Le Paraguay

(wikipedia)

Au Paraguay, la très grande majorité des gens parlent l’espagnol ainsi que le guarani, une langue amérindienne. Le guarani a été reconnu langue nationale en 1967, puis langue officielle à côté de l’espagnol en 1992.

Le guarani recule néanmoins, en raison du poids de l’espagnol au niveau mondial. Il y a aussi le fait que l’espagnol est la langue des villes, le guarani celle des campagnes ; l’urbanisation affaiblit l’usage de cette langue.

Il va de soi, toutefois, que cela reflète un phénomène qui ne peut qu’être celui de l’intégration des masses parlant le guarani lors du processus de colonisation.

Agustín Barboza, chanteur de “Ñasaindype”, premier enregistrement de guarania, un genre de musique au tempo lent spécifiquement issu de la culture guarani

L’origine de ce phénomène est d’ailleurs bien connue, de par sa nature assez particulière. Tout repose, en effet, sur l’installation de missions jésuites dans des zones de population guaranies.

Cela a donné naissance à ce qui a été appelé des réductions (de reducciones, regroupement en espagnol), c’est-à-dire des bases agricoles supervisées par les jésuites apportant des techniques agricoles modernes, tout en procédant à une évangélisation massive.

Le moine franciscain Luis de Bolaños, qui a organisé les réductions, a dans ce cadre rédigé le premier dictionnaire en langue guarani, ainsi que sa première grammaire.

Une grande importance était également accordée aux ateliers d’artisanat ; en pratique, on avait une sorte de vaste communauté s’installant autour d’une église.

Mission, un film de 1986 relativement célèbre (Robert De Niro, Jeremy Irons, Liam Neeson, musique de Enio Morricone, Palme d’or 1986), retrace le parcours des réductions

Tous les Guaranis n’étaient pas dans ces réductions et il y avait également bien d’autres peuples, comme les Mbayás, les Chanés, les Guanás, les Payaguás, les Mocovies, les Abipones, les Tobas, les Guaycurús etc. Ceux-ci étaient, par contre, du type chasseurs-cueilleurs, alors que les Guaranis entraient dans la phase de l’agriculture.

Néanmoins, on comprend qu’une telle situation, où les réductions sont organisées et reconnues, impulsait une intégration des Guaranis.

Ceux-ci se sauvaient indirectement d’une situation bien pire.

En acceptant de se soumettre, avec une certaine marge de manœuvre dans l’organisation des réductions, ils évitaient les raids portugais à visées esclavagistes, ainsi que les prétentions des colons espagnols œuvrant pareillement à une mise en esclavage ou semi-esclavage.

En pratique, tout cela fut toléré, soutenu, bref accepté par l’Espagne, car géographiquement on est dans une zone entre les mines du Pérou et le port de Buenos Aires, sans accès à l’Océan.

Une réduction guarani représentée au 17e siècle

On est dans une zone en retrait, qu’il fallait bien occuper d’une manière ou d’une autre ; la production de viande et de cuir à exporter hors de la province paraguayenne fut rapidement l’aspect économique principal dans la logique fonctionnelle de la colonisation espagnole.

Au bout d’un temps, la monarchie finit par modifier sa perspective, pour trois raisons.

La première, c’est qu’il y avait une tendance historique où les forces coloniales féodales espagnoles voulurent s’approprier la main d’œuvre guaranie. Les réductions constituaient un obstacle en ce sens.

La deuxième, bien plus spécifique à la monarchie, était que le pouvoir grandissant des Jésuites inquiétait. Pour cette raison, la monarchie espagnole procéda d’ailleurs à leur expulsion dans la seconde moitié du 18e siècle.

La troisième, c’est que les Guaranis eux-mêmes, par ailleurs, commençaient à être vus comme une menace en tant que telle. Ils s’étaient ainsi soulevés en raison du Traité dit des limites qui, en 1750, fixe les frontières entre les colonies espagnoles et brésiliennes.

Dans ce cadre, sept réductions devaient se faire expulser, revenant au Portugal. Cela provoqua un soulèvement.

Les réductions guaranis (wikipedia)

La monarchie espagnole mit donc au pas les Guaranis, dans une perspective de colonisation plus avancée, menée directement puisque les jésuites étaient expulsés et toutes leurs réductions supprimées (par ailleurs également présentes en Argentine).

Seulement voilà, la monarchie espagnole n’eut pas le temps d’agir réellement.

En effet, il y eut l’invasion napoléonienne et, de 1808 à 1814, le régime fit plus que vaciller : il n’était plus opérationnel et les colonies américaines se retrouvaient livrées à elles-mêmes.

Il se déroula alors au Paraguay un phénomène très particulier, puisque parvint au pouvoir une sorte d’illuminé bourgeois républicain œuvrant comme dictateur et menant de multiples réformes.

Ce qui a été décisif dans ce processus, c’est l’immédiate volonté d’hégémonie de Buenos Aires.

Cette ville servait de grand port sud-américain et, s’il y avait eu le désir de s’émanciper largement de la Couronne espagnole, il n’y en avait pas moins la tentative de satelliser les zones avoisinantes.

Ce fut si vrai que l’Argentine est née dans un processus de guerre civile s’étalant entre 1814 et 1880, Buenos Aires cherchant à prendre le dessus sur les autres provinces.

L’envoi de troupes de Buenos Aires pour forcer le soutien du Paraguay se déroula très mal, avec la bataille de Paraguarí (10 morts du côté du Paraguay, 70 du côté de Buenos Aires environ, pour 3700 protagonistes ce qui est très peu).

La bataille de Paraguarí et dans la foulée celle de Tacuari (wikipedia)

Ce fut surtout très mal pris du côté paraguayen.

Dans la foulée, la bataille de Tacuarí, qui eut lieu sans avoir réellement lieu, força ensuite le retrait des troupes de Buenos Aires, qui s’étaient attendu de manière erronée à un soutien massif en leur faveur au Paraguay.

La province du Paraguay avait donc paré à l’offensive de Buenos Aires, mais il restait la question de savoir s’il fallait pour autant soutenir la monarchie espagnole, qui tentait de contrer les indépendantistes sud-américains.

En l’occurrence, la monarchie espagnole chercha à unir militairement Montevideo, le Haut Pérou (c’est-à-dire la Bolivie) et le Paraguay pour écraser Buenos Aires, en montant même une alliance avec le Portugal contrôlant le Brésil.

Cela fut refusé par les couches dominantes au Paraguay.

Celles-ci faiblement développées par ailleurs, voyaient leur seule chance d’exister dans la tentative d’éviter de se retrouver prises en étau.

Si elles acceptaient de soutenir la monarchie ou Buenos Aires, elles allaient se faire satelliser.

Et, surtout, prendre parti pour l’un ou l’autre signifiait s’embarquer dans des initiatives dont l’horizon semblait peu clair et où il n’y avait apparemment que des coups à prendre.

Le Paraguay se replia donc sur lui-même, ce qui permit à José Gaspar Rodríguez de Francia, un lettré, d’émerger comme figure historique, à la tête d’un coup de force en mai 1811.

José Gaspar Rodríguez de Francia buvant un mate dans une bombilla (lithographie, 1838)

Initialement, celui-ci représentait les petites couches intellectuelles et surtout l’armée, qui est aux commandes en raison de la situation de crise sécuritaire.

Ce n’est pas véritablement une armée, évidemment, bien plutôt des hommes en armes sous la direction d’officiers des familles les plus riches.

C’est un aspect important, car cela implique que l’armée n’était pas en mesure de former un appareil d’État en tant que tel.

Tout était trop complexe pour les quelques officiers mobilisant ici et là des hommes, surtout dans une situation où le commerce s’effondrait puisque le Paraguay se retrouvait totalement isolé.

Le Paraguay, enclavé, n’avait plus accès à Buenos Aires et Montevideo, les deux ports d’où partaient les exportations et venaient les importations.

C’est là où intervient José Gaspar Rodríguez de Francia.

José Gaspar Rodríguez de Francia en 1824

Tout d’abord, on a la mise en place d’un congrès, avec 264 députés dont quatre seulement étaient des Espagnols péninsulaires, tous les autres étant des criollos. L’une des premières mesures fut d’ailleurs d’interdire tout poste à responsabilité à un Espagnol non né dans la province du Paraguay.

Puis, deux autres congrès se produisirent, et là le processus électoral intégra tous les hommes mariés ainsi que célibataires de plus de 23 ans, à l’exception des Indiens (formant autour de 70 % de la population).

Il ne faut pas penser pour autant qu’on a une assemblée parlementaire qui se soit mise en place.

C’était simplement une mobilisation pour asseoir le nouveau régime, affirmer l’indépendance du Paraguay en 1813 et justifier une dictature afin de sauver le pays.

Car personne ne reconnut le Paraguay initialement ; le Brésil ne le reconnaîtra qu’en 1844, l’Argentine en 1852.

Jusqu’à cette période, ces deux pays visaient clairement à prendre le contrôle du Paraguay et en faire une province.

Premier drapeau, provisoire, de 1811 – le bleu fait référence à la Vierge Marie de l’Ascension (Asunción est le nom de la capitale)
Drapeau de 1812 à 1826
Drapeau utilisé de 1826 à 1842 sous l’impulsion de José Gaspar Rodríguez de Francia,

Du côté européen, l’Autriche reconnaîtra le Paraguay en 1847, le Royaume-Uni fera de même en 1853, tout comme la France, l’Italie, les Pays-Bas et le Portugal.

Tel est l’arrière-plan où agit, de manière effrénée et obsessive, José Gaspar Rodríguez de Francia, comme « suprême dictateur perpétuel de la République du Paraguay ».

C’est un travailleur acharné, qui se soucie de tout et décide de tout, depuis la voirie jusqu’à l’architecture ou bien les détails de ce qui passe en douane.

Bien entendu, le Paraguay est alors un pays très peu développé et ce qu’il fait se déroule alors somme toute à petite échelle. Néanmoins, il a pris en main à lui tout seul l’organisation d’un État.

José Gaspar Rodríguez de Francia

José Gaspar Rodríguez de Francia a ainsi nationalisé pratiquement toutes les terres, devenues « patrimoine national » et les remettant aux paysans pauvres en location.

Il a nationalisé le commerce extérieur, les exportations consistant alors pratiquement uniquement en le maté, le tabac et le cuir.

Il a interdit les emprunts en dehors du Paraguay. Toute entrée et sortie d’étrangers est interdite, sauf autorisation spéciale par le régime.

José Gaspar Rodríguez de Francia a également instauré une loi qui, à partir de 1814, interdit à deux personnes ethniquement espagnoles de se marier entre elles, afin de forcer au métissage.

Il combattit ardemment l’Église, interdisant notamment la chaire de théologie et en obligeant l’Église catholique à se faire « nationale » et à n’avoir aucun contact ni avec Buenos Aires, ni avec Rome. Les processions hors fête religieuse étaient interdites.

Il a systématisé l’éducation élémentaire pour tous les habitants, qui savaient ainsi lire et écrire ; il instaura une bibliothèque nationale, scrutant même de quels livres les gens héritaient pour éventuellement les lui attribuer. Il n’y avait par contre aucune éducation de type supérieure.

On est dans un régime à la fois militarisé et communautaire, dans un cadre autarcique, avec même la mise en place de prévisions économiques pour avoir un aperçu.

Dans les faits, on en revenait surtout à une économie très élémentaire, où on produisait de quoi vivre et guère plus.

On en revenait au troc et, chaque année, la grande majorité des sommes passaient à l’achat d’armes en dehors du Paraguay, aux soldes des soldats.

Dans ce cadre, « El Supremo » vivait de manière ascétique, tout en étant hautement soucieux d’éviter les dangers : personne ne pouvait l’approcher de trop près avec un objet contondant, les gens devaient se prosterner s’il passait à cheval, etc.

Après sa mort, en 1840, le régime connut les modifications suivantes.

Drapeau employé de 1842 à 1957

Une assemblée fut instaurée en 1844, avec 200 députés ayant comme obligation d’être des propriétaires.

Puis, en 1856, ce nombre passe à 100, devant toujours être propriétaires, et cette fois les électeurs devant l’être aussi.

Or, la quasi-totalité des terres appartenait à l’État, qui les louait.

Ce qui s’est passé est simple à comprendre : le régime s’appuyait sur l’armée, José Gaspar Rodríguez de Francia sans fondamentalement toucher aux grandes familles espagnoles nées sur place, les criollos.

Ceux-ci s’étaient maintenus comme réalité « incontournable ».

Et, une fois El Supremo décédé, une oligarchie se mit donc en place ouvertement, procédant à l’ouverture du pays.

Cela améliora grandement la situation et tous les paysans qui louaient la terre à l’État commencèrent à générer un petit capitalisme.

Le régime dirigé par l’oligarchie appuya le processus, en établissant un chemin de fer, en faisant venir des instructeurs militaires de différents pays, des artisans italiens et allemands, des professeurs français et espagnols, des techniciens anglais.

Il y eut durant cette période, après la mort de José Gaspar Rodríguez de Francia, deux dirigeants : tout d’abord Carlos Antonio López, le neveu de celui-ci, parvenu au pouvoir grâce à l’armée.

Il modifia les apparences et devint « président », jusqu’à sa mort en 1862.

Carlos Antonio López

Il fut succédé par son fils aîné Francisco Solano López (nommé auparavant colonel à 15 ans, unique général de l’armée et diplomate à 17 ans).

Francisco Solano López

Celui-ci fut marié à une courtisane irlandaise passée par Paris, Elisa Lynch ; l’oligarchie fit de la capitale, Asunción, sa place-forte.

Pour donner un exemple parlant de la situation alors, l’exportation des cuirs n’était pas taxée. Par contre, la majeure partie passait auparavant par des tanneries… appartenant à la famille du président.

C’est un bon exemple de comment le régime centralisé de José Gaspar Rodríguez de Francia s’était transformé en État servant de plate-forme pour l’oligarchie alors que le pays commençait à se développer économiquement.

Cela ne passa pas inaperçu alors.

Ainsi, les États-Unis envoyèrent sans succès des bateaux de guerre pour soumettre le pays en 1858-1859. Le Royaume-Uni, la principale puissance mondiale alors, cherchait également à placer le pays dans son orbite.

Le Paraguay prit alors l’initiative d’avoir des ambitions territoriales sur la province argentine de Corrientes et la région brésilienne de Rio Grande do Sul. Cela termina en désastre complet, avec l’assaut conjoint de l’Argentine, du Brésil et de l’Uruguay (la « triple alliance »).

La grande guerre de 1865 à 1870 provoqua une immense perte de territoire : le tiers de sa superficie.

Les territoires perdus, il s’agit bien du tiers, car la carte est erronée: le nord du Paraguay appartient alors encore à la Bolivie (wikipedia)

Les réparations à payer au Brésil étaient colossales.

Et le pays était dévasté, avec un énorme prix humain, puisqu’il y a la perte d’une grande partie de sa population, très largement des hommes.

Le régime dut emprunter massivement au Royaume-Uni, s’ouvrir totalement aux capitalistes étrangers, notamment en vendant toutes les terres.

Ce dernier aspect est essentiel, puisqu’il se constitua naturellement des grandes propriétés, une tendance historique qui se prolonge jusqu’à nos jours, où 80 % des terres appartiennent à 2 % de la population.

AnnéePopulation du Paraguay
1846 (premier recensement officiel)248 000
1850450 000
1873221 000 (dont 40 000 de sexe masculin, pour moitié ayant moins de 14 ans, l’autre part étant invalide pour 40 % d’entre eux)
1900450 000
19451 182 000
19702 301 000
20005 639 000
20259 581 000

Avant la guerre, la réputation était d’être un pays sans pauvres ni analphabètes et les perspectives économiques étaient considérées comme bonnes.

Ce qui s’ensuivit fut une instabilité chronique, avec notamment 22 présidents qui se succèdent entre 1901 et 1932, la terrible dictature du général Higinio Morínigo de 1940 à 1948, puis l’ignoble dictature militaire Alfredo Stroessner s’étalant de 1954 à 1989.

Alfredo Stroessner(wikipedia)

La question qui se pose saute aux yeux : faut-il considérer la guerre menée par la triple alliance en 1865-1870 comme l’épisode ayant ruiné le pays, l’ayant conduit à l’abîme, l’ayant sorti de sa trajectoire ?

Cela reviendrait à dire que tout comme les jésuites, José Gaspar Rodríguez de Francia a voulu instaurer la modernité par en haut, de manière administrative et, donc, forcément bureaucratique de par les forces en présence.

Les religieux, le bourgeois radical José Gaspar Rodríguez de Francia, puis les deux présidents de la famille Lopez auraient formé l’ossature d’une modernisation décidée arbitrairement, mais du moins réelle.

Cette approche fut celle du Parti Communiste du Paraguay.

Pour lui, l’indépendance obtenue en 1811 n’était pas factice, il y avait eu un véritable mouvement historique progressiste, mais il avait été cassé.

Cela apparut comme suspect aux yeux de l’Internationale Communiste, surtout que la guerre entre la Bolivie et le Paraguay en 1934 – la guerre du Chaco (130 000 soldats tués au total pour les deux côtés, 70 000 civils tués) – avait permis au Paraguay d’augmenter son territoire de 30 %.

Le Paraguay s’est approprié la majeure partie du Grand Chaco

La rhétorique particulièrement hostile à la bourgeoisie argentine de la part des communistes paraguayens n’avaient eu cesse de renforcer la problématique, puisque ce sont en pratique les communistes argentins qui jouaient un rôle majeur sur le plan technique pour l’Internationale Communiste en Amérique latine.

Un document interne du secrétariat sud-américain de l’Internationale Communiste note ainsi :

« Nous avons eu de sérieux désaccords avec eux sur de nombreux points : la théorie d’un « âge d’or » dans le passé du Paraguay, la prétendue industrialisation du pays avant la guerre de 1870, et la colonisation du pays après la défaite, notamment avec l’aide de l’Argentine.

Nous pensons que cela est faux.

À cela s’ajoute la théorie du « schwanz-imperialismus » [schwanz signifie « queue » en allemand] argentin, due au rôle majeur de l’Argentine en tant qu’intermédiaire et à ses intérêts importants dans les industries du [bois] quebracho et de son extraction, dans le yerba maté, etc., ce qui a conduit à des conceptions erronées du rôle de l’Argentine dans la guerre.

Nous avons également eu des désaccords avec eux sur le rôle des dictatures de Francia et de López. »

Le point de vue favorable aux régimes d’avant 1870 se retrouve chez l’Ejército paraguayo del pueblo (Armée du peuple paraguayen), une guérilla apparue en 2008 et qui a mené de nombreuses actions significatives.

Drapeau de l’Ejército paraguayo del pueblo

Voici ce qu’elle dit dans son programme, où il est parlé de la « révolution franciste du 21e siècle ».

« 2. LE GOUVERNEMENT DU DR FRANCIA, UN EXEMPLE ET UN PRÉCÉDENT HISTORIQUE DU POUVOIR POPULAIRE.

Les classes populaires paraguayennes ont déjà mené une grande révolution et installé un gouvernement révolutionnaire par le passé. Elles ont anticipé la révolution que nous, franquistes du XXIe siècle, proposons de mener.

Nous, francistes du XXIe siècle, adoptons les principes révolutionnaires du régime franciscain et les adaptons au Paraguay contemporain.

Le francisme des débuts sert de point de départ à la construction d’une grande révolution paraguayenne du XXIe siècle. »

Grosso modo, José Gaspar Rodríguez de Francia est vu ici comme un bourgeois radical, qui a eu la chance de parvenir au pouvoir et a cherché à réaliser une sorte de programme populaire maximaliste.

Le problème, c’est que José Gaspar Rodríguez de Francia n’a pas joué le rôle qu’on lui attribue.

Que voit-on, en effet, si on regarde le Paraguay guidé par El Supremo ?

Eh bien, on constate qu’on a affaire à une économie paysanne de subsistance, avec en pratique les échanges se faisaient en nature.

Le Paraguay, coupé de rapports avec l’extérieur et peu développé, a dû s’alimenter lui-même, et c’est pour cela que José Gaspar Rodríguez de Francia a distribué les terres.

Il a d’ailleurs obligé les paysans à pratiquer également l’agriculture, alors que la tendance était simplement d’élever du bétail.

Le Paraguay a dû produire lui-même les vêtements, les outils… d’où la militarisation des décisions pour gérer au mieux les pénuries et chercher à s’en sortir au moyen d’un commerce extérieur totalement sous contrôle.

Toutes les mesures prises ne sont donc pas du type populaires (non démocratiques), mais militaires anti-démocratiques afin de maintenir une cohérence à la province, ainsi que sa survie.

Le Paraguay est un des pays les plus touchés par la déforestation

José Gaspar Rodríguez de Francia a joué par là un rôle éminent, il a été un lettré capable de prendre en main la direction d’une province afin de l’organiser pour sa survie et son maintien.

Cependant, ce qu’il porte, ce n’est pas l’esprit bourgeois de l’entrepreneur, ni les progrès libéraux dans les sciences et les arts, c’est une approche de type administratif-militaire, afin de parer au plus urgent, en permanence, et de maintenir le cadre.

D’ailleurs, sous son régime, l’économie stagne puis recule. Il n’y a pas d’élargissement de la base sociale des forces productives, seulement un repli ultra-défensif.

Comment faut-il alors qualifier ce régime, puisqu’il n’y a pas eu de développement autonome du capitalisme au Paraguay, mais un retour à une économie paysanne naturelle, et donc un recul historique ?

Il suffit de regarder la disposition des classes.

On voit qu’on a un appareil d’État qui décide de tout à travers José Gaspar Rodríguez de Francia, et qu’on a ainsi la dictature de ceux qui savent, de ceux qui possèdent, de ceux qui ont les armes.

Le régime est né à travers ceux qui savent, afin d’être en mesure d’organiser sa base.

Mais ceux qui possèdent, même si mis au pas, relèvent des mêmes couches criollos que ceux qui savent.

Quant à ceux qui ont les armes, ils vont former une couche à part désormais, mais celle-ci s’associe désormais dans son esprit à la gestion directe du pays, d’où le poids de l’armée dans l’histoire du Paraguay qui suivra.

Les chutes de Monday (wikipedia)

On a donc affaire à un féodalisme centralisé : José Gaspar Rodríguez de Francia a joué le rôle d’un duc qui prend des décisions de type militaire afin d’empêcher un effondrement local-régional.

Car il ne faut pas se leurrer : malgré toutes les qualités de José Gaspar Rodríguez de Francia, le degré de complexité n’était pas si élevé que cela.

N’importe quel joueur de jeu vidéo de simulation complexe du début du 21e siècle prend en compte autant voire plus de paramètres.

Reste que là, on est dans un cadre non pas virtuel, mais historique. C’est la culture bourgeoise qui a permis à José Gaspar Rodríguez de Francia, par la connaissance de Rousseau, Robespierre et Napoléon, de sauver le Paraguay en neutralisant les masses et en les insérant dans un processus contrôlé de production.

Cependant, l’État vit par une rente sur le dos de l’ensemble de la société, parasitant au nom du maintien du cadre général et de la gestion des pénuries dans le rapport à l’extérieur afin de procéder à de rares échanges.

Les couches dominantes justifiaient ainsi ce qu’on peut appeler une rente, voire un tribut, en échange d’un rôle fonctionnel. Somme toute, cela rapproche des Moghols en Inde, ou bien encore de la Perse impériale pré-islamique, ainsi que des pharaons d’Égypte.

Dans ce schéma, une « urgence » – les invasions d’ennemies, sa propre conquête ou bien des grands travaux – force à la mise en place d’un État central interventionniste et parasitaire.

Le Paraguay est le pays du maté ; la variante la plus utilisée, appelée Tereré, est glacée et avec un ajout d’herbes médicinales

D’ailleurs, si on regarde bien, il n’y a pas de base démocratique qui se soulève après la défaite face à la « triple alliance ».

Le pays passe sans coup férir sous la coupe du capital britannique, des capitalistes espagnols ou argentins, des grands propriétaires terriens achetant toutes les terres à un État en faillite.

On peut d’ailleurs remarquer que la traite des esclaves a été abolie en 1842, que l’esclavage a été formellement aboli en 1870.

Même si cela ne concernait que 5 % de la population, c’est significatif, et ce d’autant plus que sous José Gaspar Rodríguez de Francia l’État s’arrogeait du travail gratuit auprès des Indiens, ou bien les rémunérait bien moins que les métis et criollos.

Si on regarde donc bien, on peut voir que les réductions sont un accident, car les Jésuites agissaient dans une démarche d’évangélisation et profitaient d’une opportunité.

L’intégration relative de la population par José Gaspar Rodríguez de Francia est également un accident, provoqué par l’effondrement de la monarchie espagnole, la menace portugaise depuis le Brésil ainsi que les désirs d’hégémonie de Buenos Aires.

Un autre accident fut le désastre de 1865-1870 et la disparition d’une large partie de la population, surtout des hommes : c’est cela qui fut également un moteur pour le métissage, avec une petite immigration d’hommes se produisant alors, aboutissant à des mariages avec des femmes métisses ou guaranies.

Il ne faut donc pas avoir en José Gaspar Rodríguez de Francia, ni les présidents Lopez, un cheminement égal allant dans le bon sens ; bien plus, il faut considérer qu’il s’est produit un développement inégal accordant au Paraguay un développement spécifique.

Il n’y a pas eu d’âge d’or pour le Paraguay ; le Paraguay populaire reste à constituer et il est évident que son moteur principal est le métissage, expression démocratique traversant toutes les divisions artificielles, les traditions féodales ou néo-féodales, sapant tout justificatif à l’oligarchie.

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Les pays issus de la colonisation espagnole de l’Amérique