Le positionnement du PCF début 1945

Au début de l’année 1945, l’Allemagne nazie n’est pas encore vaincue, mais sa défaite est inéluctable. Selon le Parti Communiste Français, il n’y a pas lieu de considérer qu’on passe à une autre étape et qu’il faut reformuler les rapports contradictoires au sein de la société française.

Bien au contraire, même, il s’agissait simplement de prolonger l’élan connu dans la résistance. C’est la ligne de Maurice Thorez, celle du « meilleur élève », et le Parti Communiste Français se place comme aile la plus radicale de la résistance, celle qui veut qu’on aille jusqu’au bout.

Dans L’Humanité, le 11 janvier 1945, Florimond Bonte résume de manière tout à fait nette la ligne du Parti Communiste Français alors que le processus de Libération était encore en cours. L’article s’intitule « La haine devoir national », les deux intertitres sont « Tout pour la guerre » et « La réconciliation inadmissible ».

Tout est dit avec cela. Voici ce qu’on lit dans cette seconde partie de l’article.

« LA RÉCONCILIATION INADMISSIBLE

Et, cependant, en pleine recrudescence de la guerre [en raison d’une tentative allemande de contre-offensive], nous entendons parfois murmurer des paroles de réconciliation et prononcer des plaidoyers larmoyants.

Certains même poussent l’aberration jusqu’à réserver leurs malédictions les plus violentes, non aux hitlériens et à leurs complices de Vichy responsables des larmes des déportés et du sang répandu par les martyrs de la cause française, mais aux Français les plus ardents et les plus hardis qui, sous la terreur de l’occupation, se dressèrent face à l’ennemi pour la libération de la Patrie.

C’est inadmissible. On ne se réconcilie ni avec Hitler, ni avec Pétain. On ne se réconcilie pas avec le nazisme, on le bat et on l’abat. On ne se réconcilie pas avec la trahison.

Le Devoir ? II est d’attiser la haine, la haine du Boche, la haine de ses complices, la haine des trusts sans patrie, la haine de la cinquième colonne.

Notre haine, c’est une haine française. Nous la voulons vivace et féconde. Nous la voulons ardente, combative et génératrice d’action.

Elle doit être semblable à la haine inextinguible des patriotes français de 1792, à celle qui est exprimée par notre immortelle « Marseillaise », lançant, de Strasbourg, son cri de guerre : « Qu’un sang impur abreuve nos sillons ! ».

Elle doit être semblable à celle de nos francs-tireurs et partisans d’hier, de nos réfractaires à la relève, de nos déportés et de nos prisonniers de guerre, de nos otages, de nos héros, des combattants intrépides des glorieuses journées insurrectionnelles de Paris.

Cette haine française anime nos soldats, nos marins, nos aviateurs toujours vaillants à la pointe du combat pour la liberté, la démocratie, l’indépendance et la grandeur de la France.

Cette haine est une haine agissante, elle frappe l’ennemi. Elle n’épargne pas la trahison. Elle na s’assouvit que dans le sang des envahisseurs allemands.

C’est une haine sacrée. Elle est un devoir. Elle est un devoir national. »

On est dans la ligne légitimiste et il n’y a pas de stratégie pour l’après-victoire. Il n’est pas raisonné en termes d’État, mais en termes de nation. Il y a la France, comme pays, comme nation, qui s’organise d’une manière ou d’une autre, et il faut empêcher des couches sociales égoïstes de nuire à son existence.

L’ennemi, aux yeux du Parti Communiste Français, en 1945, ce n’est donc pas la bourgeoisie rétablissant un État fonctionnel, mais uniquement les trusts et les restes du régime de Vichy. Et aux yeux de la direction de Maurice Thorez, qui pratique une ligne opportuniste de droite, il suffit de se placer comme fer de lance de la Résistance en général.

C’est le sens du mot d’ordre lancé par Maurice Thorez à la session du Comité central de la fin janvier 1945 à Ivry : « S’unir, combattre et travailler ». Il n’y a aucun préparatif pour un éventuel antagonisme.

Il faut renforcer le pays, coûte que coûte, et Maurice Thorez souligne d’ailleurs que :

« Les communistes veulent être les meilleurs combattants contre l’hitlérisme, pour l’ordre républicain. »

Et pour qui n’aurait pas compris :

« Nous qui sommes des communistes, nous ne formulons pas présentement des exigences de caractère socialiste ou communiste.

Nous disons cela au risque de paraître tièdes aux yeux de ceux qui ont constamment à la bouche le mot de révolution.

C’est un peu à la mode, les quatre années de « révolution nationale » sous l’égide de Hitler ont prévenu le peuple contre l’emploi abusif et démagogique de certains termes détournés de leur sens.

Pour nous, nous disons franchement qu’une seule chose nous préoccupe, parce qu’une seule chose préoccupe le peuple : GAGNER LA GUERRE AU PLUS VITE, faire en sorte que la joie revienne bientôt dans tous nos foyers, avec la paix et la liberté, avec le retour des absents et le lait pour nos petits, le pain pour nos vieux, le verre de vin pour tous. »

Le coup du « verre de vin pour tous » est emblématique d’un populisme débridé, véritablement assumé. Néanmoins, la démagogie sociale et misérabiliste est également présente, avec une constante syndicaliste : « le lait pour nos petits, le pain pour nos vieux ».

Il faut ici bien noter que la France était effectivement dans une situation dramatique en ce qui concerne l’approvisionnement, tant pour l’alimentation que le chauffage.

Cependant, il y a une véritable idéologie de la complainte permanente, sur un mode chrétien, et cela va se voir d’autant plus dans les années 1960, où le Parti Communiste Français n’aura de cesse de parler de l’appauvrissement généralisé des masses alors que le niveau de vie augmentait pourtant.

Ce qui est à l’œuvre, c’est une mécanique syndicaliste, avec un Parti formant le bras politique de la CGT. La liquidation de la nature communiste du Parti est ainsi tendancielle ; elle est ouvertement abordée dans une interview de Maurice Thorez accordée à l’hebdomadaire catholique Temps présent.

« Certaines confusions, que je veux croire involontaires ont été faites entre l’idée d’un seul parti des travailleurs et le soi-disant parti unique.

Dans les conditions actuelles de la démocratie en France, il y a place pour différents partis.

Mais nous pensons que les travailleurs — et plus particulièrement les socialistes et les communistes — peuvent aboutir à se confondre dans un seul parti.

Partant de cette base, peut-être, plus tard, pourra-t-on penser à un grand parti du Peuple étendu aux paysans, aux classes moyennes et aux intellectuels.

Ce qu’il faut actuellement empêcher, c’est l’émiettement politique de la France en partis rivaux qui ne présenteraient qu’une caricature de la démocratie et un danger pour elle…  (…).

Nous n’avons pas à demander actuellement l’application du programme communiste, puisque nous sommes unis dans le C.N.R. [Conseil national de la Résistance] avec d’autres partis non communistes.

Nous faisons honneur à la signature que nous avons apposée au bas du programme du C.N.R. au mois de mars 1944. »

Cette question du dépassement du Parti Communiste Français est vitale en 1945 ; il est considéré que l’unification avec les socialistes est inévitable à court terme, et même pratiquement acquise. La transformation en un « Parti Ouvrier Français ».

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Le Parti Communiste Français
de la lutte armée à l’acceptation