Si le Parti Socialiste SFIO se soumet à la CGT, c’est qu’au fond il est collectiviste, et non pas social-démocrate. Sa vision de la révolution sociale ne procède pas d’une lecture matérialiste historique, avec le parti social-démocrate dirigeant le processus, mais d’une approche collectiviste, où il y aurait une sorte de grève générale portant une collectivisation fédérale de l’économie.
Voici à tire d’exemple ce qu’on lit dans Le réveil socialiste, un organe officiel du Parti Socialiste (S.F.I.O.), qui se définit comme collectiviste-révolutionnaire. En mars 1906, dans l’article « Action syndicaliste Action politique ». Il est raisonné en termes en termes d’initiatives individuelles, tout à fait dans l’esprit communiste libertaire du syndicalisme révolutionnaire.
« Le vocable « Révolution sociale » ne peut désigner qu’un transfert, plus ou moins violent, des moyens de production appropriés individuellement à une collectivité de coopérateurs libres.
On ne peut donc évoquer l’hypothèse d’un transfert des moyens de production sans être amené à envisager l’organisme qui recueillera l’héritage de la bourgeoisie industrielle et son rôle directeur dans la production.
Cet organisme, c’est le syndicat, qui dès maintenant, apparaît comme la cellule constitutive d’une société nouvelle basée sur l’universel travail. Un mode de production ne disparaît qu’à la condition que se trouvent déjà constitués des embryons d’organisations susceptibles de se développer et d’assurer à leur tour une sorte de constitution économique nouvelle.
La transformation du mode de production implique donc l’instauration et le perfectionnement de l’organisme syndical.
C’est ce que beaucoup de socialistes seulement électeurs ne comprennent pas. Ils croient à une substitution fortuite d’un régime à un autre. Ils se figurent que la transformation de la société bourgeoisie en société collectiviste s’opérera d’une façon toute magique, que l’organisation sortira toute vivante de la bouche des rhéteurs et des théoriciens plus ou moins décadents du marxisme.
Évidemment, cela ne peut être. Tout s’organise, mais avec de longs et pénibles efforts. Et la production moderne est un phénomène si compliqué et si intense qu’il est nécessaire de préparer avec méthode les organes nouveaux qui devront en assurer le fonctionnement.
Le syndicat, arme de lutte et de révolution, doit donc s’assimiler la technique industrielle, s’initier à l’organisation de l’atelier autonome de demain, instituer petit à petit la discipline volontaire indispensable, améliorer la mentalité des futurs coopérateurs, réunis plutôt dans un but de défense immédiat actuellement.
Le syndicalisme ainsi compris est donc spécifiquement révolutionnaire. Il n’entre pas seulement en opposition avec le patronat bourgeois pour la conquête du mieux-être dans le salariat, mais il aspire à la suppression du salariat lui-même en revendiquant la direction de la production et en se préparant à l’exercer.
Le syndicalisme devrait donc concentrer en lui la meilleure partie de l’activité prolétarienne. Car, en effet, en dehors de la fin qu’il se propose, le syndicalisme est l’arme par excellence pour abattre les privilèges patronaux.
Le prolétariat n’acquiert des avantages nouveaux que par coalition et lutte. Le droit ouvrier ne peut s’élargir par simple représentation parlementaire. Les codes n’enregistrent que des états de faits qu’il faut créer par la force.
D’ailleurs, les lois ne signifient rien quand elles n’ont aucune sanction et quand le patronat peut passer outre impunément, comme il le fait en ce qui touche le repos hebdomadaire, la durée de la journée de travail et les dispositions sur l’hygiène industrielle.
Les seuls avantages acquis irrémédiablement sont ceux que les organisations ouvrières imposent par leur cohésion et leur ténacité. Quand tous les prolétaires auront compris cela et rejoindront leurs compagnons organisés au sein de leurs syndicats et fédérations, l’effort collectif de la classe ouvrière pourra s’exercer « directement » sur la classe patronale et arracher à cette dernière des améliorations importantes qu’il est inutile d’attendre des gouvernants les mieux intentionnés.
N’oublions pas que nous devons nous sauver nous-mêmes et que ce n’est agir qu’à moitié que de donner une délégation politique à qui que ce soit.
L’action véritablement efficace est celle qui exerce tous les individus ; le faisceau des forces individuelles vraiment conscientes et agissantes constitue le levier le plus puissant.
Le parti socialiste unifié vient ensuite comme un adjuvant dont on ne peut nier la valeur, s’il s’érige résolument en défenseur de la classe ouvrière organisée économiquement.
Il doit chercher à lui faciliter son action en empêchant les bourgeois affolés d’assommer le syndicalisme par des lois d’exception. Il doit se faire le défenseur hardi des militants syndicalistes traqués et persécutés dans les bourses du travail ; protester continuellement contre les jugements de classe, contre les perquisitions et arrestations arbitraires, contre l’envoi de la troupe dans les grèves, etc.
Surtout, les élus ne doivent pas craindre d’abandonner souvent les démocrates bourgeois à leurs lois fumistes pour s’en aller porter la parole émancipatrice aux quatre vents du pays et prendre la place d’honneur dans les conflits du genre de ceux de Limoges ou Longwy.
Aujourd’hui que les forces socialistes sont unifiées et disciplinées, nous pouvons espérer des résultats satisfaisants aux élections prochaines. C’est alors que le parti aura au Parlement la puissance suffisante pour s’opposer à tous les coups de force contre les organisations syndicales dont nous avons été témoins pendant cette fin de législature.
Il s’appliquera à neutraliser le milieu bourgeois pour permettre au syndicalisme de vivre, de se développer et d’affirmer la force révolutionnaire qu’il porte en lui. »