La République dominicaine

Lorsque Christophe Colomb « découvre » l’Amérique en 1492, il arrive tout d’abord à une île des Bahamas, puis à Cuba et finalement à une île qu’il baptise La Española (Hispaniola dans sa version francisée).

Le premier voyage de Christophe Colomb (wikipedia)

Les habitants l’accueillirent très bien : ils furent mis en esclavage et la plupart moururent des maladies apportées. En moins de vingt ans, la population indienne passa de 1,3 millions à autour de 60 000.

Il ne resta rapidement plus rien des Arawaks, qui étaient répartis en quatre sous-ethnies (Lucayens, Ciguayos, Taïnos, Caraïbes) et qui vivaient de la chasse et de la pêche, avec un début d’agriculture.

Les habitants de l’île s’intégraient dans
cinq regroupements dirigés par des « caciques »

La Española devient alors la première base d’appui à la colonisation espagnole, et ce immédiatement après la « découverte ».

La première ville fondée, La Isabela, fut abandonnée en raison du manque d’eau potable et de l’absence de possibilité facile pour les navires d’y parvenir ; les deux villes suivantes furent Concepción de La Vega (Concepción faisant référence à la Vierge Marie et La Vega désignant la plaine) et Santiago de los Treinta Caballeros (Saint-Jacques des Trente Gentilshommes).

Christophe Colomb fut mis de côté, d’autres villes furent fondées, dont la capitale Saint-Domingue, et surtout des esclaves africains furent importés, afin de généraliser les plantations de canne à sucre, ainsi que les mines toutefois très rapidement abandonnées.

Dans le processus de colonisation espagnole, on trouve à La Española, le premier évêché (1504), la première Capitainerie Générale, la première Vice-royauté et la première Audience Royale (1511), ainsi que la première église (Ermita del Rosario, 1496), les premiers hôpitaux (1503) et la première cathédrale (1530).

Hispaniola perd cependant son statut initial en raison de la découverte de « l’empire aztèque » qui s’effondre pratiquement immédiatement. Ce qui sera le Mexique par la suite devient alors la Nouvelle-Espagne, centre de gravité de la colonisation.

L’expansion coloniale espagnole à partir de Cuba et Hispaniola (wikipedia)

La Española, renommé Santo Domingo, devint un simple centre supervisant Cuba, Porto Rico, le Nicaragua, le Venezuela, et d’autres zones, mais tomba rapidement dans l’oubli, seule une partie de l’île est d’ailleurs réellement occupée.

Les pirates s’y précipitèrent alors, occupant eux aussi une partie de l’île et s’installant sur une grande île, à quelques kilomètres de la côte, la fameuse Tortuga.

Une carte de 1723

La monarchie espagnole pratiqua alors la politique de la terre brûlée sur les 3/5 de la partie qu’ils contrôlaient ou cherchaient à contrôler, mais les Français vinrent alors coloniser l’autre partie de l’île ; les Anglais essayèrent aussi d’occuper une partie de l’île, mais ils n’y parvinrent pas.

La partie française, la partie ouest de l’île, fut le lieu d’une occupation atroce, avec une main-d’œuvre esclave estimée à plusieurs centaines de milliers de personne, l’exploitation coloniale devint terrible et apporta des richesses majeures à la métropole.

La révolte des esclaves donnera ensuite naissance à Haïti.

La partie orientale consiste en Haïti, la partie occidentale en la République dominicaine

La partie espagnole, l’Est de l’île, fut momentanément occupée par les Français, mais les Espagnols les repoussèrent ; en fin de compte, l’administrateur de Saint-Domingue, José Núñez de Cáceres, fit un coup d’État pour fonder en décembre 1821 l’État indépendant de l’Haïti espagnol, qui annonça rejoindre la République de Colombie récemment formée.

Cet État n’exista que deux mois, puisque Haïti procéda en 1822 à l’invasion, avec 40 000 soldats, pour un pays approchant du million d’habitants ; l’État indépendant de l’Haïti espagnol n’avait que 80 000 habitants et répondit par l’organisation de 15 000 miliciens pratiquant une guerre de guérilla.

Le caractère féodal du nouveau régime haïtien avec ses conflits internes, ainsi que l’interdiction de l’espagnol et du catholicisme, galvanisèrent les Dominicains qui parvinrent à vaincre, au bout d’un long conflit, en 1844, sous l’égide de Juan Pablo Duarte, Ramón Matías Mella et Francisco del Rosario Sánchez.

Juan Pablo Duarte

Ce fut la naissance de la République dominicaine. Il fallut toutefois en 1861 faire face à une invasion espagnole, qui fut défaite en 1865.

Si les Dominicains perdirent 4 000 hommes, les Espagnols en perdirent 10 000 dans les combats, et 30 000 de la fièvre jaune.

Le drapeau de la République dominicaine

Les États-Unis songèrent alors à annexer la République dominicaine et un référendum y fut tenu en 1870, avec 15 000 votants pour une population de quasi 300 000 personnes.

99,93 % furent en faveur de l’annexion, mais finalement les États-Unis s’abstinrent de la réaliser.

Le camp pro-annexion était porté par les grands propriétaires terriens gérant des ranchs, ainsi que les exportateurs d’acajou ; leur faisaient face les grands propriétaires terriens avec des plantations de tabac.

La situation fut très instable ; de 1865 à 1879, il y eut 21 gouvernements et plus d’une cinquantaine de soulèvements, le pays en restant à un morcellement féodal dépendant des grands propriétaires terriens et de leurs rapports de force.

Le général Ulises Heureaux exerça alors le pouvoir, jusqu’en 1899, œuvrant à une unification des factions sous l’égide du capital britannique et américain.

Ulises Heureaux et son gouvernement

Il y eut, ensuite, en six ans, cinq présidents, quatre « révolutions ».

Des navires de guerre américains, français, italiens, néerlandais menacèrent alors Saint-Domingue terriblement endettée, et alors que les luttes entre « caudillos » précipitaient le pays dans le chaos, les États-Unis occupèrent le pays de 1916 à 1924.

Après un court intermède pseudo démocratique, le militaire Rafael Trujillo domina le pays de 1930 jusqu’à son assassinat en 1961, avec notamment la terrible police secrète, le Servicio de Inteligencia Militar.

Rafael Trujillo

Rafael Trujillo mettait en avant un nationalisme raciste ; ses photos étaient également manipulées avant de blanchir sa peau.

Un épisode terrible en ce sens eut lieu en 1937. Nommé Kouto-a (« le couteau ») par les Haïtiens et El Corte (« la coupe ») par les Dominicains, il consista en un immense massacre à la frontière avec Haïti, touchant les familles liées au travail dans la canne à sucre.

20 000 Haïtiens (hommes, femmes et enfants) furent massacrés, dans le cadre d’une fuite en avant visant à établir une idéologie « fondatrice » au régime.

Rafael Trujillo et sa famille possédaient des centaines de millions de dollars, la moitié des terres arables et 80 % du commerce de la capitale ; se désignant comme « l’anticommuniste numéro un », il signa en premier en Amérique latine un accord d’assistance militaire mutuelle avec les États-Unis.

La CIA se débarrassa toutefois de lui en raison d’un attentat mené par le Servicio de Inteligencia Militar au Venezuela ; en fait, Rafael Trujillo commençait à être en roue libre, surestimant sa propre importance dans le cadre du combat américain contre Cuba où Fidel Castro, lié au social-impérialisme soviétique, avait pris le pouvoir.

Sentant la crise, il avait de toute façon remis le pouvoir en 1960 à un de ses fidèles, Joaquín Balaguer.

Il ne put rester en place devant la contestation (et s’enfuit aux États-Unis), et Juan Bosch est alors élu en 1962.

Quelques mois plus tard, un coup d’État renverse celui-ci, en raison des réformes modernistes qu’il comptait entreprendre.

Des guérillas commencent à agir en réponse et les États-Unis occupèrent de nouveau le pays en 1965-1966.

Une apparence de démocratie fut alors mise en place, garantissant la stabilité d’un capitalisme bureaucratique dans un pays qui est un protectorat américain, dans un pays où 2,5 % des grands propriétaires terriens possédait 62,5 % des terres.

C’est ainsi Joaquín Balaguer qui revint, comme président de 1966 à 1978, puis de 1986 à 1996.

La production du pays reposait principalement sur les plantations de canne à sucre, ainsi que de bananes, avec également le café et le cacao.

Les bananes étaient naturellement surtout produites par la American United Fruit Company.

Si Saint-Domingue a réussi à savoir ce qu’elle ne voulait pas être, face à l’Espagne et Haïti, elle n’a pas réussi à se définir nationalement et est, dans les faits, immédiatement passé sous la coupe du capital étranger.

La croissance du matériau humain accompagne ce processus d’intégration-soumission : on a 146 000 habitants en 1860, 400 000 en 1890, 900 000 en 1920, 3 millions en 1960, 8,5 millions en 2002, 11 millions d’habitants.

C’est là le cœur de l’émergence nationale qui doit encore se réaliser. La grande majorité de la population est métissée, mêlant des origines espagnoles, africaines et indiennes, pour environ 8 % de noirs et 7 % de blancs.

L’émergence musicale du merengue et de la bachata, la vigueur du reggaeton et de la salsa, tout cela ne peut qu’amener la constatation de l’émergence du peuple avec des caractéristiques qui lui sont propres, et qui exigent l’expression de la démocratie.

C’est ce que doit porter la guerre populaire.

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Les pays issus de la colonisation espagnole de l’Amérique