FAUT-IL: RÉVISER LA THÉORIE MARXISTE-LÉNINISTE ?
LE MARXISME N’EST PAS UN HUMANISME.
[Ce document suit la Résolution du comité central du P »C »F « Sur les problèmes idéologiques et culturels » (Argenteuil, 13 mars 1966). Il est le prétexte à la sortie des marxistes-léninistes de l’Union des Etudiants Communistes et marque la naissance de l’UJCML.]
Chose étrange et monstrueuse : » II y a un humanisme marxiste. «
Ainsi en a-t-il été décidé par un vote unanime du Comité Central du Parti Communiste Français.
» II y a… «
II y a un socialisme utopique :
II y a Saint-Simon.
Il y a Fourrier.
Cela signifie-t-il que le socialisme est une utopie?
Le jeune Marx écrit ses Manuscrits de 44 : il est encore humaniste. Marx écrit le Capital : il s’est débarrassé de l’humanisme.
Garaudy écrit : » De l’anathème au dialogue. » Ce marxiste s’est converti à l’humanisme.
Il y a du Garaudy. Il y a du jeune Marx. N’en doutons plus : II y a un » humanisme marxiste « .
Il y a un humanisme marxiste.
Cela signifie-t-il que le marxisme est un humanisme? Ou bien, a-t-on voulu dire qu’il y a eu le jeune Marx? Qu’il y a eu Garaudy ?
Savante ambiguïté!
» II ne, faut pas introduire d’allusions dans une résolution » a écrit Lénine, dans le tome vingt-sept, à la page cent dix-huit de ses Oeuvres publiées aux éditions de Moscou et traduites en français sous la responsabilité de Roger Garaudy.
Si le marxisme est un humanisme, nombre de conclusions doivent être tirées.
A propos de la culture et des intellectuels, à propos de la science et de la révolution, à propos de la morale et des chrétiens, à propos enfin de l’idéologie et de l’unité.
Citer ces conclusions, c’est mesurer l’importance de la résolution rapportée par Aragon.
Qu’ici lui en soit rendu hommage : Aragon avec une application qu’on lui connaissait à peine, est allé jusqu’au bout.
Le texte qui suit a pour but de définir ce point d’arrivée : un social-populisme de nuance chrétienne.
1. DE L’HUMANISME A LA CULTURE ET AUX INTELLECTUELS : L’ESPRIT HUMAIN SANS RIVAGES.
« Il ne saurait y avoir de rupture dans le vaste mouvement créateur de l’esprit humain. » (Section I.)
Le monstre, l’humanisme-de-sinistre mémoire n’a de cesse d’enfanter : l’esprit humain, l’intelligence humaine, la culture humaine…
Aragon, une fois lancé, a du mal à s’arrêter : pris dans le piège des grandiloquences bourgeoises.
Mais un fait est têtu : tous les hommes ne sont pas de culture; tous les hommes n’ont pas leur part d’héritage (la culture). Savez-vous comment le marxiste Aragon s’en sort? A la manière chrétienne.
Aragon croit au bien et au mal. Le bien : c’est la culture, le trésor de l’humanité. Et le mal : c’est le capitalisme de monopoles, le règne du » calcul égoïste « .
» L’intelligence elle-même est en butte à la loi du profit. » (Section I.)
Il faut bien comprendre le génie de notre prestidigitateur. Le tour de passe-passe consiste à employer le langage du marxisme, et en fait à revenir à une conception idéologique vulgaire.
La culture est identifiée à l’humanité.
» II ne saurait y avoir de rupture dans le vaste mouvement créateur de l’esprit humain. » (Section I).
Les monopoles sont inhumains.
» Leur politique exprime l’inhumanité d’un régime. » (Section I.)
Qui s’oppose aux monopoles?
Tout ce qui n’est pas monopoles : ouvriers, paysans, intellectuels, voire bourgeois moyens. Donc : la culture condense l’unité du front antimonopoliste.
Voilà la trouvaille d’Aragon : il n’y a pas en fait de politique communiste de la culture ; il y a mieux :
LA CULTURE CONTRE LA POLITIQUE
LE BIEN CONTRE LE MAL.
Grossière polémique! dira-t-on. La résolution parle en toutes lettres de » politique culturelle » (Section I).
Voyons la chose de plus près. Qui dit politique dit lutte des classes, Aragon en conviendra. La lutte des classes, c’est une guerre acharnée où tout est mis à contribution : trésors de la culture compris.
Pour les marxistes-léninistes, il ne peut y avoir qu’une politique culturelle ; ils ne peuvent défendre abstraitement la culture. Une politique culturelle ne » régente » pas la culture : elle ne dit pas aux écrivains ce qu’ils doivent écrire, aux peintres ce qu’ils doivent peindre.
Mais la culture peut être une forme spécifique directe de la lutte des classes. Si la culture devient une arme des classes ennemies, le pouvoir des travailleurs a le devoir de la réprimer.
Comment? par une limitation de la diffusion, par une campagne éducative de presse, par une interdiction, voire par une condamnation, selon les cas concrets. D’autre part, le Parti de la classe ouvrière encourage par tous les moyens une culture authentiquement populaire.
La culture populaire est l’objet spécifique des écrivains ou artistes communistes. Elle ne tient pas dans un thème décrété populaire : les ouvriers, disait Lénine, ne veulent pas de littérature pour ouvriers. Elle a pour fonction d’élever la conscience culturelle et politique des classes populaires ; pour ce faire, elle doit se donner les moyens de s’adresser à ces classes.
Cette culture prend un sens différent quand le parti n’a pas encore pris le pouvoir ou au contraire quand il dirige déjà la construction du socialisme. Brecht dramaturge ne tient pas la même place qu’un Brasillach. Si des hommes, par récriture ou tout autre moyen de l’art, attaquent le pouvoir des Soviets, ils ne doivent pas échapper à la loi.
Car il n’y a pas d’hommes : mais le capital, la classe ouvrière, la paysannerie, les intellectuels.
Cessez donc de parler du passé : parlez des intellectuels français dans les conditions nouvelles de notre époque.
PARLONS-EN
Les monopoles n’auraient-ils plus d’intellectuels à leur service? La classe capitaliste monopoliste aurait perdu cet avantage qu’elle partage avec toutes les classes ? Des intellectuels pour la représenter.
Précisons :
» Les intellectuels soucieux de se libérer des contraintes matérielles et idéologiques que la bourgeoisie impose à leur activité ne peuvent que rechercher l’alliance avec la classe ouvrière. » (Section I.)
On n’en croit pas ses yeux : des intellectuels ne pourraient-ils pas chercher l’alliance avec la classe des capitalistes?
Mais s’ils ne la cherchent pas, c’est qu’elle est toute trouvée.
Aragon, calmez-vous, nous allons reprendre par le commencement. Si les intellectuels se soucient de se libérer des » contraintes « , c’est que ces contraintes existent, au moins aussi pesantes que pour vous la vérité est légère.
Les conditions matérielles, disons : l’argent, font bien les choses.
Mais la liberté, l’égalité, la fraternité font mieux : cette monnaie est plus courante chez les intellectuels. Rappelez-vous ce que disait Lénine : spontanément, l’intellectuel fait sienne l’idéologie dominante.
Qu’est-ce que l’idéologie dominante ? Celle de la classe dominante. Des monopoles, en l’occurrence. Et puis l’État, celui des monopoles, est large : il y a de la place pour les intellectuels dans l’administration, dans les conseils d’administration.
Concluons : vous vous êtes trompé. Mais l’erreur est tenace : le Parti, dites-vous, » souhaite » que les intellectuels rejoignent son combat.
Certes, mais sa politique ne peut être un ensemble de souhaits. Le Parti, faisant feu du bois des vœux pieux, se place sur le terrain solide de la lutte de classes.
Il distingue entre les intellectuels. Pour sa part, il exige des intellectuels de type nouveau : ouvriers écrivains ou savants. De type nouveau cela signifie : qui rompent avec l’idéologie dominante, avec toutes les idéologies que l’idéologie dominante confond.
Aussi bien à la politique culturelle des monopoles, il oppose sa propre politique culturelle : il n’oppose pas la culture – celle des hommes – à la politique – celle des monopoles ; il oppose une politique à une autre.
Le Parti dénonce les refuges illusoires, fût-ce la terre promise de la culture. Car cette terre, il la conquiert, par la lutte de classe.
Et il se réserve le droit, quand il l’a prise, de réprimer les transfuges.
2. DE L’HUMANISME A LA SCIENCE ET A LA RÉVOLUTION. ENCORE UNE FOIS L’ESPRIT HUMAIN SANS RIVAGES.
Aragon, on s’en souvient, tenait à régenter la biologie. Depuis, l’eau nouvelle a coulé sous les ponts anciens et Aragon s’en est sorti à peu près lavé.
Le vieil homme aurait-il disparu?
Aragon sait-il maintenant ce que » Science » veut dire ?
» Pas plus que le prolétariat n’est un barbare campant dans la cité moderne le marxisme n’est un corps étranger à l’univers de la culture ; il est né de son développement même et donne sens à tout l’acquis de l’humanité. » (Section II.)
Pauvre Marx : La montagne théorique accouche d’une souris. La science qu’il a instituée, au prix d’efforts théoriques et pratiques inouïs, se voit jetée par un idéologue sur le marché libre des académiciens.
Grattez Marx, vous trouverez Hegel ; un effort supplémentaire et vous aurez le xvme siècle en personne. Et en avant, la machine à remonter le temps!
Mais Aragon n’aura pas assez de ses ongles pour gratter.
Sous Marx, il n’y a rien. La science de Marx est née parce qu’elle a rompu avec ce qui la précédait. Rompu, comme on casse du bois, comme on fait la révolution. L’auriez-vous oublié?
La révolution, comme la naissance d’une science est une coupure. Sans la coupure de Marx, la révolution eût été impossible.
Peut-être doit-on lire dans la révolution une conception nouvelle de la science? Par malheur pour les modernes, la science naît toujours en rupture avec ce qui précède. Exactement comme la révolution.
Chaque révolution comme chaque science se fait d’une manière qui lui est propre ; mais toute révolution, comme toute science, défait ce qui l’a précédé. Le monde théorique change de base, comme ce monde dont parle le chant des travailleurs en lutte.
Un communiste met-il en question là révolution ? Non. Sans quoi il ne serait pas communiste, mais social-démocrate. Qu’est-ce qu’un social-démocrate? Un personnage qui remet en question la révolution. Tout le monde communiste connaît la triste histoire de Kautsky.
Ce personnage, marxiste érudit, a confondu un jour la démocratie bourgeoise et la démocratie prolétarienne : il ne voulait pas de la dictature du prolétariat. Il l’a dit sur tous les tons. Mais il a trouvé à qui parler : Lénine.
Que lui a dit Lénine ? Qu’il avait de façon monstrueuse (notez le bien) déformé le marxisme.
» Comment expliquer cette déformation monstrueuse du marxisme par l’exégète du marxisme, Kautsky ? Si l’on considère la base philosophique de ce phénomène, la chose se réduit à substituer à la dialectique l’éclectisme et la sophistique. «
Lénine veut dire qu’à la philosophie marxiste (la dialectique matérialiste) Kautsky a substitué une: philosophie faite de lambeaux empruntés ici et là (l’éclec-tisme).
Mais assez parlé d’histoire. Revenons à Aragon.
Aragon donc tient de toutes ses forces au dialogue.
Au dialogue même avec des communistes.
» II y a un humanisme marxiste. » Partons de là, si vous le voulez bien, et tout peut se discuter.
» Le parti communiste entend organiser les conditions les plus propices à un développement du travail théoriqiie associant toutes les bonnes volontés. «
(Section III.)
La proposition d’Aragon est claire, choisissez camarades, la manière la plus agréable de vous faire couper la tête. Nous respectons votre personne et votre opinion.
Nous reconnaissons toute la diversité nécessaire.
Aragon se moque du Léninisme.
Des années de luttes et sacrifices, de volontés qui furent moins bonnes que fortes pour entendre un poète dilapider notre héritage, le seul que nous ayons à défendre jusqu’au bout : le trésor d’une théorie vraie. Rappelez-vous encore une fois, Lénine.
» En vérité, le marxisme, seule théorie révolutionnaire juste, la Russie l’a payé d’un demi-siècle de souffrances et sacrifices inouïs, d’héroïsme révolutionnaire sans exemple, d’énergie incroyable, d’abnégation dans la recherche et l’étude, d’expériences pratiques, de déceptions, de vérification, de confrontation avec l’expérience de l’Europe. » (La Maladie infantile du communisme.}
Et Aragon voudrait que nous abandonnions notre terre ferme pour aller discuter ailleurs!
Que nous jetions à la poubelle l’arme qui nous permettra de prendre d’assaut la métropole impérialiste! Aragon se paie notre tête. Mais notre tête tient bon, comme la théorie de Marx.
Que nous enseigne la théorie de Marx ? Qu’elle est une science. Qu’est-ce que la science? Une théorie qui a rompu avec l’idéologie. La science, c’est l’unité de pensée. Les idéologies, c’est la variété de pensées. La science c’est la dialectique. Les idéologies, c’est l’éclectisme.
On ne sort pas de là, on n’en sortira jamais. Par contre la porte de sortie est grande ouverte.
Par ici l’éclectisme, la sophistique! Vous attendent de l’autre côté les bourgeois, les sociaux-démocrates et la grande famille des sans-principes.
Les marxistes-léninistes continueront de camper dans la cité moderne, comme les premiers chrétiens dans la cité barbare.
3. DE L’HUMANISME A LA MORALE : L’ESPRIT HUMAIN VOIT ENCORE S’ÉLOIGNER LES RIVAGES.
» Des convergences morales créent les conditions favorables pour un véritable dialogue des communistes avec les chrétiens. Et avec d’autres. Un dialogue qui n’a point
en lui-même sa fin… » (Section II.)
Quel est l’enseignement de Lénine? Les seules convergences que les communistes doivent retenir sont les convergences de classes. Convergences de classes, divergences de classes. Le reste est bavardage, poésie de philistin. Quel est l’enseignement de Lénine ?
Deux classes s’unissent quand leurs intérêts fusionnent relativement.
Quel est l’enseignement de Lénine? Unir les classes dans la distinction de leurs intérêts.
Et les chrétiens alors? Aragon fait état de leur nom, c’est-à-dire d’un mot et non de la place qu’ils occupent effectivement dans la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie. Pas plus qu’il n’est d’unité de la culture, il n’y a d’unité de la morale.
De deux choses l’une : ou l’on parle de l’unité des travailleurs croyants ou non croyants et alors cette unité est l’unité relative des intérêts de classe ; ou l’on parle de l’unité des morales : morale prolétarienne et morale chrétienne et alors cette unité est l’unité d’une lutte.
D’une lutte idéologique, pour parler précisément.
Qu’est-ce que la lutte idéologique? Une idéologie transforme une autre idéologie. Le combat est-il égal? Non. Ne peut-on prévoir la victoire? Si. L’idéologie du prolétariat fondée sur la science de Marx, transformera l’idéologie religieuse.
Cette lutte idéologique signifie-t-elle la lutte entre travailleurs de croyances diverses? Absolument pas. Elle est lutte idéologique et non lutte de classes.
Une propagande incessante éduquera les travailleurs de diverses croyances. Cette propagande implique, dans toute la période qui va du capitalisme au communisme, la diversité des idéologies.
Non parce que c’est bien, mais parce qu’on ne change pas, avec un décret, la conscience des hommes.
Pas plus qu’on ne décrète la fin de l’Etat, on ne décrète la fin des idéologies. On ne la décrète pas, on la prépare. Le temps de la transition est celui de la lutte à tous les niveaux : économie, État, idéologies.
De la lutte, non du dialogue, et qui dit lutte dit fin de la lutte, qui dit dialogue dit dialogue sans fin. Dialogue sans fin, comme l’esprit humain, comme le monde qui n’est, selon le mot d’Aragon délicieusement poétique, jamais achevé.
Camarades ouvriers Aragon vous annonce un monde sans fin : un communisme sans rivages.
Il écrit, sans pudeur : » Les prises de positions nouvelles de l’Église en faveur de la coexistence pacifique et à propos des rapports entre croyants et non croyants représentent un progrès encourageant. «
Assez de phrases! Le verbe haut du poète ne dissimulera pas ses bassesses.
De deux choses l’une : ou la coexistence pacifique est la forme supérieure de la lutte de classes et l’Église se prononce pour la lutte de classes ; ou elle ne l’est pas et Aragon se prononce contre la ligne du Parti.
Réviser la ligne du Parti ou réviser l’Église.
Ce choix n’intéresse qu’Aragon, car les marxistes-léninistes ont choisi depuis longtemps, bien avant les nouveautés de notre époque. Très précisément au moment où, à l’appel du grand Lénine, ils ont définitivement rejeté les vieilleries toujours neuves.
L’incorrigible Lénine disait, dans l’actualité reculée de notre temps : » Les cris actuels de » Vive la liberté de critique ! » rappellent trop la fable du tonneau vide. «
4. DE L’HUMANISME A L’IDÉOLOGIE UNITAIRE. L’ESPRIT HUMAIN NE VERRA JAMAIS PLUS LES RIVAGES.
» La discussion fraternelle entre communistes et socialistes sera d’autant plus fructueuse qu’ils sauront porter ensemble, sur la base des intérêts de classe qui les rapprochent invinciblement des coups de plus en plus sévères au pouvoir des monopoles. » (Section II.)
Aragon parle enfin le langage du marxisme : intérêts de classe. Mais décidément notre malheur n’aura pas de rivages : au moment même où Aragon semble le plus près, il est le plus loin. Insaisissable bonhomme ! Les intérêts de classe rapprochent » invinciblement « .
La victoire assurée si promptement, le combat cesse faute de combattants. C’est trop beau pour être vrai. De fait ce n’est pas vrai. Qui rapproche qui? I/intérêt de l’ouvrier le rapproche de l’ouvrier. Ensemble, ils ont un intérêt de classe.
Et s’ils ne sont pas ensemble, bien qu[ou-vriers ? c’est qu’ils se représentent leurs intérêts différemment. Qui représentent ces ouvriers?
Les socialistes et les communistes. Comment? avec un parti communiste et un parti socialiste, fondés respectivement sur une idéologie communiste et une idéologie socialiste. Tous les deux peuvent-ils avoir raison? Non, puisque la vérité est une.
Que faire? Montrer aux ouvriers qui les représente vraiment. C’est sur ce point précis que l’enseignement de Lénine est le plus puissant.
Il nous apprend que les sociaux-traîtres représentent dans la classe ouvrière les intérêts de la bourgeoisie.
Mais pour faire pénétrer les idées de la bourgeoisie dans la classe ouvrière, il faut des demi-teintes, très exactement une idéologie de transition.
Cette idéologie est nécessaire, comme toute idéologie.
Ce qui la rend possible, c’est l’existence d’une classe intermédiaire entre la bourgeoisie et le prolétariat : la petite bourgeoisie des villes et des campagnes.
» La situation économique du petit bourgeois est telle, ses conditions d’existence sont telles, qu’il ne peut manquer de se tromper, qu’il penche nécessairement et involontairement tantôt vers la bourgeoisie tantôt vers le prolétariat.
Sa situation économique ne lui permet pas d’avoir une » ligne » indépendante. Son passé le porte vers la bourgeoisie, son avenir vers le prolétariat. La raison le porte vers celui-ci, les préjugés (selon l’expression bien connue de Marx] vers celle-là. «
Est-ce à dire que le parti de la classe ouvrière abandonne les ouvriers représentés par les socialistes, ou les petits-bourgeois?
Absolument pas. Sa tâche est de les gagner, de gagner cette majorité réelle, sans laquelle aucune révolution ne peut se faire. C’est l’opportunisme de gauche qui méconnaît cette tâche : gagner la majorité réelle.
De ce que la petite-bourgeoisie et les partis petits-bourgeois penchent le plus souvent vers la bourgeoisie, les infantiles déduisent qu’ils ne pencheront jamais vers le prolétariat. C’est le tristement célèbre mot d’ordre » jamais de compromis « .
Quelle est la juste tactique ? » La juste tactique des communistes (à l’égard de la petite bourgeoisie hésitante) doit consister à utiliser ces hésitations, et non point à les ignorer ; or les utiliser c’est faire des concessions aux éléments qui se tournent vers le prolétariat… »
Mais le tout est de savoir appliquer cette tactique de manière à élever et non à abaisser le niveau de conscience général du prolétariat.
C’est l’opportunisme de droite qui abaisse l’esprit révolutionnaire du prolétariat, sa capacité de lutter et de vaincre.
Quelle est la tactique juste? Ne faire des concessions « qu’au moment et dans la mesure où les petits bourgeois s’orientent vers le prolétariat, tout en luttant contre ceux qui se tournent vers la bourgeoisie « .
De ce que les petits bourgeois et les partis petits bourgeois penchent le plus souvent vers la bourgeoisie, les opportunistes de droite déduisent qu’ils ne pencheront jamais vers le prolétariat, ils refusent d’utiliser les hésitations nécessaires, inévitables de la petite bourgeoisie ; ils ne comprennent pas que le parti qui n’hésite pas, le parti communiste, peut faire progresser certains éléments petits-bourgeois, et isoler les autres : isoler les chefs qui s’obstinent dans l’opportunisme et amener dans le camp du prolétariat les meilleurs éléments de la petite-bourgeoisie.
Au lieu d’élever la petite bourgeoisie au niveau du prolétariat, ils abaissent le prolétariat au niveau de la petite bourgeoisie.
Résumons la tactique juste, donc la seule possible : » L’avant-garde du prolétariat louvoie, réalise des ententes, des compromis avec les divers groupes de prolétaires, les divers partis d’ouvriers, et les petits exploitants.
Mais l’avant-garde du prolétariat garde la plus entière liberté de propagande, d’agitation et d’action politique. «
Aragon avait-il définitivement oublié qu’il faut soutenir les chefs sociaux-démocrates « comme la corde soutient le pendu »? C’est Lénine qui parle, évidemment.
Comment, en général, se manifeste l’idéologie petite bourgeoise ? Par la croyance en l’État, celui des capitalistes ; par la croyance en la démocratie, celle des capitalistes.
En bref, elle se paie de mots : sur la voie pacifique de la révolution, la paix entre les nations, et autres mots de ce genre.
Tout le monde communiste connaît le » petit mot » de Kautsky : la dictature du prolétariat.
Kautsky prenait un concept » la dictature du prolétariat » pour un mot. Pour ce petit mot, Lénine n’a rien fait de moins que l’Internationale communiste. C’est que de mot en mot…
Savez-vous où Kautsky en est arrivé ? à déclarer que la conquête du socialisme pouvait se faire par la voie démocratique. Tant il est vrai que tout a une fin, même dans le monde inachevé des révisionnistes.
Aragon, lui, raffine. Il se paie le luxe, à escompter sur le trésor de la culture, de parler le langage de Lénine presque jusqu’au bout.
» L’unité de la classe ouvrière et l’union de toutes les forces intéressées à l’établissement d’une démocratie véritable se prolongeront, comme il est souhaitable, pour la conquête, l’édification, et le maintien du socialisme, par les voies démocratiques. «
Au début, Aragon reprend la théorie léniniste de l’unité de la révolution ininterrompue et du développement par étapes : théorie chèrement acquise contre les opportunistes de droite et de gauche.
A la fin, Aragon redescend à Kautsky. Pout être monté plus haut, Aragon descend plus bas.
De l’humanisme à Kautsky, la ligne est droite.
De la science marxiste à Lénine, la ligne est conséquente.
Avec l’humanisme, maillon de bois, c’est toute la chaîne du marxisme-léninisme qui rompt.
Avec cette coupure un monde s’achève. Un monde nouveau s’ouvre : les barbares marxistes-léninistes n’ont pas bougé.
EN GUISE DE CONCLUSION.
Nous avions déjà connu des liquidateurs d’avant-garde : la clique dirigeante de l’U. E. C.
Ces dirigeants de l’école étudiante du communisme avaient enseigné à de jeunes militants toutes les leçons du social-démocratisme exécré : la dissolution d’organismes réguliers, l’absence de discipline de pensée et d’organisation.
Et les leçons les plus perfides : celles de l’idéologie dominante.
Ils ânonnaient, ils ânonnent encore la démocratie. Oubliant l’alphabet : il y a démocratie et démocratie, démocratie bourgeoise et démocratie prolétarienne. Ces révisionnistes au petit pied veulent nous apprendre une chose » nouvelle » : par-delà les luttes de classes, il y a une unité de la jeunesse.
Au mépris de l’héroïque lutte du peuple vietnamien, ils déclarent que la négociation est la seule forme de solution des conflits. Et nous en passons, pour ne pas rebuter le lecteur.
Nous avions déjà connu les liquidateurs du programme : sous prétexte de soutenir un candidat bourgeois, ce qui est parfaitement légitime, nos modernes révisionnistes balançaient les thèses du parti.
N’a-t-on pas vu des dirigeants du parti et des plus éminents, reprendre à leur compte la thèse de la plus juste répartition des fruits du travail. Thèse réduite en poussière par Marx dans la » Critique du Programme de Gotha « .
Nous avons vu se généraliser l’opportunisme de droite dans l’application des thèses du XVIIe Congrès de notre parti. Et nous en passons pour ne pas rebuter le lecteur.
De sacrifices politiques en sacrifices idéologiques, de sacrifices idéologiques en sacrifices d’organisation nous voilà arrivés au terme : le sacrifice de la théorie.
Nous sommes remontés à la source. Le cercle du révisionnisme est bouclé. Comme le disait Lénine, le vin est tiré.