Novembre 1939
CHAPITRE PREMIER
LA SOCIÉTÉ CHINOISE
SECTION 1. LA NATION CHINOISE
La Chine, notre patrie, est l’un des plus grands pays du monde ; sa superficie est presque égale à celle de toute l’Europe. Sur ce territoire immense, de grandes étendues de terres fertiles produisent de quoi nous nourrir et nous vêtir ; des chaînes de montagnes, grandes et petites, traversent en long et en large tout le pays, elles nous offrent de vastes forêts et renferment de riches réserves minérales ; d’innombrables lacs et cours d’eau favorisent la navigation et l’irrigation ; une longue côte facilite nos communications avec les peuples d’au-delà des mers.
C’est sur ce vaste territoire que nos aïeux ont travaillé, ont vécu et se sont multipliés depuis des temps immémoriaux.
Les frontières actuelles de la Chine
sont les suivantes : au Nord-est, au nord-ouest
et en partie
à l’ouest, elle confine à l’Union des Républiques socialistes
soviétiques ; au nord, à la République populaire de
Mongolie ; au sud-ouest et en partie à l’ouest, à
l’Afghanistan, à l’Inde au Bhoutan et au Népal ; au sud, à
la Birmanie et au Vietnam ; à l’est, elle touche à la Corée,
et ses proches voisins sont le Japon et les Philippines.
Cette situation géographique présente des avantages et des inconvénients pour la révolution du peuple chinois. Des avantages, parce que la Chine est contiguë à l’U.R.S.S. et se trouve relativement loin des principaux Etats impérialistes d’Europe et d’Amérique, et parce que beaucoup des pays qui l’entourent sont des colonies ou des semi-colonies. Des inconvénients, parce que l’impérialisme japonais, profitant de sa proximité géographique, menace constamment l’existence même des nationalités de la Chine et la révolution du peuple chinois.
La Chine compte actuellement 450 millions d’habitants, soit près du quart de la population du globe. Sur ce nombre, plus des neuf dixièmes sont des Hans. Le reste est constitué par plusieurs dizaines de minorités nationales comme les Mongols, les Houeis, les Tibétains, les Ouigours, les Miaos, les Yis, les Tchouangs, les Tchongkias et les Coréens ; toutes ont une longue histoire, bien que leurs civilisations se situent à des niveaux différents. La Chine est un pays multinational très peuplé.
Au cours de son développement, le peuple chinois (il sera surtout question ici des Hans) a vécu, comme beaucoup d’autres nations du monde, pendant des dizaines de millénaires sous le régime de la communauté primitive sans classes.
Depuis la désagrégation de cette communauté, devenue société de classes, jusqu’à nos jours, en passant par la société esclavagiste et la société féodale, 4.000 ans environ se sont écoulés.
Au cours de l’histoire de sa civilisation, la nation chinoise a toujours eu une agriculture et un artisanat renommés pour leur haut niveau ; elle a produit nombre de grands penseurs, savants, inventeurs, hommes d’Etat, stratèges, hommes de lettres et artistes, et elle a accumulé un immense trésor de monuments culturels.
La boussole a été découverte en Chine à une époque très reculée1. La fabrication du papier remonte à 1.800 ans. L’imprimerie au moyen de formes de bois gravé a été inventée il y a 1.300 ans, et les caractères mobiles il y a 800 ans. L’usage de la poudre était connu en Chine avant de l’être en Europe. La civilisation chinoise est donc l’une des plus anciennes du monde, et l’histoire de la Chine attestée par des documents écrits remonte à près de 4.000 ans.
[Dans Liu che tchouen tsieou, écrit à l’époque des Royaumes combattants, au IIIe siècle av. J.C., on mentionne déjà le fait que « l’aimant attire le fer ». Au début du Ier siècle, c’estàdire dans les premières années de la dynastie des Han de l’Est, le philosophe matérialiste Wang Tchong parle dans son ouvrage Louen heng de l’aiguille aimantée qui indique le sud; la polarité de l’aimant était donc connue dès cette époque.
Les relations de voyage écrites au début du XIIe siècle, où l’on parle de l’emploi de la boussole pour la navigation, montrent qu’il était alors déjà fort répandu.
Selon des documents anciens, Tsai Louen, un eunuque dela dynastie des Han de l’Est (25220), inventa le papier, qu’il fabriquait avec des écorces d’arbres, de la tille, des chiffons ou des filets de pêche usés.
En l’an 105, dernière année du règne de l’empereur Hoti des Han, il présenta son invention à l’empereur; depuis lors, la fabrication du papier à partir des fibres végétales se répandit progressivement en Chine.
L’imprimerie remonte en Chine à la dynastie des Souei, vers l’an 600. L’imprimerie au moyen de caractères mobiles a été inventée par Pi Cheng, sous la dynastie des Song, entre 1041 et 1048.
On dit que la poudre fut découverte en Chine au IXe siècle. Au XIe siècle, on l’utilisait déjà pour le tir au canon.]
La nation chinoise n’est pas seulement célèbre dans le monde par son amour du travail et son endurance, elle est aussi éprise de liberté et riche en traditions révolutionnaires. L’histoire des Hans, par mole montre que le peuple chinois n’a jamais toléré le règne des forces ténébreuses et qu’il a toujours recouru à la révolution pour renverser et changer un tel régime.
Au cours des milliers d’années que compte l’histoire des Hans, il s’est produit des centaines d’insurrections paysannes, grandes et petites, toutes dirigées contre la sombre domination des propriétaires fonciers et de la noblesse.
Dans la plupart des cas, les changements de dynastie étaient dus à ces insurrections paysannes. Les différentes nationalités de Chine ont toujours combattu le joug étranger et cherché à s’en libérer par la résistance.
Elles sont pour l’union sur une base d’égalité, et contre l’oppression d’une nationalité par une autre. Au cours de son histoire plusieurs fois millénaire, le peuple chinois a donné un grand nombre de héros nationaux et de chefs révolutionnaires. Aussi la nation chinoise possède-t-elle de glorieuses traditions révolutionnaires et un remarquable héritage historique.
SECTION 2. L’ANCIENNE SOCIÉTÉ FÉODALE
Bien que la Chine soit une grande nation, qu’elle possède un immense territoire, une population nombreuse, une histoire millénaire, de riches traditions révolutionnaires et un remarquable héritage historique, elle est entrée, après avoir passé du régime esclavagiste au régime féodal, dans une longue période de développement au ralenti sur les plans économique, politique et culturel. A compter des Tcheou et des Ts’in, le régime féodal a duré environ 3.000 ans.
Les caractéristiques principales du système économique et politique de la Chine féodale étaient les suivantes :
1) Une économie naturelle qui se suffisait à elle-même dominait dans le pays. Les paysans produisaient eux-mêmes non seulement les produits agricoles mais aussi la plupart des articles artisanaux dont ils avaient besoin. Ce que les propriétaires fonciers et la noblesse arrachaient aux paysans à titre de fermages était destiné principalement à leur propre consommation et non à l’échange, qui, bien qu’il se développât, ne jouait pas un rôle décisif dans l’ensemble de l’économie.
2) Tandis que la classe dominante féodale – les propriétaires fonciers, la noblesse et l’empereur – possédait la plus grande partie des terres, les paysans n’en avaient que très peu ou pas du tout. C’est avec leurs propres instruments qu’ils cultivaient la terre des propriétaires fonciers, de la noblesse et de la famille impériale, auxquels ils devaient livrer 40, 50, 60, 70, et même 80 pour cent et plus de leurs récoltes. En fait, ils restaient des serfs.
3) Non seulement les propriétaires fonciers, la noblesse et la famille impériale vivaient de l’exploitation des paysans grâce aux fermages, mais l’Etat de la classe des propriétaires fonciers exigeait encore des paysans impôts, tribut et corvées pour entretenir une foule de fonctionnaires et une armée utilisée principalement contre les paysans eux-mêmes.
4) L’organe du pouvoir qui protégeait ce système d’exploitation était l’Etat féodal des propriétaires fonciers. Alors que, dans la période antérieure à la dynastie des Ts’in, l’Etat féodal était divisé en fiefs où les feudataires régnaient en maîtres, il devint, après l’unification de la Chine par le premier empereur des Ts’in, un Etat absolutiste avec un pouvoir centralisé, bien qu’un certain morcellement féodal subsistât encore. Dans l’Etat féodal, l’empereur était tout-puissant. Il nommait dans tout le pays les fonctionnaires locaux chargés de gérer les affaires militaires et judiciaires, les finances et les greniers publics ; il s’appuyait sur les propriétaires fonciers et les hobereaux, piliers de tout le régime féodal.
Sous ce régime, les paysans chinois, soumis à l’exploitation économique et à l’oppression politique, ont vécu pendant des siècles en esclaves, dans la misère et la souffrance. Enchaînés par les liens féodaux, ils étaient privés de toute liberté individuelle.
Alors que les propriétaires fonciers pouvaient, selon leur bon plaisir, humilier, frapper et même faire mettre à mort les paysans, ceux-ci n’avaient aucun droit politique.
Leur grande misère et leur état extrêmement arriéré, conséquences de l’exploitation et de l’oppression cruelles exercées par les propriétaires fonciers, sont les raisons essentielles de la stagnation économique et sociale de la société chinoise pendant des milliers d’années.
La contradiction principale de la société féodale est celle qui oppose la paysannerie à la classe des propriétaires fonciers.
Dans cette société, les paysans et les artisans constituent les seules classes fondamentales, créatrices des valeurs matérielles et culturelles.
L’impitoyable exploitation économique et la cruelle oppression politique de la part des propriétaires fonciers contraignirent la paysannerie à entreprendre un grand nombre d’insurrections contre leur domination. Il y en eut des centaines, grandes et petites ; toutes furent des soulèvements de paysans, des guerres révolutionnaires paysannes – depuis les insurrections dirigées par Tchen Cheng, Wou Kouang, Hsiang Yu et Lieou Pang sous la dynastie des Ts’in, les insurrections de Sinche de Pinglin, des Sourcils rouges, des Chevaux de Bronze et des Turbans jaunes sous la dynastie des Han, les insurrections dirigées par Li Mi et Teou Kien-teh sous la dynastie des Souei, par Wang Sien-tche et Houang Tchao sous la dynastie des Tang, par Song Kiang et Fang La sous la dynastie des Song, par Tchou Yuan-tchang sous la dynastie des Yuan, par Li Tse-tcheng sous la dynastie des Ming, jusqu’à la Guerre des Taiping sous la dynastie des Tsing.
[En 209 av. J.C, Tchen Cheng et Wou Kouang, qui, à la tête de 900 autres conscrits, se rendaient à un poste frontière pour y tenir garnison, s’insurgèrent contre la tyrannie des Ts’in, dans le district de Kihsien (aujourd’hui district de Souhsien, province de l’Anhouei).
Hsiang Yu et Lieou Pang furent les plus célèbres parmi ceux qui, dans tout le pays, leur firent écho. L’armée de Hsiang Yu anéantit les forces principales des Ts’in, et celle de Lieou Pang prit la capitale. Une lutte s’engagea alors entre Hsiang Yu et Lieou Pang. Le second battit le premier et fonda la dynastie des Han.
Les chevaux de bronze furent des insurrections paysannes qui éclatèrent dans les dernières années de la dynastie des Han de l’Ouest, alors que l’agitation était générale dans la paysannerie. En l’an 8, le premier ministre Wang Mang renversa la dynastie régnante, se proclama empereur et introduisit des réformes pour apaiser les paysans insurgés. Mais les masses en proie à la famine se soulevèrent à Sinche (aujourd’hui district de Kingchan, province du Houpei) et à Pinglin (dans l’actuel district de Soueihsien, province du Houpei).
Les Sourcils rouges et les Chevaux de Bronze étaient des armées de paysans insurgés de la partie centrale des provinces actuelles du Chantong et du Hopei. Les Sourcils rouges, la plus puissante des forces paysannes, étaient ainsi nommés parce qu’ils se peignaient les sourcils en rouge.
Les Turbans jaunes furent une Armée de paysans qui se souleva en l’an 184 et nommée ainsi parce que ceux qui en faisaient partie portaient un turban jaune.
Li Mi et Teou Kienteh dirigèrent, respectivement dans les provinces du Honan et du Hopei, de puissantes insurrections paysannes contre la dynastie des Souei, au début du VIIe siècle.
En l’an 874, sous le règne de l’empereur Hsitsong des Tang, Wang Sientche organisa une insurrection dans la province du Chantong. L’année suivante, Houang Tchao, qui avait rassemblé autour de lui un grand nombre de paysans, lui fit écho.
Chefs célèbres de deux insurrections paysannes du début du XIIe siècle. Song Kiang déployait son activité dans la région limitrophe du Chantong, du Honan et du Kiangsou, et Fang La dans le Tchékiang et l’Anhouei.
En 1351, le peuple se souleva de toutes parts contre la dynastie des Yuan (mongole). En 1352, Tchou Yuan-tchang, originaire de Fengyang, province de l’Anhouei, se joignit aux forces insurrectionnelles dirigées par Kouo Tse-hsing et lui succéda après sa mort. En 1368, il réussit à renverser la dynastie mongole, qui chancelait déjà sous les coups du peuple insurgé.]
Les insurrections et les guerres paysannes que connut l’histoire de la Chine sont d’une ampleur sans égale dans le monde. Dans la société féodale chinoise, les luttes de classe de la paysannerie, les insurrections et les guerres paysannes ont seules été les véritables forces motrices dans le développement de l’histoire.
Car chaque insurrection de paysans, chaque guerre paysanne de quelque importance portait un coup au régime féodal de l’époque et donnait, par conséquent, une impulsion plus ou moins grande au développement des forces productives de la société.
Cependant, comme il n’y avait alors ni forces productives nouvelles, ni nouveaux rapports de production, ni nouvelle force de classe, ni parti politique d’avant-garde, les insurrections et les guerres paysannes manquaient d’une direction juste, comme celle qu’assurent aujourd’hui le prolétariat et le Parti communiste ; de ce fait, toutes les révolutions paysannes se soldaient par la défaite et étaient invariablement utilisées, pendant ou après leur déroulement, par les propriétaires fonciers et la noblesse, comme instrument d’un changement de dynastie.
Et c’est ainsi qu’en dépit d’un certain progrès social réalisé à l’issue de chaque grande révolution paysanne, les rapports économiques féodaux et le régime politique féodal demeuraient pratiquement les mêmes.
La situation n’a changé qu’au cours des cent dernières années.
SECTION 3. LA SOCIÉTÉ COLONIALE, SEMI-COLONIALE ET SEMI-FEODALE D’AUJOURD’HUI
Comme nous l’avons expliqué plus haut, la société chinoise a été féodale pendant 3.000 ans. Mais est-elle encore complètement féodale de nos jours ? Non, la Chine a changé. A partir de la Guerre de l’Opium en 184015, la société chinoise s’est transformée peu à peu en une société semi-coloniale et semi-féodale.
Depuis l’Incident du 18 Septembre 1931, début de l’agression armée des impérialistes japonais contre la Chine, elle a encore changé pour devenir coloniale, semi-coloniale et semi-féodale. Nous allons montrer maintenant comment se sont opérés ces changements.
Comme nous l’avons dit dans la section 2, la société féodale chinoise a duré environ 3.000 ans. C’est seulement vers le milieu du XIXe siècle, par suite de la pénétration du capitalisme étranger, que de profonds changements se sont produits dans sa structure.
L’économie marchande qui se développait en son sein portait déjà les germes du capitalisme. La société chinoise aurait donc pu se transformer peu à peu en une société capitaliste même sans l’influence du capitalisme étranger.
Mais en pénétrant en Chine, celui-ci a accéléré le processus. Il a joué un rôle important dans la décomposition de notre économie sociale : d’une part, il a sapé les bases de l’économie naturelle qui se suffisait à elle-même et a ruiné l’industrie artisanale dans les villes et l’artisanat domestique dans les campagnes ; d’autre part, il a favorisé le développement de l’économie marchande dans les villes et les campagnes.
Cet état de choses, tout en minant les fondements de l’économie féodale chinoise, a créé certaines conditions et possibilités objectives pour le développement de la production capitaliste en Chine. Car la destruction de l’économie naturelle a fourni au capitalisme un débouché pour ses marchandises, tandis que la ruine d’une masse énorme de paysans et d’artisans l’a pourvu d’un marché de main-d’œuvre.
En fait, il y a une soixantaine d’années déjà, dans la seconde moitié du XIXe siècle, sous l’effet stimulant du capitalisme étranger et par suite d’une certaine détérioration de la structure économique féodale, des commerçants, des propriétaires fonciers et des bureaucrates ont commencé à faire des investissements dans l’industrie moderne.
Il y a une quarantaine d’années, à la fin du siècle dernier et au début du nôtre, le capitalisme national chinois a commencé à se développer.
Et il y a vingt ans, pendant la première guerre mondiale impérialiste, alors que les pays impérialistes d’Europe et d’Amérique étaient occupés à faire la guerre et avaient momentanément relâché leur étreinte sur la Chine, l’industrie nationale chinoise, surtout le textile et la minoterie, a connu une nouvelle expansion.
A l’apparition et au développement du capitalisme national en Chine correspondent l’apparition et le développement de la bourgeoisie et du prolétariat.
Si une partie des commerçants, des propriétaires fonciers et des bureaucrates ont été les précurseurs de la bourgeoisie chinoise, une fraction des paysans et des artisans ont été les précurseurs du prolétariat chinois.
En tant que classes sociales distinctes, la bourgeoisie et le prolétariat chinois sont d’apparition récente ; ces classes n’ont jamais existé auparavant dans l’histoire de la Chine. Ce sont deux classes nouvelles enfantées par la société féodale, deux sœurs jumelles nées de la vieille société chinoise (la société féodale), à la fois liées l’une à l’autre et antagonistes.
Cependant, le prolétariat chinois est apparu et s’est développé non seulement en même temps que la bourgeoisie nationale, mais aussi en même temps que les entreprises exploitées directement par les impérialistes en Chine. Il en résulte qu’une partie très importante du prolétariat chinois dépasse la bourgeoisie en âge et en expérience et, par conséquent, sa force sociale est plus grande, sa base sociale plus large.
Toutefois, ce phénomène nouveau dont nous venons de parler, l’apparition et le développement du capitalisme, ne représente qu’un aspect des changements intervenus à la suite de la pénétration de l’impérialisme en Chine. Il y en a un autre, concomitant du premier et lui faisant obstacle, c’est la collusion de l’impérialisme avec les forces féodales pour empêcher le développement du capitalisme chinois.
En pénétrant en Chine, les
puissances impérialistes n’avaient aucunement l’intention de
faire de la Chine féodale un pays capitaliste ; au contraire,
elles voulaient en
faire une semi-colonie et une colonie.
A cette fin, elles ont employé et continuent d’employer des moyens d’oppression militaires, politiques, économiques et culturels, si bien que la Chine est devenue peu à peu une semi-colonie et une colonie. Ces moyens sont les suivants :
1) Les puissances impérialistes ont mené contre la Chine de
nombreuses guerres d’agression, telles que la Guerre de l’Opium
entreprise par la Grande-Bretagne
en 1840, la guerre menée par
les forces alliées anglo-françaises en 1857, la Guerre
sino-française de 1884, la Guerre sino-japonaise de 1894 et la
guerre menée par les forces coalisées des huit puissances en 1900.
Après l’avoir vaincue par la guerre, ces puissances ont non seulement occupé des pays voisins qui étaient sous protection chinoise, mais lui ont encore arraché ou pris « à bail » une partie de son territoire.
Par exemple, le Japon s’est emparé de Taïwan et des îles Penghou et a pris « à bail » Liuchouen, la Grande-Bretagne s’est emparée de Hongkong et la France a pris « à bail » Kouangtcheouwan. A ces annexions s’ajouta l’extorsion d’énormes indemnités de guerre. Ainsi, des coups très durs ont été portés à l’immense empire féodal chinois.
2) Les puissances impérialistes ont imposé à la Chine un grand nombre de traités inégaux, en vertu desquels elles ont obtenu le droit de faire stationner des forces navales et terrestres et d’exercer la juridiction consulaire en Chine, et elles ont partagé le pays en plusieurs sphères d’influence.
3) Par des traités inégaux, elles se sont assuré le contrôle de tous les ports de commerce importants de la Chine et ont établi dans nombre d’entre eux des concessions placées directement sous leur administration. Elles ont également mis sous leur contrôle les douanes, le commerce extérieur et les communications (maritimes, terrestres, fluviales et aériennes).
Ainsi, elles ont pu écouler des quantités énormes de marchandises en Chine, faisant de celle-ci un débouché pour leurs produits manufacturés, en même temps qu’elles subordonnaient l’agriculture chinoise à leurs besoins.
4) Elles ont créé en Chine de nombreuses entreprises de l’industrie légère et de l’industrie lourde pour utiliser sur place les matières premières et la main-d’œuvre à bon marché, exerçant ainsi une pression économique directe sur l’industrie nationale de la Chine et entravant directement le développement de ses forces productives.
5) Par l’octroi de prêts au gouvernement chinois et par l’ouverture de banques en Chine, elles ont monopolisé les opérations bancaires et les finances du pays. Ainsi, elles ont non seulement étouffé le capital national chinois par leur concurrence commerciale, mais encore pris la Chine à la gorge en matière bancaire et financière.
6) Afin d’exploiter plus facilement les masses paysannes et les autres couches de la population chinoise, elles ont constitué en Chine un réseau d’exploiteurs formé de compradores et de commerçants-usuriers et qui s’étend des grands ports de commerce aux coins les plus reculés ; elles ont ainsi créé une classe de compradores et de commerçants-usuriers à leur service.
7) Elles ont fait de la classe des
propriétaires fonciers féodaux aussi bien que de la bourgeoisie
compradore le soutien de leur domination en Chine.
L’impérialisme
« s’associe avant tout aux couches
dominantes du régime social précédent – aux féodaux et à la
bourgeoisie commerçante et usurière -, contre la majorité du
peuple. L’impérialisme s’efforce partout de maintenir et de
perpétuer toutes les formes précapitalistes d’exploitation
(surtout à la campagne) qui sont la base même de l’existence de
ses alliés réactionnaires. » [« Du
mouvement révolutionnaire dans les pays coloniaux
et
semicoloniaux », thèses adoptées au VIe Congrès
de
l’Internationale communiste.]
« L’impérialisme avec toute sa puissance financière et militaire en Chine est la force qui soutient, inspire, cultive et préserve les vestiges féodaux de ce pays avec toute leur superstructure bureaucratico-militariste. » [J. Staline: « La Révolution en Chine et les tâches de l’Internationale communiste », discours prononcé le 24 mai 1927 à la huitième assemblée plénière du Comité exécutif de l’Internationale communiste.]
8) Afin d’entretenir des conflits armés entre seigneurs de guerre et d’opprimer le peuple chinois, les puissances impérialistes ont fourni au gouvernement réactionnaire de la Chine d’énormes quantités d’armes et de munitions et mis à sa disposition une foule de conseillers militaires.
9) De plus, elles n’ont jamais relâché leurs efforts pour empoisonner l’esprit du peuple chinois. C’est leur politique d’agression dans le domaine culturel, qui s’effectue par l’activité des missionnaires, l’ouverture d’hôpitaux et d’écoles, la publication de journaux et le fait d’engager les étudiants chinois à aller étudier dans les pays impérialistes. Leur but est de former des intellectuels destinés à servir leurs intérêts, et de duper la grande masse du peuple chinois.
10) Depuis l’Incident du 18 Septembre 1931, l’attaque de grand style de l’impérialisme japonais a fait d’une bonne partie de la Chine, déjà réduite à l’état de semi-colonie, une colonie japonaise.
Ces faits constituent l’autre aspect des changements survenus depuis la pénétration impérialiste : le tableau sanglant de la transformation de la Chine féodale en un pays semi-féodal, semi-colonial et colonial.
On voit ainsi que, par leur agression
contre la Chine, les puissances impérialistes ont, d’une part,
hâté la désagrégation de la société féodale et la croissance
des éléments du capitalisme, transformant la société féodale en
une société semi féodale, et, d’autre part, imposé leur cruelle
domination à la Chine, faisant d’un pays
indépendant un pays
semi-colonial et colonial.
En réunissant ces deux aspects, on constate que notre société coloniale, semi-coloniale et semi-féodale possède les caractéristiques suivantes :
1) L’économie naturelle qui se suffisait à elle-même à l’époque féodale a été détruite dans ses fondements ; néanmoins, l’exploitation des paysans par les propriétaires fonciers, qui est la base de l’exploitation féodale, a non seulement été conservée, mais, liée comme elle l’est à l’exploitation exercée par le capital comprador et usuraire, elle domine manifestement la vie socio-économique de la Chine.
2) Le capitalisme national a connu un certain développement et a joué un rôle assez important dans la vie politique et culturelle de la Chine, mais il n’est pas devenu la forme principale de son économie sociale ; resté très faible, il est le plus souvent lié peu ou prou à l’impérialisme étranger et au féodalisme du pays.
3) Le pouvoir absolu de l’empereur et de la noblesse a été renversé et remplacé d’abord par la domination des seigneurs de guerre et des bureaucrates appartenant à la classe des propriétaires fonciers, puis par la dictature conjointe des propriétaires fonciers et de la grande bourgeoisie. Dans les régions occupées, c’est l’impérialisme japonais et ses fantoches qui détiennent le pouvoir.
4) L’impérialisme contrôle non seulement les secteurs vitaux de la vie financière et économique du pays, mais encore ses forces politiques et militaires. Dans les régions occupées, tout est aux mains de l’impérialisme japonais.
5) Le développement économique, politique et culturel de la Chine est extrêmement inégal, parce que ses diverses régions sont en totalité ou en partie sous la domination de nombreux États impérialistes, qu’elle a cessé, en fait, depuis longtemps d’être unifiée et que son territoire est immense.
6) Sous le double joug de l’impérialisme et du féodalisme, et surtout par suite de la grande attaque de l’impérialisme japonais, les masses populaires chinoises, et en particulier les paysans, s’appauvrissent de jour en jour et tombent en grand nombre dans l’indigence, menant une existence famélique et privées de tout droit politique. On trouve peu de pays au monde où le peuple connaisse la même misère et la même absence de liberté qu’en Chine.
Tels sont les traits caractéristiques de la société chinoise coloniale, semi-coloniale et semi-féodale.
Cette situation est principalement déterminée par les forces impérialistes, japonaises et autres ; elle résulte de la collusion entre l’impérialisme étranger et le féodalisme chinois.
La contradiction entre l’impérialisme et la nation chinoise et celle entre le féodalisme et les masses populaires sont les contradictions principales de la société chinoise moderne. Il y en a évidemment d’autres, comme la contradiction entre la bourgeoisie et le prolétariat et les contradictions au sein des classes réactionnaires dominantes.
Mais la plus importante est celle entre l’impérialisme et la nation chinoise. Toutes ces contradictions et leur aggravation engendrent inévitablement des mouvements révolutionnaires toujours plus amples. Les grandes révolutions de la Chine moderne et contemporaine sont apparues et se sont développées sur la base de ces contradictions fondamentales.
CHAPITRE II
LA RÉVOLUTION CHINOISE
SECTION 1. LES MOUVEMENTS RÉVOLUTIONNAIRES DES CENT DERNIÈRES ANNÉES
L’histoire de la transformation de la Chine en un pays semi-colonial et colonial sous l’action de l’impérialisme allié au féodalisme chinois est en même temps l’histoire de la lutte du peuple chinois contre l’impérialisme et ses laquais. La Guerre de l’Opium, le Mouvement des Taiping, la Guerre sino-française, la Guerre sino-japonaise, le Mouvement réformiste de 1898, le Mouvement des Yihotouan, la Révolution de 1911, le Mouvement du 4 Mai, le Mouvement du 30 Mai, l’Expédition du Nord, la Guerre révolutionnaire agraire et la présente Guerre de Résistance contre le Japon sont autant de témoignages de l’indomptable esprit de résistance du peuple chinois qui refuse de s’incliner devant l’impérialisme et ses laquais.
En raison de la lutte héroïque
menée sans défaillance par le peuple chinois pendant les cent
dernières années, l’impérialisme n’a pas réussi jusqu’à
présent à asservir la
Chine, et il n’y parviendra jamais.
A l’heure actuelle, bien que l’impérialisme japonais déploie tous ses efforts dans sa grande attaque contre la Chine et que de nombreux représentants des propriétaires fonciers et de la grande bourgeoisie, tels que les Wang Tsing-wei déclarés ou camouflés, aient capitulé devant l’ennemi ou se préparent à le faire, l’héroïque peuple chinois poursuivra son combat. Il ne s’arrêtera pas avant d’avoir chassé de la Chine les impérialistes japonais, avant d’avoir complètement libéré le pays.
La lutte nationale révolutionnaire du peuple chinois compte cent ans d’histoire si on la fait commencer à la Guerre de l’Opium en 1840, ou trente ans si l’on part de la Révolution de 1911. Elle n’est pas arrivée à son terme et n’a pas encore obtenu de résultats marquants dans l’accomplissement de ses tâches ; le peuple chinois, et en premier lieu le Parti communiste chinois, a la responsabilité de la poursuivre avec résolution.
Quelles sont les cibles de cette révolution ? Quelles sont ses tâches ? Quelles sont ses forces motrices ? Quel est son caractère ? Quelles sont ses perspectives ? Ce sont là des questions que nous allons traiter.
SECTION 2. LES CIBLES DE LA RÉVOLUTION CHINOISE
Par l’analyse faite dans la section 3 du premier chapitre, nous savons déjà que la société chinoise actuelle est de caractère colonial, semi-colonial et semi-féodal. Il faut avoir bien compris le caractère de la société chinoise pour savoir quelles sont les cibles de la révolution chinoise, quelles sont ses tâches et ses forces motrices, quel est son caractère, quelles sont ses perspectives et dans quel sens elle évoluera. Une juste compréhension de ce caractère, c’est-à-dire de la situation de la Chine, est donc la clé pour une juste compréhension de tous les problèmes de la révolution.
Du moment que la société chinoise d’aujourd’hui est de caractère colonial, semi-colonial et semi-féodal, quelles sont les cibles principales de la révolution chinoise à son étape actuelle, ou, en d’autres termes, quels sont ses ennemis principaux ?
Ce sont l’impérialisme et le féodalisme, c’est-à-dire la bourgeoisie des Etats impérialistes et la classe des propriétaires fonciers de notre pays. Car, à l’étape actuelle, ils sont les principaux oppresseurs dans la société chinoise, les principaux obstacles à son progrès.
Tous les deux s’entendent pour opprimer le peuple chinois et, comme l’oppression la plus cruelle est l’oppression nationale exercée par l’impérialisme, c’est lui qui est le premier et le pire ennemi du peuple chinois.
Depuis l’agression armée du Japon contre la Chine, les principaux ennemis de la révolution chinoise sont l’impérialisme japonais et tous ceux qui ont partie liée avec le Japon, les traîtres à la nation et les réactionnaires qui ont capitulé ouvertement ou qui se préparent à capituler.
La bourgeoisie chinoise souffre elle aussi du joug impérialiste ; elle a dirigé des luttes révolutionnaires, y jouant le rôle principal, comme dans la Révolution de 1911 ; elle a participé à des luttes révolutionnaires, comme pendant l’Expédition du Nord ; elle participe également à la présente Guerre de Résistance contre le Japon.
Mais, pendant la longue période de 1927 à 1937, le peuple révolutionnaire et le parti révolutionnaire (le Parti communiste) ne pouvaient considérer la couche supérieure de la bourgeoisie, représentée par la clique réactionnaire du Kuomintang, que comme l’une des cibles de la révolution, étant donné que cette couche sociale s’était entendue avec les impérialistes, qu’elle avait conclu une alliance réactionnaire avec la classe des propriétaires fonciers, et qu’elle avait trahi les amis qui l’avaient aidée le Parti communiste, le prolétariat, la paysannerie et les autres fractions de la petite bourgeoisie, trahi la révolution chinoise et causé sa défaite.
Dans la Guerre de Résistance, une partie des grands propriétaires fonciers et de la grande bourgeoisie, représentée par Wang Tsing-wei, a passé dans le camp ennemi et a trahi la nation. Aussi le peuple en lutte contre le Japon s’est-il vu oblige de compter ces éléments de la grande bourgeoisie qui ont trahi les intérêts nationaux au nombre des cibles de la révolution.
Nous voyons donc que les ennemis de la révolution chinoise sont extrêmement forts. Ils comprennent non seulement le puissant impérialisme, mais encore les puissantes forces féodales et, à certains moments, les réactionnaires bourgeois qui, en collusion avec l’impérialisme et les forces féodales, luttent contre le peuple. Aussi est-ce une erreur de sous-estimer la force des ennemis du peuple révolutionnaire de Chine.
L’existence de tels ennemis explique le caractère de lutte prolongée et acharnée assumée par la révolution chinoise. Avec des ennemis aussi puissants, une longue période est indispensable pour rassembler et aguerrir les forces révolutionnaires capables de les battre.
Et la cruauté inouïe avec laquelle ils répriment la révolution chinoise fait que les forces révolutionnaires ne peuvent tenir fermement leurs positions et s’emparer de celles de l’adversaire qu’en s’aguerrissant et en mettant en œuvre toute leur ténacité. Il est donc faux de penser qu’en Chine les forces de la révolution peuvent se former en un clin d’œil et la lutte révolutionnaire triompher du jour au lendemain.
L’existence de tels ennemis oblige la révolution chinoise à faire de la lutte armée et non de la lutte par des moyens pacifiques sa méthode principale, sa forme essentielle. Car nos ennemis ont privé le peuple chinois de la possibilité d’une activité pacifique, puisqu’ils lui ont ôté toute liberté politique. Staline a dit : « En Chine, la révolution armée lutte contre la contre-révolution armée, c’est là l’une des particularités et l’un des avantages de la révolution chinoise. »
Cette formule est parfaitement juste. Il est donc faux de sous-estimer l’importance de la lutte armée, de la guerre révolutionnaire, de la guerre de partisans et du travail concernant l’armée.
L’existence de tels ennemis pose la question des bases révolutionnaires.
Les centres urbains de la Chine resteront longtemps occupés par le puissant impérialisme et ses alliés, les réactionnaires chinois ; si donc les forces de la révolution ne veulent pas faire de compromis avec l’impérialisme et ses valets, mais sont décidées à poursuivre la lutte, si elles veulent s’accroître et s’aguerrir, si elles entendent éviter la bataille décisive contre un ennemi puissant tant qu’elles ne seront pas de taille à la livrer, elles doivent faire de la campagne arriérée une base solide qui soit à l’avant-garde du progrès, un vaste bastion militaire, politique, économique et culturel de la révolution, à partir duquel il leur sera possible de combattre leur ennemi mortel, qui utilise les villes pour attaquer les régions rurales, et de faire triompher pas à pas, dans une lutte de longue durée, la révolution dans tout le pays.
Dans ces circonstances, l’inégalité du développement économique de la Chine (qui n’a pas une économie capitaliste unifiée), l’immensité de son territoire (qui donne aux forces révolutionnaires la possibilité de manœuvrer), la désunion du camp de la contre-révolution chinoise et les nombreuses contradictions qui le déchirent, ces divers facteurs s’ajoutant au fait que la lutte de la paysannerie, force principale de la révolution chinoise, est dirigée par le parti du prolétariat, le Parti communiste, ont pour conséquence que, d’une part, la révolution chinoise peut triompher d’abord dans les régions rurales et que, d’autre part, elle se développera d’une façon inégale et exigera, pour sa victoire totale, une lutte longue et ardue. Il est alors clair que la lutte révolutionnaire de longue durée qui se déroule dans les bases révolutionnaires est essentiellement une guerre de partisans menée par la paysannerie sous la direction du Parti communiste chinois.
C’est pourquoi il est erroné de sous-estimer la nécessité d’utiliser les régions rurales comme bases révolutionnaires, erroné de négliger le travail assidu parmi les paysans et de négliger la guerre de partisans.
Toutefois, mettre l’accent sur la lutte armée ne signifie pas renoncer aux autres formes de lutte ; au contraire, si celles-ci ne lui sont pas coordonnées, elle ne peut être victorieuse.
Mettre l’accent sur le travail dans les bases rurales ne signifie pas abandonner le travail dans les villes et dans les vastes régions rurales qui sont encore sous la domination de l’ennemi ; au contraire, sans le travail dans ces villes et dans ces régions, les bases rurales seraient isolées et la révolution courrait à un échec. D’ailleurs, le but final de la révolution est de conquérir les villes, bases principales de l’ennemi, et il ne saurait être atteint sans qu’on y fasse un travail suffisant.
Il s’ensuit que la révolution ne peut triompher ni dans les campagnes ni dans les villes sans la destruction de l’armée de l’ennemi, instrument principal de sa lutte contre le peuple. C’est pourquoi, outre l’anéantissement des troupes sur les champs de bataille, la désagrégation de l’armée ennemie est un travail important.
Il s’ensuit également que, dans les villes et les campagnes occupées depuis longtemps par l’ennemi et dominées par les forces réactionnaires et ténébreuses, le Parti communiste doit se garder de toute précipitation et de tout aventurisme dans le travail de propagande et d’organisation, il doit travailler à couvert, avec un effectif réduit mais efficace, accumuler des forces et attendre le moment propice.
Pour diriger le peuple dans sa lutte contre l’ennemi, il doit adopter la tactique de l’avance progressive et à pas sûrs, en partant du principe qu’il faut, dans la lutte, avoir le bon droit de son côté, s’assurer l’avantage et garder la mesure, et en utilisant toute possibilité de lutte ouverte, légale, dans le cadre admis par les lois, les décrets et les coutumes sociales ; on ne peut arriver à rien par de vaines clameurs et en fonçant tout droit, tête baissée.
SECTION 3. LES TACHES DE LA RÉVOLUTION CHINOISE
Les principaux ennemis de la révolution chinoise étant, à l’étape actuelle, l’impérialisme et la classe des propriétaires fonciers féodaux, quelles sont les tâches de la révolution à cette étape ?
Incontestablement, ses tâches principales sont de porter des coups à ces deux ennemis, d’accomplir, d’une part, une révolution nationale qui secouera le joug étranger de l’impérialisme et, d’autre part, une révolution démocratique qui secouera le joug intérieur des propriétaires fonciers féodaux, la tâche primordiale étant le renversement de l’impérialisme par la révolution nationale.
Ces deux grandes tâches sont liées l’une à l’autre. Si l’on ne renverse pas la domination de l’impérialisme, on ne pourra en finir avec celle de la classe des propriétaires fonciers féodaux, puisque l’impérialisme est son principal soutien.
De même, la classe des propriétaires fonciers féodaux étant la principale base sociale de la domination impérialiste en Chine, et la paysannerie, la force principale de la révolution chinoise, si l’on n’aide pas les paysans à renverser la classe des propriétaires fonciers féodaux, on ne parviendra pas à constituer une puissante armée révolutionnaire pour mettre fin à la domination de l’impérialisme.
Ainsi, ces deux tâches fondamentales la révolution nationale et la révolution démocratique sont distinctes l’une de l’autre et forment en même temps un tout.
Puisque aujourd’hui la révolution nationale en Chine a pour tâche principale de combattre l’impérialisme japonais qui a envahi notre territoire et puisqu’il faut accomplir la révolution démocratique pour assurer la victoire dans la guerre, les deux tâches révolutionnaires sont en fait déjà liées. C’est une erreur de considérer la révolution nationale et la révolution démocratique comme deux étapes révolutionnaires nettement distinctes.
SECTION 4. LES FORCES MOTRICES DE LA RÉVOLUTION CHINOISE
Après avoir analysé et déterminé le caractère de la société chinoise, les cibles et les tâches de la révolution chinoise à l’étape actuelle, voyons quelles sont les forces motrices de cette révolution.
Puisque la société chinoise est coloniale, semi-coloniale et semi-féodale, que notre révolution est dirigée surtout contre la domination de l’impérialisme étranger et le féodalisme à l’intérieur du pays et qu’elle a pour tâche de renverser ces deux oppresseurs, quelles sont, parmi les différentes classes et couches de la société chinoise, celles qui peuvent constituer les forces capables de combattre l’impérialisme et le féodalisme ?
C’est là la question des forces motrices de notre révolution à l’étape actuelle. Il est indispensable de bien la comprendre pour arriver à une juste solution du problème de la tactique fondamentale de la révolution chinoise.
Quelles sont les différentes classes composant, à l’étape actuelle, la société chinoise ? Il y a d’abord la classe des propriétaires fonciers et la bourgeoisie ; la classe des propriétaires fonciers et la couche supérieure de la bourgeoisie constituent les classes dominantes de la société chinoise. Il y a ensuite le prolétariat, la paysannerie et les diverses fractions de la petite bourgeoisie autres que la paysannerie ; ce sont des classes encore assujetties dans la plus grande partie de la Chine d’aujourd’hui.
L’attitude et la position de toutes ces classes à l’égard de la révolution chinoise sont déterminées par leur situation socio-économique. Par conséquent, la nature du régime socio-économique détermine non seulement les cibles et les tâches de la révolution, mais aussi ses forces motrices.
Analysons maintenant les différentes classes de la société chinoise.
1. La classe des propriétaires fonciers
La classe des propriétaires fonciers est la principale base sociale de la domination impérialiste en Chine ; en utilisant le régime féodal pour exploiter et opprimer les paysans, elle fait obstacle au développement politique, économique et culturel de la société chinoise ; elle ne joue aucun rôle progressiste.
Aussi les propriétaires fonciers, en tant que classe, sont-ils la cible et non une des forces motrices de la révolution.
Dans la Guerre de Résistance, une partie des grands propriétaires fonciers ont, avec une fraction de la grande bourgeoisie (les capitulards), capitulé devant les envahisseurs japonais et sont devenus des traîtres ; l’autre partie, avec l’autre fraction de la grande bourgeoisie (les irréductibles), manifeste une instabilité extrême, bien qu’elle soit encore dans le camp de la Résistance.
Cependant, de nombreux hobereaux éclairés appartenant à la couche des petits et moyens propriétaires fonciers, c’est-à-dire quelque peu teintés de capitalisme, font preuve d’une certaine activité dans la Résistance ; nous devons les unir à nous dans la lutte commune contre le Japon.
2. La bourgeoisie
Dans la bourgeoisie, on distingue la grande bourgeoisie compradore et la bourgeoisie nationale.
La grande bourgeoisie compradore est une classe directement au service des capitalistes des pays impérialistes et entretenue par eux ; elle a des attaches innombrables avec les forces féodales de la campagne. C’est pourquoi elle est une cible de la révolution et n’a jamais été dans l’histoire de la révolution chinoise une force motrice.
Toutefois, les différents groupes de la grande bourgeoisie compradore chinoise sont inféodés à des puissances impérialistes différentes, et lorsque les contradictions entre elles s’aggravent et que la révolution est dirigée principalement contre l’une de ces puissances, il devient possible pour les groupes dépendant des autres puissances de s’associer dans une certaine mesure et pour un certain temps au front constitué alors contre cette puissance impérialiste. Mais que leurs maîtres se mettent à combattre la révolution chinoise, ils les suivent aussitôt.
Actuellement, dans la Guerre de Résistance, la fraction pro-japonaise de la grande bourgeoisie (les capitulards) a déjà capitulé ou se prépare à capituler. Et la fraction pro-européenne et pro-américaine de la grande bourgeoisie (les irréductibles), bien qu’elle soit encore dans le camp de la Résistance, manifeste une instabilité extrême. Elle joue un double jeu en luttant à la fois contre l’agresseur japonais et contre le Parti communiste.
Notre politique à l’égard des capitulards de la grande bourgeoisie est de les traiter en ennemis et de les abattre résolument.
Quant aux irréductibles, nous adoptons à leur égard une politique révolutionnaire à double aspect : d’une part, nous nous allions avec eux, car ils luttent encore contre le Japon, et nous devons utiliser les contradictions qui les opposent à l’impérialisme japonais ; d’autre part, nous luttons résolument contre eux, car ils pratiquent une politique de répression anticommuniste et antipopulaire, nuisible à la Résistance et à l’union, qui, sans cette lutte, seraient l’une et l’autre compromises.
La bourgeoisie nationale est une classe à double caractère.
D’une part, elle subit l’oppression de l’impérialisme et est entravée par le féodalisme ; aussi se trouve-t-elle en contradiction avec eux. A cet égard, elle est une des forces de la révolution. Au cours de la révolution chinoise, elle a déployé une certaine activité dans la lutte contre l’impérialisme et les gouvernements des bureaucrates et des seigneurs de guerre.
D’autre part, en raison de sa faiblesse économique et politique et du fait qu’elle n’a pas rompu complètement ses liens économiques avec l’impérialisme et le féodalisme, elle n’a pas le courage de les combattre jusqu’au bout. Cela devient particulièrement évident dans les périodes d’essor des forces révolutionnaires populaires.
De ce double caractère de la bourgeoisie nationale, il découle que, à certains moments et dans une certaine mesure, elle peut participer à la révolution contre l’impérialisme et les gouvernements des bureaucrates et des seigneurs de guerre et devenir une force révolutionnaire, mais que, à d’autres moments, on risque de la voir emboîter le pas à la grande bourgeoisie compradore et agir en auxiliaire de la contre-révolution.
En Chine, la bourgeoisie nationale, c’est essentiellement la moyenne bourgeoisie ; bien que, de 1927 à 1931 (jusqu’à l’Incident du 18 Septembre), elle ait suivi les grands propriétaires fonciers et la grande bourgeoisie dans la lutte contre la révolution, elle n’a pratiquement jamais détenu le pouvoir et se heurtait aux restrictions imposées par la politique réactionnaire des deux classes au pouvoir.
Dans la présente guerre, elle diffère non seulement des capitulards de la classe des grands propriétaires fonciers et de la grande bourgeoisie, mais aussi des irréductibles de la grande bourgeoisie, et aujourd’hui encore, elle est pour nous une assez bonne alliée. Aussi est-il tout à fait nécessaire d’adopter à son égard une politique bien réfléchie.
3. Les diverses fractions de la petite bourgeoisie autres que la paysannerie
La petite bourgeoisie comprend, outre la paysannerie, la masse des intellectuels, des petits commerçants, des artisans et des membres des professions libérales.
La situation de toutes ces fractions ressemble plus ou moins à celle des paysans moyens. Elles subissent l’oppression de l’impérialisme, du féodalisme et de la grande bourgeoisie et s’acheminent de plus en plus vers la ruine et la déchéance.
Elles constituent donc une des forces motrices de la révolution, une alliée sûre du prolétariat ; elles ne pourront se libérer que sous la direction du prolétariat.
Faisons maintenant l’analyse de ces diverses fractions.
Premièrement, les intellectuels et les jeunes étudiants. Ils ne forment ni une classe ni une couche sociale distincte. Néanmoins, dans la Chine d’aujourd’hui, leur origine familiale, leurs conditions de vie et la position politique qu’ils adoptent permettent de classer la majorité d’entre eux dans la petite bourgeoisie.
Au cours des dernières décennies, leur nombre s’est considérablement accru en Chine.
A l’exception du groupe d’intellectuels qui s’est rapproché de l’impérialisme et de la grande bourgeoisie et qui travaille pour eux contre le peuple, la plupart des intellectuels et des étudiants subissent l’oppression de l’impérialisme, du féodalisme et de la grande bourgeoisie et sont menacés de se trouver sans travail ou de devoir interrompre leurs études.
De ce fait, ils sont fort enclins à la révolution. Ils ont plus ou moins assimilé la science bourgeoise, possèdent un sens politique aigu et souvent ils jouent un rôle d’avant-garde et servent de pont dans l’étape actuelle de la révolution.
Le mouvement des étudiants chinois à l’étranger avant la Révolution de 1911, le Mouvement du 4 Mai 1919, le Mouvement du 30 Mai 1925 et le Mouvement du 9 Décembre 1935 en sont des preuves éclatantes.
En particulier, les larges couches d’intellectuels relativement pauvres sont capables de participer à la révolution ou de lui apporter leur soutien, en se plaçant aux côtés des ouvriers et des paysans.
En Chine, c’est d’abord parmi les intellectuels et les jeunes étudiants que les idées du marxisme-léninisme ont reçu une grande diffusion et trouvé une large audience.
On ne peut réussir à organiser les forces révolutionnaires et à accomplir le travail révolutionnaire sans la participation des intellectuels révolutionnaires.
Mais, avant que les intellectuels se jettent corps et âme dans la lutte révolutionnaire des masses, qu’ils se décident à les servir et à faire corps avec elles, il arrive souvent qu’ils sont enclins au subjectivisme et à l’individualisme, que leurs idées sont stériles et qu’ils se montrent hésitants dans l’action.
Aussi, bien que les nombreux intellectuels révolutionnaires chinois jouent un rôle d’avant-garde et servent de pont, tous ne sont pas révolutionnaires jusqu’au bout.
Dans les moments critiques, une partie d’entre eux abandonnent les rangs de la révolution et tombent dans la passivité ; certains deviennent même des ennemis de la révolution.
Les intellectuels ne viendront à bout de ces défauts qu’en participant longuement à la lutte des masses.
Deuxièmement, les petits commerçants. Ils tiennent boutique généralement avec très peu ou point de commis. Exploités par l’impérialisme, la grande bourgeoisie et les usuriers, ils sont menacés de faillite.
Troisièmement, les artisans. Ils représentent une masse nombreuse. Possédant en propre des moyens de production, ils n’embauchent pas d’ouvriers ou bien n’emploient qu’un ou deux apprentis ou aides. Leur situation est comparable à celle des paysans moyens.
Quatrièmement, les membres des professions libérales. Cette catégorie comprend des gens appartenant à diverses professions, par exemple les médecins. Ils n’exploitent pas le travail d’autrui ou ne le font que dans une faible mesure. Leur situation rappelle celle des artisans.
Les diverses fractions de la petite bourgeoisie que nous venons d’examiner forment une masse très importante que nous devons gagner à nous et protéger, parce qu’elles sont en général capables de participer à la révolution ou de lui apporter leur soutien et d’en être de très bonnes alliées.
Leur défaut, c’est que certains de leurs éléments tombent facilement sous l’influence de la bourgeoisie ; aussi devons-nous faire parmi elles de la propagande et du travail d’organisation révolutionnaires.
4. La paysannerie
La paysannerie, qui représente environ 80 pour cent de la population du pays, est aujourd’hui la force principale de l’économie nationale.
Une différenciation s’opère rapidement en son sein.
Premièrement, les paysans riches. Ils constituent environ 5 pour cent de la population rurale (avec les propriétaires fonciers, ce pourcentage s’élèverait à environ 10 pour cent) ; on leur donne le nom de bourgeoisie rurale. La plupart d’entre eux afferment une partie de leurs terres, pratiquent l’usure et exploitent sans merci les salariés picoles, ils ont donc un caractère semi-féodal.
Mais, en général, ils participent aux travaux des champs et, dans ce sens, ils font partie de la paysannerie. Pour une période déterminée, la forme de production qu’ils représentent garde son utilité.
D’une façon générale, ils peuvent apporter une certaine contribution à la lutte antiimpérialiste des masses paysannes et rester neutres dans la révolution agraire dirigée contre les propriétaires fonciers. C’est pourquoi nous ne devons pas les assimiler à ces derniers, ni adopter prématurément à leur égard une politique de liquidation.
Deuxièmement, les paysans moyens. Ils représentent environ 20 pour cent de la population rurale du pays. Économiquement, ils se suffisent à eux-mêmes (ils peuvent même avoir un certain excédent de production dans les bonnes années, et parfois utiliser quelque main-d’œuvre salariée ou accorder de petits prêts à intérêt) ; en général, ils n’exploitent pas les autres, mais sont exploités par l’impérialisme, la classe des propriétaires fonciers et la bourgeoisie. Ils ne jouissent d’aucun droit politique. Une partie d’entre eux manquent de terre, et certains seulement (les paysans moyens aisés) possèdent un peu de terre en excédent.
Les paysans moyens sont non seulement capables de participer à la révolution antiimpérialiste et à la révolution agraire, mais aussi d’accepter le socialisme. C’est pourquoi toute la masse des paysans moyens peut devenir une alliée sûre du prolétariat et constitue une partie importante des forces motrices de la révolution.
L’attitude des paysans moyens à l’égard de la révolution est l’un des facteurs qui décident de sa victoire ou de sa défaite, et il en sera surtout ainsi après la révolution agraire, lorsqu’ils représenteront la majorité de la population rurale.
Troisièmement, les paysans pauvres. Ils constituent, avec les salariés agricoles, environ 70 pour cent de la population rurale. Ils forment cette énorme masse paysanne sans terre ou qui n’en possède pas suffisamment.
C’est le semi-prolétariat rural qui, par son effectif, est la force motrice la plus importante de la révolution chinoise ; il est l’allié naturel et le plus sûr du prolétariat, l’armée principale de la révolution chinoise.
Les paysans pauvres et les paysans moyens ne peuvent se libérer que sous la direction du prolétariat, et celui-ci, de son côté, ne peut conduire la révolution à la victoire qu’en formant une solide alliance avec eux ; la victoire n’est pas possible autrement. Le terme de paysannerie désigne essentiellement les paysans pauvres et les paysans moyens.
5. Le prolétariat
Le prolétariat chinois comprend deux millions et demi à trois millions d’ouvriers de l’industrie moderne et environ douze millions de travailleurs salariés de la petite industrie et de l’artisanat et d’employés de commerce dans les villes ; il y a par ailleurs un grand nombre de prolétaires ruraux (salariés agricoles) et d’autres prolétaires des villes et des campagnes.
Outre les qualités fondamentales qui caractérisent le prolétariat en général – sa liaison avec la forme d’économie la plus avancée, son remarquable esprit d’organisation et de discipline et le fait qu’il ne possède pas de moyens de production en propre -, le prolétariat chinois a beaucoup d’autres qualités marquantes.
Lesquelles ?
Premièrement, le prolétariat chinois est, de toutes les classes, celle qui se montre la plus résolue et la plus conséquente dans la lutte révolutionnaire, car il subit une triple oppression (celle de l’impérialisme, de la bourgeoisie et des forces féodales), et cette oppression est d’une rigueur et d’une cruauté telles qu’on en trouve peu d’exemples chez d’autres nations.
La Chine, pays colonial et semi-colonial, n’offre pas de base économique à un social-réformisme tel qu’il existe en Europe ; c’est pourquoi, à l’exception d’un nombre infime de traîtres, le prolétariat est au plus haut point révolutionnaire.
Deuxièmement, dès son apparition sur la scène de la révolution, le prolétariat chinois était sous la direction de son propre parti révolutionnaire, le Parti communiste, et il est devenu la classe la plus consciente de la société chinoise.
Troisièmement, comme il est formé en majorité de paysans ruinés, il a, avec les masses paysannes, des affinités naturelles qui lui facilitent l’établissement d’une alliance étroite avec elles.
Par conséquent, bien qu’il ait quelques faiblesses inévitables, comme le fait d’être peu nombreux (par rapport à la paysannerie), d’être jeune (par rapport au prolétariat des pays capitalistes) et d’avoir un niveau culturel bas (par rapport à celui de la bourgeoisie), il est devenu la force motrice essentielle de la révolution chinoise. Sans la direction du prolétariat, la révolution chinoise ne peut assurément pas triompher.
Si nous nous reportons à un passé déjà lointain, nous avons l’exemple de la Révolution de 1911, qui a avorté parce que le prolétariat n’y avait pas pris part consciemment et qu’il n’existait pas à l’époque de parti communiste. Si nous nous reportons à un passé plus récent, nous avons l’exemple de la révolution de 1924-1927 qui a remporté à un moment donné de grands succès grâce à la participation et à la direction conscientes du prolétariat et grâce à l’existence du Parti communiste.
Mais comme la grande bourgeoisie a trahi par la suite son alliance avec le prolétariat et le programme révolutionnaire commun et qu’en même temps le prolétariat chinois et son parti n’avaient pas encore une expérience révolutionnaire suffisante, cette révolution finit par échouer.
Prenons enfin l’actuelle Guerre de Résistance : grâce à la direction assumée au sein du front uni national antijaponais par le prolétariat et le Parti communiste, toute la nation s’est unie, et la grande Guerre de Résistance a été déclenchée et se poursuit avec ténacité.
Le prolétariat chinois doit comprendre que, bien qu’il soit la classe la plus consciente et la mieux organisée, ses seules forces ne sauraient assurer la victoire et que, pour l’obtenir, il lui faut, en tenant compte des circonstances diverses, rallier toutes les classes et couches sociales susceptibles de prendre part à la révolution et créer un front uni révolutionnaire.
Parmi les différentes classes de la société chinoise, la paysannerie est l’alliée solide de la classe ouvrière, la petite bourgeoisie urbaine une alliée sûre, alors que la bourgeoisie nationale n’est une alliée qu’à certains moments et dans une certaine mesure seulement. C’est une des lois fondamentales que l’histoire de la révolution chinoise de notre époque a confirmées.
6. Le Lumpenproletariat
L’état de colonie et de semi-colonie dans lequel se trouve la Chine a fait apparaître, à la campagne et dans les villes, un grand nombre de chômeurs. Faute de pouvoir vivre honnêtement, beaucoup d’entre eux sont obligés de subvenir à leurs besoins en se livrant à des occupations malhonnêtes. D’où les brigands, les vagabonds, les mendiants, les prostituées et nombre de gens qui vivent des pratiques superstitieuses.
Cette couche sociale est instable ; alors qu’une partie est susceptible de se laisser acheter par la réaction, l’autre peut participer à la révolution. Ces gens-là manquent d’esprit constructif, ils détruisent plutôt qu’ils n’édifient et, en participant à la révolution, ils y deviennent un foyer de mentalité « hors-la-loi » et d’esprit anarchiste. Il faut donc savoir les rééduquer et veiller à prévenir leur tendance à la destruction.
Telle est notre analyse des forces motrices de la révolution chinoise.
SECTION 5. LE CARACTÈRE DE LA RÉVOLUTION CHINOISE
Ayant compris quel est le caractère de la société chinoise, c’est-à-dire quelles sont les conditions spécifiques de la Chine, nous avons les données essentielles pour résoudre toutes les questions relatives à la révolution chinoise. Nous avons compris également quelles sont les cibles de la révolution chinoise, quelles sont ses tâches et ses forces motrices.
Ce sont là des questions fondamentales de notre révolution à son étape actuelle ; elles découlent du caractère particulier de la société chinoise, c’est-à-dire des conditions spécifiques de la Chine. Ayant compris tout cela, nous pouvons tirer au clair une autre question fondamentale, à savoir le caractère de la révolution chinoise à son étape actuelle.
Quel est donc ce caractère ? Celui d’une révolution démocratique bourgeoise ou celui d’une révolution socialiste prolétarienne ? De toute évidence, pas le second, mais le premier.
Du moment que la société chinoise est encore coloniale,
semi-coloniale
et semi-féodale, que la révolution chinoise a
toujours pour ennemis principaux l’impérialisme et les forces
féodales, qu’elle a pour tâche de les renverser par une
révolution nationale et une révolution démocratique auxquelles
participe parfois la bourgeoisie, et qu’elle est dirigée, non pas
contre le capitalisme et la propriété privée capitaliste en
général, même si la grande bourgeoisie trahit la révolution et
s’en fait l’ennemie, mais contre l’impérialisme et le
féodalisme, elle n’a pas, à son étape actuelle, un caractère
socialiste prolétarien, mais un caractère démocratique bourgeois.
Toutefois, dans la Chine actuelle, la révolution démocratique bourgeoise n’est plus du type général, ancien, aujourd’hui dépassé, mais d’un type particulier, nouveau. Ce type de révolution se développe actuellement en Chine et dans tous les pays coloniaux et semi-coloniaux, nous l’appelons la révolution de démocratie nouvelle.
Elle fait partie de la révolution socialiste prolétarienne mondiale, elle combat résolument l’impérialisme, c’est-à-dire le capitalisme international. Politiquement, elle vise à instaurer la dictature conjointe de plusieurs classes révolutionnaires sur les impérialistes, les traîtres et les réactionnaires ; elle lutte contre la transformation de la société chinoise en une société de dictature bourgeoise.
Économiquement, elle a pour but de nationaliser les gros capitaux et les grandes entreprises des impérialistes, des traîtres et des réactionnaires, ainsi que de distribuer aux paysans les terres des propriétaires fonciers, tout en maintenant l’entreprise capitaliste privée en général et en laissant subsister l’économie des paysans riches.
Ainsi, cette révolution démocratique de type nouveau, bien qu’elle fraie la voie au capitalisme, crée les conditions préalables du socialisme. L’étape actuelle de la révolution en Chine est une étape de transition qui va de la liquidation de la société coloniale, semi-coloniale et semi-féodale à l’édification d’une société socialiste, c’est le processus de la révolution de démocratie nouvelle.
Ce processus, commencé après la Première guerre mondiale et la Révolution d’Octobre en Russie, a débuté en Chine avec le Mouvement du 4 Mai 1919.
Par révolution de démocratie nouvelle on entend une révolution antiimpérialiste et antiféodale menée par les masses populaires sous la direction du prolétariat. La société chinoise ne pourra s’acheminer vers le socialisme qu’en passant par cette révolution ; il n’y a pas d’autre voie.
La révolution de démocratie nouvelle est très différente des révolutions démocratiques qu’ont connues les pays d’Europe et d’Amérique, car elle aboutit non pas à la dictature de la bourgeoisie, mais à celle du front uni des classes révolutionnaires dirigée par le prolétariat.
Le pouvoir démocratique antijaponais, créé pendant la Guerre de Résistance dans les bases d’appui placées sous la direction du Parti communiste chinois, est précisément un pouvoir de front uni national antijaponais ; ce n’est ni la dictature de la seule classe bourgeoise, ni la dictature de la seule classe prolétarienne, mais la dictature conjointe de plusieurs classes révolutionnaires dirigée par le prolétariat.
Tous ceux qui sont pour la Résistance et la démocratie sont qualifiés pour participer à ce pouvoir, quel que soit le parti ou groupement politique auquel ils appartiennent.
La révolution de démocratie nouvelle diffère également de la révolution socialiste, car elle vise à renverser la domination des impérialistes, des traîtres et des réactionnaires en Chine et non à éliminer les secteurs du capitalisme qui peuvent encore contribuer à la lutte antiimpérialiste et antiféodale.
La révolution de démocratie nouvelle est, pour l’essentiel, conforme à la révolution selon les trois principes du peuple, préconisée par Sun Yat-sen en 1924. Dans le Manifeste du Ier Congrès national du Kuomintang publié cette année-là, Sun Yat-sen disait :
» Dans les Etats modernes, le système dit démocratique est le plus souvent monopolisé par la bourgeoisie et est devenu un simple instrument pour opprimer le peuple. Par contre, selon le principe de la démocratie du Kuomintang, le système démocratique est le bien commun de tout le peuple, et non quelque chose qu’une minorité peut s’approprier. «
Et plus loin :
» Toute entreprise, appartenant aux Chinois ou aux étrangers, qui a un caractère monopoliste ou dépasse, par son envergure, les possibilités d’un particulier, comme la banque, les chemins de fer et les transports aériens, doit être administrée par l’Etat, afin que le capital privé ne puisse dominer la vie économique du peuple. Tel est le sens fondamental du contrôle du capital. «
Enfin, dans son testament, Sun Yat-sen a énoncé le principe de base de la politique intérieure et extérieure :
» … nous devons éveiller les masses populaires et nous unir, en une lutte commune, avec les nations du monde qui nous traitent sur un pied d’égalité. «
Tout cela a transformé les trois principes du peuple de l’ancienne démocratie, qui correspondaient à l’ancienne situation internationale et intérieure, pour en faire les trois principes du peuple de la démocratie nouvelle, qui correspondent à la nouvelle situation internationale et intérieure.
C’est à ces derniers trois principes du peuple, et non à d’autres, que le Parti communiste chinois pensait lorsqu’il déclarait dans son manifeste du 22 septembre 1937 : « Les trois principes du peuple étant aujourd’hui nécessaires à la Chine, notre Parti est prêt à lutter pour leur réalisation complète. » Ces trois principes du peuple impliquent les trois thèses politiques fondamentales de Sun Yat-sen : alliance avec la Russie, alliance avec le Parti communiste et soutien aux paysans et aux ouvriers.
Dans les nouvelles conditions internationales et intérieures, les trois principes du peuple séparés des trois thèses politiques fondamentales ne seraient plus les trois principes du peuple révolutionnaires. (Nous n’insisterons pas ici sur le fait que le communisme et les trois principes du peuple ne concordent que sur le programme politique fondamental de la révolution démocratique et diffèrent sous tous les autres rapports).
Ainsi, dans la révolution démocratique bourgeoise en Chine, le rôle du prolétariat, de la paysannerie et des autres fractions de la petite bourgeoisie ne peut être ignoré ni dans l’organisation du front de lutte (front uni) ni dans celle du pouvoir d’Etat.
Quiconque tenterait d’écarter ces classes ne pourrait certainement pas résoudre la question du sort de la nation chinoise ni aucun des problèmes qui se posent à la Chine. La république démocratique à créer à l’étape actuelle de la révolution chinoise doit être telle qu’elle permette aux ouvriers, aux paysans et aux autres fractions de la petite bourgeoisie d’y tenir la place et le rôle qui leur reviennent.
En d’autres termes, il faut que ce soit une république démocratique fondée sur une alliance révolutionnaire des ouvriers, des paysans, de la petite bourgeoisie urbaine et de tous les autres éléments qui sont contre l’impérialisme et le féodalisme.
Et la direction du prolétariat est indispensable pour mener à bien l’établissement d’une telle république.
SECTION 6. LES PERSPECTIVES DE LA RÉVOLUTION CHINOISE
Les questions fondamentales le caractère de la société chinoise ainsi que les cibles, les tâches, les forces motrices et le caractère de la révolution chinoise à l’étape actuelle étant élucidées, il sera facile d’envisager les perspectives de la révolution chinoise, c’est-à-dire de comprendre la relation entre la révolution démocratique bourgeoise et la révolution socialiste prolétarienne, entre l’étape actuelle et l’étape ultérieure de la révolution.
Puisque la révolution démocratique bourgeoise en Chine à l’étape actuelle n’est pas du type général, ancien, mais est une révolution démocratique bourgeoise d’un type particulier, nouveau une révolution de démocratie nouvelle et qu’elle se trouve dans la situation internationale nouvelle des années 30 et 40 de notre siècle, caractérisée par l’essor du socialisme et le déclin du capitalisme, à l’époque de la Seconde guerre mondiale et dans une période de révolutions, il ne fait aucun doute que la révolution chinoise a pour perspective finale le socialisme et le communisme, et non le capitalisme.
Puisque la révolution chinoise se propose à son étape actuelle de mettre fin à l’état colonial, semi-colonial et Semi-féodal de la société d’aujourd’hui, c’est-à-dire de lutter pour l’achèvement de la révolution de démocratie nouvelle, il faut évidemment s’attendre, et cela n’a rien de surprenant, à un certain développement de l’économie capitaliste dans la société chinoise après la victoire de la révolution, car celle-ci aura supprimé les obstacles qui empêchent le capitalisme de se développer.
Dans un pays économiquement arriéré comme la Chine, la victoire de la révolution démocratique amènera inévitablement un certain développement du capitalisme.
Mais ce ne sera là qu’un des résultats de la révolution chinoise, et non son effet total. L’effet total, ce sera le développement des facteurs capitalistes aussi bien que des facteurs socialistes.
Quels facteurs socialistes ? Ce seront : l’importance accrue du prolétariat et du Parti communiste dans le rapport des forces politiques du pays ; le rôle dirigeant du prolétariat et du Parti communiste reconnu ou susceptible d’être reconnu par la paysannerie, les intellectuels et la petite bourgeoisie urbaine ; le secteur d’Etat de l’économie relevant de la république démocratique, et le secteur coopératif de l’économie relevant du peuple travailleur.
Si l’on y ajoute une situation internationale favorable, il est hautement probable que la révolution démocratique bourgeoise réussira finalement à écarter la Chine de la voie capitaliste et lui assurera un avenir socialiste.
SECTION 7. LA DOUBLE TACHE DE LA RÉVOLUTION CHINOISE ET LE PARTI COMMUNISTE CHINOIS
En résumant les diverses sections de ce chapitre, nous pouvons voir que la révolution chinoise, prise dans son ensemble, assume une double tâche. Autrement dit, elle englobe une révolution démocratique bourgeoise (la révolution de démocratie nouvelle) et une révolution socialiste prolétarienne la tâche de l’étape actuelle de la révolution et la tâche de l’étape suivante.
Dans l’accomplissement de cette double tâche révolutionnaire, le rôle dirigeant revient au Parti communiste chinois, le parti du prolétariat, sans la direction duquel aucune révolution ne peut triompher.
Mener à bien la révolution démocratique bourgeoise en Chine (la révolution de démocratie nouvelle) et la transformer en une révolution socialiste lorsque toutes les conditions nécessaires seront réunies, voilà dans sa totalité la tâche révolutionnaire, glorieuse et grandiose, du Parti communiste chinois.
Chaque membre du Parti doit lutter pour son accomplissement, sans s’arrêter à mi-chemin. Certains membres du Parti, qui manquent de maturité politique, pensent que notre tâche se limite à l’étape actuelle de la révolution, à la révolution démocratique, et ne s’étend pas à l’étape suivante, à la révolution socialiste ; ou bien ils pensent que la révolution actuelle ou la révolution agraire est déjà une révolution socialiste.
Il faut dénoncer vigoureusement l’erreur de ces conceptions. Chaque communiste doit comprendre que l’ensemble du mouvement révolutionnaire chinois dirigé par le Parti communiste embrasse deux étapes, la révolution démocratique et la révolution socialiste ; ce sont deux processus révolutionnaires de caractère différent, et c’est seulement après avoir achevé le premier que l’on peut passer à l’accomplissement du second.
La révolution démocratique est la préparation nécessaire de la révolution socialiste, et la révolution socialiste est l’aboutissement logique de la révolution démocratique. Le but final de tout communiste, et pour lequel il doit lutter de toutes ses forces, c’est l’instauration définitive d’une société socialiste et d’une société communiste.
C’est seulement après avoir bien compris la différence et la liaison entre la révolution démocratique et la révolution socialiste que l’on peut diriger correctement la révolution chinoise.
Seul le Parti communiste chinois, et aucun autre parti (bourgeois ou petit-bourgeois), est capable de conduire jusqu’à leur terme ces deux grandes révolutions : la révolution démocratique et la révolution socialiste. Dès le jour de sa fondation, le Parti communiste chinois s’est chargé de cette double tâche, et depuis dix-huit ans, il lutte avec acharnement pour l’accomplir.
Cette tâche est des plus glorieuses, mais aussi des plus ardues. Elle ne peut être accomplie sans un Parti communiste chinois bolchévisé, qui soit à l’échelle de la nation, un parti de larges masses, tout à fait solide au point de vue de l’idéologie, de la politique et de l’organisation. Chaque communiste a donc le devoir de prendre une part active à l’édification d’un tel Parti.