Le cambriolage du Louvre pose la question de la protection du parcours historique de l’Humanité

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, le Parti Communiste Français était très soucieux d’apparaître comme légitime et partisan du maintien de l’ordre établi. C’était une ligne déjà établie par son dirigeant, Maurice Thorez, durant le Front populaire.

Pour cette raison, le Parti Communiste Français a alors valorisé le drapeau français, désormais mis sur le même plan que le drapeau rouge. La révolution française de 1789 fut présentée comme le modèle à suivre ou, plus exactement, à prolonger.

C’est la théorie de la « nation » qui s’opposerait à une « oligarchie ». Naturellement, on est là dans une construction intellectuelle, qui cherchait à justifier l’acceptation du capitalisme et à intégrer le Parti Communiste Français dans les institutions « républicaines ».

Le Parti Communiste Français a, d’ailleurs, mis en avant des intellectuels, des universitaires, des agrégés… afin de se présenter comme le parti représentant vraiment les intérêts nationaux, à l’opposé des autres.

Cette conception s’oppose aux luttes de classe : elle prétend que la nation transcenderait les classes et qu’il y aurait une minorité qui parasite le pays. Elle masque la capitulation.

Pourquoi rappeler cet épisode peu glorieux du mouvement communiste français, qui a été brillant avec le Front populaire et la Résistance, mais a trahi par manque d’ambition et d’envergure ?

C’est qu’il existe une poignée de nostalgiques de ce « communisme » aux couleurs françaises, rassemblés dans le Pôle de Renaissance Communiste en France. Le discours qu’ils tiennent met la France en avant ; ils revendiquent l’identité française et rejettent « l’empire euro-atlantique ».

Or, et c’est justement extrêmement intéressant, ces nostalgiques n’ont strictement rien dit au sujet du cambriolage du Louvre. Quelques jours après que ce dernier ait eu lieu, il y a pourtant bien eu la publication d’un document intitulé « Budget de la culture : un point de vue syndical combatif ! », mais il n’aborde pas du tout le thème.

C’est incohérent. Pourquoi ces gens, qui sont obsédés par l’identité française et qui prétendent lutter en faveur de la défense de la langue française, n’ont-ils pas parlé du cambriolage du Louvre ?

La raison est simple. C’est que ces gens ne s’intéressent pas à la France telle qu’elle existe. Ils parlent d’une abstraction, d’un fantasme. Ce fantasme est une idéologie, qui est le produit du capitalisme français lui-même.

Le capitalisme français consiste en une réalité économique et sociale, qui développe sur sa base une superstructure qui est l’État et une société civile qui en est l’appendice. Cela forme une idéologie « française », « nationale », qui n’est que le masque des intérêts de la bourgeoisie, classe dominante dans le capitalisme.

Cette idéologie reflète quelques vérités et beaucoup de mensonges ; c’est le rêve bourgeois d’une France unie et pacifiée, où il n’y a aucune place pour l’émergence d’un pouvoir populaire armé instaurant un nouvel État.

Le Pôle de Renaissance Communiste en France expose d’ailleurs ouvertement qu’il ne veut pas de la prise du pouvoir par la lutte armée ; il est favorable à une marche dans les institutions qui, combinée aux nationalisations, forcerait le cours des choses.

C’est là de la mythomanie qui sert dans les faits à promouvoir le nationalisme et le syndicalisme.

Il n’y a bien sûr pas de place pour le Louvre dans un tel fantasme. Il n’y a de place pour le Louvre dans aucun fantasme, d’ailleurs, car il relève du passé tout en étant dialectiquement encore présent, tout en s’affirmant comme contribuant à l’avenir.

Le Louvre est le témoin d’un processus historique passé qui exige sa présence aujourd’hui et qui expose, par conséquent, le prolongement de la culture depuis le passé, vers l’avenir, à travers le présent.

L’existence même du Louvre pose ainsi la question du parcours historique de l’Humanité et de sa protection, de sa préservation, de sa continuité.

C’est pourquoi c’est une classe révolutionnaire, la bourgeoisie des Lumières, qui l’a mise en place, et pourquoi seule une autre classe révolutionnaire, le prolétariat du matérialisme dialectique, est en mesure de le défendre.

Comment, en effet, ne pas imaginer que la bourgeoisie, devenue une classe en décadence, procédera à son démantèlement, d’une manière ou d’une autre ? La bourgeoisie ne veut pas entendre parler de l’Histoire ; elle revendique un éternel présent, celui du capitalisme.

D’où son insistance sur l’art contemporain, son culte des identités individuelles (dont l’idéologie LGBT est une composante essentielle), son apologie de l’élargissement des droits sociétaux, sa fascination pour les origines ethniques, etc.

Pour des bourgeois modernistes comme Emmanuel Macron, Gabriel Attal, Raphaël Glucksmann, le cambriolage du Louvre n’est qu’une anecdote, un événement contrariant, une gestion malencontreuse.

Ces gens sont coupés du peuple et de son histoire, comme l’assumait Raphaël Glucksmann en 2018 tout en prétendant le regretter :

« Moi, je suis né du bon côté de la barrière socio-culturelle, je fais partie de l’élite française, j’ai fait Sciences-Po, comme la majorité des gens qui nous gouvernent. 

Quand je vais à New-York ou à Berlin, je me sens plus chez moi, a priori, culturellement, que quand je me rends en Picardie. 

Et c’est bien ça le problème. Ce qu’il faut essayer de faire, c’est sortir de soi-même. »

Ce que souligne Raphaël Glucksmann ici, c’est la nécessité pour les bourgeois modernistes de faire semblant, afin de faire croire qu’ils assurent la préservation des fondamentaux culturels et historiques, tout en donnant libre cours en réalité au rouleau compresseur du capitalisme le plus mondialisé possible.

Lorsqu’ils parlent de la France, ils l’inventent, ils procèdent de manière idéologique afin de croire qu’elle est ce qu’elle n’est pas, afin que les gens pensent être ce qu’ils ne sont pas.

D’où un décalage immense entre la France telle qu’elle existe et celle dont il est parlé dans les médias, du côté des figures politiques, dans les élections, etc.

Les démagogues de l’extrême-droite agissent justement à ce niveau, en prétendant que le « pays réel » n’est pas le « pays légal », sauf qu’ils présentent une France imaginaire, avec une idéalisation du passé, pour être en mesure de préserver certains intérêts bien particuliers propres aux couches les plus conservatrices de la société.

Ceci explique pourquoi l’extrême-droite n’a rien dit au sujet du cambriolage du Louvre, ou de manière très rapide et anecdotique, simplement pour brièvement dénoncer le gouvernement (Marine Le Pen, Jordan Bardella, Éric Zemmour, Sarah Knafo, Philippe de Villiers, etc.).

C’est très paradoxal, en apparence. Ils auraient dû dénoncer une atteinte à l’Histoire de la France, au pays lui-même.

Ils ont en tête, toutefois, une France imaginaire et lorsqu’ils parlent d’elle, c’est pour donner libre cours à leurs fantasmes.

Ils n’ont d’ailleurs strictement aucune référence réelle au parcours historique de la France, que ce soit à des penseurs, des essayistes, des écrivains, des musiciens, des peintres, des architectes, des cinéastes, etc.

Ils ne savent que piocher dans quelques références, plus ou moins toujours les mêmes (les cathédrales ; les campagnes ; Les Tontons flingueurs ; Gabin, Belmondo et Delon ; Bernanos et Péguy ; la chasse, etc.).

Ces gens, qui prétendent vouloir protéger la « France éternelle », sont en réalité des incultes et des décadents, conformément à leur nature de classe. Ce sont des beaux parleurs, mais de très mauvais lecteurs et, pour cette raison même, ils ne savent pas écrire.

Ils font semblant de représenter un aboutissement historique, afin de tromper les masses qui, elles, cherchent une cohérence, une continuité dans la transformation de la réalité. Dans les faits, pourtant, ils ne portent rien sur le plan culturel et ils n’ont aucun arrière-plan réellement solide.

Il faut ici voir en vidéo l’interview de Jordan Bardella sur LCI, par Darius Rochebin, le 2 novembre 2025. Elle est exemplaire en ce qu’il saute aux yeux que Jordan Bardella récite son cours, dans un exercice convenu dont le journaliste de LCI est éminemment complice.

« [Question un peu de… que vous soyez premier ministre, un jour président, on est précédé par ces grands personnages… Alors mettons de Gaulle de côté, car il est hors catégorie. Quels personnages vous inspirent dans ces personnages qui ont fait la France, dans un cadre historique qui le raconte ?]

La France est riche de grands personnages, dont beaucoup ont d’ailleurs lié leur propre destin à celui de la nation. Alors vous m’avez demandé de pas citer de Gaulle, je dirais évidemment de Gaulle pour la grandeur, je pourrais citer aussi…

[Bonaparte, Louis XIV, Napoléon…]

Je pourrais citer aussi Richelieu pour le sens de l’État, pour sa capacité à fédérer une administration moderne. Je pourrais vous citer Napoléon pour la volonté, pour l’énergie et puis surtout pour l’héritage qu’il nous lègue.

L’héritage napoléonien est partout autour de nous, c’est le Code civil, c’est la Banque de France, ce sont les lycées, ce sont les préfets.

Puis à titre plus personnel peut-être, j’ai beaucoup de fascination et d’admiration pour Chateaubriand, compte-tenu du fait qu’il a sans doute produit le plus grand chef-d’œuvre de la littérature française, Les Mémoires d’outre-tombe, qu’il a mis près de quarante ans à écrire, dans lesquels il parle de son enfance en Bretagne, de ces rois déchus, de la France de la Révolution, celle de Napoléon.

Il n’était pas profondément pro-bonapartiste, mais je crois qu’en racontant son propre cœur durant quarante ans, il a raconté notre époque.

De Gaulle disait d’ailleurs, je crois, je ne lis que la Bible et Chateaubriand. »

Il est intéressant de voir Jordan Bardella vainement essayer de se revendiquer de Chateaubriand, alors que le thème du cambriolage du Louvre n’a pratiquement pas existé chez lui.

On comprend qu’il est dans la nature des bourgeois de prétendre assumer quelque chose, tout en étant en substance incapable de le faire. Il est facile de se revendiquer de la France des Lumières, par exemple, afin de chercher à impressionner ; cependant, il est bien plus difficile de s’appuyer concrètement sur son contenu.

On sait également combien il y a d’intellectuels se prétendant « marxistes », mais qui s’appuient immanquablement sur des références universitaires par incapacité à assumer le marxisme de l’intérieur lui-même (toute la gauche de La France insoumise, à quoi il faut compter Révolution permanente, Unité communiste, etc.).

Le point commun de tous ces gens, c’est d’accepter la fiction de la France capitaliste telle qu’elle se prétend être.

Ils naviguent en elle au moyen de quelques navires idéologiques, tout le monde pratiquant le mensonge et acceptant que l’autre mente également, afin que tous fassent semblant et aient l’air de représenter quelque chose de vrai.

Ce n’est nullement un complot, c’est simplement l’expression idéologique de la bourgeoisie qui cherche à se survivre à elle-même en tant que classe, et produit toute une série de fictions pour légitimer le réel.

C’est là le vecteur de sa bataille pour chercher à empêcher l’avènement de ce qui se produira inévitablement : la guerre populaire, la prise du pouvoir par le prolétariat, la mise en place d’un État socialiste, où le Louvre retrouvera sa fonction de lieu incontournable de culture, de passeur historique des beautés produites par la civilisation.