Jusqu’à la veille de la première guerre mondiale, il existe tout un courant appelé le radicalisme, consistant en les rangs de la bourgeoisie libérale.
Celle-ci était opposée aux conservateurs et au clergé, et ouverte à des mesures sociales si cela permettait de renforcer le régime républicain. Positionnés au centre, les radicaux oscillaient entre la gauche et la droite, se plaçant comme incontournables, n’hésitant pas des démarches très opportunistes pour réussir.
Voici comment le Nantais Charles Brunellière, grande figure socialiste de la région, raconte au 8e Congrès national, tenu à Saint-Quentin, les 16, 17, 18 et 19 avril 1911, la mésaventure vécue alors.
« En 1908, au lieu d’avoir comme précédemment le scrutin par canton qui nous permettait de ne présenter des candidats que dans les cantons ouvriers où nous avions des chances de succès, nous nous sommes trouvés, quelques semaines avant les élections, avec le mode de scrutin complètement changé par suite de l’annexion de deux communes voisines.
Nous avons eu le scrutin de liste avec l’obligation de trouver 36 candidats. Nous étions, de plus, acculés à des dépenses bien au-dessus des ressource de la Fédération.
Nous avons alors accepté l’alliance qui nous était proposée par le Comité général radical et le Comité central républicain ; nous avons, d’accord avec ces deux organisations, présenté dix candidats sur une liste commune, avec la condition expresse que nous conserverions toute notre liberté de tactique et d’intégralité de notre progamme.
Cette expérience a été désastreuse pour nous. En effet, les élections n’étaient pas terminées que déjà nos alliés nous tendaient des pièges.
Ensuite, il s’est produit une confusion dans l’esprit des électeurs, à tel point que lorsque sont arrivées les élections législatives, les électeurs de M. [Gabriel] Guist’hau sont allés voter pour lui en chantant l’Internationale, ce qui n’a pas empêché M. Guist’hau de se faire inscrire d’abord au groupe des socialistes indépendants, puis au groupe des radicaux et enfin d’entrer dans le ministère Briand.
Cette confusion a produit des défections considérables parmi les électeurs socialistes qui marchaient avec nous, si bien que nous sommes sortis diminués des dernières élections législatives ; d’ailleurs, la tactique confusionniste d’un de nos élués, qui en a entraîné d’autres, n’a pas peu contribué à amener ce déplorable résultat. »
Pourtant, le constat de la nature opportuniste des radicaux avait déjà été fait en 1907, au quatrième congrès à Nancy, où le Parti socialiste (SFIO) se posait comme faisant face de manière résolue au bloc bourgeois, formulant une grande déception vis-à-vis des radicaux. Le rapport du congrès constatait alors :
« Au retour du congrès de Limoges [le troisième], le Groupe socialiste se trouva en présence du cabinet Clémenceau, qui venait de naître.
Il n’est pas sans intérêt de rappeler que ce ministère ne rencontra de notre côté aucune hostilité préconçue. Alors que le cabinet précédent avait, au début de la législature, groupé contre lui presque tous les éléments d’extrême-gauche, le cabinet Clémenceau, lorsqu’il se présenta devant la Chambre, n’eut pas un vote hostile à gauche.
On l’attendait à l’œuvre, et nous étions prêts à seconder vigoureusement tout effort sincère de réforme qui serait tenté par la majorité radicale et par le gouvernement qu’elle s’était donné.
Les promesses de ce dernier n’étaient d’ailleurs pas négligeables. Elles étaient, sur plusieurs points, conformes au programme radical-socialiste. Le ministère annonçait la réforme générale de l’impôt et celle de la juridiction militaire, les retraites ouvrières et le rachat de l’Ouest, cette dernière mesure devant être l’amorce de plus vastes entreprises et la première tentative de mainmise de l’État sur les monopoles privés.
Que reste-t-il aujourd’hui de ce programme ? Rien n’a été réalisé ; l’on a ajourné ce qu’on n’a pas retiré. »
Il ne faut ici pas s’étonner. Le Parti Socialiste SFIO n’est pas marxiste, son objectif est le collectivisme à travers la république sociale. Les radicaux étant des partisans farouches du régime républicain face aux conservateurs, ils apparaissent au minimum comme un allié naturel pour beaucoup.
Cela est d’autant plus vrai que les radicaux se revendiquent de gauche, et demandent la discipline républicaine face aux conservateurs, comme le formule habilement le parti républicain radical et radical-socialiste en 1909 pour forcer la main aux socialistes, qui apparaîtraient sinon comme des diviseurs.
Et en utilisant habilement la laïcité comme conquête républicaine, les radicaux font en sorte de happer les socialistes, en les obligeant à se situer dans une mise en perspective laïque, et donc de reconnaissance de l’Etat, de la république comme forme idéalise. Voici la résolution adoptée par le Parti Socialiste SFIO, en 1912, sur la laïcité :
« Le but que poursuit le Parti socialiste est l’appropriation collective des moyens de production et d’échange par l’expropriation politique et économique de la classe capitaliste.
Sa politique est donc plutôt une politique de lutte de classe.
Pour l’organisation des travailleurs en parti distinct, il fait appel à tous les exploités sans faire de distinction entre les sexes, les races, ni les religions.
Mais considérant que les églises organisées à l’intérieur de la nation, désireuses d’utiliser à leur profit la suprématie de l’État, mettant leurs représentants presque toujours au service de l’oppression capitaliste, sont amenées à intervenir dans l’action politique quotidienne, et qu’elles légitiment par contre-coup l’intervention des partis qui veulent assurer la neutralité laïque, sauvegarde de la liberté de conscience ;
Considérant que, sans jamais se prêter à la manœuvre de ceux qui chercheraient dans un anti-cléricalisme de façade une diversion aux problèmes sociaux, le Parti socialiste doit, défendre avec vigueur, avec passion, contre toutes surprises, contre toutes menaces, les institutions de laïcité; que si la séparation des Eglises et de l’Etat est un fait accompli, la lutte pour la laïcité totale des services de la nation n’est pas close et doit être poursuivie sans défaillance et jusqu’à ce que les églises et leurs défenseurs se tiennent strictement sur le terrain de la conscience individuelle ;
Le Congrès décide que les élus législatifs, départementaux ou municipaux ont à traduire la volonté formelle du Parti en repoussant tous crédits destinés à subventionner les divers cultes, en s’opposant aussi à la reprise de toutes relations officielles avec les représentants de ces cultes.
Le Parti socialiste déclare en outre que la façon la plus sûre de protéger l’école laïque est de donner un enseignement scientifique aussi étranger aux dogmes capitalistes et chauvins qu’aux dogmes religieux, et de mettre tous les enfants, pour leur entretien, à la charge de la société représentée par l’Etat, les départements et les communes.
Dans ce but, il faut établir un budget d’instruction publique qui ne soit plus dérisoire en face des budgets de la guerre et de la marine, afin de permettre l’augmentation du nombre des écoles et leur aménagement plus rationnel; faire que la tâche des éducateurs ne soit pas impossible en raison du trop grand nombre d’enfants qui leur sont confiés, donner au personnel enseignant l’indépendance et les droits nécessaires afin
qu’il en use, notamment pour appliquer des méthodes pédagogiques sous le contrôle de la société. »
C’est là une reconnaissance de la valeur de l’Etat bourgeois, et ce n’est pas étonnant que le contenu soit conforme aux exigences modernisatrices de la bourgeoisie. Car intellectuellement, en l’absence de matérialisme historique, d’identité marxiste, le rapport entre socialistes et radicaux est très étroit grâce noyau dur des radicaux : la franc-maçonnerie.