où viennent-ils ? Ils ne sauraient venir des activités légales, des actions électorales, des élus municipaux, des acteurs du syndicalisme.

Ils ont trois sources : l’Organisation Spéciale, les Bataillons de la jeunesse, les groupes spéciaux de la Main-d’œuvre immigrée (MOI). On parle ici de l’appareil clandestin mis en place dans le cadre de l’Internationale Communiste, des cadres de la Jeunesse Communiste, des immigrés ayant une expérience de la lutte armée notamment avec la guerre d’Espagne.

Ces trois structures se regrouperont ensuite sous le nom de Comité Militaire National, puis de Francs-tireurs et partisans.

L’Organisation Spéciale est, initialement, une structure d’appui logistique à l’agitation clandestine ; très vite, dans le Nord occupé par l’Allemagne nazie et relevant d’un statut spécial, la lutte armée se spécialise, sous l’impulsion surtout des mineurs polonais. Elle existe dès 1940.

Les Bataillons de la Jeunesse, recrutés dans la Jeunesse Communiste, est une organisation directement fondée avec comme objectif la lutte armée ; elle date du milieu de l’année 1941, dans la foulée de l’offensive de l’Allemagne nazie contre l’URSS.

La Main-d’œuvre immigrée (MOI) est initialement une structure de la CGT Unitaire regroupant les travailleurs immigrés, souvent bien plus politisés et idéologues que les communistes Français. Elle a joué un grand rôle dans le soutien à la République espagnole et dès l’interdiction du Parti Communiste Français, elle établit des structures clandestines.

Grâce à ces appuis essentiels, tant sur les plans subjectif qu’objectif, le Parti Communiste devient la seule organisation qui sur le territoire français ne cède en rien au pessimisme et a comme objectif annoncé la victoire. Le Parti Communiste devient alors une organisation révolutionnaire authentique, c’est-à-dire fonctionnant clandestinement et selon les principes stricts de la compartimentation.

Chaque groupe fonctionne en triangle. Seule une personne fait office de liaison avec une autre structure de l’organisation.

Les différents groupes ne se connaissent pas entre eux et si une structure tombe, l’organisation peut se maintenir. Le plus souvent, les groupes ne rassemblent que trois personnes, afin d’éviter tout risque d’infiltration.

Les structures sont supervisées par un responsable des opérations militaires, un responsable technique – logistique et bien entendu un commissaire politique, base de toute armée rouge. Et, au départ du moins, la ligne de construction des structures clandestines se fait sur la base des revendications.

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Le Parti Communiste Français
de la lutte armée à l’acceptation