Si le mouvement des boxeurs a échoué, c’est parce qu’il a été intégré dans une vague de loyalisme au régime, au nom de la nation.
Cependant, son développement avait ouvert tout un espace politique et deux figures émergèrent alors : Liang Qi-chao et Sun Ya-tsen, le premier issu de l’aristocratie, lié au pouvoir et se positionnant pour une monarchie constitutionnelle, le second étant un républicain, lié aux sociétés secrètes et se positionnant pour un renversement violent du régime.
Liang Qi-chao avait dû partir en exil en 1898, le bloc conservateur au pouvoir le rejetant, mais après la révolte des boxeurs, lui-même fonda une Société pour la sauvegarde de l’Empereur, donnant naissance aux « constitutionnalistes ».
Sun Ya-Tsen, quant à lui, avait dû partir en exil dès 1895 pour ses activités en faveur d’un soulèvement ; après avoir fondé la Société pour le redressement de la Chine, il fonda en 1905 le Tongmenghui, la Société de l’alliance, dont les buts étaient l’indépendance nationale, la république par le renversement des mandchous, la redistribution des terres.
Cette organisation était un saut qualitatif, puisqu’elle regroupait le Hsingtchonghouei (Association pour la Régénération de la Chine) fondé en 1894 par Sun Ya-Tsen à Honolulu, ainsi que deux autres structures : le Houahsinghouei (Association pour la Renaissance chinoise) et le Kouangfouhouei (Association pour le Rétablissement de la Chine).
Son mot d’ordre, fixé par Sun Ya-Tsen, était le suivant :
« Chasser les étrangers, restaurer la Chine, fonder une république et redistribuer équitablement les terres. »
Il y avait ainsi d’un côté une faction représentant les notables provinciaux, conservateurs mais opposés à la domination mandchoue et cherchant à l’amoindrir, voire à s’en passer, et une faction portée par les étudiants, notamment ceux ayant étudié à l’étranger, ainsi que les marchands présents dans d’autres pays, considérant que la domination impériale mandchoue amenait l’asservissement de la Chine.
Sun Ya-Tsen était ici le fer de lance de l’aile radicale, poussant au soulèvement armé : après l’échec de ceux de Canton en 1895 et de Houeitcheou en 1900, il y en aura neuf encore entre 1906 et 1911.
À cela s’ajoutent deux autres dynamiques : d’abord, celle de l’émergence d’une bourgeoisie servant d’intermédiaire aux compagnies occidentales, la bourgeoisie dite compradore.
Les investissements étrangers passèrent en effet de 788 millions de dollars en 1902 à 1 610 millions en 1914 ; au début du 20e siècle, 84 % des bateaux à vapeur étaient étrangers, tout comme 91 % de la production de charbon ; le réseau ferré se développait mais au service des pays capitalistes : ainsi, le Yunnan était relié à l’Indochine française bien plus qu’au reste de la Chine.
La bourgeoisie compradore, intermédiaire, jouait ici un rôle essentiel, la ville de Shangai étant leur bastion, avec ses tramways, son artère commerçante de la rue de Nankin, les grands magasins Sincere, les immeubles bancaires et ses parcs publics pourtant interdits aux Chinois.
Cette bourgeoisie compradore est d’autant plus forte que la Chine doit payer des dédommagements pour la révolte des boxeurs : 224 millions de taëls entre 1902 et 1910, le budget annuel de l’État étant de 90 millions de taëls, ce qui signifiait une dépendance financière vis-à-vis des pays capitalistes devenant toujours plus impérialistes.
Ensuite, il y avait le jeu trouble du Japon, notamment avec la structure ultra-nationaliste liée aux services secrets, la Société du Dragon noir, poussant la Chine à entrer en rupture avec les autres puissances impérialistes, pour en faire son vassal.
La situation était hautement explosive et le régime féodal scella lui-même le sort de la faction constitutionnaliste, en cherchant à nationaliser par la force en 1911 des voies ferrées financées par la bourgeoisie nationale, afin de céder aux exigences des pays impérialistes.
Un vaste mouvement patriotique se déclencha et la répression provoqua une réaction en chaîne : le soulèvement de Wuchang amena l’effondrement du pays, avec des provinces établissant leur indépendance, soit sous l’égide de l’armée, soit sous celle de sociétés sécrètes, ou encore de la bourgeoisie nationale, des constitutionnalistes, du gouverneur impérial, ou bien de plusieurs de ces forces se combinant.
Sun Yat-sen prit alors la tête du mouvement et proclame la République de Chine le premier janvier 1912.
Cette initiative fut toutefois court-circuitée par Yuan Shikai.
Ce dernier, un général, avait été mis de côté par le régime pendant le soulèvement. Toutefois, il avait été le responsable de l’armée de Beiyang, c’est-à-dire l’armée de l’océan du nord, formée à la fin des années 1890.
Il s’agissait de la seule unité moderne du pays, devenant à ce titre une pièce maîtresse pour l’armée dans son rapport avec le régime féodal.
Yuan Shikai se posa alors comme intermède incontournable pour être nommé premier ministre, entamer d’habiles négociations avec la faction républicaine, accompagner la chute du régime en organisant l’abdication impériale, prolonger son rôle en devenant président de la nouvelle république, instaurer une dictature militaire et tenter de se nommer nouvel empereur.