[Cinquième partie de Lutte sociale et organisation dans la métropole, 1970.]
5. Quelques notes méthodologiques sur le travail du collectif politique métropolitain
1) Le collectif ne se pose pas comme organisme dirigeant, mais comme noyau agent
Notre problème n’est pas de concurrencer les syndicats, partis, partis, groupes, pour « diriger les masses », mais d’exercer une action dialectique qui contribue à la croissance politique des masses, au développement de l’autonomie, à la transformation de luttes sociales spécifiques et sectorielles en lutte sociale généralisée.
Nous nous positionnons donc comme un outil théorico-pratique au sein du mouvement général du prolétariat qui – bien que sous des formes embryonnaires et encore très limitées – tend à une transformation globale de la société.
Le collectif n’est pas une association de groupes, mais est individuellement impliqué, en tant que militants.
Il ne s’agit donc pas d’« hégémoniser » ou de « capturer » des Cub, des groupes d’étude ou d’autres organismes de base, puis de les gérer au niveau général, mais de constituer un organisme politique, de militants actifs, s’engageant à effectuer un travail politiquement homogène au sein des situations sociales et dans le tissu métropolitain le plus général.
Militants actifs : nous ne sommes donc pas intéressés à organiser une adhésion passive, de spectateurs, d’individus qui délèguent à d’autres la responsabilité politique de leurs actions et de leurs pensées.
La mesure et la référence de nos actions doivent être recherchées dans la capacité à développer les contradictions antagonistes entre le mouvement général de masse et le système capitaliste, dans la capacité de frapper le système bourgeois.
2) Attaquer au point le plus élevé.
Parmi les différents problèmes que le travail politique nous a posés ces derniers mois, un est très important et peut être formulé en ces termes : dans une situation où différents niveaux de conscience sont présents, devons-nous attaquer le point le plus haut ou le point le plus bas?
Un exemple clarifiera le problème et la réponse.
Un militant révolutionnaire qui doit travailler dans un organisme de base politiquement hétérogène, une fois la gauche et la droite de cette situation identifiées, où commencera-t-il à développer son travail politique?
– S’il part de la « droite », c’est-à-dire du point le plus bas, il exclut la possibilité de développer une action émancipatrice, entraînante, révolutionnaire et en tout cas se posant à un niveau de problèmes déjà « escomptés »dans l’expérience globale du groupe.
C’est une position opportuniste qui permet de travailler avec des « ouvriers » ou des « étudiants », mais pas avec l’autonomie prolétarienne.
– S’il attaque à partir du plus haut point, c’est-à-dire de la gauche, il est en mesure de vérifier son discours et sa force réelle, permettant à l’autonomie une dialectique clarificatrice.
C’est la deuxième réponse qui doit aviser nos choix et notre travail.
3) Les militants ne participent pas au collectif, mais constituent le collectif.
En 1968-69 se sont constitués des organismes de base (Cubs, Gds, groupes de MS, etc.), placés politiquement, ainsi qu’organisationnellement, dans des situations spécifiques (usine, école, quartier, etc.), concevant aujourd’hui le collectif comme leur propre organisme de base.
Ce qui signifie:
a) Le point de référence de sa propre action politique n’est plus l’aire spécifique, mais devient l’aire générale métropolitaine.
Le dépassement d’organismes particuliers, sectoriels, se matérialise dans une nouvelle définition du militant qui assume de lui-même et dans sa propre action toute la complexité d’une intervention politique générale.
En fait, le militantisme révolutionnaire est général et global, ou n’est pas.
b) Les militants du collectif doivent identifier, au sein d’une analyse politique globale, les points nodaux de développement et les aires stratégiques d’intervention dans la métropole.
Il est nécessaire de déterminer, par points de force, le développement du travail politique du collectif au sein des structures productives et des ganglions fondamentaux de la vie sociale métropolitaine.
Agir pour les points de forces signifie aussi concentrer dans un mode articulé les petites forces dont on dispose pour les rendre incisives dans l’action politique. Concrètement: si un camarade, voulant mener une action révolutionnaire, se trouve isolé dans son aire spécifique, il est préférable de le mettre à disposition pour construire l’organisation générale du collectif et se concentrer sur d’autres domaines de travail politique plus productifs.
4) Lutte politique et révolution culturelle.
Le prolétariat occidental erre dans une Europe en quête de recomposition. Les instruments qu’il avait créés pour établir sa « dictature » lui font maintenant face, lui sont opposés, étrangers, et l’impliquent dans un processus dépourvu à la fois de raison et d’histoire.
De nouveau, la raison et l’histoire des classes dominantes se sont emparées de son cerveau. Le patron a tout pris, le présent et le passé, la tête et les couilles [sic] : une expropriation globale qui n’admet qu’une réponse globale.
C’est ainsi qu’une histoire honteuse comme celle de nos classes dominantes ne nourrit pas notre haine à leur égard. C’est ainsi qu’un présent intolérable, par rapport à nos possibilités, ne correspond pas à une conscience adéquate de son caractère intolérable.
Nous sommes profondément marqués par une vie sociale aliénée dans laquelle la « séparation » semble être la loi dominante : séparation entre public et privé, séparation entre l’être et la conscience, séparation entre la tête et les couilles [sic].
Le moi ultra-faible, névrosé, aliéné, égoïste, individualiste, manipulé, est une donnée dont il faut tenir compte : c’est une donnée de notre révolution.
La lutte pour un « nouveau monde » est aussi la lutte pour un « nouvel homme ». La révolution politique coïncide finalement avec un processus réel et profond de révolution sociale et culturelle.
La révolution issue de l’utopie devient actuelle en premier lieu dans la communauté révolutionnaire.
Cela passe à la fois « dans » et « en-dehors » de chacun de nous ; dans et hors de chaque communauté révolutionnaire, dans et hors de chaque groupe de travail.
Il faut une réelle contemporanéité entre la transformation de l’homme et la transformation de ses institutions, entre la transformation des besoins et la transformation de l’appareil de production et de consommation.
Dans la communauté révolutionnaire, le travail collectif est le premier moment de la réunification indispensable de la vie sociale avec sa conscience. Le travail collectif est une responsabilité collective, c’est un apport personnel des problèmes globaux de tous.
Deux éléments généraux soutiennent ce travail. Ce sont : la confiance et la disponibilité réciproque.
Confiance: Il ne s’agit pas d’une question psychologique, fondée sur le fait de « bien se connaître », sur les aspects vagues de la camaraderie, mais d’une confiance politique qui a été conquise à travers une pratique commune. Nous ne devons jamais oublier que nous vivons dans une société capitaliste qui aliène constamment les valeurs fondamentales des rapports publics et privés, dans une société capitaliste tardive qui produit un « moi » faible.
Nous ne sommes pas des bons sauvages dans une bonne société, mais « a priori » nous sommes des fils de pute dans une société malade. Un militant n’a pas le droit d’oublier cela, ni donner ni pour accorder une confiance les yeux fermés, qui peut mettre en péril le développement du travail politique organisé.
D’autre part, la méfiance illimitée – même celle prodiguée par des bases psychologiques – est paralysante et ne permet pas de développer le processus de collaboration.
Ainsi: nous construisons des structures de travail dans lesquelles nous pouvons progressivement traduire nos besoins en capacités, notre curiosité en connaissance, notre bonne volonté en participation effective.
Disponibilité réciproque : il y a une seule façon de se rendre mutuellement disponible : définir et accepter une discipline collective, offrir aux autres la garantie que vous êtes au poste où vous devriez être, que vous faites ce que vous vous êtes engagés à faire.
L’improvisation et l’indiscipline sont les caractéristiques organisationnelles du spontanéisme (et non de la spontanéité de la masse, capable d’un degré très élevé, bien que sporadique, de discipline collective).
Parlant de discipline, pour les échos désagréables que cela suscite, signifie se retrouver à faire face à l’objection : mais alors la liberté?
Une vieille réponse marxiste à une vieille question : la liberté bourgeoise est la liberté de l’individu isolé confronté à d’autres individus isolés, tous écrasés par une impitoyable machine de domination (quoique aujourd’hui maquillée et enjolivée).
Vouloir rappeler à la vie cette « liberté » illusoire dans la vie signifie abandonner la réalisation de la vraie liberté.
Cette forme de liberté (bien qu’encore imparfaite) qu’est la discipline militante exclut toute acceptation passive des ordres, mais elle est basée sur la participation constante et consciente de tous dans le travail collectif.
Ce sont les spectateurs, les passifs (ce qui ne veut pas dire que les camarades soient moins expérimentés ou moins capables) qui permettent la formation de hiérarchies bureaucratiques.
Janvier 1970
Collettivo Politico Metropolitano [Collectif Politique Métropolitain]