L’une des caractéristiques du réformisme de type social-démocrate est de limiter les revendications sociales à la question de l’amélioration, du fait de rendre la vie plus facile. Il y a ici à la fois une dimension prolétarienne réelle, et une manipulation psychologique et des sentiments.
Maurice Thorez se précipite systématiquement dans ce travers réformiste, il en use de bout en bout, avec une démagogie certaine.
Il dit par exemple :
« Et on ne peut davantage tolérer le langage impie de ceux qui disent : Plutôt la servitude que la mort. Nous ne voulons pas la mort. Nous voulons vivre. Nous voulons assurer à nos enfants – que la guerre menace jusque dans les berceaux, ou dans leurs salles d’études, ou dans leurs jeux innocents, – une vie belle, heureuse et libre. Nous voulons la vie dans la liberté. Nous voulons la paix dans l’honneur et la dignité (…). Vive la France libre, forte et heureuse, fidèle à sa mission de progrès, de liberté et de paix. »
Main dans la main pour la ronde de la paix, mars 1938
« Levé tôt et couché tard, bravant les intempéries, scrutant le ciel, tantôt espérant l’ondée rafraîchissante, tantôt se lamentant sur la pluie persistante, à la merci d’une gelée tardive, d’un printemps sec, d’un été pluvieux, telle est la rude vie du paysan à qui nous voulons assurer la sécurité du lendemain par la création de la caisse contre les calamités agricoles inscrite au programme du Front populaire. »
Septembre 1937, article dans l’Humanité : « Nous sommes au premier rang des défenseurs de la France rurale »
Il dit également par exemple :
« Le peuple sait bien que sans le Front populaire, dont le Parti communiste français s’honore d’avoir été l’initiateur, les hommes du 6 février, les cagoulards au service du fascisme international, seraient parvenus à imposer leur sanglante dictature dans notre pays.
Le peuple sait que sans le Front populaire, il n’y aurait ni les 40 heures, ni les congés payés, ni les conventions collectives. Il est indiscutable que sans le Front populaire, ouvriers, paysans et commerçants seraient bien plus malheureux. »
Plus que jamais, union du Front populaire, discours prononcé à Guéret dans la Creuse le 24 avril 1938
L’oligarchie comme seule ennemie
On peut considérer qu’il s’agit d’une démarche frontiste, visant à ancrer des secteurs des masses dans le processus progressiste. Cependant, dans le cas de ce dernier discours comme dans bien d’autres, Maurice Thorez parle des « puissances d’argent qui conspirent contre le Front populaire », des « oligarchies capitalistes ».
Maurice Thorez explique ainsi qu’il aurait été possible d’ « alléger le fardeau fiscal qui accable les commerçants et les petites gens en faisant payer les riches, en réalisant la réforme démocratique de l’impôt. »
Il dit également que les libérations successives des membres de l’extrême-droite « ne manquent pas d’inquiéter tous ceux qui sont soucieux du maintien de l’ordre et de la tranquillité publique. »
Dans « Un an de Front populaire, l’unité ouvrière » (juin 1937), Maurice Thorez dit de la même manière :
« Faire payer les riches ! c’est assurer l’équilibre du budget. (On se moquait de nous, l’an dernier, lorsque nous disions la nécessité d’assurer l’équilibre du budget). Faire payer les riches ! c’est diminuer la pression des oligarchies financières sur le gouvernement. »
En clair, il oppose le régime républicain à l’oligarchie, non plus la classe ouvrière à la bourgeoisie. C’est indéniablement intégrer le PCF aux institutions.
Seulement, cela veut dire se lier au gouvernement, et là est la grande contradiction de Maurice Thorez, qui entend assumer le Front populaire, mais pas le gouvernement du Front populaire s’il n’applique pas du Front populaire… or c’est inévitable, de par la nature même de la politique bourgeoise.
Maurice Thorez tente ainsi après 1936 de se dédouaner comme il peut, comme ici lorsqu’il explique :
« L’action de la classe ouvrière par le Front populaire, pour le Front populaire, dans et le Front populaire, s’est exercée et s’exerce dans un sens favorable aux intérêts bien compris de tous les travailleurs, dans un sens progressiste.
Le Front populaire a renouvelé la démocratie, il a même, en quelque sorte, réhabilité le Parlement (…).
Le Front populaire est devenu une acquisition de la classe ouvrière qui le défendra contre tout et contre tous, comme elle a toujours soutenu et défendu la République, malgré ses fautes, et parfois ses crimes.
Car le prolétariat sait que la République, comme l’a dit Marx, « c’est le terrain en vue de la lutte pour son émancipation révolutionnaire, mais nullement cette émancipation elle-même. »
Voilà, encore une fois, qui explique l’attachement des masses au Front populaire, et l’attitude loyale de collaboration du Parti communiste, et la durée de la présente équipe ministérielle (…).
Par contre, il ne serait pas juste d’affirmer que l’échec éventuel d’un gouvernement serait l’échec du Front populaire, et ne laisserait d’autre alternative à la classe ouvrière que la révolution immédiate.
Ce ne serait pas juste, surtout dans la mesure où le programme n’aurait pas été réalisé. »
Au final, il ne reste que la position petite-bourgeoise du complot. Dans « Le serment du 14 juillet renouvelé devant cinq cercueils », allusion au « serment » du Front populaire et à la mort de 5 ouvriers lors d’une fusillade à Clichy en 1937, Thorez définit ainsi la réalité sociale en France, selon lui :
« Les travailleurs, les républicains, ont la claire notion que ce redoublement d’activité criminelle des ligues factieuses est le complément de l’attaque des oligarchies financières qui veulent contraindre à l’abandon du programme économique et social du Front populaire, qui veulent ravir aux travailleurs leurs conquêtes de l’année dernière, qui veulent différer la réalisation des promesses solennelles, telle la retraite des vieux (…).
Le peuple de France attaché au Front populaire, veut vivre par son travail, dans l’ordre et la liberté, dans la paix à l’intérieur et à l’extérieur (…).
Notre pays est celui qui a connu le moins de grèves ces derniers mois, et si les provocateurs fascistes étaient mis hors d’état de poursuivre leur abominable besogne de division et d’excitation à la violence et à la guerre civile, le calme, condition de la prospérité, serait enfin assuré (…).
Le peuple de France exige l’épuration des cadres de la police, de l’administration, de la magistrature et de l’armée. Le peuple de France exige que passe enfin le « souffle républicain » annoncé et attendu (…).
Communistes, socialistes, républicains, radicaux et démocrates, laïques et croyants, ouvriers et paysans de France, unis par le serment solennel du 14 juillet 1936, nous appliquerons les volontés expresses de notre peuple (…). Nous jurons de conduire à une France libre, forte et heureuse ! »
Les luttes de classes ont cédé la place à la lutte juste et normale de la grande majorité face à une minorité injuste et manipulatrice. Il n’est guère étonnant, de par cette démarche, qu’ait put sortit du PCF des gens – une fois brisé de leur part le lien idéologique avec l’URSS – des gens devenant par la suite des fascistes, comme Jacques Doriot. Et dès que l’URSS, après 1953, deviendra révisionniste, toute la façade radicale du PCF s’effondrera.