On aura compris que le féodalisme existe lorsqu’on vit mieux que dans l’esclavagisme, mais dans une précarité tout de même très grande. L’humanité se focalise sur l’agriculture, afin de survivre.
95 % de la population relève des activités agricoles.
L’aristocratie, dont le Roi fait partie, est une minorité parasitaire, qui prétend avoir une légitimité à posséder les terres et donc à prélever une rente sur les paysans.
Ceux-ci, dans un état misérable, acceptent leur sort plus enviable que l’esclavage. C’est le féodalisme.
Voici comment Lénine, en 1899, présente la chose, de manière synthétique. Il le fait dans une étude intitulée Le développement du capitalisme en Russie : il démontrait alors qu’en Russie, le féodalisme avait déjà été dépassé.
« Pour étudier le système actuel de l’économie seigneuriale, il faut prendre pour point de départ le régime qui dominait à l’époque du servage.
L’essentiel du système économique de cette époque était que dans toute unité d’exploitation foncière, c’est-à-dire dans tout domaine patrimonial, la totalité de la terre était divisée en deux parts : en terres seigneuriales et terres paysannes.
Ces dernières étaient accordées sous forme de lots aux paysans qui la cultivaient eux-mêmes avec leur matériel et en tiraient leurs moyens de subsistance (ils recevaient également d’autres moyens de production: forêt, parfois du bétail, etc.).
Suivant la terminologie de l’économie politique théorique, le produit du travail qu’effectuaient les paysans sur cette terre constituait le produit nécessaire : nécessaire pour les paysans en tant qu’il leur procurait les moyens de subsistance, nécessaire pour le seigneur, en tant qu’il lui assurait la main-d’œuvre (tout comme dans la société capitaliste, le produit nécessaire est celui qui compense la partie variable du capital).
Le surtravail des paysans consistait à cultiver la terre du seigneur avec le même matériel qu’ils utilisaient pour cultiver la leur ; le produit de ce travail allait au seigneur.
On voit que le surtravail se distinguait territorialement du travail nécessaire.
Quand les paysans travaillaient pour le seigneur, cela se passait sur les terres seigneuriales. Quand ils travaillaient pour eux, cela se passait sur leur lot.
Pour le seigneur ils travaillaient tels jours de la semaine ; pour eux-mêmes, les autres jours.
Dans ce système, le « lot » concédé au paysan était donc une sorte de salaire en nature (pour employer le langage d’aujourd’hui), ou un moyen d’assurer de la main-d’œuvre au seigneur.
La « propre » exploitation des paysans sur leur lot était la condition de l’économie seigneuriale. Elle avait pour but non pas d’assurer des moyens d’existence aux paysans, mais d’assurer de la main-d’œuvre au seigneur.
C’est ce système économique que nous appelons l’exploitation fondée sur la corvée.
Pour que ce système prédomine, il va de soi qu’il est indispensable que soient réunies les conditions suivantes.
1° La suprématie de l’économie naturelle.
Le domaine féodal devait former un tout isolé, se suffisant à lui-même, ayant des liens très faibles avec le reste du monde.
Le fait pour les seigneurs de produire du blé pour la vente – production qui s’était considérablement développée pendant les derniers temps du servage – annonçait déjà la décomposition de l’ancien régime.
2° Le producteur immédiat devait être doté de moyens de production en général et de terre en particulier.
Bien plus, il devait être attaché à la glèbe, sinon le seigneur n’avait pas de main-d’œuvre garantie.
On voit que les moyens employés pour obtenir le surproduit dans le système fondé sur la corvée et dans l’économie capitaliste sont diamétralement opposés ; dans le premier cas, ces moyens sont basés sur le fait que le producteur est doté d’un lot de terre, dans le second cas, ils sont basés sur le fait qu’il est libéré de la terre.
3° Autre condition de ce système d’exploitation : le paysan devait dépendre personnellement du seigneur.
En effet, si ce dernier n’avait plus exercé une autorité directe sur la personne du paysan, il lui aurait été impossible d’obliger à travailler pour lui un homme qui était pourvu d’un lot de terre et qui avait sa propre exploitation.
Il fallait donc une « contrainte extra-économique », comme dit Marx en définissant ce régime économique (qu’il ramène, comme nous l’avons déjà indiqué plus haut, à la catégorie de la rente-prestations de travail. Le Capital, III, 2. 324).
Cette contrainte peut prendre les formes les plus variées et les degrés les plus divers, allant du servage au statut juridique inférieur des paysans.
4° Enfin, ce système a comme condition préalable et comme conséquence un niveau extrêmement bas et routinier de la technique.
Car c’est entre les mains de petits paysans écrasés par la misère, avilis par leur dépendance personnelle et par leur ignorance, que se trouve toute l’exploitation agricole. »
Le mode de production féodal correspond à une certaine étape du développement de l’humanité ; il existe comme dépassement de l’esclavage à l’échelle locale et comme prélude des échanges généralisés du capitalisme.
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