Vladimir Vernadsky avait donc constaté l’apparition du CO2 produit par les activités humaines.
Cela est d’autant plus intéressant qu’il constate la dissymétrie du pétrole.
Il apparaît, de par le fait qu’on voit la dissymétrie du pétrole, que leur origine provient de la vie elle-même. Cela implique une compréhension de comment la vie utilise ce qu’elle a accumulé elle-même pendant longtemps.
Vladimir Vernadsky aborde la question dans La géochimie, publié en 1924, le même ouvrage où il constate que l’humanité produit du C02 par ses activités.
Il met en avant un argument qui s’oppose par avance à la dite « théorie moderne russo-ukrainienne » des années 1960 de production du pétrole depuis l’intérieur de la Terre. Il souligne en effet l’origine nécessairement organique du pétrole :
« Les propriétés optiques des pétroles nous donnent un nouvel argument en faveur de l’impossibilité de leur genèse inorganique, de leurs relations avec des composés juvéniles, et cela est l’argument qui paraît incontestable.
Tous les hydrocarbures juvéniles doivent être optiquement inactifs ; nous ne connaissons, comme l’a montré Pasteur, qu’un seul milieu, qui donne dans la nature des édifices moléculaires carboniques énantiomorphes — la nature vivante.
La symétrie d’un phénomène naturel est une de ses propriétés les plus fondamentales. Pasteur était dans ce domaine un des précurseurs longtemps incompris. Un autre français illustre Pierre Curie a généralisé cette notion et a essayé de donner une théorie générale de la symétrie des phénomènes physiques.
Il en a éclairci l’importance logique et — empirique — de premier ordre et, rapproche la notion de symétrie d’une autre notion scientifique fondamentale dont l’importance nous parait incontestable, la notion de la dimension.
Le phénomène de symétrie énantiomorphe ne peut provenir que d’une cause qui est elle-même sujette à cette symétrie. La matière vivante est composée d’édifices chimiques à structure énantiomorphe et elle peut donner lieu à la formation de nouveaux corps énantiomorphes.
Nous savons qu’elle dure des millions d’années sans interruption, que la génération abiogène de la matière vivante n’existe pas dans les phénomènes naturels.
Mais la matière vivante n’existe pas dans les profondeurs terrestres, dans les régions juvéniles, où l’on cherche la genèse des pétroles. Pour y expliquer la formation des structures énantiomorphes, comme celles des pétroles, il faudrait y supposer l’existence de milieux énantiomorphes.Nos connaissances scientifiques actuelles ne nous permettent pas de le démontrer.
En restant dans le domaine de la science empirique la constatation de l’activité optique d’un minéral carboné nous ramène inévitablement à la matière vivante, seul milieu physique où l’énantiomorphie existe pour les édifices moléculaires contenant des atomes de carbone. Il est tout à fait étonnant qu’on ait négligé pendant si longtemps la découverte de l’activité optique des pétroles et qu’on ne l’ait pas prise en considération dans les nombreuses théories émises partout sur sa genèse (…).
Le fait reste solidement établi : les pétroles sont des corps à structure optique active et nous ne connaissons de tels composés du carbone que parmi les corps formés par la matière vivante.
Tous les minéraux du carbone, qui n’ont pas de genèse biochimique sont optiquement inertes.
La prédominance très nette d’une seule direction de la rotation droite est très remarquable, car dans la matière vivante nous avons la prédominance de la rotation gauche. Il se peut que l’étude approfondie de ce fait donnera la clef de la question.
Ainsi les pétroles ne peuvent pas provenir des produits juvéniles du carbone. Les hydrocarbures juvéniles qui existent ne peuvent jouer un rôle important dans la composition des pétroles.
Tandis que l’étude de la constitution chimique des pétroles aboutit à leur origine biogène, l’étude des géologues et des biologistes amène aux mêmes conclusions (…).
Comme leur matière primaire ne peut pas provenir des régions profondes de l’écorce, on doit la chercher dans la matière vivante. Cependant les restes d’organismes ne donnent généralement pas de pétroles (…).
Ce n’est que dans notre siècle, qu’on a pu distinguer dans la complexité de la nature les phénomènes quotidiens, qui longtemps ont paru sans importance, mais qui, en réalité, produisent le phénomène grandiose de la genèse des pétroles.
Pour les comprendre il a fallu un travail collectif pénible, approfondi. Des sciences nouvelles, celle des marais, l’écologie des plantes, se sont constituées, l’étude des tourbes, des sols et des limons aquatiques a pris une nouvelle direction. Les savants du Nord — les Scandinaves,
les Russes, les Anglo-Américains — en étudiant leur nature environnante ont complètement
changé dans ces dernières dizaines d’années l’aspect scientifique de la nature (…).Ces savants avaient le sentiment libre de la nature, ils la comprenaient en dehors de leurs laboratoires comme un Tout. Et ils y ont vu ce que les autres avant eux n’avaient pas remarqué.
Si même les explications de [l’Allemand] H[enry]. Potonié ne sont pas toujours heureuses, le fait principal qu’il a exprimé reste intact. Les pétroles, ainsi que les houilles, sont des produits finaux d’une lente décomposition des matières végétales et animales.
Cette décomposition commence sous l’eau, dans les bassins aquatiques à la surface terrestre, en biosphère, et finit dans la deuxième enveloppe thermodynamique. La structure chimique des différents pétroles est liée à la structure moléculaire distincte de leurs matières primaires, produits de la matière vivante.
Les pétroles sont des produits de la transformation des premiers des produits de la décomposition sous l’eau des matières vivantes, dans les régions de l’écorce pauvres en oxygène, à une température et à une pression plus hautes que celles de la biosphère. L’origine de leur genèse est biochimique (…).Si le mécanisme même du processus ne nous est pas connu dans ses détails et si la formation des gisements pétrolifères est en beaucoup de points encore très discutable, le fait fondamental est établi : les pétroles proviennent de la matière vivante. »
Si l’on voit justement l’importance des matières organiques fossiles que sont le gaz naturel, le charbon, le pétrole pour le développement du mode de (re)production de l’humanité, alors on est obligé de comprendre que cela implique l’utilisation de la vie par la vie.
Le gaz naturel, le charbon, le pétrole, ont donc bien en effet comme base le carbone fossile, c’est-à-dire des restes d’êtres vivants.
La crise du réchauffement climatique est donc directement issue de l’utilisation en un laps de temps très rapide par la vie humaine de ce que la vie elle-même a accumulé pendant une très longue période, plusieurs centaines de millions d’années.
Le gaz naturel, le charbon, le pétrole… existent en raison d’une sédimentation de matériaux qui n’ont pas été recyclés par la vie. Leur existence tient ainsi au développement inégal dans le processus d’utilisation de la matière par la vie (en tant que matière vivante).
Il est intéressant de voir ici que le russe Mikhaïl Lomonossov (1711-1765), qui fut chimiste, physicien, astronome, historien, philosophe, poète, dramaturge, linguiste, slaviste, pédagogue, mosaïste, fut le premier à affirmer que le pétrole et le charbon provenaient justement de débris d’êtres vivants.
Il est à noter ici que l’Allemand Alexander von Humboldt et le Français Louis Joseph Gay-Lussac s’opposèrent à cette théorie ; pour eux, le charbon et le pétrole provenaient d’une action à l’intérieur de la planète. Cette perspective fut ensuite partagée par le Français Marcellin Berthelot et le Russe Dmitri Mendeleïev.
Nikolaï Koudriavtsev réaffirma cette théorie dite du « pétrole abiotique » en 1951, lors d’un congrès de l’Institut panrusse de Pétrole et de Recherches Géologiques. Il avait au préalable passer quelques années en camp de travail comme ennemi du peuple et ce n’est que dans les années 1950 et 1960 qu’il put diffuser cette conception selon laquelle le pétrole était produit depuis le manteau terrestre, et cela en continu.
On voit ici que la perspective ouverte se place à l’opposé de celle élaborée par Vladimir Vernadsky.
Si l’on avait, dans les années 1960, saisi le rapport de l’humanité au charbon, au pétrole, au gaz naturel, comme étant un rapport de la vie avec la vie, dans le cadre d’un processus non linéaire et d’un développement inégal, alors on aurait bien plus vite, et de manière meilleure, cerné la question.
Le charbon, le pétrole, le gaz naturel n’auraient pas été considérés comme des ressources au même titre qu’un rocher ; ils auraient été placés dans le cadre d’un processus, dont le sens complet reste encore à comprendre, mais en tout cas aurait permis de prendre en compte très tôt le réchauffement climatique.
L’humanité aurait active, conscience dans son rapport aux matières organiques fossiles, et non pas simplement passive, avec une démarche utilitariste-pragmatique.