Lors de la Reconquista, la monarchie espagnole a joué sur plusieurs tableaux.
Elle a remis des terres reprises aux musulmans à des nobles, des chevaliers, des ordres militaires s’étant fait remarquer lors des opérations militaires. C’était une manière de motiver l’esprit d’aventure.
Ces terres étaient habitées par des chrétiens, mais pas seulement : il y avait des juifs et des musulmans, qui ont été acceptés (jusqu’en 1492), mais seulement comme citoyens de seconde zone, avec l’exigence de la soumission, des tributs, du travail extorqué.
La monarchie espagnole a également fait en sorte que des colons puissent venir travailler la terre dans les zones reprises aux musulmans.
Certains étaient libres et avaient des accords pouvant éviter d’être trop défavorables par rapport au Seigneur local, pour d’autres il y avait une dépendance plus poussée (avec une redevance, une location, etc.).
On a deux choses fondamentales : la remise de terre et l’emploi des populations locales (avec une hiérarchie allant du colon aux juifs et musulmans en passant par les chrétiens réduits à la servitude).
C’est très exactement le modèle de ce qui a été mis en place en Amérique.
Rappelons que la colonisation de ce continent a été réalisée par des conquistadors, c’est-à-dire surtout des membres de la petite noblesse (les « hidalgos »), voire de couches non nobles mais propices à la formation d’aventuriers et de mercenaires.
Les conquistadors étaient avides de richesses, ce sont eux qui ont forcé de manière résolue la colonisation, sans forcément attendre d’autorisations, et même parfois en s’y opposant.
Leur esprit indiscipliné inquiéta la monarchie espagnole, qui avait toutefois besoin d’eux alors que le potentiel de l’Amérique s’avérait toujours plus immense.
Dès le départ de la colonisation et des avancées des conquistadors, la monarchie espagnole met ainsi en place l’encomienda. Le principe est simple : le roi d’Espagne « confiait » à un colon espagnol (l’encomendero) une partie de ses nouveaux sujets.
On parle bien sûr des Indiens : officiellement, ceux-ci devaient découvrir la foi chrétienne et être protégés, en échange de différents services. En pratique, c’était la justification de l’asservissement des Indiens, de manière très cruelle, rapprochant plus de l’esclavage que du servage.
La monarchie espagnole avait trouvé cette méthode pertinente pour éviter d’être débordée par les conquistadors, car les terres restaient la propriété de la Couronne. C’est le travail des Indiens qui était confié aux conquistadors, et ce en théorie afin de contribuer à l’évangélisation.
Cette mise en place des encomenderos a grandement contribué, avec les maladies importées d’Europe et inconnues des Indiens, à l’effondrement démographique de la population colonisée. Autour de 90 % des Indiens meurent en l’espace de quelques décennies.
Une fois le processus de conquête terminé, la monarchie espagnole se débarrassa du système, qui avait deux inconvénients. Le premier était le comportement barbare des encomenderos, le second le manque de productivité.
La monarchie espagnole avait besoin en Amérique d’une vaste production agricole, de grands élevages, d’une extraction minière de grande ampleur. Cela nécessitait une organisation du travail efficace et pouvant être supervisée.
C’est ce qui amène à l’établissement d’une base directement féodale en Amérique, qui impliquait de reconnaître des titres fonciers à des nobles en tant que tels.
Dans les faits, cela correspond à la hacienda. C’est un grand domaine, pratiquant l’agriculture et l’élevage, voire les deux.
Elle relève de la propriété privée, dont on hérite ou que l’on peut acheter. Les travailleurs consistent bien entendu en les Indiens, qui peuvent être officiellement engagés, mais qui en réalité sont forcés à différentes activités et surtout poussés à s’endetter, ce qui les ramène au statut d’esclave.
Cet endettement passait par le principe suivant : la hacienda était autosuffisante et les Indiens forcés d’acheter dans la boutique de la hacienda. Ce lieu, avec des prix élevés, consistait en le piège pour tromper les Indiens et les asservir « légalement ».
Et tout cet environnement autosuffisant économiquement amenait le grand propriétaire terrien, haciendado à faire pratiquement ce qu’il voulait sur son domaine.
Il est très difficile d’avoir des chiffres, mais on peut considérer qu’il y avait à peu près 30 000 haciendas dans le Mexique actuel et 20 000 dans le Pérou actuel.
C’est la base de la formation sociale de grands propriétaires terriens, qui ne vont jamais perdre leur hégémonie dans les pays d’Amérique latine, même s’ils devront plus ou moins la partager avec les capitalistes des villes, qui de leur côté s’aligneront très vite surtout sur les pays capitalistes européens (le Royaume-Uni avant tout) puis sur les États-Unis.
Et le patriarcat latino-américain est le produit de cette formation sociale, prolongement des conquistadors, avec une logique de grands propriétaires agricoles et de cow-boy mangeant de la viande, avec une attitude de conquérant, une aisance dans l’expression de l’ultra-violence, l’obséquiosité et le conservatisme.
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Les pays issus de la colonisation espagnole de l’Amérique