Le PCF et l’objectif d’un Parti Ouvrier Français

Les socialistes avaient poignardé dans le dos les communistes en soutenant avec ferveur l’interdiction du Parti Communiste Français en 1940. Impossible de maintenir une telle ligne pendant l’Occupation et le régime de Vichy, aussi les liens se reconstituèrent.

Il y avait cependant toujours une aile droite dans le Parti socialiste-SFIO, ce que le Parti Communiste Français n’a alors pas vu, étant aveuglé par ses propres progrès.

Initialement, le 10 septembre 1944, le dirigeant Daniel Mayer avait proposé un travail commun au Parti Communiste Français, soulignant que les socialistes s’opposeraient à la mise en place d’un bloc anti-communiste.

Le 4 décembre de la même année eut lieu une réunion socialiste-communiste de haut niveau dans les locaux du Parti Communiste Français, avec comme thème la réalisation commune d’un Comité d’Entente.

Celui-ci se réunit une première fois le 19 décembre 1944 et le premier grand résultat est la publication du 2 mars 1945 dans L’Humanité et Le Populaire. Les organes communiste et socialiste publient, avec les mêmes caractères typographiques, la même disposition, un manifeste commun aux deux partis.

Ce « manifeste au peuple de France » est signé du Comité central du Parti Communiste Français et du Comité directeur du Parti socialiste-SFIO. Sa ligne fondamentale est la suivante ;

« Rebâtissons, dans la Victoire, une France libre, généreuse et puissante

par

– la nationalisation immédiate des grandes banques
– la nationalisation rapide des principales sources de matières premières
et d’énergie, des industries-clés, des transports et des assurances
– la confiscation des biens des traîtres

Tel est le mot d’ordre lancé au peuple de France par le Parti socialiste et le Parti Communiste d’accord pour une action immédiate, constructive et hardie »

Le document est une explication de ce mot d’ordre ; on lit à la fin la chose suivante, qui résume bien la ligne et l’état d’esprit :

« OSER ET AGIR VITE

Le Parti communiste et le Parti Socialiste invitent le peuple de France à exiger ces réformes sans délai.

Prudents et réservés lors de la libération, les trusts redressent la tête, rétablissent leur puissance, possèdent déjà quelques journaux, accroissent leur pression sur le gouvernement, replacent leurs hommes aux postes de commande.

Attendre, pour décider de leur sort, les élections à la Constituante, reviendrait à leur laisser tout loisir pour se réorganiser. La bataille doit aujourd’hui être gagnée. Le succès demain peut être compromis.

IL FAUT OSER ET AGIR VITE

Il le faut, non seulement pour abattre les trusts, mais encore pour ranimer dans le pays cet élan populaire qui, toujours, conduisit nos armées à la victoire ; pour rendre à la France dans le monde son rôle traditionnel de semeuse d’idées généreuses.

Le peuple de France, à l’appel du Parti Socialiste et du Parti Communiste, exigera que la victoire contre le fascisme extérieur soit prolongée à l’intérieur par la destruction des Bastilles capitalistes, stigmatisées il y a un an par le général de Gaulle qui, le 20 avril 1943, définissait « un régime économique et social tel qu’aucun monopole et aucune coalition ne puissent peser sur l’État ni régir le sort des individus ».

TOUS UNIS, NOUS ABATTRONS LES TRUSTS »

Il n’est pas difficile de voir que les communistes et les socialistes cherchent ici à se poser comme aile gauche du Conseil National de la Résistance.

Début juin 1945, le Parti Communiste Français propose alors un document intitulé « Projet de charte d’unité de la classe ouvrière de France ». C’est un document programmatique, car son propre congrès doit se tenir quelques semaines après.

On est dans l’idée d’un dépassement du Parti Communiste Français en un « Parti Ouvrier Français », par la fusion avec les socialistes.

« PRÉAMBULE

Au sortir de la grande guerre contre le fascisme qui a fait couler tant de larmes et de sang, les travailleurs français ne peuvent manquer de constater que leurs divisions, provoquées et entretenues par les ennemis de la classe ouvrière, ont fait le jeu du fascisme.

Les ouvriers français qui ont été à la pointe du combat pour la libération de la patrie, ne pourront assurer leur mission de libération totale de la France que s’ils sont unis et groupes en un seul parti.

Ainsi groupée, la classe ouvrière française, qui a déjà réalise son unité syndicale, sera la force essentielle de la nation, capable de rassembler et d’unir autour d’elle tous les éléments progressifs du pays pour aller de l’avant vers plus de démocratie et de progrès, vers la suppression de l’exploitation de l’homme par l’homme.

Depuis 1920, la classe ouvrière de France est divisée. Cette division n’a que trop duré; l’heure a sonné de la constitution d’un grand Parti Ouvrier Français, capable de remplir la mission historique assignée à la classe ouvrière de notre pays.

Le Parti Ouvrier Français plonge ses racines dans le passé révolutionnaire de notre pays.

Il continue la lutte émancipatrice de la grande Révolution française qui proclama les droits de l’homme et du citoyen.

Il continue la tradition glorieuse de Babeuf et de ses disciples tombés pour la cause de la justice sociale.

Il continue les traditions de combat des insurgés parisiens de 1830, celles des canuts de Lyon, celles des révolutionnaires de 1848, celles des combattants immortels et des martyrs de la Commune de Paris.

Il est l’héritier de tout ce qu’il y a de durable dans l’œuvre des précurseurs du socialisme, les SAINT-SIMON et les FOURIER.

Il est l’héritier de la combativité révolutionnaire d’Auguste BLANQUI.

Il se réclame de Paul LAFARGUE qui a tant contribué à faire connaître le marxisme en France, de la politique de classe intransigeante de Jules GUESDE, de la politique de rassemblement des masses populaires contre le réaction symbolisée par Jean JAURÈS.

LE PARTI OUVRIER FRANÇAIS, continuateur du Parti Ouvrier Français d’avant l’unité de 1905 et du Parti Socialiste Unifié d’avant la guerre de 1914, instruit par l’expérience du mouvement ouvrier national et international, mène le combat libérateur dans la voie tracée par MARX et ENGELS.

LE PARTI OUVRIER FRANÇAIS revendique l’héritage des encyclopédistes du XVIIIe siècle, dont la philosophie matérialiste contribua à saper les bases de la société féodale et trouve son développement dans le matérialisme dialectique de Karl MARX et Frédéric ENGELS.

Il défend la laïcité que menacent les forces d’obscurantisme et de réaction sociale.

LE PARTI OUVRIER FRANÇAIS défend et propage le matérialisme dialectique de Marx et d’Engels enrichi par Lénine et Staline.

Il l’applique comme méthode révolutionnaire de connaissance et de transformation de la réalité.

LE PARTI OUVRIER FRANÇAIS combat en conséquence toutes les variétés de l’idéologie capitaliste et de l’opportunisme théorique et pratique.

Il combat d’une part toute politique perdant de vue les buts que poursuit la classe ouvrière.

Il combat, d’autre part, la gesticulation et le verbiage « révolutionnaire » qui discréditent la révolution aux yeux des masses travailleuses et servent, par conséquent, les ennemis de la classe ouvrière.

LE PARTI OUVRIER FRANÇAIS qui se fixe pour but de socialiser les moyens de production et d’échange, c’est-à-dire de transformer la société capitaliste en une société collectiviste ou communiste, proclame que la conquête du pouvoir par la classe ouvrière est indispensable pour atteindre cet objectif.

LE PARTI OUVRIER FRANÇAIS est donc le Parti qui vise à la disparition de la dictature du capital et à l’instauration d’un État assurant l’exercice du pouvoir à la classe ouvrière pour briser, avec l’aide de ses alliés naturels des villes et des campagnes, les efforts de la réaction et préparer l’acheminement vers la société sans classes qui permettra le plein épanouissement de la personne humaine.

LE PARTI OUVRIER FRANÇAIS ne défend pas seulement les intérêts immédiats et à venir des ouvriers, il défend aussi les intérêts présents et futurs des paysans, des petits commerçants, des artisans, des intellectuels, des employés et de tous ceux qui sont victimes de l’exploitation et de la rapacité des trusts.

Il travaille à unir l’ensemble de la population laborieuse dans un même combat contre le capitaliste, et pour l’avènement d’une société où l’homme ne sera plus exploité par l’homme.

LES BASES FONDAMENTALES DU PARTI OUVRIER FRANÇAIS

I LE PARTI OUVRIER FRANÇAIS considère que la libération humaine des chaînes du capitalisme, la destruction de la dictature du capital ne peuvent se réaliser sans un élargissement considérable de la démocratie pour le peuple, pour les ouvriers, les paysans, les intellectuels et l’ensemble des masses laborieuses et sans une limitation de la liberté des exploiteurs et oppresseurs du peuple, ce qui est traditionnellement désigné par les maîtres du socialisme sous le vocable de dictature du prolétariat, et conduit à la réalisation de la société communiste qui mettra lin à toutes les formes d’exploitation et d’oppression de l’homme par l’homme et permettra un développement harmonieux de toutes les facultés humaines.

II LE PARTI OUVRIER FRANÇAIS combat tous les préjugés raciaux. Il entretient des rapports fraternels avec les peuples de tous les pays, non seulement de race blanche, mais de toutes races et de toutes couleurs. Il défend les principes de la liberté et de l’indépendance des peuples.

III LE PARTI OUVRIER FRANÇAIS, en vue de démontrer la supériorité des principes dont il se réclame, fait connaître aux larges masses les grandioses victoires du socialisme remportées par le Parti Communiste Bolchevik de l’U.R.S.S. sous la conduite de Lénine et Staline, continuateurs de Marx et Engels.

IV LE PARTI OUVRIER FRANÇAIS est à la fois national et internationaliste. Il est national en ce sens qu’il défend, en toutes circonstances, les véritables intérêts français, qui n’entend nullement transposer mécaniquement en France telle ou telle expérience de tel ou tel pays, et il veut assurer la victoire du socialisme en France dans les conditions propres à la situation et au génie national de notre pays.

Il est internationaliste en ce sens qu’il entend faire bénéficier les partis ouvriers des autres pays de l’expérience de la lutte de la classe ouvrière française, en même temps qu’il veut pouvoir s’enrichir de l’expérience du mouvement ouvrier international.

En conséquence, le Parti Ouvrier Français établit des rapports fraternels avec les partis des autres pays poursuivant des buts identiques aux siens.

V LE PARTI OUVRIER FRANÇAIS détermine librement sa politique et n’admet aucune pression extérieure quelle qu’elle soit. Il conserve une indépendance absolue vis-à-vis du gouvernement français et de tous autres gouvernements.

VI LE PARTI OUVRIER FRANÇAIS est fondé sur le centralisme démocratique. Toutes les décisions sont prises après une discussion entièrement libre, mais une fois les décisions prises à l’unanimité ou à la majorité, elles sont obligatoires pour tous.

La discipline est la même pour tous. En aucun cas on ne saurait admettre d’infraction à la loi du Parti, pas plus de la part de parlementaires ou de militants en vue que de la part de simples militants.

Pour être membre du Parti, il ne suffit pas de se déclarer d’accord avec les buts et moyens du Parti, il faut travailler à l’application de toutes les décisions du Parti et acquitter régulièrement les cotisations.

VII LE PARTI OUVRIER FRANÇAIS est constitué sur de véritables bases démocratiques en ce sens que les décisions étant prises démocratiquement par les assemblées souveraines du Parti, nul n’a le droit de s’y soustraire.

Les organes de direction aux divers échelons sont élus par les assemblées générales, les conférences et les congrès.

Les organes de direction sont tenus de rendre compte périodiquement de leur activité devant leurs mandants.

Les décisions des organes supérieurs du Parti sont obligatoires pour les organes inférieurs.

Ainsi seulement peut être assurée par l’ensemble du Parti l’application des décisions correspondant aux exigences de la situation et prises dans le cadre de la politique du Partie déterminée, dans les congrès, par l’ensemble des adhérents.

VIII L’ORGANISME CENTRAL du Parti dirige l’ensemble du Parti, le groupe parlementaire, la presse, et a pour devoir d’exiger de tous l’application des décisions.

L’unité idéologique, condition de la capacité de lutte du Parti, est indispensable.

Journalistes, écrivains et orateurs du Parti doivent défendre une même politique, la politique du Parti déterminée démocratiquement par les membres du Parti dans les Assemblées et Congrès du Parti.

IX LE PARTI OUVRIER FRANÇAIS adopte une base d’organisation lui permettant de diriger l’action des masses populaires partout où elles se trouvent, tant à l’entreprise que sur le terrain local.

X LE PARTI OUVRIER FRANÇAIS poursuit son activité dans le cadre de la légalité existante, qu’il défend contre tous les assauts réactionnaires des ennemis du peuple, décidé qu’il est à ne laisser priver, en aucun cas, la classe ouvrière de la possibilité de poursuivre sa lutte émancipatrice.

LE PROGRAMME QUE SE PROPOSE DE RÉALISER LE PARTI OUVRIER FRANÇAIS

Le programme que se propose de réaliser le Parti Ouvrier Français est, en premier lieu, de libérer la France de la domination des trusts, coupables de trahison, de reconstruire l’industrie en la modernisant, de rénover l’agriculture, d’assurer une véritable renaissance de la Nation et de créer une France nouvelle.

Cela exige la suppression définitive des trusts, le retour à la nation de tous les grands moyens de production, comme le réclame le Conseil National de la Résistance.

Ainsi, et ainsi seulement, il sera possible d’entreprendre l’organisation méthodique de la prospérité.

Après la suppression définitive des trusts et le retour à la Nation des grands moyens de production et d’échange, l’économie sera dirigée par la Nation elle-même par l’intermédiaire de ses organes compétents.

Dès lors, il sera possible d’organiser la production et la distribution des produits d’après un plan dont le but sera l’accroissement du bien-être de la Nation.

L’accroissement du bien-être de la Nation exige l’augmentation continue de la part de chaque citoyen au produit du travail national.

Pour que cette part puisse augmenter, il faut que le travail national produise toujours davantage. C’est pourquoi le plan doit prévoir l’augmentation continue de la production.

L’augmentation de la production est obtenue, sous le régime des trusts, par l’augmentation de l’exploitation des travailleurs.

Dans la France débarrassée des trusts, elle sera obtenue uniquement par le développement de l’industrie et de l’agriculture, par l’amélioration de la technique et par une organisation du travail qui accroîtra le rendement, tout en ménageant les forces des travailleurs.

Dans l’économie soumise à la direction des trusts, l’augmentation de la production ne s’accompagne pas de l’accroissement du bien-être de la Nation.

La majeure partie du revenu national est dévorée par les trusts. C’est pourquoi l’on voit se produire un accroissement de la misère parallèlement aux possibilités d’accroissement de la production.

Dans une telle économie, il ne saurait y avoir accroissement continu de la production.

Périodiquement surviennent des crises économiques qui arrêtent la production, provoquent le chômage et la destruction d’immenses quantités de richesses, cependant que des millions d’êtres humains sont dans le dénuement le plus complet.

Dans l’économie débarrassée des trusts, l’accroissement de la production déterminera l’augmentation du bien-être, l’augmentation du bien-être national ne dépendra que de l’accroissement de la production.

Dans l’économie soumise à la direction des trusts, le but de la production n’est autre que le profit, et avant tout le profit des trusts.

Par contre dans une économie définitivement débarrassée des trusts, le but de la production sera la satisfaction des besoins des hommes.

Dès lors la production française aura pour but unique de satisfaire les besoins des Français.

Ainsi pourront se créer les fondements d’une France nouvelle débarrassée de la dictature du capital dans laquelle il n’y aura plus d’exploitation de l’homme par l’homme.

La suppression de l’exploitation de l’homme par l’homme a été souvent présentée sous l’angle de la suppression de la propriété privée, ce qui est faux, la propriété privée, fruit du travail personnel ou familial de la masse des citoyens ne pouvant, au contraire, trouver une garantie sérieuse que par la disparition de l’exploitation de l’homme par l’homme.

Au surplus, la suppression totale et définitive des trusts et de la dictature du capital, la liquidation de l’exploitation de l’homme par l’homme auront pour résultat l’établissement définitif de l’unité française.

Dans une telle France, il n’y aura plus de lutte de classes parce qu’il n’y aura plus de classes. Tous les citoyens seront des producteurs et aucun Français ne sera l’exploiteur d’autres Français.

Pour aller de l’avant vers cette France que nous voulons voir jouer un rôle digne de son passé, dans le mande nouveau qui s’élabore sous nos yeux ;

pour aller de l’avant vers cette France d’où auront disparu la misère, l’ignorance, les préjugés, les menaces de guerre et où grâce aux conquêtes de ia science, le bien-être des hommes ira en augmentant tandis que la culture connaîtra un développement prodigieux ;

pour aller de l’avant vers la réalisation, dans notre pays, de la société socialiste qui assurera « De chacun selon ses capacités à chacun selon son travail » et, par la suite, vers la société communiste dont le principe sera « De chacun selon ses capacités à chacun selon ses besoins » ;

pour aller de l’avant à la conquête de la liberté et du bonheur :

TRAVAILLEURS DE FRANCE UNISSONS-NOUS ! »

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Le Parti Communiste Français
de la lutte armée à l’acceptation