La réunion à huis-clos annoncé inopinément le matin du vendredi eut du retard. Elle devait commencer à 18h, elle eut en fait lieu peu après minuit.
Nicolaï Boulganine prit le premier la parole, pour simplement annoncer que Nikita Khrouchtchev allait s’adresser aux délégués. Celui-ci fit immédiatement la précision suivante :
« Nous devrions examiner très sérieusement la question du culte de la personnalité.
Aucune nouvelle à ce sujet ne devra filtrer à l’extérieur; la presse spécialement ne doit pas en être informée. C’est donc pour cette raison que nous examinons cette question ici, en séance à huis clos du Congrès. Il y a des limites à tout.
Nous ne devons pas fournir des munitions à l’ennemi; nous ne devons pas laver notre linge sale devant ses yeux. Je pense que les délégués au Congrès comprendront et évalueront à leur juste valeur toutes les propositions qui leur seront faites.
(Applaudissements tumultueux.) »
Voici le tout début de son propos. Il faut bien noter qu’il s’agit de la version « officielle » du texte. Il n’y a pas eu de retranscription ni d’enregistrement du discours lu par Nikita Khrouchtchev. Il fut également interdit de prendre des notes.
« Camarades,
Dans le rapport du Comité central du Parti au XXe Congrès, dans un certain nombre de discours prononcés par des délégués au Congrès, ainsi que lors de réunions plénières du Comité central du parti communiste de l’Union soviétique, pas mal de choses ont été dites au sujet du culte de la personnalité et de ses conséquences néfastes.
Après la mort de Staline, le Comité central du Parti a commencé à appliquer une politique tendant à expliquer brièvement, mais d’une façon positive, qu’il était intolérable et étranger à l’esprit du marxisme-léninisme d’exalter une personne et d’en faire un surhomme doté de qualités surnaturelles à l’égal d’un dieu. Un tel homme est supposé tout savoir, penser pour tout le monde, tout faire et être infaillible.
Ce sentiment à l’égard d’un homme, et singulièrement à l’égard de Staline, a été entretenu parmi nous pendant de nombreuses années.
Le but du présent Rapport n’est pas de procéder à une critique approfondie de la vie de Staline et de ses activités. Sur les mérites de Staline suffisamment de livres, d’opuscules et d’études ont été écrits durant sa vie.
Le rôle de Staline dans la préparation et l’exécution de la révolution socialiste, lors de la guerre civile, ainsi que dans la lutte pour l’édification du socialisme dans notre pays est universellement connu. Chacun connaît cela parfaitement.
Ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est une question qui a une importance pour le Parti actuellement et dans l’avenir.
Ce qui nous intéresse, c’est de savoir comment le culte de la personne de Staline n’a cessé de croître, comment ce culte devint, à un moment précis, la source de toute une série de perversions graves et sans cesse plus sérieuses des principes du Parti, de la démocratie du Parti; de la légalité révolutionnaire.
En raison du fait que tout le monde ne semble pas encore bien comprendre les conséquences pratiques, résultant du culte de l’individu, le grave préjudice causé par la violation du principe de la direction collective du Parti du fait de l’accumulation entre les mains d’une personne d’un pouvoir immense et illimité, le Comité central du Parti considère qu’il est absolument nécessaire de remettre au XXe Congrès du parti communiste de l’Union soviétique tout le dossier de cette question. »
Nikita Khrouchtchev lut ensuite pendant plusieurs heures son discours intitulé « Sur le culte de la personnalité et ses conséquences ».
Il n’y eut ni questions, ni débats. Le rapport secret se termina par un vote des délégués soutenant ce qui avait été dit. Pendant ce temps, les délégations étrangères avaient accès au document par écrit au Kremlin, mais sans le droit de prendre des notes.
Il y avait, de toutes façons, une seule idée de fond. Car le discours de Nikita Khrouchtchev a une particularité précise : il aborde de très nombreux thèmes, mais ni la question du rôle dirigeant du Parti, ni l’industrialisation menée. Il se focalise sur le « culte de la personnalité », avec la personne de Staline présentée comme « brutale », amenant la « violation » des normes du Parti et les vastes opérations de répression, soulignant aussi le rôle « exagéré » attribué à Staline durant la Seconde Guerre mondiale.
Pour renforcer cette atmosphère, le « testament de Lénine » fut également distribué dès le départ aux délégués.