La preuve que le judaïsme, en tant que religion d’une communauté, s’est fondé finalement sur Maïmonide et la kabbale, est le succès complet de Sabbataï Tsevi (1626-1676) et du Rabbi de Loubavitch, Menachem Mendel Schneerson (1902-1994).
Né à Izmir dans l’empire ottoman, Tsevi fut déjà un kabbaliste d’envergure à 18 ans, et dès 1648 il se proclama le messie, avec une propagande messianique commençant lentement, pour finir par avoir un impact idéologique traversant tous les pays où existaient une communauté juive, y compris dans les grandes villes comme Constantinople, Salonique, Livourne, Amsterdam, Hambourg.
Tsevi, s’il était illuminé, ne faisait en réalité qu’assumer ce qui était en latence dans la conception religieuse juive : mener une vie « sage » permettait d’accéder aux vérités divines, et par conséquent de mettre un terme à la dispersion du peuple juif.
La base populaire des communautés juives, imprégnée du messianisme, tentait de faire sauter le couvercle de la domination rabbinique, au moyen de la religion elle-même. L’étude de la kabbale était vue de plus comme le moyen d’accélérer l’unification, de réaliser le tiqoun, la « réparation », la « restauration », la « réintégration. »
Le problème était que l’affirmation messianique ne pouvait, par conséquent, que se fonder directement sur principe kabbaliste. Cela signifiait que le messie devait être issu d’un monde « coupé » de Dieu, pour réaliser l’unification.
Il portait en lui à la fois le mal et le bien, pour faire triompher le bien, unifiant l’en haut et l’en bas. Cela façonna de manière complète l’idéologie de Sabbataï Tsevi et du messianisme.
En effet, l’idée qui s’imposa est que la capacité à s’arracher au mal dépend de la force de la communauté juive à renforcer les « sephiroth. » Cette idée était déjà présente dans la loi orale juive, témoignant du même mysticisme : il y aurait à chaque génération un Messie potentiel, mais ne pouvant se révéler comme tel que si le processus « d’unification » est assez développée.
Il s’agit naturellement d’une reprise de la conception prophétique d’Avicenne, utilisée ici dans le cas concret de la dispersion du peuple juif.
Au lieu d’aller dans le sens matérialiste de la théorie du reflet, avec une pensée-guide synthétisant son époque, on a une « unification » mystique.
Cette interprétation fut catastrophique pour le judaïsme. Lorsque Sabbataï Tsevi se proclama le messie, il eut une très grande partie de la population juive mondiale qui le suivit, mais il fut obligé de se convertir à l’Islam en raison de la répression de l’Empire ottoman.
Il prétendit alors que c’était nécessaire afin de faire semblant par rapport au mal, pour faire triompher le bien. Une nouvelle religion, en apparence musulmane et en réalité juive, se développa alors dans l’empire ottoman (les « sabbatéens » ou dönmeh).
En Pologne, Jakob Franck (1726-1791) se prétendit le successeur de Sabbataï Tsevi et tenta plus ou moins la même opération avec le catholicisme.
Plus proche de nous, à la mort du Rabbin Menachem Mendel Schneerson, il fut affirmé par une grande partie du mouvement chabad (connue de manière populaire sous le nom de « Loubavitch ») qu’il s’était « voilé », qu’il était encore présent mais ne pouvait encore s’affirmer comme messie.
Menachem Mendel Schneerson était un Juif d’Ukraine expulsé d’Union Soviétique durant les années 1920 et devenant la grande figure américaine du judaïsme mystique et conservateur.
A ce titre, il fut porté aux nues par l’impérialisme américain, qui fit de son anniversaire une journée annuelle en avril le « Education and Sharing Day », à partir de 1978, donc du vivant même du rabbin. Et chaque année, le président américain appelle à l’éducation, en prenant comme exemple « Rabbi Menachem Mendel Schneerson, the Lubavitcher Rebbe. »
Cela signifie que le judaïsme a connu ces 400 dernières années trois « messies » ou faux messies majeurs, marquant l’ensemble des personnes croyantes : Sabbataï Tsevi, Jacob Frank, Menachem Mendel Schneerson.
Et à chaque fois ce fut l’échec, car la religion a tourné en roue libre et naturellement, la réalité n’a pas suivi !
Sabbataï Tsevi dut justifier ses pratiques contraires à la loi juive par une « manipulation » des forces maléfiques, qu’il fallait tromper pour en triompher ; les partisans de Menachem Mendel Schneerson comme messie célèbrent quelqu’un qui est mort, son avènement comme messie en ferait une sorte de Jésus, alors que justement le judaïsme réfute cette possibilité de « renaissance » et nie que le messie puisse faire des « miracles. »
Le commentaire de la Torah fait par Maïmonide, le Michné Torah, accepté dans les communautés juives, donne d’ailleurs des critères très clairs (chapitre 11 des « Lois des Rois » du 14ème livre) :
« Et s’il s’élève un Roi de la lignée de David, érudit dans la Loi, adonné aux commandements comme David son aïeul, selon les préceptes de la Loi écrite et de la Loi orale, qui amène tout Israël à en suivre les chemins et à en fortifier les positions, et qui mène les guerres de D-ieu, on présume qu’il est le Machia’h.
S’il agit ainsi et réussit, et qu’il reconstruit le Sanctuaire à son emplacement et rassemble les exilés d’Israël, c’est le Machia’h avec certitude. Il corrigera le monde entier pour servir D-ieu ensemble, ainsi qu’il est dit « alors je donnerai aux peuples un langage clair pour qu’ils invoquent le nom de D-ieu et pour le servir d’un même élan. »
Le judaïsme a ici le même problème que le chiisme (duodécimain comme ismaélien) : l’avènement du messie marque une nouvelle époque, que faire alors des anciennes lois ? Devraient-elles être dépassées, avec la nouvelle époque ? Et le problème est encore plus grand dans le judaïsme, car la tradition veut que les lois donnés par Moïse restent indépassables pour l’éternité.
La nouveauté est rupture, mais est forcément hérétique par rapport à l’ancien temps (comme le catholicisme par rapport au judaïsme) : c’est là une contradiction inévitable de l’idéalisme et de l’avènement d’une prétendue spiritualité divine.