Toute la presse bourgeoise, appuyée par les socialistes, dénonça la grève des mineurs comme une tentative d’insurrection communiste.
En réalité, le mouvement avait comme moteur des revendications strictement professionnelles et essentiellement d’ordre économique. Il s’agissait notamment d’élever le pouvoir d’achat des familles et de défendre le minimum vital du mineur remis en cause par les décrets Lacoste.
Ici, il faut comprendre tout l’arrière-plan syndical, car tout est bien trop masqué par la nature du Parti Communiste Français, qui agit comme un « parti syndicaliste ».

Avec l’après-guerre et la généralisation des élections professionnelles, la logique électoraliste commença à infuser dans le syndicalisme. La CGT était alors hégémonique.
Néanmoins, pour des raisons tenant à l’histoire du mouvement ouvrier, le syndicalisme chrétien représenté par la CFTC était très implanté dans le bassin minier de l’Est.
Par ailleurs, poussé par la SFIO et les forces politiques anticommunistes et soutenu financièrement par la CIA, le syndicat CGT-Force ouvrière né fin 1947 trouvait un écho grandissant au niveau national.
Pour la préparation des élections professionnelles de 1948, le ministère du Travail et de la sécurité sociale arrêta une liste fermée de syndicats habilités à présenter des candidats.
Cette décision du 8 avril 1948 relative à la détermination des organisations appelées à la discussion et à la négociation des conventions collectives de travail constituait une consécration de la représentativité des syndicats de la part des pouvoirs publics.

Réciproquement, cette reconnaissance venait un peu plus intégrer le syndicat dans l’appareil démocratique bourgeois et, par là-même, mettre un terme à toute prétention révolutionnaire du syndicalisme.
Cela ne dérangea pas la CGT ni le Parti Communiste Français, qui ne posèrent aucune question à ce niveau, ayant accepté la « République ».
Aux élections des délégués mineurs de février 1948, la CGT remporta le plus grand nombre de suffrages. Ainsi, dans le Pas-de-Calais, celle-ci ne descendit sous les 68 % des voix dans aucun groupe.
« FO » oscillait toutefois aux alentours de 20 % des suffrages, alors la CFTC n’obtenait que de 3 à 7 %.
Dans ce contexte, dès le stade de la préparation du mouvement, la CGT voulut se prémunir de toute accusation de participation à une grève politique. Il faut se rappeler ici de la charte d’Amiens, cette horreur de 1906.
La charte dénonce les partis politiques et même la politique ; le mouvement ouvrier français ne s’en remettra jamais. Inversement, dans les pays où il y avait une vraie social-démocratie, la ligne était la suivante : le Parti est primordial, il agit dans le domaine politique ; le syndicat est subordonné à la politique, mais c’est lui qui s’occupe des revendications économiques.
Avant la fondation du Parti Communiste Français en 1920, le Parti socialiste-SFIO formait un monde parallèle à la CGT et reconnaissait la primauté de la CGT dans le cas d’une révolution.
Par la suite, le Parti Communiste Français a maintenu ce fond « syndicaliste révolutionnaire », notamment par l’intermédiaire de sa Confédération générale du travail unitaire qui a existé de 1921 à 1936.
Au moment de la stabilisation interne du Parti Communiste Français dans les années 1930 avec Maurice Thorez, la ligne adoptée devint celle du « parti syndicaliste ».

Ne comprenant pas la dialectique Parti-Syndicat, la CGT était alors d’autant plus facilement la cible des syndicalistes « purs ».
En ce sens, la grève des mineurs de 1948 devait aussi être un moyen pour la CGT de réapparaître comme un vrai moteur syndical et purement syndical.
Le 4 octobre 1948, après un référendum organisé par la CGT, très suivi dans chacun des puits des Charbonnages de France, favorable à la grève à près de 90 %, le travail s’arrêta.
Dans les puits, l’animation du mouvement de grève dépendait largement des militants de la CGT.
En plus du succès des revendications, un double enjeu apparut. Il s’agissait d’une part pour les cadres syndicaux locaux de démontrer que les décisions pouvaient valablement être prises de manière décentralisée. Et, d’autre part, de défendre la CGT elle-même.
La tendance au durcissement intervint alors rapidement, sans qu’elle vienne d’abord des grévistes eux-mêmes. Elle était provoquée par la nécessaire démonstration de force de la CGT.
C’est dans ce cadre que l’on peut lire, tant la grève de la sécurité qui intervint vers le 16 octobre, que les menaces et agressions contre les « jaunes ».

Ces deux types d’actions, que l’on observa d’ailleurs dans de nombreux puits, doit être différenciée de la véritable radicalité des masses qui s’exprima essentiellement dans les assauts contre les forces de l’ordre en vue de reprendre le contrôle des puits et dans la volonté de poursuivre l’épuration antifasciste.
Cette situation accentua les contradictions au sein de la CGT également d’un point de vue strictement organisationnel. En l’occurrence, l’aspect essentiel est que la grève des mineurs de 1948 fut dirigé par la fédération nationale des travailleurs du sous-sol de la CGT.
On n’a donc plus un comité national comme à la fin de l’année 1947. Cela semblait logique, étant donné que la grève relève d’un seul secteur. Force est de reconnaître pourtant que tout est brouillé : qui mène la lutte ? Les mineurs ? La CGT des mineurs ? La CGT ? Le Parti Communiste Français ?
On est ici au cœur de l’incohérence du Parti Communiste Français comme « parti syndicaliste ».

Surtout, finalement, la grève pouvait être considérée comme corporatiste. Elle était présentée comme une mobilisation des mineurs pour la défense de leurs intérêts propres.
Cette posture trouva ses limites quand il s’agissait de trouver la solidarité d’autres secteurs de la classe ouvrière dans les différents bassins miniers, face aux forces de l’ordre ou face à la faim.
Incapable de rallier à elle une population, en général pourtant plutôt favorable, dans un bras de fer avec le gouvernement, le mouvement fut condamné à s’affaiblir, à s’enliser, à s’isoler.
Et c’était vrai pour le rapport au reste de la classe. Ainsi, en Lorraine, les mineurs de fer et les métallurgistes étaient en grève illimitée dès le 25 septembre, mais reprirent le travail le 12 octobre après avoir obtenu gain de cause sur leurs revendications salariales (26% d’augmentation de salaires).
Ce phénomène résumé dans la formule « tous les mineurs, rien que les mineurs » fut un obstacle fondamental à la capacité d’affrontement unifié de la classe.
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et les trois grèves historiques : 1947, 1948, 1949