L’année 1948, comme auparavant l’année 1947, est marquée par une hausse continue des prix, alors qu’on ne sort toujours pas d’une situation de pénuries.
L’agitation reste ininterrompue, avec différentes vagues et la tension ne fait que monter. En juin 1949, un débrayage d’une heure est très largement suivi, par des millions de travailleurs.
Mais le Parti Communiste Français, qui soutient désormais totalement le mouvement, à rebours de sa position de 1945-1946 et de son retard à l’allumage de 1947, est pourtant toujours sur la même ligne de participer au gouvernement, de parvenir à le diriger.

On en est toujours à la ligne opportuniste de droite de Maurice Thorez, avec la considération que le régime est démocratique ou du moins que la « République » est essentiellement neutre et qu’il est possible d’en prendre les commandes.
C’est incohérent, totalement forcé, pour autant personne ne semble le remarquer. Le Parti Communiste Français ne connaît pas de critique, pas de remue-ménage interne, pas de bataille idéologique.
Il y a le principe d’une grande force numérique et électorale, arrimée à l’URSS, cela semble suffire.

Voici le programme de salut national, adopté le 15 avril 1948 lors de la session du Comité Central du Parti Communiste Français à Gennevilliers.
« 1. Dénonciation des accords et traités qui enchaînent la France à la politique de guerre du camp impérialiste, qui subordonnent les crédits étrangers éventuels à des conditions
contraires à l’indépendance nationale, qui lient la France aux pays ex-ennemis contre ses alliés (plan Marshall, traité militaire de Bruxelles, alliance avec l’Allemagne occidentale) [I].Participation active de la France aux efforts de l’Union Soviétique et de toutes les forces de paix dans le monde pour établir une paix démocratique, juste et durable, fondée sur le respect des accords interalliés et de la Charte des Nations Unies.
2. Défense des droits de la France à la sécurité et aux réparations allemandes que des gouvernants sans honneur ont scandaleusement abandonnées.3. Fin de la guerre au Viêt-Nam. Libération de toutes les victimes de la répression colonialiste et respect de la Constitution dans les pays et territoires de l’Union Française.
4. Défense de nos industries contre les atteintes et les menaces de l’impérialisme américain, rajustement des salaires sur la base du minimum vital, soutien de l’effort des savants, ingénieurs et techniciens, et modernisation des entreprises de manière à créer les conditions du développement de la production.
5. Rénovation de l’agriculture française par une politique fondée sur une production accrue d’outillage agricole et d’engrais, sur les prix agricoles rémunérateurs et stables, sur la protection de nos cultures essentielles contre les grands exportateurs d’outre-Atlantique.
6. Rétablissement de relations commerciales normales avec les pays du Centre et de l’Est de l’Europe, seuls débouchés importants et stables pour la production française.
7. Mise en oeuvre de toutes les possibilités de l’industrie et de tous les moyens disponibles de l’Etat et de l’initiative privée pour impulser une politique de reconstruction et de construction afin de reloger rapidement les sinistrés et de donner aux innombrables jeunes gens sans logis la possibilité de fonder un foyer.8. Baisse sérieuse des prix, qui implique en particulier la «m réduction des superbénéfices des sociétés capitalistes, le respect des droits des Comités d’entreprise en ce qui concerne le contrôle des prix de revient.
9. Développement de la formation professionnelle afin de donner un métier aux jeunes. Poursuite d’une politique d’équipement sportif et d’éducation physique préservant la santé de la Jeunesse et assurant son plein épanouissement.
10. Stabilisation du franc. Equilibre strict du budget. Diminution massive des dépenses militaires. Reforme démocratique de la fiscalité exonérant le minimum vital, simplifiant le système des impôts, frappant les sociétés industrielles et financières scandaleusement favorisées et allégeant les charges des travailleurs et des classes moyennes. Protection de l’épargne. Défense de la propriété, fruit du travail et de l’épargne.
11. Consolidation des conquêtes démocratiques, notamment la Sécurité Sociale et les nationalisations menacées par les grands capitalistes français et américains.
12. Dissolution des groupes paramilitaires de guerre civile organisés par le R.P.F. Défense de la légalité républicaine et des libertés constitutionnelles (droit de grève, liberté d’expression, liberté de réunion, d association et de manifestation) [2].
13. Organisation de l’armée conformément aux besoins exclusifs de la souveraineté française et de la défense de la République, garantissant à l’armée nationale un commandement et une structure rendant impossible son utilisation contre le peuple, pour une politique colonialiste ou comme instrument d’une puissance étrangère agressive.
14. Application du statut de la fonction publique, voté en 1946 sur l’initiative de Maurice THOREZ en vue de faire droit aux légitimes revendications des fonctionnaires.
15. Respect intégral de la laïcité de l’Etat et de l’Ecole publique, condition de l’union des Français sans distinction d’opinion et de croyance. Développement des constructions scolaires.
16. Assainissement de la presse par la publication obligatoire des ressources et des dépenses de chaque journal ou périodique.
17. Révision des scandaleuses mesures d’impunité prises à l’égard de nombreux traîtres. Libération et réhabilitation des combattants de la Résistance arbitrairement emprisonnés, poursuivis ou condamnés.
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1) Il convient d’ajouter à cette énumération l’accord de Londres et le pacte bilatéral franco-américain.
2) Il convient d’ajouter à cet article du programme l’abandon du projet Jules Moch qui tend à favoriser les entreprises subversives du général de Gaulle en lui assurant la majorité dans le Conseil de la République redevenu le Sénat.
Au milieu de l’année, il est évident qu’on va à la collision. Néanmoins, le Parti Communiste Français joue toujours la carte du légitimisme. C’est là où on voit que la ligne opportuniste de droite de Maurice Thorez est devenue la matrice et qu’il est devenu impossible d’en sortir.
Au milieu de l’année 1948, la contradiction est posée : il y a le combat des masses, mais le Parti Communiste Français qui le porte est paradoxalement incapable d’en assumer la dimension.

En posant la « République » comme voie censée mener au socialisme, le Parti Communiste Français annule concrètement sa propre existence révolutionnaire.
Voici l’appel du Parti Communiste Français à ce moment-là, encore et toujours pour un nouveau gouvernement.
« Le mécontentement général des masses populaires a provoqué la dislocation et l’effondrement du gouvernement Schuman-Mayer-Moch.
Les ouvriers, les paysans, les fonctionnaires, les petites gens des classes moyennes en ont assez d’une politique de misère et de ruine qui accable les travailleurs et tourne le dos aux intérêts de la France et de la République.
La discussion portant sur une réduction bien insuffisante des crédits militaires a surtout souligné l’absence d’une véritable doctrine de défense nationale, chez les hommes et les groupements qui tentent d’asservir la France aux exigences des impérialistes américains, au risque de jeter notre pays dans une nouvelle catastrophe.
Le gouvernement disparaît alors que la situation internationale de plus en plus tendue provoque de vives inquiétudes chez tous les Français épris de liberté et de paix. Les décisions unilatérales de la Conférence de Londres, ratifiées à la faible majorité de huit voix par l’Assemblée Nationale, produisent les résultats qu’on en pouvait attendre.Plus de sécurité, plus de réparations pour la France, mais l’alliance avec l’Allemagne de l’Ouest et la course à l’aventure derrière les fauteurs d’une nouvelle guerre impérialiste contre l’Union Soviétique et les pays de démocratie populaire.
Le Parti Communiste considère qu’il est encore possible de prendre une autre voie et de promouvoir une politique française de démocratie et de paix ; une politique fondée sur l’affirmation rigoureuse de notre indépendance nationale.Il est nécessaire à cet effet de constituer un gouvernement d’union démocratique, un gouvernement ayant la confiance de la classe ouvrière, la confiance du peuple et s’appuyant résolument sur le peuple, pour l’application d’un programme de salut national.
Le Parti Communiste appelle tous les travailleurs, tous les républicains, tous les patriotes à renforcer leur union et leur action pour donner à la France le gouvernement qu’elle attend.
Le Comité Central du Parti Communiste Français.
Le Groupe Parlementaire Communiste.
Paris le 20 juillet 1948. »
C’est alors que se produit la grève des mineurs.
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et les trois grèves historiques : 1947, 1948, 1949