La notion de crise chez Karl Marx est liée à celle de baisse tendancielle du taux de profit. Ce qu’on appelle crise est défini par lui comme le « développement des contradictions internes de la loi ».
De fait, c’est le principe du matérialisme dialectique selon lequel tout phénomène obéit à la loi de la contradiction, qui présente une nature interne au dit phénomène. Lorsqu’il s’intéresse aux processus en cours dans le mode de production capitaliste, Karl Marx regarde les contradictions dans ces processus.
En l’occurrence, la contradiction à l’intérieur de la baisse tendancielle du taux de profit est ce qui produit la crise.
L’étude de Karl Marx à ce sujet forme le XVe chapitre du livre III du Capital, le chapitre XIII concernant en tant que tel la nature de la loi de la baisse tendancielle du taux de profit, le chapitre XIV présentant les « causes qui contrecarrent la loi ».
Ces causes qui contrecarrent la loi ne sont que relatives ; leur opposition à la loi amène un développement en spirale. Il y a des paliers : la loi s’applique, connaît un frein relatif pour un temps, puis passe au-delà de ce frein, franchissant un palier, puis le processus recommence.
Le processus est obligé de recommencer, car la manière qu’a la loi de triompher de cette opposition provient de l’intérieur du mouvement lui-même de cette loi. On est ici strictement dans le cadre du matérialisme dialectique.
Est-ce à dire cependant que cette spirale est sans fin, et que le capitalisme passera sans cesse de tels paliers ? Qu’il y aura sans cesse des freins, puis un dépassement de ces freins par une énergie interne propre au mouvement du capital ?
C’est là une question qui a travaillé tous les lecteurs du capital et pour cette raison, ce dernier chapitre de la troisième section du livre III du Capital – section intitulée « Loi de la baisse tendancielle du taux de profit »– a provoqué un véritable casse-tête.
Certains en ont déduit que puisque la crise est liée à la baisse tendancielle du taux de profit, son explication ne formant qu’un chapitre issu des deux autres, alors s’il n’y a pas baisse tendancielle, alors il n’y a pas crise.
D’autres ont affirmé que la crise était secondaire par rapport à la baisse tendancielle. D’autres encore ont considéré que la crise serait dépassée par une sorte de vaste union de tous les capitalistes dans un super monopoles, tandis que d’autres déplaçaient le problème en refusant le caractère interne de la crise pour lui donner un caractère externe : c’est le manque d’acquisition de zones non capitalistes qui bloquerait le capitalisme.
Certains ont affirmé que la crise consistait en une surproduction de capital, qui ne trouverait plus de place pour se reproduire ; d’autres ont postulé que la crise était une surproduction de marchandises, qui ne trouveraient plus d’acheteurs, ce qui casserait le processus d’accumulation.
De fait, la question a véritablement été tournée dans tous les sens, et tous les types de réponses ont pratiquement été fournis.
Seul Lénine a parfaitement compris la question, ce qui l’a amené à développer le concept d’impérialisme, comme émergence de monopoles comme superstructure sur la base capitaliste. Lénine a, ici, ni plus ni moins que sauvé le marxisme.
Le révisionnisme soviétique abandonnera ensuite ce concept, avec Nikita Khrouchtchev, pour affirmer que le capitalisme était désormais organisé avec l’aide de l’État, dans un capitalisme monopoliste d’État. La crise est alors interprétée de manière totalement différente de chez Lénine et la révolte de Mao Zedong contre Nikita Khrouchtchev est liée à cela dans sa substance.
Pour dire les choses plus directement, la quelque vingtaine de pages du chapitre XV du livre III du Capital a joué un rôle historique de la plus grande importance. Elle a amené des batailles idéologiques intenses entre Karl Kautsky, Eduard Bernstein, Rosa Luxembourg, Rudolg Hilferding, Lénine, Eugen Varga, Staline, Boukharine, etc.
Les conséquences ont été politiquement immenses ; leur implication idéologique essentielle.
L’ interprétation du chapitre XV a une valeur décisive : selon la manière qu’on a de le comprendre, on a une vision particulière du capitalisme. Selon qu’on considère que la crise de ce dernier soit inévitable ou non, qu’elle prenne telle ou telle forme, on a des conclusions politiques fondamentalement différentes, s’appuyant de fait sur une compréhension radicalement différente du marxisme.
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